CyclOpe 2024

 

LES MARCHES MONDIAUX

« Attendre et espérer"

Publication du Rapport

Cyclope 2024

14 Mai 2024 - Paris

CyclOpe 2023

 

LES MARCHES MONDIAUX

« Les cavaliers de l'Apocalypse"

Publication du Rapport

Cyclope 2023

23 Mai 2023 - Paris

CyclOpe 2022

 

LES MARCHES MONDIAUX

« Le monde d'hier »

Publication du Rapport

Cyclope 2022

8 Juin 2022 - Paris

CyclOpe 2021

 

LES MARCHES MONDIAUX

« Cette obscure clarté qui

tombe des étoiles »

Publication du Rapport

Cyclope 2021

26 Mai 2021 - Paris

 

CyclOpe 2020

 

LES MARCHES MONDIAUX

« Allegoria ed effetti
del Cattivo Governo -Ambrogio Lorenzetti 
»

Publication du Rapport

Cyclope 2020

09 juin 2020 - Paris

CyclOpe 2019

 

LES MARCHES MONDIAUX

« Les illusions perdues »

A l'occasion de la publication du Rapport Cyclope 2019

15 mai 2019- Paris

CyclOpe 2018

 

LES MARCHES MONDIAUX

« Le ciel rayonne, la terre jubile »

A l'occasion de la publication du Rapport Cyclope 2018

16 mai 2018 - Paris

CyclOpe 2017

 

LES MARCHES MONDIAUX

« Vent d'Est, Vent d'Ouest »

A l'occasion de la publication du Rapport Cyclope 2017

15 mai 2017 - Paris

CyclOpe 2016

 

LES MARCHES MONDIAUX

« A la recherche des sommets perdus »

A l'occasion de la publication du Rapport Cyclope 2016

24 mai 2016 - Paris

CyclOpe 2015

LES MARCHES MONDIAUX

Pour qui sonne le glas ?

A l'occasion de la publication du Rapport Cyclope 2015

20 mai 2015 - Paris

CyclOpe 2014

LES MARCHES MONDIAUX

Dans le rêve du Pavillon Rouge

A l'occasion de la publication du Rapport Cyclope 2014

14 mai 2014 - Paris

31 décembre

 

Voilà donc le dernier jour d’une « année à nulle autre pareille ». De ces années vingt qui commençaient il y a un an, on pouvait les imaginer folles comme au siècle dernier. La grande affaire de l’année devait être la réélection – ou non – de l’imprévisible Monsieur Trump, mais nul n’aurait alors joué un dollar sur la tête du terne Monsieur Biden…

Et puis voilà, le Covid est arrivé (« le » en donnant à cette pandémie un genre neutre) : officiellement dans le monde, 70 millions de personnes affectées et au moins 1,6 million de décès « officiels ». Pour l’instant, la pire pandémie depuis la grippe asiatique de la fin des années cinquante. Mais une pandémie suivie en temps réel sur toutes les chaînes d’information de la planète, et donc une réaction légitime des autorités politiques un peu partout dans le monde, de manière désordonnée, « chacun pour soi ». Le résultat, ce furent des confinements, des couvre-feux, des fermetures de frontières. Au final, 2020 a été, du point de vue économique, la pire année que le monde ait connu depuis 1931, au cœur de la grande Dépression. Le recul du PIB mondial a été de l’ordre de 5 %, bien plus marqué qu’en 2008/2009, et bien sûr qu’en 1974. Suivant les pays, 2020 s’inscrira en négatif de 4 % (États-Unis, Japon) à 12 % (Italie, Espagne)… Seule la Chine aura conservé sur cette année une croissance légèrement positive. Au Royaume-Uni (– 11 à – 12 %), on dit que c’est la pire année depuis le « grand froid » de 1709. Il est vrai que les Britanniques ont rajouté le Brexit à la liste de leurs maux.

