31 décembre
Voilà donc le dernier jour d’une « année à nulle autre pareille ». De ces années vingt qui commençaient il y a un an, on pouvait les imaginer folles comme au siècle dernier. La grande affaire de l’année devait être la réélection – ou non – de l’imprévisible Monsieur Trump, mais nul n’aurait alors joué un dollar sur la tête du terne Monsieur Biden…
Et puis voilà, le Covid est arrivé (« le » en donnant à cette pandémie un genre neutre) : officiellement dans le monde, 70 millions de personnes affectées et au moins 1,6 million de décès « officiels ». Pour l’instant, la pire pandémie depuis la grippe asiatique de la fin des années cinquante. Mais une pandémie suivie en temps réel sur toutes les chaînes d’information de la planète, et donc une réaction légitime des autorités politiques un peu partout dans le monde, de manière désordonnée, « chacun pour soi ». Le résultat, ce furent des confinements, des couvre-feux, des fermetures de frontières. Au final, 2020 a été, du point de vue économique, la pire année que le monde ait connu depuis 1931, au cœur de la grande Dépression. Le recul du PIB mondial a été de l’ordre de 5 %, bien plus marqué qu’en 2008/2009, et bien sûr qu’en 1974. Suivant les pays, 2020 s’inscrira en négatif de 4 % (États-Unis, Japon) à 12 % (Italie, Espagne)… Seule la Chine aura conservé sur cette année une croissance légèrement positive. Au Royaume-Uni (– 11 à – 12 %), on dit que c’est la pire année depuis le « grand froid » de 1709. Il est vrai que les Britanniques ont rajouté le Brexit à la liste de leurs maux.
Un temps au printemps, tout s’est arrêté : les avions restaient au sol, les voitures au garage, les navires circulaient à vide. Peu à peu, la vie économique a repris, mais partout – sauf en Chine – c’est bien au ralenti.
Mais, la catastrophe économique a été contenue sur le plan social. Jamais, en effet, les gouvernements n’ont consacré autant d’efforts à prévenir les effets de la crise. Les plans de relance se sont accumulés bien au-delà des $ 10 000 milliards. Pour la première fois, l’UE a été de la partie et paradoxalement, le Covid a conforté la construction européenne au moment même où le Brexit l’ébranlait. Tout ceci s’est traduit par un gonflement des déficits publics et donc de la dette rendue supportable par des taux d’intérêt au plus bas – voire négatifs. Mais le choc a été amorti et ce d’autant plus que certains secteurs ont profité du Covid à l’image des GAFAM qui ont tiré les bourses de la planète vers de nouveaux sommets.
En ce dernier jour de l’année, malgré la promesse des vaccins, la pandémie n’est pas jugulée, la plupart des économies tournent au ralenti et malgré les aides publiques, chômage et précarité continuent à augmenter. Pour la plus grande partie de l’humanité, la page du Covid n’est pas tournée et les bouleversements qu’il a provoqués n’en sont qu’à leurs débuts.
30 décembre
La présidence allemande de l’Union européenne se termine donc par le départ – demain – du Royaume-Uni, mais aussi par la signature d’un « accord de principe » entre l’UE et la Chine sur les investissements. L’affaire est d’importance pour l’UE (à 27) qui avait investi à fin septembre 2020 $ 181 milliards en Chine contre $ 138 milliards dans l’autre sens. L’UE a accepté d’ouvrir certains secteurs comme l’énergie et la Chine a fait de même pour les services financiers, le transport aérien, les télécommunications… La Chine s’est aussi engagée en matière de normes environnementales (Accord de Paris) et sociales (conventions de l’OIT).
Au-delà d’un indéniable triomphalisme germanique, cet accord ne peut que susciter un certain scepticisme. En matière d’investissement, ce qui compte, c’est un état de droit et la Chine de ce point de vue a un long chemin à faire. La Chine reste à bien des égards un état totalitaire et ceci est vrai dans le domaine économique avec le poids considérable des entreprises publiques (SOE) tant au niveau national que local. En jouant de manière bien rapide la carte du bilatérisme, l’Europe n’a-t-elle pas signé un accord de dupes en se déshabillant un peu plus sans compensations véritables ? Ceci méritera d’être analysé quand l’accord sera définitif.
Mais quel triomphe aussi du réalisme le plus cynique sur les grands principes moraux ! De Hong Kong au Tibet, la lâcheté européenne doit faire pleurer un peu plus.
29 décembre
Après de premières vaccinations en fanfare, le mouvement s’est manifestement ralenti. Il ne s’agit pas là d’une conséquence du vaccino-scepticisme des Français, mais bien, semble-t-il, de problèmes de cette bureaucratie sanitaire dont 2020 aura permis aux Français de découvrir le conservatisme et les lenteurs. Après donc les pénuries de masques puis de tests, voilà que les vaccins – s’ils ne manquent pas – peinent au moins à être distribués. Faut-il une consultation médicale préalable à la vaccination ? Faut-il questionner les tuteurs légaux des pensionnaires des maisons de retraite ? Ce sont là certainement de bonnes questions, mais ne masquent-elles pas l’inefficience profonde d’un système administratif à bout de souffle ?
Le Royaume-Uni – où le système de santé totalement public ne brillait guère par son efficacité – est parvenu déjà à vacciner plus de 600 000 personnes et l’Allemagne en quelques jours parle en dizaines de milliers là où en France on raisonne par centaines.
Oh, certes, la critique est facile et il y a probablement d’excellentes raisons médicales et sanitaires à ce retard. L’impression demeure quand même celle d’une certaine irresponsabilité, d’un contraste grandissant entre discours volontaristes et action sur le terrain : comme si le pompier au milieu des flammes oubliait que le plus important est de prévenir l’incendie.
28 décembre
Après Facebook et Google aux États-Unis, les GAFAM dans leur ensemble en Europe (mais là pour des raisons fiscales), voilà Alibaba qui fait l’objet d’une enquête des autorités chinoises de la concurrence.
Il y a vingt ans, un professeur d’université chinois, Jack Ma, se lança dans la vente en ligne. Le succès a été fulgurant et Alibaba réalise aujourd’hui un cinquième du commerce de détail en Chine et prend une place de plus en plus importante à l’international. Un temps, Jack Ma a été l’homme le plus riche de Chine et sa forte personnalité tranchait sur la discrétion dont font en général preuve les milliardaires chinois. À l’automne 2020, il devait introduire en bourse sa filiale de paiements en ligne, Ant Group, devenue en réalité une banque à part entière.
Mais dans l’univers feutré du capitalisme chinois où les frontières sont poreuses entre public et privé, où les SOE (State owned enterprises) se comportent comme des groupes privés, Jack Ma, tout membre du PCC qu’il était, commençait à déranger. On dit que c’est Xi Jinping, lui-même qui aurait décidé de l’annulation de l’introduction en bourse de Ant. L’enquête sur Alibaba a probablement été ordonnée au plus haut niveau et Jack Ma serait même interdit de sortie du territoire chinois. Certes, ce n’est pas encore la chute, mais il y a dans ce destin quelque chose qui rappelle dans l’histoire de France celui de Nicolas Fouquet disgracié par Louis XIV, ou mieux encore celui de Jacques Cœur éliminé par Charles VII. Jack Ma a peut-être oublié qu’il n’était qu’un simple mortel face à un empereur de droit de plus en plus divin.
27 décembre
En ce dimanche de la Sainte Famille pour les catholiques (celui de la présentation de Jésus au Temple) commence donc la vaccination contre le Covid sur le continent européen (anticipant sur le Brexit, les Britanniques avaient débuté il y a trois semaines). Le vaccino-scepticisme est en France devenu une affaire politique qui tourne au ridicule tant on a oublié ce que furent en France des maladies comme le tétanos, le choléra, la poliomyélite et autres diphtéries que des vaccins ont permis d’éliminer.
Non, ce qui est plus inquiétant c’est l’incapacité de l’Europe à produire de tels vaccins puisque les deux produits qui seront administrés sont américains (avec quand même une « start up » allemande pour Pfizer). En dehors justement de Pfizer, les grands noms de la pharmacie des deux côtés de l’Atlantique sont absents (Merck, Hoffman…) ou bien en retard (AstraZeneca, Sanofi…). Issus de technologies nouvelles, ces vaccins sont les enfants de la révolution industrielle de la fin du XXe siècle : à côté des technologies de l’information, il y avait les biotechnologies trop souvent caricaturées et rejetées à l’image des OGM. Il y a d’ailleurs dans le développement de ces vaccins quelque chose de la même nature que l’effervescence que l’on a connu dans les années quatre-vingt-dix autour d’internet. Simplement, le temps du gène est un temps beaucoup plus long que celui de la puce, même si, en 2020, avec quelques milliards de dollars d’aides et de commandes publiques, il vient de connaître une singulière accélération. Que l’on commence en tout cas à vacciner en un jour consacré à célébrer la famille est un beau symbole.
26 décembre
Voici un bien indigeste cadeau de Noël : les 1 246 pages (près de 1 500 avec les annexes) de l’accord du post-Brexit entre ces pays désormais « étrangers » que sont les vingt-six membres de l’Union européenne d’une part et le Royaume-Uni d’autre part (le Royaume restera-t-il longtemps uni, voilà une question que risquent de poser assez vite les Écossais !). Du côté britannique, on se congratule d’avoir sauvé l’accès au marché européen sans droits de douane, mais non pas sans formalités douanières et avec la contrainte de respecter les normes européennes pour éviter le dumping fiscal et social dont avait pu rêver Boris Johnson.
Bien sûr, le diable se cachant dans les détails, ces 1 246 pages contiennent certainement maintes ambiguïtés qui feront les délices des juristes et autres cabinets d’avocats des deux côtés de la Manche. De manière symbolique, la circulation sera plus difficile, il faudra des passeports et le temps des « jobs » outre-Manche est probablement révolu.
Ce « soft Brexit » va quand même coûter € 500 euros pour chaque Britannique, mais aussi une centaine d’euros pour chaque européen du continent. Il y a des moments où l’on a l’impression que l’histoire fait marche arrière. Nombre de Britanniques doivent ce soir se trouver un peu plus trahis par ceux qui les ont entraînés dans pareille impasse et qui osent aujourd’hui s’en faire gloire.
25 décembre
Noël ! En ces temps de Covid, ce fut la seule porte ouverte aux retrouvailles familiales certes limitées, mais assez souvent contournées. Noël s’est extrait peu à peu de sa « gangue » religieuse devenue pour la plupart des Français un aimable folklore. L’arbre de Noël est bien de tradition païenne et germanique et il a supplanté la crèche napolitaine ou provençale. On chantait encore quelques chants de Noël sur les chaînes de télévision et le service public a retransmis vers minuit la messe à Saint-Pierre de Rome.
Mais Noël est au fond devenu avant tout une fête de la famille, un des seuls moments de l’année où se retrouvent toutes les générations autour de cadeaux, d’une table, d’un moment d’affection. À Noël, trois et souvent quatre générations, des fratries, se croisent parfois pour la seule fois de l’année. La messe de minuit, la naissance de Jésus, la promesse faite à Marie, tout cela est oublié dans un brouillard de plus en plus profond, celui de l’ignorance religieuse. Mais l’essentiel n’est plus là : il est dans ce moment de fraternité, dans la chaleur des retrouvailles, dans le rire des enfants ouvrant les plus modestes des cadeaux ; et puis avec aussi une pensée pour tous ceux, seuls, isolés, pauvres de cœur pour lesquels Noël est un moment bien cruel.
Noël, un regard d’enfant…
24 décembre
On a donc pu célébrer Noël à Londres et à Bruxelles et un peu de raison l’a emporté sur tant de passion. Cet accord obtenu une veille de Noël correspond bien au désir de Boris Johnson de se forger une image churchillienne. Concrètement, le Royaume-Uni a lâché du lest sur le dossier le plus symbolique et épineux, celui de la pêche : les quotas européens dans les eaux britanniques ne seront réduits que de 25 % pour cinq ans et demi. Au-delà, si les quotas étaient encore réduits, l’Union pourrait réagir en augmentant les droits de douane de produits britanniques. Mais même réduits à 25 %, ces quotas en baisse seront difficiles à supporter pour les pêcheurs Français et Danois en particulier.
Les autres sujets « commerciaux » ont pu être réglés. Par contre, il reste les services et notamment les services financiers pour lesquels il reste maints sujets à éclaircir. Mais après être passés si près d’un « no deal », on ne fera pas d’un côté comme de l’autre la fine bouche. Les queues de camion à Douvres provoquées par la nouvelle vague du Covid ont certainement calmé les « brexiters » les plus excités.
Boris Johnson aura quand même ajouté sa touche personnelle en décidant de sortir le Royaume-Uni du programme Erasmus. Il est vrai que les jeunes britanniques étaient beaucoup moins attirés par le Continent que les étudiants européens qui bénéficiaient de tarifs préférentiels dans les universités d’outre-Manche. Mais cette décision est stupide tant c’est dans des « auberges espagnoles » que l’on pouvait espérer un jour noyer l’insularité britannique… Mais Boris Johnson, ancien d’Eton et d’Oxford ne pouvait l’admettre.
23 décembre
S’il est un marché qui termine l’année sur une note positive, c’est bien celui du cuivre, fidèle au surnom de « Dr Copper » que lui donnent les économistes en mal d’indicateurs avancés de la conjoncture. Au plus bas, en plein Covid chinois à la fin mars, le cuivre valait à peine plus de $ 4 000 la tonne. Le voilà qui frôle les $ 8 000 et certains analystes le voient en 2021 dépasser les $ 10 000 et son record de 2011.
Il y a là certes un peu de spéculation et l’impact de la baisse du dollar. Du côté de l’offre, il y a eu quelques fermetures de mines liées au Covid, mais surtout fort peu de nouveaux projets miniers susceptibles de répondre à la demande.
Car c’est la demande qui a provoqué cette flambée des prix. À court terme, c’est bien sûr la demande chinoise qui représentait déjà avant le Covid plus de la moitié de la consommation mondiale. Mais le cuivre va profiter encore plus à l’avenir de la volonté des autorités chinoises de verdir leur économie en augmentant la part des énergies renouvelables et en investissant dans les réseaux et autres « grids ». Le cuivre est en effet le métal électrique par excellence et de 2020 à 2030, la consommation mondiale passerait de 23 à 33 millions de tonnes. Certes, il faut tenir compte du recyclage, mais celui-ci sera insuffisant alors que l’offre minière se trouve de plus en plus limitée par des contraintes environnementales.
Voilà donc qui fait les affaires de Dr Copper !
22 décembre
Alors que l’heure est un peu partout à la vaccination, à commencer par celle de Joe Biden, l’administration Trump a enregistré un ultime succès avec l’accord au Congrès entre démocrates et républicains pour un nouveau plan de relance, de $ 900 milliards, qui vient s’ajouter en partie au premier plan de relance du printemps ($ 2 200 milliards). Une partie de ce plan est constitué, comme la première fois d’aides directes : $ 660 par adulte avec un plafond de revenus de $ 99 000 et $ 600 par enfant à charge. Ce cadeau pourrait être expédié dès la semaine prochaine d’après le secrétaire au Trésor. Voilà de quoi stimuler la consommation dans la plus pure tradition keynésienne, aux antipodes de la vulgate libérale américaine. Mais au fond, on se rapproche là de l’idée du revenu universel, défendue récemment par le pape François et qui trouve des défenseurs tant chez les libéraux comme Milton Friedman avec son idée d’impôt négatif qu’à gauche comme le montre Benoît Hamon qui vient d’en signer un plaidoyer.
Touchés de plein fouet par la pandémie, les États-Unis réagissent en tout cas, certes avec l’argent des autres puisque ces sommes vont venir s’ajouter à un déficit budgétaire qui ne cesse de se gonfler. Mais les États-Unis disposent avec le dollar d’une position privilégiée, celle au fond de l’emprunteur de dernier recours.
Et puis il faut quand même aussi saluer la réactivité du système économique et financier américain. C’est la conjonction de la dynamique entrepreneuriale, des laboratoires de recherche et des aides publiques qui, comme pour internet à la fin du XXe siècle, a permis la mise à disposition en temps record de vaccins de nouvelle génération. L’équivalent de la Silicon Valley se trouve pour les biotechnologies autour de Boston.
Si Donald Trump n’avait pas été aussi mauvais joueur, on aurait pu saluer ce qui aura été un incontestable succès de son administration que d’avoir permis la production de masse de ces vaccins, d’avoir aussi mis en œuvre un traitement social de la crise qui a peu d’exemples dans le monde. Malheureusement, il nous aura poussés à ne retenir de lui que la caricature.
21 décembre
Voilà donc l’hiver ! Est-ce pourtant une conséquence du réchauffement de la planète, mais les températures sont bien douces tout particulièrement au Pays basque, l’endroit de France où il fait le plus chaud. La neige s’en est allée et il faut aller beaucoup plus haut dans les Pyrénées pour en trouver. 2020 sera fort probablement l’année la plus chaude de l’histoire et l’homme y est certainement pour quelque chose. L’une des conséquences « positives » du Covid est qu’il a accéléré la prise de conscience des dangers que représentera au fil du siècle le changement climatique. Il y a un an encore, la petite Greta – une « femme de l’année » aujourd’hui bien oubliée – pouvait faire sourire. Mais pour beaucoup, santé et climat vont de pair et leurs dérèglements seraient ainsi les enfants d’une mondialisation mal maîtrisée : Œdipe est puni tout comme Prométhée et Sisyphe avant lui. Les dieux reprennent le dessus, cette Nature que célèbrent les intégristes de l’écologie, en héritiers du paganisme antique. À leurs yeux, le Covid a montré la faiblesse de l’homme prêt à toutes les transgressions, à toutes les manipulations. Un sondage récent montrait qu’en France, le parti politique inspirant le plus de confiance était celui des Verts. Au-delà du rejet d’une classe politique bien essoufflée et malgré le manque de crédibilité de la plupart des dirigeants verdâtres, le Covid aura eu là une certaine utilité.