Un temps au printemps, tout s’est arrêté : les avions restaient au sol, les voitures au garage, les navires circulaient à vide. Peu à peu, la vie économique a repris, mais partout – sauf en Chine – c’est bien au ralenti.

Mais, la catastrophe économique a été contenue sur le plan social. Jamais, en effet, les gouvernements n’ont consacré autant d’efforts à prévenir les effets de la crise. Les plans de relance se sont accumulés bien au-delà des $ 10 000 milliards. Pour la première fois, l’UE a été de la partie et paradoxalement, le Covid a conforté la construction européenne au moment même où le Brexit l’ébranlait. Tout ceci s’est traduit par un gonflement des déficits publics et donc de la dette rendue supportable par des taux d’intérêt au plus bas – voire négatifs. Mais le choc a été amorti et ce d’autant plus que certains secteurs ont profité du Covid à l’image des GAFAM qui ont tiré les bourses de la planète vers de nouveaux sommets.

En ce dernier jour de l’année, malgré la promesse des vaccins, la pandémie n’est pas jugulée, la plupart des économies tournent au ralenti et malgré les aides publiques, chômage et précarité continuent à augmenter. Pour la plus grande partie de l’humanité, la page du Covid n’est pas tournée et les bouleversements qu’il a provoqués n’en sont qu’à leurs débuts.

 

 

30 décembre

 

La présidence allemande de l’Union européenne se termine donc par le départ – demain – du Royaume-Uni, mais aussi par la signature d’un « accord de principe » entre l’UE et la Chine sur les investissements. L’affaire est d’importance pour l’UE (à 27) qui avait investi à fin septembre 2020 $ 181 milliards en Chine contre $ 138 milliards dans l’autre sens. L’UE a accepté d’ouvrir certains secteurs comme l’énergie et la Chine a fait de même pour les services financiers, le transport aérien, les télécommunications… La Chine s’est aussi engagée en matière de normes environnementales (Accord de Paris) et sociales (conventions de l’OIT).

Au-delà d’un indéniable triomphalisme germanique, cet accord ne peut que susciter un certain scepticisme. En matière d’investissement, ce qui compte, c’est un état de droit et la Chine de ce point de vue a un long chemin à faire. La Chine reste à bien des égards un état totalitaire et ceci est vrai dans le domaine économique avec le poids considérable des entreprises publiques (SOE) tant au niveau national que local. En jouant de manière bien rapide la carte du bilatérisme, l’Europe n’a-t-elle pas signé un accord de dupes en se déshabillant un peu plus sans compensations véritables ? Ceci méritera d’être analysé quand l’accord sera définitif.

Mais quel triomphe aussi du réalisme le plus cynique sur les grands principes moraux ! De Hong Kong au Tibet, la lâcheté européenne doit faire pleurer un peu plus.

 

 

29 décembre

 

Après de premières vaccinations en fanfare, le mouvement s’est manifestement ralenti. Il ne s’agit pas là d’une conséquence du vaccino-scepticisme des Français, mais bien, semble-t-il, de problèmes de cette bureaucratie sanitaire dont 2020 aura permis aux Français de découvrir le conservatisme et les lenteurs. Après donc les pénuries de masques puis de tests, voilà que les vaccins – s’ils ne manquent pas – peinent au moins à être distribués. Faut-il une consultation médicale préalable à la vaccination ? Faut-il questionner les tuteurs légaux des pensionnaires des maisons de retraite ? Ce sont là certainement de bonnes questions, mais ne masquent-elles pas l’inefficience profonde d’un système administratif à bout de souffle ?

Le Royaume-Uni – où le système de santé totalement public ne brillait guère par son efficacité – est parvenu déjà à vacciner plus de 600 000 personnes et l’Allemagne en quelques jours parle en dizaines de milliers là où en France on raisonne par centaines.