20 décembre
Alors que les négociations « finales » sur le Brexit butent encore sur le difficile dossier de la pêche (les autres points de contentieux seraient plus ou moins réglés), voilà que le Royaume-Uni se trouve en quarantaine vis-à-vis du continent, mais cette fois-ci pour des raisons sanitaires. Le Covid a donc évolué (on nous pardonnera l’usage d’un masculin neutre dans une approche volontairement non « genrée »). Il s’en est développé une nouvelle variété outre-Manche, encore plus agile, semble-t-il. Et voilà le Royaume-Uni pris au piège d’une insularité qui l’a si souvent sauvé dans son histoire de Napoléon à Hitler. Toutes les liaisons et les transports, d’hommes et de marchandises se sont arrêtées et les Britanniques commencent déjà à prendre conscience de leur dépendance et de leur appartenance à l’Europe : pas de ski en Suisse ni de Noël dans le « cottage » de Dordogne, plus de légumes importés de Bretagne, ni de poissons ou de moutons vendus sur le continent ; des « traders » étrangers bloqués dans la City devant leurs écrans… C’est donc cela le Brexit poussé à l’extrême. Nombre d’Anglais doivent aujourd’hui mesurer les conséquences d’un vote en faveur du Brexit dont John Le Carré, l’admirable père du si britannique Smiley, estimait qu’il était une tragédie. Disparu il y a quelques jours, John La Carré n’aura pas vu cet ultime coup du sort qui permettra peut-être de contribuer à dénouer l’interminable bras de fer entre Londres et Bruxelles. En ce temps de l’année, on peut rêver.
19 décembre
L’année se termine par une véritable flambée des prix agricoles mondiaux. Le blé au-dessus de $ 6 le boisseau à Chicago, le maïs au-delà de $ 4 et le soja qui dépasse les $ 12, personne ne l’eut imaginé il y a seulement quelques semaines. Les marchés des grains avaient traversé les différentes vagues de la pandémie avec une certaine sérénité. Il est vrai que les récoltes mondiales furent à peu près partout excellentes, ce qui permit de rassurer les anxieux qui commençaient à faire, comme les ménages, des achats de précaution. Mais voilà, à partir de l’automne, on commence à parler de « La Niña », la petite sœur du « Niño », un phénomène climatique centré sur le Pacifique et l’océan Indien qui se traduit par de fortes perturbations tant des températures que des précipitations : la campagne 2021/2022 pourrait s’en trouver affectée. Et puis du côté de la demande, l’ogre chinois a continué à grossir au point de devenir le premier importateur mondial de grains : 100 millions de tonnes de soja, mais aussi jusqu’à 50 millions de tonnes de céréales. Enfin, il faut tenir compte des tensions liées à la hausse des prix chez certains producteurs comme le Brésil et la Russie. En Russie, le gouvernement a mis en place une taxe à l’exportation sur le blé et le soja à compter du 15 février. Une étincelle de plus…
18 décembre
Alassane Ouattara à Abidjan, Alpha Condé à Conakry… Tous deux ont prêté serment pour leur troisième mandat à la tête de leur pays en ayant consciencieusement tordu les bras sinon à la lettre au moins à l’esprit de leur constitution respective. L’un et l’autre ont d’excellentes raisons de se croire indispensables, éternelle tentation de tout homme approchant de la retraite. Et au fond, n’ont-ils pas quelques illustres modèles en Chine avec Xi Jinping ou en Russie avec Poutine, sans parler de l’Égypte d’Al Sissi et même parmi les pays avancés de Singapour et au fond même de l’Allemagne où il n’y a pas de limites pour les mandats de chancelier et où Angela Merkel règne depuis maintenant plus de quinze ans et continue à chercher son successeur (ce qui est officiellement la position de Ouattara).
Certes aussi, alors que les États-Unis viennent de se choisir un président de 78 ans, on ne peut critiquer Ouattara, lui aussi âgé de 78 ans et Alpha Conde (82 ans) est à peine leur aîné. Mais on pouvait attendre mieux tant d’un ancien vice-président de la Banque Mondiale (Ouattara) que d’un pilier de l’Internationale socialiste (Alpha Conde). L’Afrique en tout cas méritait mieux.
21 décembre
Voilà donc l’hiver ! Est-ce pourtant une conséquence du réchauffement de la planète, mais les températures sont bien douces tout particulièrement au Pays basque, l’endroit de France où il fait le plus chaud. La neige s’en est allée et il faut aller beaucoup plus haut dans les Pyrénées pour en trouver. 2020 sera fort probablement l’année la plus chaude de l’histoire et l’homme y est certainement pour quelque chose. L’une des conséquences « positives » du Covid est qu’il a accéléré la prise de conscience des dangers que représentera au fil du siècle le changement climatique. Il y a un an encore, la petite Greta – une « femme de l’année » aujourd’hui bien oubliée – pouvait faire sourire. Mais pour beaucoup, santé et climat vont de pair et leurs dérèglements seraient ainsi les enfants d’une mondialisation mal maîtrisée : Œdipe est puni tout comme Prométhée et Sisyphe avant lui. Les dieux reprennent le dessus, cette Nature que célèbrent les intégristes de l’écologie, en héritiers du paganisme antique. À leurs yeux, le Covid a montré la faiblesse de l’homme prêt à toutes les transgressions, à toutes les manipulations. Un sondage récent montrait qu’en France, le parti politique inspirant le plus de confiance était celui des Verts. Au-delà du rejet d’une classe politique bien essoufflée et malgré le manque de crédibilité de la plupart des dirigeants verdâtres, le Covid aura eu là une certaine utilité.
20 décembre
Alors que les négociations « finales » sur le Brexit butent encore sur le difficile dossier de la pêche (les autres points de contentieux seraient plus ou moins réglés), voilà que le Royaume-Uni se trouve en quarantaine vis-à-vis du continent, mais cette fois-ci pour des raisons sanitaires. Le Covid a donc évolué (on nous pardonnera l’usage d’un masculin neutre dans une approche volontairement non « genrée »). Il s’en est développé une nouvelle variété outre-Manche, encore plus agile, semble-t-il. Et voilà le Royaume-Uni pris au piège d’une insularité qui l’a si souvent sauvé dans son histoire de Napoléon à Hitler. Toutes les liaisons et les transports, d’hommes et de marchandises se sont arrêtées et les Britanniques commencent déjà à prendre conscience de leur dépendance et de leur appartenance à l’Europe : pas de ski en Suisse ni de Noël dans le « cottage » de Dordogne, plus de légumes importés de Bretagne, ni de poissons ou de moutons vendus sur le continent ; des « traders » étrangers bloqués dans la City devant leurs écrans… C’est donc cela le Brexit poussé à l’extrême. Nombre d’Anglais doivent aujourd’hui mesurer les conséquences d’un vote en faveur du Brexit dont John Le Carré, l’admirable père du si britannique Smiley, estimait qu’il était une tragédie. Disparu il y a quelques jours, John La Carré n’aura pas vu cet ultime coup du sort qui permettra peut-être de contribuer à dénouer l’interminable bras de fer entre Londres et Bruxelles. En ce temps de l’année, on peut rêver.
19 décembre
L’année se termine par une véritable flambée des prix agricoles mondiaux. Le blé au-dessus de $ 6 le boisseau à Chicago, le maïs au-delà de $ 4 et le soja qui dépasse les $ 12, personne ne l’eut imaginé il y a seulement quelques semaines. Les marchés des grains avaient traversé les différentes vagues de la pandémie avec une certaine sérénité. Il est vrai que les récoltes mondiales furent à peu près partout excellentes, ce qui permit de rassurer les anxieux qui commençaient à faire, comme les ménages, des achats de précaution. Mais voilà, à partir de l’automne, on commence à parler de « La Niña », la petite sœur du « Niño », un phénomène climatique centré sur le Pacifique et l’océan Indien qui se traduit par de fortes perturbations tant des températures que des précipitations : la campagne 2021/2022 pourrait s’en trouver affectée. Et puis du côté de la demande, l’ogre chinois a continué à grossir au point de devenir le premier importateur mondial de grains : 100 millions de tonnes de soja, mais aussi jusqu’à 50 millions de tonnes de céréales. Enfin, il faut tenir compte des tensions liées à la hausse des prix chez certains producteurs comme le Brésil et la Russie. En Russie, le gouvernement a mis en place une taxe à l’exportation sur le blé et le soja à compter du 15 février. Une étincelle de plus…
18 décembre
Alassane Ouattara à Abidjan, Alpha Condé à Conakry… Tous deux ont prêté serment pour leur troisième mandat à la tête de leur pays en ayant consciencieusement tordu les bras sinon à la lettre au moins à l’esprit de leur constitution respective. L’un et l’autre ont d’excellentes raisons de se croire indispensables, éternelle tentation de tout homme approchant de la retraite. Et au fond, n’ont-ils pas quelques illustres modèles en Chine avec Xi Jinping ou en Russie avec Poutine, sans parler de l’Égypte d’Al Sissi et même parmi les pays avancés de Singapour et au fond même de l’Allemagne où il n’y a pas de limites pour les mandats de chancelier et où Angela Merkel règne depuis maintenant plus de quinze ans et continue à chercher son successeur (ce qui est officiellement la position de Ouattara).
Certes aussi, alors que les États-Unis viennent de se choisir un président de 78 ans, on ne peut critiquer Ouattara, lui aussi âgé de 78 ans et Alpha Conde (82 ans) est à peine leur aîné. Mais on pouvait attendre mieux tant d’un ancien vice-président de la Banque Mondiale (Ouattara) que d’un pilier de l’Internationale socialiste (Alpha Conde). L’Afrique en tout cas méritait mieux.
14 décembre
Alors que la vaccination contre le Covid a commencé au Royaume-Uni, permettant ainsi à Boris Johnson de distraire ses ouailles des angoisses du Brexit, la fièvre du vaccin gagne le monde entier avec les plus rapides, déjà en phase 3, et aux portes du Graal de l’autorisation des autorités scientifiques aux États-Unis et en Europe. À vrai dire deux pays au moins sont passés à la vaccination de masse en brûlant les étapes habituelles : la Russie et la Chine partagent la même conception totalitaire de la science : en Russie, le Spoutnik V aurait déjà été injecté à 150 000 personnes. Quant aux vaccins chinois, ils commencent à être exportés et un pays comme le Maroc a commencé à en utiliser. Aux États-Unis, la FDA a donné son feu vert le 12 décembre au vaccin Pfizer/BioNTech et les autorités espérant qu’à la fin mars 100 millions d’Américains auront été vaccinés. La tension est telle que ce sont les agents du FBI qui ont eu la charge du transfert des données des tests des laboratoires vers la FDA.
Tout ceci laisse la France… de marbre. Certes, il n’y aura pas de vaccin français et l’échec industriel de Sanofi et de Pasteur est patent. Mais surtout, la vaccinophobie des Français s’est encore accentuée y compris au sein du corps médical. La France, sur ce dossier, fait preuve d’une indéniable exception culturelle et le pourcentage des Français disposés à se faire vacciner a même plutôt tendance à diminuer. Attendons, observons et pour l’instant « Messieurs les Anglais, vaccinez les premiers ».
13 décembre
Oublions donc Trump ! Il reste quand même Boris Johnson pour apporter un peu d’imprévu au monde si feutré de la diplomatie internationale et avec le Brexit, il est proche du chef-d’œuvre. Le voilà qui mobilise la Royal Navy pour protéger les eaux britanniques non pas des galions espagnols de l’Invincible Armada, mais de bien innocents pêcheurs européens. Il y a chez lui du Churchill dont il a écrit une biographie ou du Thatcher, celle de la guerre des Falklands.
Les négociations devaient se terminer aujourd’hui, mais on va encore jouer les prolongations pour quelques jours, voire jusqu’à ce qui est la vraie date incontournable le 31 décembre.
Comme son ami Trump, Johnson est un remarquable joueur de poker. Certes, il n’a pas de cartes maîtresses dans son jeu et objectivement, le Royaume-Uni serait le grand perdant d’un « no deal ». Mais il a la chance d’avoir en face de lui une Europe, certes unie, mais dont l’Allemagne, qui préside l’Union ce semestre et avec Ursula von der Leyen à la présidence de la Commission, reste le ventre mou, désireuse d’obtenir un accord à tout prix quitte à ce qu’il soit un « Munich à l’envers ». Alors, Boris fait monter les enchères, parle ouvertement d’un « no deal » en sifflotant tout en mobilisant sa flotte.
« Même pas mal », disent les enfants qui se bagarrent dans les cours de récréation. La réalité est que le Royaume-Uni à tout perdre d’autant plus que Johnson n’a pas grand-chose à attendre de Biden, l’ami américain, qui est… Irlandais !
12 décembre
Voilà donc un lustre (cinq ans) que Laurent Fabius scellait d’un coup de marteau solennel l’accord de Paris sur le climat. Que n’a-t-on dit alors, que n’a-t-on rêvé. Enfin, le monde avait pris conscience de l’urgence climatique et tous les pays allaient collaborer pour limiter le réchauffement de la planète à 2 °C. Bien sûr, il ne fallait pas trop regarder dans les détails et ce d’autant plus que cet accord fut à l’époque vécu comme une victoire de la diplomatie française. Car l’accord en réalité ne comportait que des engagements volontaires et aucune mesure coercitive. Le mécanisme pourtant essentiel du prix du carbone n’était qu’évoqué à charge pour les COP suivantes de le préciser. Malheureusement, ce ne fut pas le cas et de COP en COP on accumula les déceptions au point de ne guère faire regretter l’annulation de la COP26 qui aurait dû se conclure aujourd’hui à Birmingham.
Bien sûr, il est de bon ton de faire porter aux États-Unis la responsabilité de cet immobilisme. Mais Donald Trump est l’arbre qui cache la forêt des divergences y compris au sein de l’Europe. Et puis la crise est passée par là et le Covid a éclipsé le climat. Pourtant, sur la question climatique, le Covid a joué un rôle d’accélérateur. D’un point de vue conjoncturel, la crise a provoqué une baisse des émissions de CO2 de 7 % en moyenne (20 % au plus fort d’avril). Mais surtout, assimilée à une pandémie de la mondialisation, elle a accentué la prise de conscience des gouvernants de la nécessité d’agir : résultat, des États unis à l’Europe et au Japon sans oublier la Chine, tous les plans de relance sont « verts » avec d’ambitieux objectifs de transparence carbone. C’est la modeste contribution du Covid à la cause un peu oubliée du climat.
11 décembre
Le 8 juillet 1890, le Sherman Act était promulgué aux États-Unis. Cet ancêtre et pionnier de toutes les législations antitrust et monopoles de la planète visait à l’origine, pour de basses raisons politiques, le cartel des allumettes ! Mais sa principale « victime » fut la célèbre Standard Oil qui dominait le marché pétrolier de l’époque : en 1911, elle fut démantelée au grand dam de son fondateur, J.D. Rockfeller, qui personnifiait alors l’image du capitalisme sans scrupules.
Héritière du Sherman Act, la Federal Trade Commission américaine, s’appuyant sur les plaintes de 48 états, républicains comme démocrates, s’attaque aujourd’hui à l’équivalent contemporain de Rockfeller, à mark Zuckerberg et à la situation monopolistique que Facebook a bâtie au fil des années avec des achats comme Instagram (2012) et Whatsapp (2014). La FIC a d’ailleurs déposé un dossier comparable contre Google à la mi-octobre.
De la même manière que la deuxième révolution industrielle avait favorisé une extraordinaire concentration des entreprises, les nouvelles technologies ont permis l’émergence de nouveaux monopoles en particulier autour des GAFAM. Et il est vrai que Facebook est tout aussi symbolique que la Standard Oil, que Zuckerberg rime avec Rockefeller (aussi peu sympathiques et charismatiques l’un que l’autre). Point d’illusion : l’affaire prendra des années et Facebook n’est que l’arbre qui cache la forêt des monopoles numériques.
Mais au moins, ceci nous permet-il de prendre conscience du danger que représentent toutes ces « gentilles » applications.
10 décembre
La Chine vient d’annoncer un excédent commercial record au mois de novembre : $ 75 milliards avec des exportations en hausse de 21 % par rapport à novembre 2019. Au-delà d’un effet de rattrapage post-Covid, c’est bien la confirmation que la Chine a tourné la page de la pandémie et laisse sur place le reste du monde.
Cette fin d’année 2020 ressemble au fond à une étape de montagne du tour de France. Au bas du col, le coureur chinois avait été victime d’une crevaison, mais après quelques réparations et confinements, il avait rattrapé le peloton, ralenti lui aussi par de multiples incidents. Rapidement, il s’était détaché, n’hésitant pas à pédaler en danseuse et le voilà donc arrivant au sommet, basculant dans la descente, et creusant un peu plus l’écart avec ses poursuivants, tirant quand même dans son sillage quelques autres coureurs asiatiques. Plus loin, à trois ou quatre lacets du sommet (et un écart de 6 % de croissance du PIB avec le Chinois), on trouve un premier peloton de coureurs solides, fortement dopés comme le Japonais qui en est à 17 % de son PIB en plans de relance. Outre le Japon, il y a l’équipe américaine qui vient de perdre son leader et qui attend un peu de dopage supplémentaire, les Allemands et quelques autres. Et puis beaucoup plus loin, souffrant encore du vent de face du Covid, c’est le « gruppeto », les attardés qui auront au sommet entre 10 et 15 % de croissance du PIB de retard sur le Chinois : il y a là beaucoup d’Européens (France, Italie, Espagne, Royaume-Uni, les grandes nations pourtant du cyclisme mondial…), mais aussi l’Inde, l’Afrique du Sud, le Brésil… Pour eux chaque coup de pédale supplémentaire se traduit encore en déficits, en chômage, en faillites. Ils n’atteindront le sommet du col qu’en 2021 au mieux, lorsque commencera le vrai Tour de France.
L’image est là peut-être cruelle, mais elle représente bien une réalité, celle d’une Chine qui creuse l’écart sur le reste du monde et en particulier sur l’Europe. La vraie question est maintenant de savoir si notre coureur chinois va se contenter de lauriers économiques, s’il ne va pas vouloir aussi une victoire politique dans sa zone d’influence tout d’abord comme cela vient d’être le cas à Hong Kong, et comme la Chine en menace aujourd’hui l’Australie, et puis au-delà en Afrique et en Amérique latine. On parlait autrefois, il y a bien longtemps du « péril jaune ». Mais aujourd’hui, c’est la Chine qui porte le maillot jaune !
9 décembre
Scènes d’émeutes en Nouvelle-Calédonie et en particulier à Nouméa. Cette fois-ci, les indépendantistes menés par le FLNKS s’attaquent au dossier du nickel à l’occasion de la vente par le mineur brésilien Vale de son usine de Goro dans la province Sud. Vale avait hérité du projet de Goro lorsqu’il avait pris le contrôle du numéro un mondial du nickel, le canadien Inco. Dans les conditions sociales et politiques difficiles de la Nouvelle-Calédonie et à la suite de graves problèmes techniques, Goro n’a jamais été rentable et finalement Vale a décidé de jeter l’éponge en cherchant un repreneur.
En Nouvelle-Calédonie, le nickel est avant tout une affaire politique : Goro est dans la province Sud à majorité loyaliste. Dans la province Nord, Koniambo est contrôlé par les autorités locales de tendance indépendantistes (en partenariat avec le sulfureux mineur et trader suisse Glencore). Celles-ci ont cherché à monter un dossier de reprise en s’appuyant sur un industriel coréen qui, au vu de la situation, a préféré se retirer. Vale a finalement porté son choix sur l’offre proposée par la direction actuelle avec des capitaux locaux et la participation de l’un des plus importants négociants en matières premières au monde, Trafigura. Furieux de voir cette proie leur échapper, les indépendantistes ont donc réagi violemment en cherchant à torpiller ce qui est pourtant un scénario de la dernière chance. Voilà en tout cas un épisode supplémentaire de la malédiction des matières premières appliquée au nickel en Nouvelle-Calédonie.
8 décembre
C’est avec un brin de nostalgie que toute une génération a appris que Bob Dylan dont la musique et les chansons ont baigné notre jeunesse contestataire a cédé aux sirènes sonnantes et trébuchantes de la marchandisation musicale. Non, ce ne peut être vrai, lui auquel l’Académie suédoise avait décerné le Prix Nobel de la littérature, certes contestable, mais qui avait eu le mérite de donner une place à la poésie musicale, lui qui avait tant marqué nos rêves d’un « monde d’après » durant la crise des années soixante-dix, lui que l’on imaginait « on the road again » la guitare en bandoulière, non… pas lui !
Et pourtant, il vient bien de vendre son catalogue, l’intégralité de son œuvre à Universal Music (filiale de Vivendi…) pour, dit-on quelques $ 300 millions. Certes, il a le droit d’assurer ainsi ses vieux jours et l’heure n’est plus aux grandes tournées. Mais réduire ainsi Bob Dylan à une affaire de gros sous ! Johnny Hallyday passe encore, mais Bob Dylan c’était quand même autre chose, un morceau du patrimoine immatériel sinon de l’humanité au moins de notre jeunesse. Tout cela est emporté par le vent du marché (blowed in the wind) puisque les temps ont changé (The Times They are a-changin).
Mais au fond, comme le chantait Brassens, « Les bourgeois plus ça devient vieux, plus ça devient c… ». Bob Dylan ? Un bourgeois…
7 décembre
Au moment même où l’Europe se voit bloquée et paralysée sur la question de l’état de droit en Pologne et en Hongrie, voilà que l’on reçoit en fanfare à Paris Abdel Fatah El Sisi qui règne d’une main de fer sur l’Égypte et auquel la France est heureuse de vendre avions et armes. Bien sûr, l’Égypte ne correspond guère à notre idéal démocratique et Emmanuel Macron, comme bien de ses prédécesseurs, va être obligé de faire le grand écart entre réalités géopolitiques et économiques et droits de l’homme. L’Égypte est un pion essentiel dans les fragiles équilibres méditerranéens et africains. Elle est une alliée aussi face à la Turquie d’un autre grand démocrate, RT Erdogan. À tout prendre cependant en termes de libertés politiques, la Turquie dame le pion à l’Égypte et Erdogan a même subi quelques défaites électorales, à la mairie d’Istanbul notamment, inimaginables pour un Al Sisi réélu avec un score de « maréchal » (97 %) et qui peut rester au pouvoir au moins jusqu’en 2030. Ce n’est que dans son rapport à l’islam que Al Sisi apparaît plus fréquentable pour les Occidentaux qu’Erdogan.
À vrai dire, la France n’est pas la seule à se livrer à pareilles contorsions. La BERD, la banque européenne fondée à l’origine pour financer le passage à la démocratie des économies en transition a aujourd’hui comme premiers « clients » justement la Turquie et l’Égypte… et même le Belarus. Mais au moment où le « moralement correct » devient la norme, convenons qu’il y a là bien de l’hypocrisie !
6 décembre
Apparemment, le « Black Friday » qui aura en réalité duré le samedi, voire le dimanche, a été une réussite : on parle de 5 milliards d’euros d’achats en « physique », ce qui pourrait dépasser même les chiffres de 2019. Frustrés de « courses », les Français sont donc sortis pour faire leurs achats de Noël. Bien sûr, l’affluence dans les rues et les magasins pouvait inquiéter et cela d’autant plus que semble-t-il, le reflux du Covid se serait interrompu.
De plus en plus en tout cas, la dimension psychologique de la pandémie prend le pas sur son versant sanitaire. L’homme est un animal social qui aime à vivre en groupes, à toucher ses congénères, à partager des festins quotidiens. Noël est pour lui un rendez-vous incontournable. Ce n’est plus guère une fête chrétienne ; la crèche est devenue une option, car c’est l’arbre qui devient le totem central du foyer. En Alsace et plus largement dans le monde germanique, on fêtait ces jours-ci la Saint-Nicolas, une occasion pour faire des cadeaux aux enfants (autrefois des oranges suffisaient…). Noël a balayé tout cela et les paquets s’accumulent au pied du sapin : on les ouvrira le soir du réveillon ou le lendemain matin si le père Noël n’est pas resté coincé dans la cheminée. Ce sont tous ces cadeaux que l’on a commencé à acheter en ce Black Friday. Difficile maintenant d’imaginer que l’on prive les Français de « leur » Noël.
29 novembre
Premier dimanche de l’Avent, la période qui chez les chrétiens précède Noël. La notion d’Avent n’a plus guère de sens dans une France largement déchristianisée si ce n’est par une création récente, les « calendriers de l’Avent » déclinés sous toutes les formes, du chocolat à la bière.
Mais, par une disposition dont l’absurdité bureaucratique saute aux yeux, les cultes étaient interdits au-delà de trente personnes et cela, quelle que soit la taille de l’édifice, de la cathédrale à la plus modeste chapelle. L’interdiction a d’ailleurs été invalidée dans la journée par le Conseil d’État qui a donné trois jours au gouvernement pour revoir sa copie.
Mais au-delà et quelle que soit la décision finale, comment ne pas être frappé par pareil mépris pour le fait religieux et cela quelle que soit la religion concernée. La Laïcité à la française telle que la pratique le gouvernement du moment attache plus d’importance à l’ouverture des commerces qu’à celle des lieux de culte. Et si dans les premiers on peut acheter des calendriers de l’Avent, dans les seconds, ceux des églises chrétiennes, on peut se préparer à cette montée vers Noël qui ne se limite pas à un simple sapin, un arbre « mort » comme le dirait certain !
28 novembre
Scènes d’émeutes à Paris qui ramènent quelques mois en arrière au temps de la grande époque des samedis des « gilets jaunes ». Décidément, ce confinement ne se termine pas en France dans la sérénité, mais dans le désordre de la polémique.
À l’origine, il y a ce que l’on peut qualifier quand même un peu de provocation : l’installation « spontanée » d’un camp de migrants sur la place de la République. En fait, quelques centaines de ces malheureux ont été manipulées par des ONG militantes et par des politiques, bientôt rejoints par tout ce que la France compte de bien-pensance bobo. La réaction policière intervenait en pleine discussion d’un projet de loi maladroit même s’il pose de vraies questions en un temps où la circulation des images sans contrôle aucun peut être considérée comme une atteinte aux libertés individuelles. La suite est d’ordre judiciaire, mais la mécanique était lancée permettant de lever le couvercle de toutes les frustrations politiques et sociales accumulées en silence durant cette année. Et comme d’habitude, la fin de la manifestation a tourné à l’émeute, à ce traditionnel pugilat entre police et « black bloc »… Il n’est pas question ici de porter un jugement d’un côté ou de l’autre si ce n’est quand même sur la responsabilité de ceux à l’origine de la première étincelle qui savaient parfaitement ce que serait la suite à l’heure justement où l’un des leurs annonçait sa candidature présidentielle.
27 novembre
S’il est un continent relativement épargné par la pandémie, c’est bien l’Afrique et surtout l’Afrique subsaharienne qui pèse bien peu dans les sinistres bilans mondiaux. Les raisons avancées sont la jeunesse de la population, le climat, l’habitude aussi de gérer des pandémies comme Ebola ou le sida. Mais quel contraste entre situation sanitaire et économique. Les principaux moteurs de l’Afrique sont à l’arrêt : l’Afrique du Sud devrait afficher en 2020 une croissance négative de 9,5 % ; le Nigeria est officiellement en récession ; la Zambie vient de faire défaut sur sa dette ; enfin l’Éthiopie, qui était jusque-là une vitrine du développement africain, vient de s’engager dans une guerre civile dont on ne voit guère l’issue.
Il faut certes tenir compte de la baisse du prix du pétrole (Nigeria, Angola…), mais le drame africain est avant tout celui de la malgouvernance, de ces dirigeants qui s’accrochent au pouvoir tout en entraînant leurs pays dans l’abîme. Le problème de l’Afrique est malheureusement avant tout celui des Africains et surtout d’élites africaines qui trop souvent ont confondu démocratie et kleptocratie. Certes, le néo-colonialisme européen n’a pas arrangé les choses, mais « le sanglot de l’homme blanc » ne peut tout expliquer.
26 novembre
Alors que la deuxième vague du Covid semble lentement refluer et que par petites touches la France commence à déconfiner, le bilan économique et surtout social de cette année à nulle autre pareille s’alourdit chaque jour un peu plus. Comme on pouvait s’y attendre, c’est le secteur de la distribution de vêtements et de chaussures qui est touché de plein fouet : après des enseignes comme La Halle, Camaïeu, Celio, NafNaf, GoSport, cela vient d’être le tour de Kidiliz, l’ancien groupe Zannier spécialisé dans la mode enfantine dont la liquidation vient d’être décidée. Quelques marques survivent, des magasins seront repris, mais le désastre social n’en sera pas moins immense. Certes, au même moment, les spécialistes de l’e-commerce développent leurs entrepôts : le monde change, il faut s’adapter dit-on, c’est cela la « destruction créatrice » prophétisée par Joseph Schumpeter… Facile à dire, mais bien difficile à accepter d’autant que les emplois créés le sont au plus bas de l’échelle.
Au même moment, la pression monte aussi sur de grandes entreprises qui, obsédées souvent par leur valeur boursière (garante quand même de leur indépendance), sont amenées à se restructurer et à se séparer de leurs activités et de leurs sites les moins rentables. C’est Bosch à Rodez ou Bridgestone à Amiens et puis au niveau global, ce sont les annonces d’IBM et surtout Danone. Le cas de Danone est le plus exemplaire tant la brutalité de l’annonce contraste avec l’image que l’entreprise et ses dirigeants ont entretenue au fil des années. Au-delà des discours, là aussi la destruction créatrice est à l’œuvre cette fois dans les fonctions de support et d’encadrement remises en cause par l’explosion du télétravail.
Le Covid aura donc joué un rôle d’accélérateur des mutations dans les entreprises. Il risque cependant de creuser un peu plus les inégalités, d’accentuer ce qui pourrait à terme redevenir des relations de maîtres à esclaves. Nous sommes là bien loin de ce Bien Commun dont on a tant rêvé au temps du premier confinement. Certes, l’État peut y contribuer, mais l’entreprise doit aussi en être le lieu privilégié. Sous la pression de la crise, bien des dirigeants l’ont aujourd’hui oublié. Pourtant, le Bien commun n’est-ce pas avant tout « le vivre ensemble » ? On pourrait d’ailleurs proposer de méditer à ce sujet une phrase du pape François dans Fratelli Tutti : « notre existence est liée à celle des autres, la vie n’est pas un temps qui s’écoule, mais un temps de rencontre ». C’est aussi vrai dans l’entreprise.
25 novembre
Joe Biden est en train de constituer son cabinet. Du fait de la forte probabilité que les républicains conservent leur majorité au Sénat, il doit s’entourer de personnalités suffisamment consensuelles pour passer l’écueil de la confirmation. Cela élimine donc l’essentiel de la gauche démocrate et une bonne partie de la génération « post-Obama ». Les premiers choix annoncés rassurent et font aussi la part belle aux… septuagénaires. Joe Biden a 78 ans. Il a désigné comme représentant sur le climat John Kerry et comme secrétaire au Trésor Janet Yellen, l’ancienne présidente de la Fed, qui a 74 ans. Anthony Blinken, le futur secrétaire d’État, fait figure de jeunesse avec ses 58 ans. Ils auront d’ailleurs en face d’eux, leur principal adversaire, le chef de la majorité républicaine au Sénat, Mitch Mc Connell qui a 78 ans, tandis que son homologue démocrate qui préside la Chambre des Représentants, Nancy Pelosi, a 80 ans ! Longtemps, les États-Unis ont eu la capacité de faire émerger des « jeunes » comme Clinton, Obama ou même Bush Jr. En Europe, au contraire, on se reposait sur des politiques blanchis sous le harnais et les jeunes générations rongeaient leurs freins. Dans une certaine mesure les positions se sont en quelque sorte inversées : un vent de jeunesse a soufflé sur la politique européenne alors qu’aux États-Unis démocrates comme républicains vieillissent sous les ors de la Maison-Blanche et du Capitole.
24 novembre
Voilà donc l’Europe encore bloquée ! Alors que l’on avait célébré le moment « hamiltonien » de l’adoption d’un plan de relance européen ambitieux qui semblait ouvrir de nouvelles perspectives à la construction européenne, voilà que quelques « ouvriers de la dernière heure » viennent en perturber la réalisation. La Pologne, la Hongrie et même la Slovénie continuent de bloquer tant le plan de relance que le cadre financier pluriannuel, c’est-à-dire le budget septennal de l’Union. La Pologne et la Hongrie refusent en réalité toutes les critiques qui leur sont adressées en matière d’État de droit, d’indépendance de la justice, des médias et des organisations non gouvernementales. Paradoxalement moins affectés par la pandémie (le PIB polonais ne devrait reculer que de 3,6 % en 2020, ce qui est la « meilleure » performance de la zone euro), ces deux pays peuvent prolonger quelque temps leur stratégie de la « chaise vide ». Bien sûr, cela fragilise l’Europe et retarde d’autant les transferts dont ont besoin les pays les plus touchés. Mais cela illustre aussi quelques-unes des faiblesses presque congénitales de l’édifice européen : la règle de l’unanimité au Conseil qui contraste avec le fonctionnement du Parlement qui fait la part belle aux minorités actives. Ce sont là des incohérences qu’il faudra quand même un jour parvenir à éliminer.
23 novembre
La crise du Covid aura eu au moins un mérite : celui de faire oublier la Convention Citoyenne installée en grande pompe comme réponse à la colère populaire des « gilets jaunes » (un peu oubliés eux aussi…). Il y avait dans cette idée toute la démagogie dont peuvent être capables des technocrates souhaitant passer outre à toutes les formes de représentation offertes par la démocratie dans un pays comme la France pour aller vers des Français « vrais » et écouter leur respiration. Alors donc, tirage au sort de cent cinquante « citoyens », une grande classe de primaire pour lesquels on ne va par contre pas laisser le choix des enseignants au hasard. Ce n’est pas faire polémique que de constater le manque absolu d’objectivité des intervenants qui se sont succédés et qui souvent étaient plus proches des plateaux des chaînes d’information en continu que de l’exigence scientifique que l’on aurait attendu d’un tel aréopage. En réalité, on retrouvait-là le biais rencontré déjà dans les débats organisés dans le cadre d’enquêtes publiques et qui très souvent se trouvent noyautés par les militants aux discours les plus simplistes et les plus démagogues.
La Convention Citoyenne a donc accouché de propositions parfois de bon sens, mais la plupart du temps donnant l’impression d’un manichéisme primaire. Les plus militants de ces citoyens, cornaqués par leurs anciens instituteurs, cherchent assez logiquement à pérenniser leur moment de gloire. Heureusement, le passage au Parlement, par un véritable processus démocratique, devrait les faire retomber dans l’oubli.
22 novembre
Une chose n’avait pas manqué de frapper les observateurs de la société française durant le premier confinement : c’était un immense sursaut d’optimisme, un élan de solidarité comme on n’en aurait pas cru capable une France engoncée dans ses égoïsmes. On rêvait du « monde d’après », un monde marqué au coin du Bien Commun, un bien commun représenté par l’existence de l’autre, par le vivre ensemble. Tous les soirs, on applaudissait les soignants, mais à tous les niveaux fleurissaient des initiatives solidaires, des repas aux SDF, aux courses pour les voisins.
Est-il cruel de dire que tout ceci a disparu durant ce deuxième confinement ? Certes, la saison est autre, les jours plus courts et plus frais. Chacun se replie sur son cocon et tant pis si les autres n’en ont pas. Ce qui règne aujourd’hui, c’est le manque de confiance, c’est l’usure et la fatigue. Alors, comme à la triste habitude en France, on se retourne contre l’État : enseignants, cheminots et quelques autres retrouvent le chemin de la grève. L’incivilité face au confinement redevient presque la règle. La solidarité du printemps est oubliée, chacun revendique les uns pour leurs cafés ou leurs commerces, les autres pour leur messe. Pour ces derniers, plutôt que de manifester peut-être auraient-ils pu méditer l’Évangile de ce dimanche : « J’avais faim et vous m’avez donné à manger… j’étais un étranger et vous m’avez accueilli… j’étais malade et vous m’avez visité… » (Mt 25).
Il est bien temps que finisse ce deuxième confinement si les statistiques le permettent, mais cette fois-ci il n’y aura pas eu de miracle des âmes.
21 novembre
Voilà le G20 en vidéoconférence ! Cette année, cela a au moins un avantage : les chefs d’État occidentaux n’auront pas à faire le déplacement en Arabie saoudite et à donner en quelque sorte un quitus à MBS. Certes, l’affaire Khashoggi est bien oubliée, mais en termes de défense des droits de l’homme et d’image la visite à Ryad eût été difficile à justifier pour Macron, Trudeau ou même Merkel. Autant rester devant son écran.