Oh, certes, la critique est facile et il y a probablement d’excellentes raisons médicales et sanitaires à ce retard. L’impression demeure quand même celle d’une certaine irresponsabilité, d’un contraste grandissant entre discours volontaristes et action sur le terrain : comme si le pompier au milieu des flammes oubliait que le plus important est de prévenir l’incendie.

 

 

28 décembre

 

Après Facebook et Google aux États-Unis, les GAFAM dans leur ensemble en Europe (mais là pour des raisons fiscales), voilà Alibaba qui fait l’objet d’une enquête des autorités chinoises de la concurrence.

Il y a vingt ans, un professeur d’université chinois, Jack Ma, se lança dans la vente en ligne. Le succès a été fulgurant et Alibaba réalise aujourd’hui un cinquième du commerce de détail en Chine et prend une place de plus en plus importante à l’international. Un temps, Jack Ma a été l’homme le plus riche de Chine et sa forte personnalité tranchait sur la discrétion dont font en général preuve les milliardaires chinois. À l’automne 2020, il devait introduire en bourse sa filiale de paiements en ligne, Ant Group, devenue en réalité une banque à part entière.

Mais dans l’univers feutré du capitalisme chinois où les frontières sont poreuses entre public et privé, où les SOE (State owned enterprises) se comportent comme des groupes privés, Jack Ma, tout membre du PCC qu’il était, commençait à déranger. On dit que c’est Xi Jinping, lui-même qui aurait décidé de l’annulation de l’introduction en bourse de Ant. L’enquête sur Alibaba a probablement été ordonnée au plus haut niveau et Jack Ma serait même interdit de sortie du territoire chinois. Certes, ce n’est pas encore la chute, mais il y a dans ce destin quelque chose qui rappelle dans l’histoire de France celui de Nicolas Fouquet disgracié par Louis XIV, ou mieux encore celui de Jacques Cœur éliminé par Charles VII. Jack Ma a peut-être oublié qu’il n’était qu’un simple mortel face à un empereur de droit de plus en plus divin.

 

 

27 décembre

 

En ce dimanche de la Sainte Famille pour les catholiques (celui de la présentation de Jésus au Temple) commence donc la vaccination contre le Covid sur le continent européen (anticipant sur le Brexit, les Britanniques avaient débuté il y a trois semaines). Le vaccino-scepticisme est en France devenu une affaire politique qui tourne au ridicule tant on a oublié ce que furent en France des maladies comme le tétanos, le choléra, la poliomyélite et autres diphtéries que des vaccins ont permis d’éliminer.

Non, ce qui est plus inquiétant c’est l’incapacité de l’Europe à produire de tels vaccins puisque les deux produits qui seront administrés sont américains (avec quand même une « start up » allemande pour Pfizer). En dehors justement de Pfizer, les grands noms de la pharmacie des deux côtés de l’Atlantique sont absents (Merck, Hoffman…) ou bien en retard (AstraZeneca, Sanofi…). Issus de technologies nouvelles, ces vaccins sont les enfants de la révolution industrielle de la fin du XXe siècle : à côté des technologies de l’information, il y avait les biotechnologies trop souvent caricaturées et rejetées à l’image des OGM. Il y a d’ailleurs dans le développement de ces vaccins quelque chose de la même nature que l’effervescence que l’on a connu dans les années quatre-vingt-dix autour d’internet. Simplement, le temps du gène est un temps beaucoup plus long que celui de la puce, même si, en 2020, avec quelques milliards de dollars d’aides et de commandes publiques, il vient de connaître une singulière accélération. Que l’on commence en tout cas à vacciner en un jour consacré à célébrer la famille est un beau symbole.