Et encore ! Après ses débuts en fanfare en 2008, le G20 s’est endormi à l’image de son grand frère le G7. En 2020, en pleine crise sanitaire, on aurait pu penser que le G20 aurait joué un rôle central d’harmonisation des politiques publiques et des plans de relance. Il n’en a rien été et au contraire, une fois le premier choc passé, conflits et affrontements ont repris de plus belle. Certes, l’Arabie saoudite, qui préside le G20 cette année, n’était pas la mieux placée, mais il n’est même pas sûr qu’un autre pays, moins sulfureux et plus consensuel, aurait fait mieux. En vérité, il n’y a plus aucun pilote à la barre du navire de la planète et ce n’est pas là la faute du seul Donald Trump. Le retrait américain est une réalité depuis Obama en réaction aux aventures catastrophiques de l’ère Bush. La Chine sort peu à peu de son isolement, cherche à occuper le terrain du multilatéral, mais continue à pratiquer un impérialisme du siècle dernier. Quant à l’Europe, elle n’existe guère et se déchire. Les autres participants à ce G20 pansent tant bien que mal leurs plaies. Rien à attendre donc d’écrans bien vides.
20 novembre
S’il est une grande fête aux États-Unis, c’est bien « Thanksgiving », la célébration de l’arrivée des premiers migrants protestants issus d’églises puritaines dans le Massachusetts en 1620. Ces trente-cinq « pilgrim fathers » prirent l’habitude de remercier Dieu à la fin de l’automne, après la récolte du maïs. Le texte qu’ils rédigèrent inspira plus tard la Constitution des États-Unis et il est toujours lu dans les écoles. Thanksgiving est devenu une fête nationale depuis la fin du XIXe siècle, célébrée en général le dernier jeudi de novembre. Ce jour-là, les Américains se retrouvent en famille pour consommer une dinde et c’est l’occasion aussi d’un long week-end, un mois avant Noël. Le lendemain, le vendredi, les Américains font leurs premières courses et depuis les années trente, ce jour-là est marqué par des promotions commerciales. C’est le « Black Friday ». Depuis une petite décennie, grâce à Internet, au commerce en ligne et à Amazon, le Black Friday s’est mondialisé. En France, il vient en plein confinement de faire polémique. Pouvait-on l’interdire ? Fallait-il en le limitant augmenter un peu plus les distorsions de concurrence dont souffre le petit commerce ?
Finalement, le Black Friday est repoussé d’une semaine. Tant pis pour Thanksgiving, et puis au fond, ne pourrait-on pas faire de même pour Noël et réveillonner à Pâques !
19 novembre
Alors que Donald Trump continue à jouer au golf, à tweeter, et, dans une ambiance de fin de règne à congédier les membres de son cabinet qui osent parler de défaite, Joe Biden commence à préparer son administration, au moins ses conseillers à la Maison-Blanche, puisqu’en ce qui concerne les ministres (secrétaires) et nombres de hauts fonctionnaires, il faudra passer l’obstacle de leur confirmation au Sénat. Sur ce point, la prochaine échéance est le 5 janvier avec les « sénatoriales partielles » en Géorgie dont les deux sièges peuvent faire basculer le Sénat d’un côté ou de l’autre.
Il paraît en tout cas évident que la priorité de la nouvelle administration sera avant tout domestique : lutter entre la pandémie et relancer un peu plus l’économie. Par leur vote, les Américains ont bien confirmé qu’ils ne voulaient pas changer de système de société : la gauche du parti démocrate a peu de chances d’être entendue et Joe Biden, même sans la contrainte d’un Sénat républicain est avant tout un centriste. Ses premiers décrets exécutifs porteront probablement sur les « dreamers », les enfants d’immigrés nés et élevés aux États-Unis, mais ne bénéficiant pas de titres de séjour, et puis symboliquement à l’international les États-Unis réintégrant l’OMS et l’accord de Paris sur le climat. Au-delà, Biden et son slogan « Buy American » préparent des lendemains tout aussi protectionnistes que Trump et la poursuite de la guerre froide avec la Chine.
15 novembre
En ce dimanche, la liturgie catholique offre l’un des textes des Évangiles les plus complexes à analyser et à interpréter. C’est la célèbre « parabole des talents » que l’on peut retourner dans tous les sens tant elle offre de pistes de réflexion, y compris sur le plan économique. C’est d’ailleurs la réflexion du Maître sur le prêt à intérêt qui permit à Calvin et aux protestants de rompre avec la tradition biblique et aristotélicienne d’interdiction de cette activité financière. L’histoire de ces talents (une unité monétaire, mais bien sûr en français, le terme peut prendre une autre signification) donnée par un maître à ses serviteurs est bien connue. Deux d’entre eux les font fructifier : ils créent des entreprises et doublent leur capital. Le troisième a peur ; il ne fait rien et enterre son lingot. À la fin de l’histoire, on est passé de huit à quinze talents : il y a eu création de richesses, mais les inégalités ont augmenté et le dernier serviteur a tout perdu. On aurait pu aussi imaginer un quatrième serviteur, qui aurait entrepris, mais échoué et se serait lui aussi retrouvé ruiné. Bien entendu, ne faire qu’une lecture économique de ce texte n’a aucun sens, mais la parabole est là pour illustrer un discours. Le domaine que gère le maître c’est le monde et il a besoin d’avancer, de prendre aussi des risques. Enterrer son talent c’est penser la décroissance !
14 novembre
C’était au début de ce siècle, il y a si longtemps déjà au temps heureux de la mondialisation et de la nouvelle économie. Un économiste de Goldman Sachs forgea un acronyme qui devait connaître un succès fulgurant : BRIC.
Il mettait là dans un même sac ce que l’on qualifiait aussi de pays émergent : le brésil, la Russie, l’Inde et la Chine. C’étaient les grands émergents auxquels étaient fermées les portes du G7. Pour bien faire, on rajouta un S pour « South Africa » afin que l’Afrique soit représentée. Il y eut des sommets des BRICS et une banque de développement commune fut même créée.
En réalité, la notion de BRIC n’avait guère de sens. Sans même parler de l’Afrique du Sud qui n’a jamais vraiment décollé et qui continue à s’enfoncer dans la malgouvernance, la Russie fut un pays en transition devenu un véritable « émirat » producteur de matières premières (pétrole, gaz, métaux, grains), certes mieux géré sous le règne de Vladimir Poutine, mais continuant à dépendre des marchés internationaux. Le brésil fit un peu plus longtemps illusion tout comme d’ailleurs la figure emblématique de Lula dont l’héritage s’est malheureusement révélé bien illusoire. Le décollage brésilien était donc un mythe.
Il restait au moins l’Inde et la Chine, et l’Inde justement la plus grande « vraie » démocratie au monde semblait plus rassurante que la Chine. Là aussi, Narendra Modi fit rêver avant que ne se révèlent les outrances de son nationalisme hindou. Et puis, le couperet économique vient de tomber : pour la première fois de son histoire, l’Inde est en récession. Après – 24 % sur le trimestre avril/juin, l’Inde a enregistré – 8,6 % sur juillet/septembre. Au-delà du Covid, c’est le modèle indien qui vacille.
Il ne reste donc plus que la Chine : on pourrait proposer le « C+ » en lui adjoignant quelques vassaux plus ou moins résignés comme le Vietnam et Taïwan.
Le seul héritage quelque peu positif du règne de Donald Trump est d’avoir compris que le monde redevenait bipolaire et que bientôt le C+ ne se contenterait plus des frontières de l’Empire du Milieu.
13 novembre
Jerry Rawlings vient de mourir ! Ce nom ne dira probablement rien à la plupart des lecteurs de ce texte, mais il est celui de l’un des dirigeants africains les plus exemplaires de ce dernier demi-siècle.
Né d’un père écossais et d’une mère ghanéenne, Jerry Rawlings fit ses armes dans l’aviation comme pilote et atteint le grade de « flight lieutenant » au sein des forces aériennes ghanéennes. En 1979, il fut au cœur d’un coup d’État visant à renverser le gouvernement particulièrement corrompu de cette ancienne « Cote de l’or » (Gold Coast). Ce coup d’État échoua, mais quelques mois plus tard, un second réussit. Au bout d’une courte période, Rawlings redonna le pouvoir aux civils, mais lassé de leur incompétence, il reprit la direction du pays en décembre 1981. En 1992, il organisa des élections, fut élu démocratiquement, obtint un deuxième mandat en 1996 et se retira en 2001 alors que le candidat qu’il avait choisi pour lui succéder était battu.
Durant les vingt années où il dirigea le Ghana, Jerry Rawlings fit de ce pays un modèle pour une Afrique alors en proie aux difficultés de la crise de la dette et surtout un peu partout de la mal-gouvernance. Rawlings accepta les recettes amères du Fonds monétaire international et de ses plans d’ajustement structurel. Alors que la Côte d’Ivoire voisine s’effondrait dans les convulsions de l’après-Houphouët, le Ghana devint même la vitrine du FMI. Le célèbre « Cocobad », l’organe de gestion de la filière cacao – la principale ressource du Ghana – fut même le seul organisme de ce type qui survécut en Afrique à la crise et aux pressions du FMI.
Jerry Rawlings quitta encore jeune le pouvoir et là aussi sa sortie contraste avec les règnes à vie de nombre de ses homologues africains (Cameroun, Gabon) et plus récemment aux troisièmes mandats que se sont offerts Alpha Conde en Guinée et Ouattara en Côte d’Ivoire. Il aura été malheureusement l’exception dans une Afrique qui reste rongée par la gangrène de la corruption…
So long Jerry…
12 novembre
C’est devenu une habitude : presque chaque semaine maintenant le gouvernement français communique. Ce soir, ils étaient tous là, Castex le Premier ministre avec son délicieux accent du Sud-Ouest, mais aussi Véran, Blanquer, Le Maire… Tous se sont exprimés, pleins d’empathie pour ceux qui souffrent, mais les décisions, fort logiques au demeurant, étaient déjà prises… Le confinement se poursuit au moins jusqu’au 1er décembre et en réalité probablement jusqu’à la fin de l’année, fêtes de Noël comprises (laïcité oblige, on parle que des fêtes de fin d’année comme si Noël n’était pas depuis longtemps sorti de sa gangue chrétienne). Le 1er décembre, il est probable que les commerces pourront rouvrir du moins si les statistiques sanitaires ne sont pas trop négatives. Par contre, bars, restaurants, cinémas resteraient a priori fermés. Personne ne se hasarde à faire des prévisions alors que la situation reste tendue dans les hôpitaux et leurs services de réanimation. Il est bien sûr facile de critiquer, mais à partir du moment où la santé publique est considérée comme une priorité incontournable – ce que l’on peut comprendre – les conséquences économiques du confinement doivent passer au second plan : les dépenses publiques explosent et donc aussi les déficits et en conséquence l’endettement. Mais ce que l’État peut faire, en profitant de l’abondance de liquidités au niveau mondial, n’est pas à la portée de petits entrepreneurs, commerçants, restaurateurs et autres qui risquent de ne pas voir Noël.
Grogne et scepticisme nourrissent donc l’esprit frondeur de nos chers Gaulois qui ont manifestement du mal à respecter ce confinement et qui en soulignent les absurdités les plus flagrantes : autant en effet le premier confinement – absolu et général – n’avait guère posé de problème d’interprétation, autant celui-ci pose des problèmes d’interprétation et d’inégalité de traitement. « Dimanche, je peux aller chez Leroy Merlin, mais pas à la messe », s’indigne ainsi un évêque. Le propos peut prêter à sourire, mais il illustre bien le « bricolage » d’un système mis en place sous la triple contrainte du Covid, du PIB et des libertés individuelles. Inutile d’ajouter sa pierre à ces tourments…
11 novembre
Un 11 novembre en plein Covid, sans cérémonies ni hommages à l’exception de la « panthéonisation » de Maurice Genevoix, devenu le symbole un peu oublié de « Ceux de 14 ».
Qu’ils sont poignants pourtant ces monuments aux morts que l’on trouve dans chaque village de France. Des listes d’hommes souvent bien longues quand on songe à la taille actuelle de ces hameaux aujourd’hui désertés de leurs habitants. Ceux de 14 étaient avant tout des paysans, des ouvriers agricoles menés par des officiers parmi lesquels on comptait nombre d’instituteurs. La « Grande Guerre » fit en France 1 364 000 victimes, mais il faut y rajouter 740 000 mutilés (les gueules cassées) et puis aussi au moins 200 000 morts de la grippe espagnole. La guerre laissa aussi 700 000 veuves et 760 000 orphelins et puis aussi tant d’anciens combattants, traumatisés par quatre années de tranchées, d’absurdité militaire et – il faut le souligner – de médiocrité du commandement qui trop souvent ne vit dans ces poilus que de la chair à canon. Ceux qui en revinrent relisaient chaque année les noms de leurs amis, de leurs voisins qui reposaient maintenant dans les immenses cimetières qui marquent encore aujourd’hui la ligne de ce front qui tint pendant quatre longues années.
Avec la Grande Guerre, c’est moins la Belle Époque qui disparaît (elle ne fut d’ailleurs belle que pour quelques privilégiés) que la France rurale qui était alors à son apogée. La vie y était rude sur les cinq millions d’exploitations agricoles dont la surface moyenne était de sept hectares (pour une population française de 40 millions d’habitants). C’est cette France-là qui fut saignée à blanc par la guerre et dont les villages commencèrent à se vider.
Maurice Genevoix, qui dans ses autres œuvres fut un chantre des rapports entre l’homme et la nature dans sa chère Sologne, est au fond un bon choix pour représenter au Panthéon, ceux de 14 et toute cette France qui a disparu dans cette folie barbare.
10 novembre
Il faut bien peu de choses : l’élection de Joe Biden et puis surtout l’annonce de la prochaine mise en production d’un vaccin contre le Covid ont suffi pour faire souffler un vent d’optimisme sur les marchés mondiaux. Les bourses se sont envolées tout comme le pétrole qui a bondi de près de 8 %.
Du côté américain, on espère bien sûr que Joe Biden pourra tenir ses promesses et celles des démocrates d’un nouveau plan de relance de quelques $ 2 000 milliards. Bien sûr, il a aussi promis de mieux gérer la pandémie, ce qui pourrait entraîner un peu plus de confinement.
Mais ce que les marchés ont acheté c’est surtout l’annonce par Pfizer et BioNTech que leur vaccin pourrait être efficace à 90 %. On pourrait enfin voir la fin de la pandémie même si les délais de mise sur le marché de ces vaccins sont encore relativement flous. Le retour à la vie normale serait proche et avec lui les joies de l’automobile et des voyages en avion : les valeurs de l’aéronautique ont flambé, celles de l’e-commerce et de l’internet ont chuté. Pour le pétrole, c’est bien sûr l’espoir d’un retour à la normale de la demande alors que pour l’instant le marché reste plombé par des stocks de kérosène (le « jet fuel ») utilisé dans le transport aérien. Le rebond du pétrole a été aussi un peu aidé par des rumeurs en provenance de l’OPEP+ (les pays de l’OPEP, la Russie et quelques autres) que les hausses de production prévues au 1er janvier (+ 2 mbj) pourraient être reportées. Et puis même à $ 42,4 le baril de Brent, le prix demeure raisonnable reflétant une situation à peine à l’équilibre.
Toute nouvelle un peu positive est bonne à prendre même si cet accès d’optimisme semble bien prématuré. Dans la plupart des pays, l’heure reste à un confinement certes allégé, mais qui va affecter la grande saison qui va de Thanksgiving à Noël. Et pendant ce temps-là, tapi au fond de la Maison-Blanche, Donald Trump se tait…
9 novembre
Il y a cinquante ans disparaissait Charles de Gaulle et aujourd’hui une bonne partie de la France politique fera le pèlerinage de Colombey pour lui rendre hommage et surtout pour récupérer quelques lambeaux de la tunique du gaullisme et de sa légende. Mais qu’en reste-t-il en réalité en 2020 ?
Il y a bien sûr la Cinquième République et la place donnée au Président, chef de l’État, détenteur de prérogatives presque régaliennes, et auquel les Français ont en général donné les moyens de les exercer. Les polémistes ne s’y trompèrent pas. Dès 1961, André Ribaud publiait avec « La Cour » des chroniques du Royaume qui firent les bonnes feuilles du Canard enchaîné et dont se sont inspirés d’autres auteurs à propos de ses successeurs. À l’exception de François Mitterrand toutefois, l’habit fut trop grand pour ceux qui s’essayèrent à le porter. Avec le quinquennat, la Cinquième République a évolué en un véritable régime présidentiel dont la lourde charge a écrasé ceux qui l’ont porté.
Charles de Gaulle a aussi voulu redonner à la France sa place sur la scène internationale et il est vrai que depuis la petite musique française s’est fait entendre parfois bien au-delà des capacités réelles du pays. Sur l’Europe, l’héritage gaullien reste ambigu, mais ne peut justifier que les actuels eurosceptiques se réclament du gaullisme.
Mais le cœur du gaullisme c’est avant tout le « modèle français », ce moment d’excellence des années soixante, au cœur des Trente glorieuses, où la direction des affaires publiques, le sens de l’État ont atteint des niveaux inégalés depuis. Ce fut l’âge d’or du dirigisme à la française, la mise en œuvre des grands projets qui donnèrent plus tard le TGV, Airbus, mais aussi des systèmes de santé et d’éducation qui faisaient alors l’admiration générale. C’est alors que se forgèrent les grands « services publics » à la française dont nous vivons aujourd’hui l’inéluctable déclin. À vrai dire, c’est sous George Pompidou que la France connut l’apogée de ce gaullisme à la fois technocratique et social. C’est au fond cet héritage du gaullisme social accompagné d’interventions publiques lourdes qui a le plus marqué la fabrique de la société française de ce dernier demi-siècle. C’était du retour à cet « âge d’or » que rêvaient, avant la pandémie, les gilets jaunes. Malheureusement, ce gaullisme-là a mal tourné dans une sauce libérale.
Enfin, il y a une dernière dimension du gaullisme bien oubliée aujourd’hui : ce sont ses racines chrétiennes, un christianisme gallican respectueux de la laïcité (le Général ne communiait jamais en public), mais inscrit dans les racines du pays.
Le gaullisme, tel qu’il s’épanouit dans les années soixante, marque peut-être l’un des derniers points hauts de la grandeur de la France. Mais la plupart de ceux qui s’en prétendent les héritiers sont bien petits.
8 novembre
Premier dimanche de confinement après la Toussaint. Églises et lieux de culte restent fermés dans une logique qui laisse un peu perplexe, mais en cette France « laïque » et de moins en moins religieuse au moins en ce qui concerne les catholiques, cela n’a plus guère d’importance. Le confinement est certainement moins radical qu’au printemps : les écoles sont restées ouvertes et les déplacements sont manifestement moins contrôlés. Au Pays basque cependant, les palombes migrent en toute quiétude faute de chasseurs…
La seconde vague du Covid prend peu à peu de l’ampleur et les « experts » sanitaires désormais familiers du petit écran continuent à pontifier sur les tenants et aboutissants de la pandémie. La communication gouvernementale est moins fluide, plus chaotique tant on sent la difficulté qu’il y a à maintenir le précaire équilibre entre doute sanitaire, réalité économique et libertés fondamentales. La mauvaise humeur est perceptible au-delà d’un certain fatalisme de la part de Français qui perçoivent le Covid comme une sorte de malédiction face à laquelle il serait vain de se rebeller.
Les entreprises tournent au ralenti et le télétravail avec les enfants à la maison n’enchante guère et ce d’autant plus que la situation dans les écoles et lycées commence à s’inquiéter. Les débats parlementaires prennent une saveur presque surréaliste, comme ceux d’un pays en temps de guerre, mais sans véritable union nationale.
Durant le premier confinement, face à l’urgence, il y eut de l’enthousiasme et de l’admiration tous les soirs pour ceux qui étaient au front dans les hôpitaux. Là, les balcons restent silencieux et tout n’est plus que lassitude. Alors que vient l’hiver, la solidarité et les discours sur le Bien Commun sont oubliés. Les enseignants menacent même de grèves et rien n’a changé dans la machine bureaucratique. Voilà un deuxième confinement au goût bien amer.
7 novembre
Au poker, dans les petits matins blêmes, lorsque la table est jonchée de cartes, de billets ou de jetons, de verres et de cendriers, le perdant, celui qui a tout joué sur un ultime « tapis », se lève, serre dignement la main du vainqueur et s’éloigne en titubant, groggy, encore sous le choc de son rêve fracassé… parfois, on entend un coup de feu, au moins dans les romans noirs. Dans une autre version, le perdant renverse la table et accuse le vainqueur qui est en train de compter ses billets d’avoir triché. Cela se termine en bagarre, mais cette fin-là n’est pas digne d’un gentleman…
Une chose est certaine, Donald Trump n’a jamais été un gentleman. Il en a eu pourtant l’éducation, mais en rébellion contre sa famille (dont il a quand même hérité), il s’est forgé en « bad guy » que cela soit dans les affaires, avec les femmes et aussi en politique. Ses quatre années de présidence n’ont pas été aussi négatives qu’on le prétend et il faudra en faire le bilan pour comprendre pourquoi un nombre record de 70 millions d’Américains (le chiffre le plus élevé de l’histoire après… Joe Biden) ont voté pour lui.
Mais en renversant la table électorale, en boudant ostensiblement à l’intérieur de la Maison-Blanche, en lâchant quelques ultimes tweets, lui qui doit rêver de lâcher son célèbre « you’re fired » au visage de Joe Biden, il franchit une ligne de plus que les Américains, à l’exception de quelques populistes enragés, ne lui pardonneront pas.
Donald Trump est bien en train de rater sa sortie. Il aura été le « bad guy » jusqu’au bout et il fait là au passage un merveilleux cadeau à un Joe Biden dont la dignité s’en trouve renforcée. Richard Nixon était sorti sur la pointe des pieds. Donald Trump, qui a fait bien pire, est incapable de pareille humilité et ce d’autant plus que son avenir personnel peut légitimement l’inquiéter. On le voit mal se contenter de jouer au golf à Mar del Lago, d’écrire ses mémoires et de choyer ses petits-enfants. Ce serait le plus grand service qu’il pourrait rendre au Parti républicain dont le bilan électoral serait très positif à l’exception de cette ultime « Trumperie ».
6 novembre
Il est difficile d’imaginer des pays aujourd’hui plus opposés dans leur vision de la société et de son évolution que la Pologne et la Nouvelle-Zélande. Aux antipodes tant géographiques que sociétales, elles illustrent à l’extrême les interrogations des sociétés occidentales en cette troisième décennie du XXIe siècle.
En Pologne, le gouvernement de droite s’appuyant sur la frange la plus traditionnelle de l’Église polonaise est pratiquement en train d’interdire l’avortement y compris pour des raisons de santé. Ceci a provoqué pour la première fois dans ce pays des manifestations populaires contre l’Église, longtemps porte-drapeau de la lutte contre le communisme et dont l’influence diminue dans une société qui se sécularise peu à peu.
En Nouvelle-Zélande, la Premier ministre Jacinda Arden bénéficie d’une popularité à faire pâlir de jalousie pratiquement tous ses homologues de la planète. Dans son nouveau gouvernement de coalition (Labour et Verts), on trouve des représentants de toutes les minorités : des Maoris certes et pour la première fois une Maorie ministre des Affaires étrangères, deux ministres lesbiennes et mères de famille, le ministre des Finances et numéro deux du gouvernement homosexuel militant… Le Parlement néozélandais compte d’ailleurs dix homosexuels sur cent-vingt parlementaires. La Nouvelle-Zélande doit d’ailleurs être un des seuls pays où ce genre de statistiques peut exister.
Ce type d’opposition rappelle ce que fut la situation de l’Espagne des années trente avec une Église catholique figée et incapable de comprendre la société et une gauche libérale et anarchiste rêvant au contraire d’abolir tous les symboles de ce qui était perçu comme un ordre bourgeois. On sait comment cela s’est terminé.
Des deux, c’est quand même la situation polonaise qui est la plus inquiétante et l’aveuglement de l’Église catholique, alliée « de facto » d’un régime réactionnaire, rappelle celui de l’Église espagnole dont le soutien au régime franquiste se paie aujourd’hui par le vide des églises.
3 novembre
Jour d’élections aux États-Unis : le président, mais aussi le shérif du village et puis les représentants, les gouverneurs, une partie du Sénat et encore d’innombrables élus locaux qui forment le tissu véritable de la démocratie américaine.
Le monde se focalise sur l’affrontement Trump/Biden et il est vrai que rarement l’opposition entre les deux candidats aura été aussi caricaturale, surtout après ces quatre années de « happening » que fut la présidence Trump. Mais au passage, on découvre toute la complexité d’un système électoral qui remonte au XVIIIe siècle. Les États-Unis furent le premier État à élire au suffrage – presque – universel (sans les femmes ni les esclaves…) leur président. À l’époque, sur la seule Côte Est donc, les États ruraux craignaient déjà la prédominance des « vieux » États historiques et du poids de villes comme Philadelphie ou Boston. Cela a donné l’égalité de chaque État au Sénat (deux sénateurs par État quelle que soit sa population) et ce curieux système de suffrage indirect par le biais de l’élection de grands électeurs. Deux siècles ont passé et chaque État a conservé ses particularités de l’organisation des primaires à la manière de compter les votes (et de matière plus récente la prise en compte des votes par correspondance éventuellement même après l’élection).
À la différence de nombre de démocraties qui à l’image de la France ne cessent de modifier leurs systèmes électoraux et de déplacer les dates des élections comme au Royaume-Uni (où c’est un privilège majeur de l’exécutif), il est hors de question de modifier aux États-Unis les règles d’un jeu, fixées il y a plus de deux siècles. La seule concession demeure toutefois le rôle ultime confié à la Cour Suprême qui, au-delà des polémiques récentes, demeure le garant de la démocratie américaine.
Ces élections sont en tout cas un test majeur pour des États-Unis menacés par une véritable fracture que Donald Trump a consciencieusement élargie. Et puis n’oublions pas qu’au-delà de l’élection du président, le contrôle du Sénat est une question tout aussi essentielle.
2 novembre
La semaine qui s’ouvre promet d’être marquée par quelques échéances majeures pour la planète entière.
On pense bien sûr à l’élection américaine. Déjà près de deux tiers des Américains ont voté, mais il faudra attendre le 4 novembre au matin pour savoir qui de Biden – le favori – ou de Trump – le sortant – l’aura emporté ou sera sur le point de l’emporter en fonction des résultats de quelques États sensibles. Malgré la concordance de sondages qui donnent Biden vainqueur, il est prématuré de réfléchir déjà à l’après-Trump. Et pour l’instant, vis-à-vis du reste du monde, l’administration n’a pas infléchi sa politique comme le prouve le blocage de la nomination de la future directrice générale de l’OMC, Washington continuant à soutenir une candidature coréenne alors que la grande majorité s’est orientée en faveur de l’ancienne ministre des Finances du Nigeria. Biden éventuellement élu, il n’est pas certain que la position américaine à l’international changera radicalement et cela dépendra aussi de l’évolution du contrôle du Sénat.
En Europe, le vieux serpent de mer du Brexit est toujours aussi vivace avec des négociations « de la dernière chance » (comme d’habitude), mais d’ultimes échéances qui se rapprochent. Et là, le diable est bien dans les détails. Mais pendant ce temps, les pays les uns après les autres se reconfinent à l’image du Royaume-Uni ou de la Suisse. La chape de plomb du Covid s’étend peu à peu sur l’Europe…
Ailleurs, il ne faut pas oublier quelques élections plus ou moins contestées ou contestables, de la Guinée à la Côte d’Ivoire.
La Chine, quant à elle, a déjà la tête ailleurs : elle vient de clore la réunion du cinquième plénum du 19e Comité central du Parti communiste chinois. Le projet du XIVe Plan qui sera adopté au printemps prochain a été présenté : la Chine se projette dans un avenir que Xi Jinping imagine radieux pour l’Empire du Milieu. Peut-être n’a-t-il pas tort !
1er novembre
En ce jour de la Toussaint, l’Église catholique offre à ses fidèles l’un des plus beaux textes des Évangiles, celui des Béatitudes dans la version de Mathieu : « Heureux les pauvres de cœur…, les doux…, les miséricordieux…, les artisans de paix…, ceux qui sont persécutés pour la justice… ». Rarement ce texte aura pu avoir pareille résonance, mais se trouver aussi décalé par rapport à une actualité faite d’intolérance et de violence.
Mais au fond déjà, au moment où ces paroles furent prononcées, elles ne pouvaient que surprendre ceux qui les recevaient : la Palestine était occupée par des forces étrangères ; il y avait des « collabos » qui profitaient de la situation et puis déjà des « résistants » (les zélotes en particulier) qui rêvaient de rétablir l’indépendance d’Israël. Le message du Christ pouvait surprendre voire choquer tous ceux qui vivaient au quotidien l’occupation romaine et la corruption des princes qui régnaient alors.
Soyons honnêtes, ce message nous choque encore tant il est difficile de pardonner, de tendre la joue. L’accueil fort mitigé fait à la dernière encyclique du pape, Fratelli Tutti, en est bien la preuve. Et le sort des « artisans de paix » à l’image de Gandhi ou de Martin Luther King n’est-il pas aussi d’être trahi par ceux qui les ont suivis.
L’extraordinaire des Béatitudes est que ce texte ait pu traverser les temps en conservant sa simplicité, sa fraîcheur, sa merveilleuse utopie sans perdre pour autant sa force et son caractère révolutionnaire. Il est certes chrétien, mais il appartient en réalité au patrimoine spirituel d’une humanité qui en certains moments est quand même parvenue à s’en approcher.
En des temps de doute comme ceux que nous vivons, les Béatitudes sont une merveilleuse respiration, et pour les catholiques aussi un rappel que les portes de la sainteté au quotidien sont grand ouvertes !
31 octobre
Le confinement est à peine en place qu’il suscite déjà ses premières controverses. Il s’agit bien sûr de la fermeture des commerces. Celle-ci s’applique à tous les magasins à l’exception du commerce alimentaire, aux pharmacies et aux opticiens ainsi qu’aux marchés. Mais la grande distribution bénéficiant de l’exception alimentaire, quid des rayons non alimentaires, ceux du textile, de la chaussure, de la quincaillerie et même de ce que certaines grandes surfaces qualifient pompeusement « d’espace culturel » en se contentant d’y empiler quelques best-sellers ?
Les libraires furent les premiers à réagir et à obtenir non pas la réouverture des librairies, mais la fermeture des rayons livres des supermarchés et de magasins comme la FNAC, autorisés à ouvrir pour leurs rayons électroniques. Mais que dire des autres rayons, notamment l’habillement et les jouets à l’approche des fêtes de fin d’année, cela alors que la première vague du Covid a déjà fait tomber des noms comme La Halle, Camaïeu, Célio, Go Sport, Premaman, Naf Naf et quelques autres. Interdire le non alimentaire dans la grande distribution ne serait-il pas faire le jeu de l’e-commerce, la fortune – encore augmentée – d’Amazon et consorts ?
Quelques maires ont en tout cas réagi, de Brive à Perpignan, en publiant des arrêtés d’autorisation d’ouverture des magasins malgré le confinement.
Le problème est certes complexe, mais une fois de plus, c’est la méthode, au cœur du modèle technocratique français qui pêche : la décision est prise par le Prince et son conseil et communiquée presque sans concertation avec les échelons intermédiaires ; en France, partis politiques et syndicats ont perdu presque toute légitimité laissant libre la voie à tous les populismes. Régions, départements, municipalités sont ravalés au rang de simples exécutants.
Dans le cas présent, ce confinement moins strict que celui du printemps présente manifestement quelques failles qu’il est urgent de corriger en acceptant la critique lorsque celle-ci est légitime ; et dans le cas des commerces des villes et villages, elle l’est.
30 octobre
L’horreur à nouveau et là, une attaque dans un lieu de culte chrétien qui réveille des souvenirs enfouis de guerre de religion.
Bien sûr, il ne s’agit que d’un acte isolé, un de plus après l’assassinat du Père Hamel et puis aussi ceux de nombre de religieux chrétiens qui avaient tenu à rester présents dans des terres d’Islam qui avaient été autrefois aussi chrétiennes. Mais cet acte isolé est le résultat de toute une propagande, de tout un enseignement qui circule librement dans les réseaux islamistes.
Plus que jamais, bien sûr, il faut distinguer islam et islamisme, tout comme pour d’autres religions, il faut savoir écarter les intégrismes, ne pas évoquer par exemple ces moines bouddhistes birmans qui appellent au massacre des minorités musulmanes ni les excès de certains milieux évangélistes.
Mais l’un des problèmes majeurs de l’islam est de s’être refusé depuis au moins le XIVe siècle à tout exercice d’interprétation et de contextualisation de ses textes fondateurs. Là où juifs et chrétiens se sont efforcés de s’adapter aux évolutions des sociétés qui les entouraient, au prix souvent de crises et de remises en cause douloureuses, l’Islam est resté tout d’un bloc, les courants les plus fondamentalistes ayant de plus profité des moyens fournis dans nombre de pays par la manne pétrolière. Ceux qui n’auraient dû rester que des courants minoritaires, comme il y en a dans toutes religions, sont même devenus dominants d’autant plus que les régimes « laïcs » de nombre de pays musulmans s’enfonçaient dans la malgouvernance, la corruption, les dictatures et le chaos. L’islam qui, à la différence des autres religions, est aussi un projet de société pouvait devenir une espérance facile à manipuler, à transformer en islamisme.
Le paradoxe est là, de viser la France, longtemps « fille ainée de l’Église » et fer de lance des Croisades, une France largement déchristianisée qui s’apprêtait à renouer, en cette Toussaint, avec des racines chrétiennes bien oubliées, trop oubliées pour être capable de répondre dans la sérénité à cette folie islamique.
29 octobre
Grand confinement, chapitre II ! La France replonge donc dans un confinement presque aussi strict qu’au printemps si l’on fait exception des écoles qui resteront ouvertes et des entreprises qui poursuivront tant bien que mal leur activité en « physique », mais surtout en distanciel. Au vu de l’aggravation de la situation sanitaire et malheureusement des projections faites pour les toutes prochaines semaines, c’était là probablement la décision la plus raisonnable même si elle est moins bien acceptée et que ses conséquences économiques d’être graves. Là où l’INSEE prévoyait une croissance zéro au dernier trimestre de 2020, il faut s’attendre à une rechute encore difficile à mesurer, mais qui risque de coûter 4 à 5 points de PIB sur ces derniers mois de l’année. La France avait bien rebondi au troisième trimestre (+ 18,2 %), mais l’acquis de croissance début octobre était de – 8,3 %. Avec ce nouveau coup, le recul français sur 2020 sera bien supérieur à la barre des 10 %.
C’est d’ailleurs toute l’Europe qui se referme : confinement déjà total en Irlande, au Pays de Galles, en Navarre ; mesures plus strictes prises dans des pays qui espéraient être passés « au travers des gouttes » comme l’Italie et même l’Allemagne.
Au niveau mondial, l’OCDE évoque un coût de la deuxième vague à 3,25 % du PIB, ceci s’ajoutant aux – 4,5 % des prévisions publiques en septembre. Le recul mondial pourrait être de l’ordre de 7 à 8 %, mais au-delà de ce chiffre, il faut surtout considérer l’accentuation des déséquilibres de croissance entre une Europe qui s’enfonce un peu plus (– 10 % ?), des États-Unis où le réveil postélectoral risque d’être douloureux (– 5 %) et la Chine – et plus largement l’Asie de l’Est – qui semble avoir retrouvé un dynamisme presque intact. Manifestement, il est plus facile de gérer pareille pandémie pour des régimes autoritaires que pour des démocraties surtout lorsqu’elles sont aussi peu consensuelles que dans le cas français.
Le confinement s’imposait, mais l’épreuve va être difficile à gérer pour des institutions fatiguées et contestées par un populisme irresponsable.
28 octobre
La Turquie et avant elle l’empire Ottoman eurent leurs heures de gloire, mais aussi bien des instants de folie et de déclin lorsqu’à Istanbul régnait « l’homme malade de l’Europe ».
Le « règne » de RT Erdogan est bien aussi celui de rêves de grandeur et de folies sur un fond d’islamisme auquel jusque-là avait échappé l’histoire turque. Kemal Atatürk avait fondé une République turque qu’il avait détachée de son passé religieux en abolissant le califat et en faisant de l’armée le pivot du régime et le garant d’une certaine forme de laïcité. Malheureusement, comme en bien d’autres pays comme l’Égypte ou l’Iran (avec les pasdaran), l’armée est devenue peu à peu un état dans l’état alors que les partis politiques au pouvoir se révélaient incapables de donner au pays une véritable base démocratique et s’engluaient peu à peu dans la corruption.