 

 

26 décembre

 

Voici un bien indigeste cadeau de Noël : les 1 246 pages (près de 1 500 avec les annexes) de l’accord du post-Brexit entre ces pays désormais « étrangers » que sont les vingt-six membres de l’Union européenne d’une part et le Royaume-Uni d’autre part (le Royaume restera-t-il longtemps uni, voilà une question que risquent de poser assez vite les Écossais !). Du côté britannique, on se congratule d’avoir sauvé l’accès au marché européen sans droits de douane, mais non pas sans formalités douanières et avec la contrainte de respecter les normes européennes pour éviter le dumping fiscal et social dont avait pu rêver Boris Johnson.

Bien sûr, le diable se cachant dans les détails, ces 1 246 pages contiennent certainement maintes ambiguïtés qui feront les délices des juristes et autres cabinets d’avocats des deux côtés de la Manche. De manière symbolique, la circulation sera plus difficile, il faudra des passeports et le temps des « jobs » outre-Manche est probablement révolu.

Ce « soft Brexit » va quand même coûter € 500 euros pour chaque Britannique, mais aussi une centaine d’euros pour chaque européen du continent. Il y a des moments où l’on a l’impression que l’histoire fait marche arrière. Nombre de Britanniques doivent ce soir se trouver un peu plus trahis par ceux qui les ont entraînés dans pareille impasse et qui osent aujourd’hui s’en faire gloire.

 

 

25 décembre

 

Noël ! En ces temps de Covid, ce fut la seule porte ouverte aux retrouvailles familiales certes limitées, mais assez souvent contournées. Noël s’est extrait peu à peu de sa « gangue » religieuse devenue pour la plupart des Français un aimable folklore. L’arbre de Noël est bien de tradition païenne et germanique et il a supplanté la crèche napolitaine ou provençale. On chantait encore quelques chants de Noël sur les chaînes de télévision et le service public a retransmis vers minuit la messe à Saint-Pierre de Rome.

Mais Noël est au fond devenu avant tout une fête de la famille, un des seuls moments de l’année où se retrouvent toutes les générations autour de cadeaux, d’une table, d’un moment d’affection. À Noël, trois et souvent quatre générations, des fratries, se croisent parfois pour la seule fois de l’année. La messe de minuit, la naissance de Jésus, la promesse faite à Marie, tout cela est oublié dans un brouillard de plus en plus profond, celui de l’ignorance religieuse. Mais l’essentiel n’est plus là : il est dans ce moment de fraternité, dans la chaleur des retrouvailles, dans le rire des enfants ouvrant les plus modestes des cadeaux ; et puis avec aussi une pensée pour tous ceux, seuls, isolés, pauvres de cœur pour lesquels Noël est un moment bien cruel.

Noël, un regard d’enfant…

 

 

24 décembre

 

On a donc pu célébrer Noël à Londres et à Bruxelles et un peu de raison l’a emporté sur tant de passion. Cet accord obtenu une veille de Noël correspond bien au désir de Boris Johnson de se forger une image churchillienne. Concrètement, le Royaume-Uni a lâché du lest sur le dossier le plus symbolique et épineux, celui de la pêche : les quotas européens dans les eaux britanniques ne seront réduits que de 25 % pour cinq ans et demi. Au-delà, si les quotas étaient encore réduits, l’Union pourrait réagir en augmentant les droits de douane de produits britanniques. Mais même réduits à 25 %, ces quotas en baisse seront difficiles à supporter pour les pêcheurs Français et Danois en particulier.

Les autres sujets « commerciaux » ont pu être réglés. Par contre, il reste les services et notamment les services financiers pour lesquels il reste maints sujets à éclaircir. Mais après être passés si près d’un « no deal », on ne fera pas d’un côté comme de l’autre la fine bouche. Les queues de camion à Douvres provoquées par la nouvelle vague du Covid ont certainement calmé les « brexiters » les plus excités.