Un temps, la Turquie, associée de la première heure de la Communauté économique européenne, rêva d’intégrer l’Europe, ce qui n’était pas une hérésie historique. Comme on le sait, les négociations butèrent en particulier sur le modèle constitutionnel turc et sur le rôle dévolu à l’armée. Le rêve européen s’estompa, ce qui n’empêcha pas la Turquie de connaître un incontestable décollage économique avec l’émergence d’une classe d’entrepreneurs.
C’est sur les décombres d’une classe politique déconsidérée que le renouveau islamique a fait son lit. RT Erdogan en a profité et un temps a pu faire illusion en mettant en avant ce qui semblait être enfin un islam moderne adapté aux temps actuels. Mais confronté à la réalité de contraintes économiques difficiles (la livre turque a encore perdu 26,5 % de sa valeur en 2020), on a l’impression d’une véritable fuite en avant de plus en plus radicale dans deux directions : l’islam et la décision symbolique de transformer à nouveau Sainte-Sophie et quelques autres églises en mosquées, et puis l’impérialisme ottoman à l’œuvre de la Libye à l’Azerbaïdjan. L’affaire des caricatures de Mahomet tombait à point pour qu’Erdogan, proche des Frères musulmans, se fasse le héraut d’un islam si radical que l’on peut le qualifier d’islamisme. Atatürk est bien enterré et avec lui le rêve d’une Turquie moderne.
17 octobre
Ce vendredi matin, commençait dans le cadre du Master Affaires Internationales que je dirige à l’Université Paris-Dauphine, l’atelier consacré à « Spiritualités et mondialisation ». Partant du triste constat de la dramatique inculture religieuse de la plupart de mes étudiants (en Bac +5), plus d’ailleurs les Français que les étrangers, cet atelier vise à présenter les grandes spiritualités de la planète et éventuellement leur rapport aux questions économiques. En réalité, il s’agit avant tout de comprendre l’autre dans toutes ses racines et contrairement au dogme de la laïcité à la française nos racines les plus profondes sont aussi spirituelles.
Alors ce matin-là, j’ai demandé aux juifs, cathos, protestants, musulmans et autres bouddhistes de « lever le doigt » pour préparer les exposés qui seront faits au cours de l’année en commençant par les religions du livre et donc par le judaïsme. Les propositions ont fusé bien au-delà puisqu’on a évoqué l’animisme et dans une orientation bien différente l’athéisme. L’Islam avait lui aussi suscité des candidats et nous avions convenu de traiter tant le sunnisme que le chiisme sans oublier bien sûr… la finance islamique.
Au même moment, à quelques dizaines de kilomètres de là, un jeune collègue, professeur d’histoire comme moi, était égorgé et décapité pour avoir illustré son cours sur la liberté d’expression par des caricatures de Mahomet. Horreur absolue qui pour les chrétiens nous renvoie à ces siècles noirs, ceux de l’Inquisition et des guerres de religion, en un temps d’ailleurs où l’islam donnait au moins une impression de plus grande ouverture. Mais cette seule référence historique rend un peu plus insupportable ce fanatisme d’un autre âge soutenu par le silence d’une minorité agissante au sein de la communauté musulmane elle-même. Rien, aucune sourate du Coran, aucune leçon de la Sunna, aucune fatwa, rien ne peut justifier pareille folie si ce n’est l’ignorance nourrissant le fanatisme.
L’ignorance justement ! C’est bien justement l’ignorance religieuse qui est à la base de pareille dérive et on doit bien convenir – au-delà de toute polémique – que la laïcité à la française en porte quelque responsabilité. Dans sa conception intégrale – pour ne pas dire intégriste –, elle nie le fait religieux au-delà d’une liberté religieuse laissée en jachère. Les programmes scolaires ignorent pratiquement toute dimension spirituelle et rendent d’ailleurs de plus en plus difficile la compréhension tant de l’histoire (les guerres de religion au XVIe siècle par exemple) que de l’actualité (les guerres entre sunnites et chiites au Yémen). La République est neutre vis-à-vis des religions, mais ceci – héritage historique oblige – s’applique surtout à un catholicisme qui de toute manière ne pèse plus guère. Mais cette neutralité, ce silence, ce déni même, du fait religieux fait le lit de tous les obscurantismes et de tous les intégrismes, et l’Islam n’est pas là le seul concerné.
« Ils ne passeront pas », a dit le chef de l’État. Mais ils passent justement parce que la laïcité à la française leur laisse le champ libre. La réaction passe par l’éducation aux religions et à la tolérance que toutes portent en elles.
15 octobre
Couvre-feu
« Or donc en ce quatorzième jour du mois d’octobre de l’an de grâce 2020, le peuple de France, agenouillé devant d’étranges lucarnes de toute taille, écoutait la parole de son Prince… ».
Le propos est là à peine exagéré tant en France la fonction présidentielle est sacralisée par les sujets eux-mêmes. Dans aucune démocratie véritable de la planète, le chef de l’État ne bénéficie de pareil magistère. Ailleurs, rois, reines et présidents ne peuvent utiliser qu’une image paternelle ou maternelle, au point, au Royaume-Uni, de se voir dicter leur propre discours du Trône. Mais en France, l’héritage gaullien de la Ve République est bien d’essence monarchique, de Louis XIV à Napoléon. Les présidents qui se sont essayés à y déroger de Valery Giscard d’Estaing à François Hollande en ont été cruellement sanctionnés. Emmanuel Macron dès son investiture dans la pénombre des Tuileries l’avait bien compris. Mais après avoir essayé de prendre quelques distances au-dessus de la mêlée et des partis, le voilà donc revenu au cœur de l’action face à cette pandémie qui rebondit de manière inexorable. « Le roi te touche, Dieu te guérit », la célèbre formule des écrouelles redevient ainsi presque d’actualité.
Ce sera donc le couvre-feu – un terme sécuritaire en usage dans les armées et les casernes – pour un tiers des Français, la majorité des urbains. La marge de manœuvre était réduite entre la peur qui gagne une partie de la population, les limites d’un appareil sanitaire et hospitalier qui ne peut compenser par son dévouement d’innombrables pesanteurs bureaucratiques et le souci d’une économie à peine convalescente. Il y a quelques jours, l’INSEE avait publié ses dernières prévisions : après une chute de 13,8 % du PIB au deuxième trimestre, le rebond avait été net au troisième trimestre avec + 16 %. Mais pour la fin de l’année, la prévision de l’institut était déjà pessimiste avec 0 % de croissance. Gageons que l’impact du couvre-feu, touchant directement des secteurs, de la restauration à la culture, qui pèsent au total près de 10 % de l’économie nationale, fera basculer à nouveau la France en territoire négatif avec à la clef, malgré les aides publiques, faillites et chômage.
« En même temps », résister au virus et ne pas asphyxier l’économie, la ligne de crête est bien étroite et périlleuse. Mais, au-delà, la crise est bien sociétale. Le Prince devait agir tant la confiance en ses qualités de thaumaturge s’est effritée. L’image de la crise n’est-elle pas celle des queues devant les laboratoires d’analyse, les mêmes queues que l’on connut en d’autres crises pour obtenir des tickets alimentaires ? Avec le masque, disparaît le visage, et l’individu est seul au moment même où le collectif devrait jouer.
« J’ai besoin de chacun », a dit Emmanuel Macron. De ce constat d’impuissance, les Français sauront-ils démentir le pessimisme sous-jacent et faire bloc dans leur village gaulois ?
13 octobre
Patate douce
Va-t-on vers la guerre de la patate douce ? La question est sérieuse ! L’OMC vient de donner le feu vert à l’UE pour mettre en place près de $ 4 milliards de droits de douane supplémentaires sur des produits américains pour compenser le soutien accordé par les États-Unis à Boeing. Rappelons qu’il y a un an, les États-Unis avaient obtenu un jugement similaire (mais à hauteur de $ 7,5 milliards) à propos d’Airbus. À l’époque, l’administration Trump ne s’était pas privée d’en profiter et de taxer à hauteur de 25 % nombre de produits européens à commencer par les vins.
C’est donc le tour des Européens : 15 % sur le matériel aéronautique et 25 % sur une liste de produits laissés à la discrétion de Bruxelles. Pour les avions, ce n’est pas trop grave dans la mesure où avec le marasme du transport aérien il ne s’en vend plus guère. Pour le reste, il faut frapper dans le symbolique. On avait ainsi parlé du bourbon, des Harley-Davidson, du ketchup et donc maintenant des patates douces, ingrédient majeur de la nouvelle cuisine, des potages maison et des tendances végétariennes et dont on découvre à cette occasion que les exportations américaines représentent le tiers du marché français. L’histoire ne dit pas pour qui votent les producteurs américains même si la majorité des « farmers » penchent pour Donald Trump.
La bonne nouvelle est que l’OMC parvient encore à fonctionner alors que tous les nouveaux dossiers sont bloqués du fait de la paralysie de l’Organisme de Règlement des Différends, dont la nomination de nouveaux juges est justement bloquée par les États-Unis. L’OMC a pourtant démontré son utilité tant le commerce international a besoin d’un juge-arbitre alors que partout dans le monde s’érigent de nouvelles barrières aux échanges. L’élection de Joe Biden pourrait au moins mettre un terme à cette situation.
Mais il faudra aller plus loin et ce sera la tâche de la prochaine directrice générale de cette institution. Il ne reste que deux femmes en lice, une Nigériane au profil très international et une Coréenne. Le dossier de la patate douce (au sens le plus large) sera au-dessus de la pile d’un bureau bien encombré.
11 octobre
Mélange des genres
La France traverse du point de vue politique une période mouvementée. Contrairement à la tradition, aucun des partis politiques n’est vraiment « tenu » par une direction capable de mettre de l’ordre dans ses troupes. Ce qui est évident pour LR et le PS (ou ce qu’il reste de ces deux partis historiques) l’est aussi d’En Marche. La vague qui avait porté une majorité historique de marcheurs à l’Assemblée nationale s’est morcelée en une multitude de courants qui ne partagent qu’une allégeance de plus en plus lointaine au chef de l’État qui pourtant a permis leur élection et dans bien des cas leur existence politique tout court.
Alors à deux ans d’élections que nombre d’entre eux risquent de perdre, ils se lâchent dans tous les sens avec deux axes majeurs « verts et progressistes » : le bien-être animal et les conditions de procréation humaine.
Il n’y a pas de lien évident entre ces deux approches si ce n’est le hasard du calendrier parlementaire, car au fond elles se fondent sur des démarches philosophiques totalement opposées.
Le bien-être animal est certainement une noble cause qui se heurte à notre vieille tradition carnivore, à la nécessité aussi d’équilibrer les populations animales dans la nature. Ceci étant, la sacralisation de l’animal mène à bien des excès et surtout ne peut être assimilée à celle de l’homme.
Or paradoxalement, ce sont les mêmes qui luttent contre toutes les manipulations du vivant (comme les OGM) et qui ouvrent grandes les portes au bricolage génétique autour de l’embryon humain et qui s’engagent un peu plus loin en faveur de la banalisation de l’avortement.
Accaparé par la lutte tant sanitaire qu’économique contre le Covid, l’exécutif donne l’impression de lâcher la main à ses extrêmes et aux lobbies qui les entourent sur ces questions de société qui ont au moins l’avantage à ses yeux d’occuper les activistes. Mais, à chaque fois, ce sont de nouvelles brèches dans la fabrique de la société française et au-delà dans cette éthique dont se prévaut Emmanuel Macron lorsqu’il cite Paul Ricœur dont il fut – dit-on – un lointain disciple.
10 octobre
Nobel de la Paix
Donner le Prix Nobel de la Paix à une Organisation des Nations Unies ! Quelle curieuse idée : c’est un peu comme une médaille du Travail, distribuée parce que l’on a travaillé. Pour une fois cependant, l’Académie suédoise qui choisit les Nobel de la Paix et dont la propension à se tromper est légendaire (Barack Obama !) a fait un choix raisonnable. Le Programme alimentaire mondial (PAM ou WFP en anglais) est une des rares organisations internationales du système des Nations Unies à faire preuve d’une certaine efficacité. Le PAM est un véritable logisticien de l’extrême capable de se projeter dans les régions les plus difficiles et d’assurer la livraison de denrées alimentaires d’urgence. C’est le PAM qui a permis d’éviter les pires conséquences des catastrophes provoquées par la folie des hommes au moins sur le plan alimentaire.
Mais distinguer le PAM c’est – en creux – souligner la remarquable inefficacité de la bureaucratie onusienne. On peut commencer par l’autre agence des Nations Unies basée à Rome, la FAO dont les méchantes langues estiment – avec raison – qu’elle fait plus partie du problème que de la solution de la faim dans le monde. Mais on peut penser la même chose de l’UNESCO, de l’UNICEF (et ses beaux 4x4 blancs dans les quartiers riches des villes du Tiers-Monde) et comme on l’a vu cette année de l’OMS.
Certes, il faut tenir compte de la dimension politique de ces organisations et par exemple du forcing chinois pour la direction générale de la FAO. À l’intérieur des organisations, on doit équilibrer nationalités et genres pour des fonctions qui sont assez souvent de délicieux « fromages ». On est quand même mieux Via delle Terme di Caracallà à Rome qu’en brousse sur le terrain !
C’est dire que le PAM a d’autant plus de mérite et que ce Nobel – qui a perdu beaucoup de sa signification – est pour une fois amplement mérité.
8 octobre
Fratelli tutti
En la huitième année de son pontificat et alors que le monde subit le choc de la pandémie et de la crise économique, le pape François, dans sa troisième encyclique offre le texte probablement le plus personnel qu’un pontife ait jamais écrit, une synthèse de ses écrits et sermons au long de ces années, toute tendue vers ce qui lui tient le plus à cœur, la fraternité entre les hommes.
« Fratelli Tutti » – le titre est emprunté à Saint-François d’Assise – part d’un constat sombre, celui des « ombres d’un monde fermé ». Pour François, nous sommes dans une période de « recul de l’histoire », guettés par une « troisième guerre mondiale par morceaux », dans un monde où l’économie et les finances marquent « leur désintérêt du bien commun », où la croissance favorise la montée des inégalités. Le jugement est sans concessions et plus loin, François fustige le néolibéralisme et les « recettes dogmatiques de la théorie économique dominante ». On peut ne pas partager cette vision par trop manichéenne, mais on sait que François l’a forgée au fil des désastres argentins beaucoup plus liée à la mal gouvernance qu’à la malédiction libérale. Mais l’essentiel n’est pas là : François pointe surtout les excès du libéralisme tant économique que social lorsque celui-ci privilégie individualisme et indifférence aux autres.
Au long de son texte, François utilise l’image du Bon Samaritain. Être un bon samaritain aujourd’hui, c’est au contraire du « voyageur indifférent » être capable de fraternité, de bienveillance et de charité. Comme Benoît XVI l’avait fait dans « Caritas in veritate », il fait un éloge de la gratuité, de la « charité sociale ». Il rêve bien sûr d’un « ordre politique et économique mondial », prêche pour l’accueil des migrants, nous rappelle presque à toutes les pages que « le plus grand danger c’est de ne pas s’aimer ».
Ce n’est pas une encyclique économique et on pardonnera à François quelques raccourcis. En France, on pourra apprécier sa critique – justifiée – de la théorie du ruissellement (des riches vers les pauvres) tant vantée par Emmanuel Macron.
Mais l’essentiel n’est pas là et François le dit bien qui revendique le « défi de rêver », qui célèbre les « solidarités venant du sous-sol de la planète », qui s’enflamme pour ceux qu’il appelle les « poètes sociaux », qui termine son texte avec la figure de Charles de Foucauld, celui qui voulait être le « frère universel ». À lire cette encyclique, on sent bien que François a, comme il nous y invite, « la musique de l’Évangile dans ses entrailles ».
Mais il s’adresse à tous, chrétiens certes, mais croyants d’autres religions, agnostiques, tant le message là, celui de l’amour et de la bienveillance entre les hommes est universel. Et ceci est valable pour le plus petit de nos actes : s’arrêter afin de bien traiter les autres, dire « s’il te plaît, pardon, merci ».
Merci François !
6 octobre
Après le glyphosate, c’est donc l’heure de gloire parlementaire pour les néocotinoïdes. Ravis de l’aubaine, les Verts – au sens large – ont enfourché leur cheval de bataille dans une vision manichéenne (le bien contre le mal) leur permettant de balayer large comme ils ont su le faire contre les OGM, le gaz de schiste, Notre-Dame des Landes, Montagne d’or, le moindre barrage ou autres retenues et bien sûr le glyphosate. Le sujet arrive d’ailleurs à point tant ils manquaient de causes à défendre en cette période marquée par le Covid.
Le débat sur les néocotinoïdes est donc ouvert et il oppose de manière volontairement caricaturale les « gentils écolos » les méchants betteraviers représentants éminents de cette agriculture intensive et productiviste qu’ils vouent aux gémonies. Sur le plan scientifique, il est admis, sans contestation que les néocotinoïdes ont un effet néfaste pour tous les insectes (après tout ce sont des insecticides…) et donc aussi pour les abeilles que celles-ci soient « domestiques » ou sauvages. L’utilisation de ces produits doit donc être encadrée, limitée aux cas où ils sont incontournables.
C’est justement le cas de la betterave. Celle-ci est victime de pucerons provoquant une forme de jaunisse qui peut entraîner une très forte baisse des rendements. L’utilisation de néocotinoïdes enrobant la graine permettait de traiter le problème. Cette année, sans néocotinoïdes, la jaunisse est revenue, et cela en un moment difficile pour la filière sucre, directement touchée par la fin des quotas sucriers européens et le marasme du marché mondial.
En réalité, dans le cas de la betterave, le danger pour les abeilles est minime et ce d’autant plus qu’il s’agit d’une agriculture très en avance en termes de techniques de production et de souci de l’environnement.
Dans un pays normal – l’Allemagne par exemple (qui pourrait dépasser la France en termes de production de sucre) –, il n’y aurait pas eu de débat. Mais la France a les Verts qu’elle mérite… Et pendant ce temps, les frelons asiatiques font leur délice des abeilles !
1er octobre
Budget
L’automne, c’est le temps des budgets. Ceux des ménages confrontés aux dépenses de rentrée, mais surtout celui de l’État qui boucle son exercice pour l’année à venir.
2020 a été une « annus horribilis ». L’économie à l’arrêt ou presque pendant 55 jours et plus, des dépenses publiques qui ont explosé pour maintenir l’appareil de production et surtout l’emploi. La France a été le pays au monde qui a le plus utilisé le chômage partiel, ce qui a permis de sauver les équilibres sociaux. Mais le résultat, c’est un déficit public de 10,2 % du PIB alors qu’en 2019 il n’était que de 3 %, la célèbre barre de Maastricht : 195 milliards d’euros de déficit qu’il a fallu emprunter sur les marchés financiers qui heureusement continuent à consentir à la France des taux légèrement négatifs de – 0,10 à – 0,50 %. Mais il faudra bien commencer à rembourser un jour ou l’autre…
En 2020, les dépenses publiques ont représenté 62,5 % du PIB. Cela veut dire qu’à peine un peu plus du tiers de la richesse créée l’a été par le secteur privé. Ce sont là des chiffres presque soviétiques, mais face à l’incendie le pompier ne peut être accusé de gaspiller l’eau.
Mais qu’en sera-t-il en 2021 ? Le gouvernement a choisi une hypothèse réaliste, mais qualifiée quand même d’un peu « volontariste » : 8 % de croissance après un recul de 10 % en 2020. La France mettrait en fait cinq ans pour effacer la crise de 2020 et cela dans l’hypothèse d’une deuxième phase du Covid contenue.
Le budget qui est présenté pour 2021 table sur un déficit de 6,7 % du PIB soit encore plus de 150 milliards d’euros. Les dépenses publiques pèseraient encore 58 % du PIB, contre 53 % en 2019, ce qui était alors un record – avec la Suède – parmi les pays avancés. Il y a là, bien entendu, le plan de relance dont une partie sera – on le sait – financée par l’Europe. Tout ceci peut apparaître normal.
Mais à deux ans des présidentielles force est de constater que la plupart des engagements de réduction du train de vie de l’État ont été laissés de côté. Certes, il y a des priorités que l’on peut comprendre : il faut mieux payer les infirmières et les salariés des Ehpad, les enseignants et les policiers. Après le Ségur de la santé, on aura le Grenelle des professeurs et peut-être un jour le Balard des militaires !
Tout ceci est juste et trouve sa légitimité dans l’urgence face à la crise. Mais cela renforce aussi un peu plus la propension des Français à tout demander à l’État qui n’a pu s’empêcher de quelques mesures symboliques, mais coûteuses comme l’extension du congé de paternité ou la disparition de la taxe d’habitation. Malgré tout, le taux de prélèvements obligatoires à 43,5 % du PIB va rester un des plus élevés de la planète. Les Français auront un peu de beurre, mais devront pendant longtemps payer l’argent du beurre !
29 septembre
Confiance
Alors que la deuxième vague du Covid semble submerger à nouveau la France, le pays connaît une véritable crise de confiance, une analyse que l’on retrouve au fil des éditoriaux politiques des télévisions et de la presse.
Confiance, ce mot sonne curieusement tant justement c’est là ce qui a toujours manqué à la société française. Dans un livre remarqué, le philosophe américain Francis Fukuyama avait distingué les sociétés capables de confiance (Trust) et celles qui en étaient dénuées. Il s’agissait là de la confiance entre individus propice au développement du capitalisme (je fais assez confiance à mon voisin pour lui confier mon argent). Pour lui, les sociétés de confiance étaient les pays anglo-saxons, l’Allemagne et le Japon. Ceux où la confiance était la moins marquée étaient la Chine, l’Italie et… la France. L’absence de confiance des individus dans leur voisin pouvait être palliée par des réseaux familiaux, tribaux (ou même mafieux) ou bien par le recours à l’intermédiation de l’État. C’était bien entendu le cas de la France.
L’omniprésence de l’État en France (plus de 60 % de dépenses publiques dans le PIB encore en 2021 !) trouve là ses racines les plus profondes. Mais longtemps, cette confiance fut assez justifiée. L’État – au sens large – a atteint en France un rare niveau d’efficacité dont le sommet correspond à la fin des Trente Glorieuses (les années Pompidou). Les plus brillants sujets choisissaient alors le service de l’État sans songer à quelque pantouflage que ce soit. Au-delà de la Caravelle et du TGV, l’éducation et la santé étaient des « services publics » dont les Français étaient légitimement fiers et dans lesquels ils avaient toute confiance.
Mais voilà, la confiance dans un monde sanitaire et médical pétri de contradictions et dans un monde politique et administratif à la fois démagogue et bureaucratique, cette confiance n’existe plus et les corps intermédiaires, syndicats, associations, églises ne peuvent malgré toute leur bonne volonté compenser cette faillite.
Voilà peut-être une des raisons pour laquelle le Covid aura déclenché en France une véritable crise de société de plus en plus béante, plus marquée que dans la plupart des autres pays occidentaux.
28 septembre
Confins arméniens
Au détour d’une page d’un quotidien, on apprend que l’Arménie et l’Azerbaïdjan sont au bord de la guerre à propos de la province du Haut-Karabakh, peuplée d’Arméniens, mais enclavée en pays azéri. En ces temps de Covid, ce conflit qui a déjà fait plusieurs dizaines de milliers de morts n’intéresse guère et si l’on en parle un tout petit peu c’est que l’Arménie est soutenue par la Russie et l’Azerbaïdjan par la Turquie. L’un et l’autre furent ottomans puis soviétiques. Voilà le genre de guerre de « nulle part » qui rappelle la « guerre du Chaco » dans les années trente entre la Bolivie et le Paraguay (et que les lecteurs d’Hergé retrouveront à peine masquée dans « L’oreille cassée »).
Pourquoi en parler encore, alors qu’au fond nul ne s’en préoccupe guère ? Hérité de l’éclatement de l’URSS, le Haut-Karabakh fait partie de ces multiples points de tension qui maillent la planète. L’Inde et la Chine s’affrontent dans les confins de l’Himalaya. L’Arabie saoudite et l’Iran se battent par Yéménites interposés. La Syrie est un champ de ruines tout comme la Libye… Dans le cas du Haut-Karabakh, il s’agit presque d’un conflit « classique » avec des armées, des tranchées, de l’armement classique pour l’essentiel hérité de l’époque soviétique, mais que la Russie a contribué à moderniser d’un côté comme de l’autre. L’Arménie est relativement démocratique là où l’Azerbaïdjan est une bonne vieille dictature ex-communiste. Mais Bakou, où le jeune Staline fit ses premières armes, a l’avantage de ses ressources pétrolières ainsi que du soutien de la Turquie. RT Erdogan a trouvé là une autre occasion de brandir l’étendard ottoman et, après la Libye, de semer un peu plus le désordre pour compenser ses échecs domestiques.
On ne sait quelle peut être la solution et la communauté internationale a manifestement bien d’autres soucis. Concernée au premier chef par cet héritage mal assumé, la Russie semble s’en laver les mains. Dans ces montagnes perdues, la fin de l’histoire tient en tout cas du rêve !
24 septembre
Covid, chapitre II
En août 1914, tous les combattants qui montaient au front « nach Paris » ou « à Berlin » pensaient que la guerre serait finie à Noël. On sait ce qu’il en advint.
Au printemps 2020, le monde affronta le Covid et l’on pensait qu’à l’automne ce serait une histoire oubliée. Mais voilà les premiers jours de l’automne et déjà quelques sanglots. Un peu partout dans le monde, les gouvernements confrontés à une deuxième, voire une troisième vague dans le cas de l’Iran, hésitent entre fermeté sanitaire et relâchement économique. L’Inde a rouvert le Taj Mahal à la visite, mais le confinement y reste la règle alors que le pays s’achemine, ou a peut-être déjà dépassé, les 100 000 morts. Buenos Aires, en Argentine, poursuit au moins jusqu’à la mi-octobre un confinement strict qui dure depuis plus de six mois, le plus long de la planète. Madrid se referme aussi alors que les pubs anglais vont comme dans les métropoles françaises fermer à 22 h. Au niveau mondial, le bilan du Covid a déjà dépassé le million de victimes, les chiffres officiels à ce jour étant menés par les États unis (201 000) suivis du Brésil (138 000), de l’Inde et du Mexique. Mais, un peu partout, la flambée du nombre de cas positifs inquiète et, la deuxième vague est une réalité dans de très nombreux cas.
Du point de vue économique, l’été avait été marqué de quelques bonnes nouvelles : les enquêtes de conjoncture étaient mieux orientées et un peu partout, les ménages commençaient à puiser dans leur bas de laine que l’absence de consommation durant le confinement avait bien rempli. La page du Covid semblait pouvoir être tournée. Il en resterait quand même un repli de l’économie mondiale de plus de 4 % en 2020. Mais en 2021, le rattrapage serait effectif avec plus de 5 % de croissance. On prévoyait quand même qu’il serait plus lent en Europe et même aux États-Unis. Mais là, l’heure était aux plans de relance, aux taux d’intérêt à zéro, voire négatifs, à l’inflation jetée aux tisons. C’était hier sous le soleil estival.
La résurgence du Covid est trop récente pour que les économistes aient pu adapter leurs prévisions, mais l’automne promet d’être plus douloureux pour nombre de secteurs du tourisme aux spectacles, de l’aviation à la restauration. Le rebond anticipé sera certainement moins fort que prévu. Et même un confinement limité pourrait avoir des conséquences catastrophiques pour des économies fragilisées.
Débats sanitaires et économiques vont donc s’entrechoquer dans les prochains jours en Europe certes, mais aussi dans le reste du monde. Aux États-Unis, la négociation d’un nouveau plan de relance est perturbée par la proximité de l’élection présidentielle. En Russie, Vladimir Poutine – qui n’a pas ces soucis – consacre pour la première fois plus d’argent à la relance économique qu’aux dépenses militaires. En Allemagne même, on commence à s’inquiéter. Après avoir battu des records, les bourses de valeur sont partout en net repli.
En 1914, les combattants rêvaient d’un Noël dans leurs foyers. Mais en 2020, Noël – avec ou sans « arbres morts » – s’annonce brumeux et angoissé. La proposition d’Esther Duflo de se confiner maintenant afin de pouvoir sortir à Noël est peut-être au fond assez réaliste.
17 septembre
Histoire de bidet
À l’heure où la France prépare son plan de relance, rêve de hautes technologies, d’hydrogène et d’intelligence artificielle, voilà une histoire qui va nous ramener au plus proche de la condition humaine, celle du bidet, autrefois célébré par Duchamp, et que fabriquait encore en céramique, l’usine de Jacob Delafon à Damparis dans le Jura. Nous sommes là au cœur de la vieille industrie française et c’était la dernière usine en France à fabriquer des produits sanitaires en céramique.
Mais voilà, Jacob Delafon, l’orgueil de nos salles de bains et autres toilettes, a été racheté en 1985 par le groupe américain Kohler. Kolher est un groupe privé américain centenaire toujours contrôlé par la famille fondatrice, et dirigé par Herbert et David Kohler. L’entreprise est présente dans le monde entier dans le domaine élargi de la salle de bains. Ce n’est ni un fonds de pension ni une entreprise se repaissant des dépouilles de ses victimes. Au contraire, sur leur site, ils célèbrent leurs 30 000 « associés » dans le monde : dans la novlangue du politiquement correct, l’associé va du président au camarade balayeur… Pour aller dans le sens de l’histoire, le site de Kohler s’ouvre actuellement sur une admirable déclaration de sympathie pour la communauté afro-américaine en ces temps de troubles raciaux.
Voilà bien sûr qui nous éloigne du Jura et de la décision de fermer l’usine de Damparis sans grandes possibilités de reclassement pour ses 151 salariés. L’usine est ancienne et nécessiterait des investissements importants. Une autre page de l’histoire industrielle française se tourne dans l’indifférence la plus totale. Kohler a certainement sa logique. L’usine n’est plus rentable et le créneau des produits en céramique est étroit face à la montée de nouveaux matériaux.
Jacob Delafon était, elle aussi, une vieille entreprise française fondée en 1889, indépendante pendant un siècle et puis, comme nombre de PME et d’ETI françaises, rachetée par un mastodonte étranger qui fit certainement à l’époque moult promesses comme en d’autres domaines, Nokia, General Electric ou Bridgestone.
Aujourd’hui, sur son site, Jacob Delafon fait apparaître un « design 100 % d’origine France ». Ce n’est pas exactement le « made in France ». Pas du tout.
Le sens de l’histoire est probablement que l’on ne fabrique plus de bidets en céramique dans une vallée du Jura. Une page se tourne. Là-bas, 150 personnes restent sur le carreau… de céramique !
15 septembre
La géostratégie du porc
On aime bien parler des produits stratégiques, ceux dont le développement des besoins au niveau mondial posent des problèmes stratégiques et géopolitiques majeurs. On pense aux terres rares, au cobalt et au lithium, au gaz naturel et même encore au pétrole. Mais en cet automne 2020, l’un des produits les plus « chauds » sur la scène internationale est la viande de porc, jambon, longe, oreilles et queue ! Autour de la table porcine mondiale, on trouve la Chine, la Russie, les États-Unis, le Brésil, l’Allemagne, Taïwan et quelques autres.
Au moment même où se tenait un sommet UE-Chine et qu’Angela Merkel faisait preuve d’une grande fermeté face à Pékin, la Chine annonçait un embargo total sur ses importations de viande porcine allemande. Il est vrai que l’on vient de découvrir des cas de peste porcine africaine chez des sangliers dans l’Est de l’Allemagne. La décision chinoise est logique, mais disproportionnée et contient probablement un message subliminal. Il y a quelques années, ce sont aussi des raisons sanitaires que la Russie avait mises en avant pour bloquer toutes ses importations de porc européen à l’époque où l’UE fronçait le sourcil à propos de l’annexion de la Crimée.
Touchée par la peste porcine africaine, la Chine est devenue le poumon du marché mondial du porc et elle utilise ses importations comme une arme diplomatique favorisant parfois le Brésil de Bolsonaro, calmant les États-Unis de Trump, ou réprimandant le Canada.
Taïwan par contre n’importe pas de porc américain pour des raisons sanitaires du fait de l’utilisation aux États-Unis de ractopamine. Mais les autorités taïwanaises veulent à tout prix signer un accord commercial avec Washington, qui renforcerait leur main face à Pékin. Alors, l’interdiction visant le porc américain va être levée à la grande fureur de l’opposition qui continue à flirter avec le continent et la grande Chine.
La géopolitique du porc n’en finit pas de nous surprendre !
10 septembre
Les Verts à la manœuvre
Les scrutins municipaux du printemps ont permis aux Verts de conquérir plusieurs grandes villes et quelques mois plus tard, les nouveaux exécutifs sont à l’œuvre. Les marges de manœuvre d’un maire sont relativement limitées, alors dans un premier temps on est resté dans le domaine du symbolique avec un délicieux florilège : à Bordeaux, le maire a décidé qu’il n’y aurait pas de sapin de Noël devant la mairie cette année – pas « d’arbre mort ». À Lyon, le maire s’en est pris au Tour de France qui arrivait dans sa bonne ville en critiquant un spectacle « machiste et polluant ». À Strasbourg, la maire a annulé des arrêtés anti-mendicité pris par l’exécutif précédent.
Analysons ces décisions : l’arbre de Noël ? Certes, il s’agit d’un rite païen qui pollue quelque peu la dimension chrétienne de Noël. On peut lui préférer la crèche, mais celle-ci est interdite depuis longtemps dans les lieux publics. Quant à l’arbre lui-même, il provient de forêts cultivées, le sort de la plupart des conifères étant de terminer en pâte à papier. Une forêt doit en effet être entretenue par l’homme et si le retour à la sylve gauloise a de quoi séduire nos écologistes urbains, il tient du délire environnemental.
Le Tour de France réunit des coureurs mâles. Contrairement à d’autres sports et malgré notre Jeannie Longo nationale, le cyclisme féminin s’est moins développé que d’autres sports. De là à parler de machisme. Certes, la caravane émet du CO2, mais le Tour est un hymne à la ruralité et à la France préindustrielle. C’est aussi un sport populaire, un peu besogneux, parfois dopé, aux antipodes de la pureté intellectuelle de nos écologistes qui lui préfèrent des vélos électriques dopés au cobalt.
Quant à la mendicité, elle pose certes – mais bien mal – le problème de la pauvreté. La mendicité aggrave la dépendance et la marginalisation. Certes, l’interdire n’avait de sens que si la solidarité pouvait s’exprimer autrement. Était-ce le cas ?
Pardon, cher lecteur pour cet agacement, mais la bêtise, portée à ce niveau par des édiles désormais en charge de centaines de milliers d’administrés, a de quoi inquiéter pour la suite de leurs mandatures.
4 septembre
La République aurait donc 150 ans aujourd’hui. Peut-être, quoique ! Il est exact que le 4 septembre 1870, au lendemain de la capitulation de Napoléon III à Sedan, le corps législatif vota la déchéance de l’Empire et Jules Favre et Léon Gambetta se rendirent à l’Hôtel de Ville de Paris pour y proclamer la République.
Celle-ci ne fut toutefois formellement instituée que quelques années plus tard. La France connut en effet une véritable guerre civile avec l’écrasement de la Commune de Paris. La chambre élue une fois la paix revenue était à majorité monarchiste. Une fois réglée la question de la rivalité entre les Bourbons et les Orléans, la voie était ouverte pour le retour d’un roi en France, le comte de Chambord, petit-fils de Charles X, auquel devrait succéder – puisqu’il n’avait pas d’enfant – un Orléans. La chambre était acquise, le président du Conseil, le duc de Broglie, tout comme le maréchal de Mac Mahon qui faisait office de chef de l’État (on ne parlait pas de république, du moins pas encore), tous attendaient donc le retour d’Henri V dont on préparait déjà le couronnement.
Il n’en fut rien : Chambord qui n’avait jamais vécu en France était d’un autre siècle. Il insista pour rétablir le drapeau blanc fleurdelysé de la monarchie et refusa les trois couleurs. Même ses plus chauds partisans comprirent qu’il n’était pas l’homme de la situation. La monarchie ne fut pas rétablie et la République vit enfin le jour presque en catimini.
On peut d’ailleurs là imaginer une délicieuse « uchromie ». Imaginons, en effet, un comte de Chambord un peu plus ouvert. Il accepte le drapeau tricolore. Il est couronné et la France devient une monarchie constitutionnelle. A priori aucun événement n’aurait pu la remettre en question. Ceci étant, qu’aurait fait le « roi très chrétien » en 1905 au moment de la séparation de l’Église et de l’État ? Un Orléans s’en serait peut-être accommodé. Mais surtout qu’aurait fait le roi en juin 1940 ? Aurait-il quitté la France comme la reine des Pays-Bas ou serait-il resté comme le roi des Belges ? En tout état de cause, il n’est pas sûr que la monarchie ait alors survécu, quoique le général de Gaulle aurait probablement imaginé la rétablir.