Boris Johnson aura quand même ajouté sa touche personnelle en décidant de sortir le Royaume-Uni du programme Erasmus. Il est vrai que les jeunes britanniques étaient beaucoup moins attirés par le Continent que les étudiants européens qui bénéficiaient de tarifs préférentiels dans les universités d’outre-Manche. Mais cette décision est stupide tant c’est dans des « auberges espagnoles » que l’on pouvait espérer un jour noyer l’insularité britannique… Mais Boris Johnson, ancien d’Eton et d’Oxford ne pouvait l’admettre.

 

 

23 décembre

 

S’il est un marché qui termine l’année sur une note positive, c’est bien celui du cuivre, fidèle au surnom de « Dr Copper » que lui donnent les économistes en mal d’indicateurs avancés de la conjoncture. Au plus bas, en plein Covid chinois à la fin mars, le cuivre valait à peine plus de $ 4 000 la tonne. Le voilà qui frôle les $ 8 000 et certains analystes le voient en 2021 dépasser les $ 10 000 et son record de 2011.

Il y a là certes un peu de spéculation et l’impact de la baisse du dollar. Du côté de l’offre, il y a eu quelques fermetures de mines liées au Covid, mais surtout fort peu de nouveaux projets miniers susceptibles de répondre à la demande.

Car c’est la demande qui a provoqué cette flambée des prix. À court terme, c’est bien sûr la demande chinoise qui représentait déjà avant le Covid plus de la moitié de la consommation mondiale. Mais le cuivre va profiter encore plus à l’avenir de la volonté des autorités chinoises de verdir leur économie en augmentant la part des énergies renouvelables et en investissant dans les réseaux et autres « grids ». Le cuivre est en effet le métal électrique par excellence et de 2020 à 2030, la consommation mondiale passerait de 23 à 33 millions de tonnes. Certes, il faut tenir compte du recyclage, mais celui-ci sera insuffisant alors que l’offre minière se trouve de plus en plus limitée par des contraintes environnementales.

Voilà donc qui fait les affaires de Dr Copper !

 

 

 

22 décembre

 

Alors que l’heure est un peu partout à la vaccination, à commencer par celle de Joe Biden, l’administration Trump a enregistré un ultime succès avec l’accord au Congrès entre démocrates et républicains pour un nouveau plan de relance, de $ 900 milliards, qui vient s’ajouter en partie au premier plan de relance du printemps ($ 2 200 milliards). Une partie de ce plan est constitué, comme la première fois d’aides directes : $ 660 par adulte avec un plafond de revenus de $ 99 000 et $ 600 par enfant à charge. Ce cadeau pourrait être expédié dès la semaine prochaine d’après le secrétaire au Trésor. Voilà de quoi stimuler la consommation dans la plus pure tradition keynésienne, aux antipodes de la vulgate libérale américaine. Mais au fond, on se rapproche là de l’idée du revenu universel, défendue récemment par le pape François et qui trouve des défenseurs tant chez les libéraux comme Milton Friedman avec son idée d’impôt négatif qu’à gauche comme le montre Benoît Hamon qui vient d’en signer un plaidoyer.

Touchés de plein fouet par la pandémie, les États-Unis réagissent en tout cas, certes avec l’argent des autres puisque ces sommes vont venir s’ajouter à un déficit budgétaire qui ne cesse de se gonfler. Mais les États-Unis disposent avec le dollar d’une position privilégiée, celle au fond de l’emprunteur de dernier recours.

Et puis il faut quand même aussi saluer la réactivité du système économique et financier américain. C’est la conjonction de la dynamique entrepreneuriale, des laboratoires de recherche et des aides publiques qui, comme pour internet à la fin du XXe siècle, a permis la mise à disposition en temps record de vaccins de nouvelle génération. L’équivalent de la Silicon Valley se trouve pour les biotechnologies autour de Boston.

Si Donald Trump n’avait pas été aussi mauvais joueur, on aurait pu saluer ce qui aura été un incontestable succès de son administration que d’avoir permis la production de masse de ces vaccins, d’avoir aussi mis en œuvre un traitement social de la crise qui a peu d’exemples dans le monde. Malheureusement, il nous aura poussés à ne retenir de lui que la caricature.