Ce n’est là bien sûr qu’une uchronie. Mais la célébration du 4 septembre 1870, au Panthéon en plus, a de quoi laisser rêveur. Elle entretient un mythe républicain dont les fondements historiques sont bien fragiles. À voir d’ailleurs en France la survivance des titres et des particules, on comprend que le cheminement républicain est encore loin d’être achevé.
Mais en ce 4 septembre 2020, l’agenda électoral offrait une fenêtre de tir dont le président le plus monarchique de la Ve République aurait eu tort de se priver.
3 septembre
C’est la rentrée ! Le calendrier du Covid reste toujours aussi prégnant même si on peut se demander s’il n’a pas changé de nature. Au niveau mondial, la pandémie a probablement dépassé le million de décès, certains pays comme la Chine et l’Iran sous-estimant notoirement leur nombre de décès. Officiellement, les États-Unis (185 000) mènent le bal devant le Brésil (123 000) et l’Inde (67 000). La chape de plomb du Covid continue à peser un peu partout même si on peut se demander si la pandémie ne change pas de nature. Toujours aussi agile, mais de moins en moins létale. L’ouragan ne serait plus qu’un simple orage tropical…
Par contre, l’ouragan économique continue son œuvre de dévastation. La plupart des chiffres de « croissance » du deuxième trimestre sont désormais connus : seule la Chine, la première touchée s’y affiche en positif (+ 3,2 %). Mais que de reculs : en rythme annuel, c’est Singapour qui remporte la palme avec – 41,2 % devant Israël (– 28,7) et l’Inde (– 23,9). Parmi les pays avancés, le recul le plus profond est celui du Japon (– 27,8) devant le Royaume-Uni (– 20,4) et l’Espagne (– 18,5). La zone euro s’en sort un peu mieux à l’image de l’Allemagne (– 10,1) et même au fond de la France (– 13,8). Répétons-le, il s’agit de la crise la plus forte que le monde ait connue depuis 1930 et cette fois-ci c’est l’homme qui en est responsable.
Voilà pour le rétroviseur. Mais qu’en est-il de l’avenir ? On ne se hasardera pas ici à faire des prévisions sanitaires. Du point de vue économique, tout le monde s’attend à un net rebond au troisième trimestre. Les marchés boursiers ont déjà effacé le Covid pour battre leurs records historiques. Mais dans l’économie réelle, la plupart des indicateurs avancés sont dans le vert : les ménages puisent dans leur épargne, les États empruntent, les banques centrales ne se préoccupent plus d’inflation, les entreprises de la nouvelle économie fanfaronnent. La réalité est probablement moins radieuse. Tous les plans de relance de la terre ne suffiront pas à colmater les brèches dans la vieille économie. Les entreprises en faillite, les emplois perdus (5 millions en Europe au deuxième trimestre) ne se retrouveront pas facilement. Le rebond attendu sera insuffisant pour panser tant de plaies.
Cette crise ouvre une page nouvelle. Elle marque bien la fin des Trente Glorieuses de la mondialisation heureuse. Mais devant nous, la page reste blanche et force est de constater que la plupart des gouvernements dans le monde se révèlent incapables d’en écrire quelque ligne nouvelle.
30 août
Dernier dimanche de vacances, fort pluvieux au Pays basque comme c’était le cas hier à Nice pour la première étape du Tour de France. Mais aujourd’hui, c’est le grand soleil sur la deuxième étape dans les Alpes-de-Haute-Provence, autour de Nice avec quelques grands cols (Turini, Eze…) : une vraie étape de montagne par une chaleur encore estivale.
Tout cela aurait dû avoir lieu, il y a deux mois. Dans les pentes du Turini, on se serait bousculé et les coureurs auraient même eu du mal à fendre la foule. Rien de tout cela aujourd’hui, la course se déroulant en semi-confinement avec une jauge de spectateurs limitée et des commentateurs, en « live » depuis les studios parisiens ! Mais au moins, le Tour a-t-il bien lieu avec comme aujourd’hui des étapes somptueuses au cœur de paysages tout droits sortis des pages de Giono : villages perchés, vallées profondes, ascension de cols improbables… Un match de football ou de rugby peut se dérouler n’importe où même si l’on aime à dire que certaines enceintes sont mythiques. Mais le terrain de jeu du cyclisme, c’est un territoire entier et au fil des étapes, c’est un voyage en France, celle des cartes postales, mais aussi celle de la ruralité, que nous offre le Tour.
Et puis, malgré sa mauvaise réputation et ses histoires de dopage, le cyclisme reste un sport « vrai ». Chacun y fait les mêmes doutes. Il ne s’agit pas que de pédaler, mais de gérer sa course, d’évaluer ses adversaires, sachant que les derniers mètres d’un col mentent rarement. Bien sûr, il y a les « grands » et les porteurs d’eau, les vedettes et les anonymes ; le cyclisme a toujours été professionnel, mais pour de courtes carrières et sans les débordements financiers – et fiscaux – constatés dans le football ou le tennis.
Aujourd’hui, grâce à cette étape devant la télévision, c’est un clin d’œil, celui du retour presque à la normale, car au fond ils pédalent aussi pour nos rêves.
29 août
À Nice, première étape du 107e Tour de France : deux mois de retard et une assistance limitée, mais… ils roulent ! Par contre, le Forum économique mondial de Davos prévu en janvier 2021 est repoussé à l’été et peut-être au-delà.
En ce week-end de rentrée (en France au moins), c’est toujours la cacophonie face au Covid. Les uns voudraient enfin en tourner la page et revenir à la vie normale tandis que les autres écoutent avec effroi la litanie des statistiques marquées un peu partout par l’augmentation des cas positifs.
Comme on pouvait s’y attendre en effet, les pays touchés parmi les premiers – en Europe notamment – enregistrent tous une forte remontée non seulement du nombre de cas positifs, mais aussi du taux ramené au nombre d’examens réalisés. On le constate en France, mais aussi en Espagne ou en Allemagne. Par contre, le nombre de patients admis en réanimation et a fortiori le nombre de décès continue à diminuer et dans certains pays n’a absolument plus aucune signification. Pour l’instant, le ciseau entre cas positifs et détérioration fatale est grand ouvert et le Covid se trouve rabaissé au rang d’une vulgaire grippe.
Que faire alors ? Pour l’instant, c’est le péril sanitaire qui domine : en France le port du masque bien sûr, mais aussi un confinement mesuré et encore beaucoup d’ambiguïtés à quelques jours de la rentrée scolaire. Ailleurs, l’heure est à la quarantaine et dans certains cas à nouveau au confinement…
Alors, le Tour de France roule pour le plaisir… des téléspectateurs. Davos par contre est avant tout un moment de contacts où l’on se frotte les épaules comme disent les anglo-saxons. Il en sera probablement de même pour la plupart des conférences et autres salons internationaux qui permettraient la rencontre des grandes « tribus » professionnelles.
Plus sérieusement, la vraie question n’est-elle pas maintenant celle du véritable statut de la pandémie : Covid mortel ou grippe certes agile, mais bénigne. À cela, pour l’instant, les « professeurs » ne savent pas répondre.
21 août
Les marchés boursiers sont-ils de bons indicateurs avancés de la conjoncture économique ? On peut quand même en douter et convenir au moins du fait qu’ils obéissent à une rationalité qui ne converge pas toujours avec la recherche du bonheur économique. La preuve, le SP500, l’indicateur le plus représentatif de Wall Street vient de battre un record historique, effaçant en totalité les doutes et le mini-krach provoqué par le Covid.
Ceci étant, il y a quand même une certaine logique puisque l’indice est littéralement aspiré vers le haut par les valeurs « technologiques » : toutes les entreprises pour lesquelles le confinement et la communication à distance ont été une bénédiction : les sept FANGMAN ont atteint une valorisation boursière de $ 7 600 milliards menés par Apple qui a passé la barre des $ 2 000 milliards devant Amazon ($ 1 650 milliards) et Microsoft ($ 1 600 milliards). C’est bien la victoire de ce que l’on appela à la fin du XXe siècle la « nouvelle économie » sur la vieille industrie (Exxon a même été retirée du Dow Jones).
Malgré tout de telles valorisations ne font pas grand sens et puis un jour ou l’autre même, ces entreprises seront touchées par la morosité ambiante. L’homme ne peut pas être de pure essence immatérielle : il doit consommer, se loger, s’habiller, voyager, aimer et pas seulement de manière virtuelle.
Les indices boursiers sont en fait de plus en plus décalés de la vie réelle. Ils reflètent les espérances de technologies souvent encore loin de la maturité économique : Tessla vaut plus que Toyota ! Les bourses peuvent donc s’affranchir des basses contingences de la conjoncture économique. Et à la limite, avec le recul de la consommation des ménages, partout l’épargne est au plus haut, une épargne qu’il faut bien investir quelque part… À la fin du jour, cependant, il faudra bien que ces entreprises dégagent quelque bénéfice…
Pour l’instant, acceptons – en croisant un peu les doigts – le présage de marchés boursiers bien optimistes…
20 août
« Transformer l’église catholique ». Sous ce titre, Michel Camdessus, ancien directeur général du FMI, mais aussi catholique engagé et familier du Vatican, vient de publier un texte rédigé par un petit groupe de travail composé pour l’essentiel de personnalités de sa génération – plutôt octogénaires – contemporaines donc de Vatican II, de ses ouvertures et de ses espérances.
Perplexes devant l’évolution actuelle de l’Eglise et d’une bonne partie du clergé qui pratique un véritable « retour en arrière », ils souhaitent soutenir les efforts – pour l’instant infructueux – du pape François à faire bouger les lignes d’une institution bimillénaire (la plus ancienne de la planète) dont la crise est manifeste en particulier pour les pays de vieille chrétienté.
Ils partent de l’un des premiers axes de la réforme souhaitée par François, celui de la lutte contre le cléricalisme, c’est-à-dire la concentration du pouvoir dans l’Eglise par la seule autorité sacerdotale qui a facilité maintes dérives et le silence qui a prévalu.
A partir de ce constat, ils proposent une véritable refondation du clergé avec notamment l’accès au sacerdoce des hommes mariés et le mariage des prêtres. On peut regretter une certaine prudence de leur part quant à l’ordination des femmes dont ils pensent que « l’heure viendra ». Ils insistent pour que la formation des prêtres soit en phase avec la réalité du monde et non à quelque illusoire retour à une chrétienté « traditionnelle » quelque peu enjolivée.
La synodalité, c’est-à-dire la participation de tous et en particulier des laïcs, aux responsabilités dans l’Eglise est pour eux une évidence bien contrariée malgré les efforts de François. C’est là l’aspect le plus délicat de leur réflexion : une des forces de l’Eglise catholique qui lui a permis de traverser les siècles et leurs crises, c’est bien son organisation centralisée et hiérarchique qui contraste avec l’éparpillement des églises protestantes. Assouplir sans affaiblir, l’équilibre est délicat, mais la France serait un beau terrain d’exercice pour pareille démarche tant le catholicisme y est en crise ce que le repli sur quelques bastions loin du christianisme populaire d’antan ne peut masquer. Ce texte, qui pour certains sera un véritable brûlot, a le mérite d’aller plus loin que beaucoup de catholiques, trop silencieux, ne pouvaient rêver.
18 août
Conférence avec Michel Camdessus à Saint-Jean-de-Luz sur la « crise de 2020 ». Quel regard porter et surtout quel regard chrétien ?
L’ancien directeur général du FMI a été en première ligne au moment de la crise asiatique de 1997 et reste un observateur au jugement sûr des turbulences mondiales. Alors que j’évoque les « Trente glorieuses » de la mondialisation heureuse, il nous ramène au cœur de cette période, en 1999, lorsque Francis Fukuyama nous berçait avec le rêve hégélien de la « Fin de l’histoire », auquel l’auteur de ces lignes a quelque temps adhéré en même temps qu’il sifflotait (mal) la petite chanson d’Amélie Poulain. Nous pensions alors que le monde avait enfin trouvé un modèle indépassable, une sorte de martingale idéale.
La rupture est là totale avec la permanence de trois menaces majeures, la crise écologique, la croissance des inégalités et le risque atomique. Mais, souligne Michel Camdessus, ne faut-il pas compter aussi avec ce qu’il appelle les « bénédictions cachées ». C’est bien sûr le progrès technologique qu’il serait absurde de balayer d’un revers de la main. C’est aussi le fait que de plus en plus de nos contemporains reconnaissent l’ardente nécessité de « l’abondance frugale ». Enfin – et ce point est plus discutable – il note une certaine avancée de la gouvernance mondiale et au moins européenne.
L’un et l’autre, nous pensons que 2020 est un tournant majeur et que les voix de la spiritualité sont encore trop inaudibles. De ce point de vue, l’encyclique « Laudato Si » du pape François marque une rupture plus d’ailleurs dans la forme que sur le fonds.
Le texte est court et clair, parfois même un peu simpliste mais il éclaire tout un pan de la crise écologique et sociale que 2020 a si cruellement mis à nu.
Fondamentalement, le regard chrétien doit avant tout privilégier la dignité de l’homme. Et j’aime cette « sortie par le haut » que proposait Benoît XVI dans Caritas in Veritate en 2009 : la grâce du don tout simplement !
17 août
La France exulte ! Il y a enfin une « université » française dans les quinze premières mondiales au classement de Shanghai. Cocorico !
Le classement de Shanghai est une invention chinoise qui consiste à classer les universités en fonction de la productivité de leurs chercheurs. Celle-ci est mesurée par le nombre de publications et de références à des publications à comité de lecture. On rajoute quelques points pour les prix Nobel et autres médailles Fields. Les publications retenues privilégient les sciences dures aux dépens des lettres et des sciences humaines. Mais, c’est là le sens de l’histoire. Remarquons que ce paradigme n’est pas propre à Shanghai : il régit toute la communauté académique internationale et les carrières ne s’y construisent qu’au prix de multiples publications d’envergure de plus en plus limitées : « publish or perish », telle est la triste condition de l’universitaire de base ; l’enseignement, la transmission des méthodes du savoir, tout cela est devenu secondaire.
Longtemps, la France n’a guère figuré dans ce fameux classement de Shanghai. C’est que les universités y sont récentes, supprimées qu’elles furent à la Révolution du fait de leur dépendance de l’Eglise et vraiment rétablies seulement par la loi de 1896. Entre-temps, s’était développé un système original de « grandes écoles » formant des ingénieurs (Polytechnique en 1794, les Arts et Métiers en 1804) puis des « commerciaux » (ESCP en 1819, HEC en 1889), écoles qui continuent à drainer en France les meilleurs étudiants sortis après concours des « classes prépas ». Sauf exception (médecine, droit), les bacheliers vont à l’université en dernière option.
Facteur aggravant pour les malheureuses universités, l’organisation de la recherche s’est faite à partir de 1945 dans la logique française de centralisation autour d’établissements publics comme le CNRS, l’INRA et quelques autres.
Résultat, ni les universités bien mal loties, ni les grandes écoles, trop petites, ne figuraient dans un classement de Shanghai certes critiquable, mais devenu incontournable. C’est là qu’est intervenu le génie français du bricolage administratif. Alors qu’il y a cinquante ans, on avait fait éclater les universités (l’université de Paris était passée de I à XIII !), on a décidé de les recoller en y rajoutant des grandes écoles pour faire bonne mesure. Ainsi sont nées Paris-Saclay, Paris Sciences et Lettres et quelques autres. C’est en général artificiel et n’a pour l’instant d’existence que sur le papier : du « window dressing » diraient les anglo-saxons. Mais pour Shanghai, cela a marché !
15 août
Le soleil brillait sur Lourdes pour le traditionnel pèlerinage « national ». Mais en ces temps de Covid, c’était un « national » bien particulier, sans malades : ni chariots ni chaises roulantes et des brancardiers réduits à des fonctions de service d’ordre afin de ne pas dépasser le seuil des 5 000 personnes autour de la grotte.
Dans la basilique souterraine, la messe était présidée par le cardinal Parolin, le secrétaire d’Etat du Vatican. Comme d’habitude à Lourdes, toutes les langues s’entrechoquaient, révélateur de cette universalité de l’Eglise catholique dont cette petite ville au pied des Pyrénées est un symbole. A l’aune de Lourdes justement, le sanctuaire était presque vide mais il retentissait des youyous joyeux d’un pèlerinage ivoirien tandis que se croisaient Espagnols et Indiens, Chinois et Italiens.
La ville, elle, avait bien triste mine. Sur près de deux cent hôtels, à peine une trentaine étaient ouverts et aucun n’était complet. Avec un parc hôtelier souvent vétuste et devant pratiquer des prix plus que modérés, le Covid a été un coup qui risque d’être fatal pour nombre d’établissements et de commerces dont même, en ce 15 août, les vitrines sont restées closes.
Pourtant, c’est dans ces rues « marchandes » que bat aussi le cœur de Lourdes : on y trouve des restaurants du monde entier, aussi bien Tamils du Sri Lanka que maquis africains. On y côtoie des pèlerins de toutes races et de toutes origines, faisant d’ailleurs preuve d’un assez grand respect pour le port du masque.
L’après-midi, le long du gave, la foule était joyeuse, mais aussi recueillie le temps du chapelet.
Lourdes peut bien faire sourire les esprits forts mais c’est aussi un lieu où justement souffle l’Esprit. En y venant comment ne pas penser aussi aux amis musulmans privés cette année de « hadj ». Mon ami sénégalais, Cheikh Kante, qui chaque année fait le petit hadj, m’a répondu ce soir « comme d’habitude, nous sommes en union de prières ».
Si toute la vie et la géopolitique mondiale pouvaient être aussi simples et franches…
12 août
Joe Biden a donc choisi son/sa colistière. Comme prévu, une femme et de couleur, Kamala Harris, sénateur de Californie. Elle est tout sauf une inconnue tant aux États-Unis les sénateurs (il y en a deux par État) disposent d’un poids politique considérable.
Si elle coche les cases du sexe et de la couleur, elle n’est pas pour autant issue de la communauté afro-américaine. Ses parents, lui Jamaïcain, elle Indienne, issus de milieux bourgeois se sont connus sur le campus de Stanford où son père fut professeur d’économie. Avant d’être sénateur, elle avait été procureur général de Californie (un poste soumis à élection aux États-Unis). Elle était considérée comme beaucoup plus proche de Biden que de Bernie Sanders.