 

 

21 décembre

 

Voilà donc l’hiver ! Est-ce pourtant une conséquence du réchauffement de la planète, mais les températures sont bien douces tout particulièrement au Pays basque, l’endroit de France où il fait le plus chaud. La neige s’en est allée et il faut aller beaucoup plus haut dans les Pyrénées pour en trouver. 2020 sera fort probablement l’année la plus chaude de l’histoire et l’homme y est certainement pour quelque chose. L’une des conséquences « positives » du Covid est qu’il a accéléré la prise de conscience des dangers que représentera au fil du siècle le changement climatique. Il y a un an encore, la petite Greta – une « femme de l’année » aujourd’hui bien oubliée – pouvait faire sourire. Mais pour beaucoup, santé et climat vont de pair et leurs dérèglements seraient ainsi les enfants d’une mondialisation mal maîtrisée : Œdipe est puni tout comme Prométhée et Sisyphe avant lui. Les dieux reprennent le dessus, cette Nature que célèbrent les intégristes de l’écologie, en héritiers du paganisme antique. À leurs yeux, le Covid a montré la faiblesse de l’homme prêt à toutes les transgressions, à toutes les manipulations. Un sondage récent montrait qu’en France, le parti politique inspirant le plus de confiance était celui des Verts. Au-delà du rejet d’une classe politique bien essoufflée et malgré le manque de crédibilité de la plupart des dirigeants verdâtres, le Covid aura eu là une certaine utilité.

 

 

20 décembre

 

Alors que les négociations « finales » sur le Brexit butent encore sur le difficile dossier de la pêche (les autres points de contentieux seraient plus ou moins réglés), voilà que le Royaume-Uni se trouve en quarantaine vis-à-vis du continent, mais cette fois-ci pour des raisons sanitaires. Le Covid a donc évolué (on nous pardonnera l’usage d’un masculin neutre dans une approche volontairement non « genrée »). Il s’en est développé une nouvelle variété outre-Manche, encore plus agile, semble-t-il. Et voilà le Royaume-Uni pris au piège d’une insularité qui l’a si souvent sauvé dans son histoire de Napoléon à Hitler. Toutes les liaisons et les transports, d’hommes et de marchandises se sont arrêtées et les Britanniques commencent déjà à prendre conscience de leur dépendance et de leur appartenance à l’Europe : pas de ski en Suisse ni de Noël dans le « cottage » de Dordogne, plus de légumes importés de Bretagne, ni de poissons ou de moutons vendus sur le continent ; des « traders » étrangers bloqués dans la City devant leurs écrans… C’est donc cela le Brexit poussé à l’extrême. Nombre d’Anglais doivent aujourd’hui mesurer les conséquences d’un vote en faveur du Brexit dont John Le Carré, l’admirable père du si britannique Smiley, estimait qu’il était une tragédie. Disparu il y a quelques jours, John La Carré n’aura pas vu cet ultime coup du sort qui permettra peut-être de contribuer à dénouer l’interminable bras de fer entre Londres et Bruxelles. En ce temps de l’année, on peut rêver.

 

 

19 décembre

 

L’année se termine par une véritable flambée des prix agricoles mondiaux. Le blé au-dessus de $ 6 le boisseau à Chicago, le maïs au-delà de $ 4 et le soja qui dépasse les $ 12, personne ne l’eut imaginé il y a seulement quelques semaines. Les marchés des grains avaient traversé les différentes vagues de la pandémie avec une certaine sérénité. Il est vrai que les récoltes mondiales furent à peu près partout excellentes, ce qui permit de rassurer les anxieux qui commençaient à faire, comme les ménages, des achats de précaution. Mais voilà, à partir de l’automne, on commence à parler de « La Niña », la petite sœur du « Niño », un phénomène climatique centré sur le Pacifique et l’océan Indien qui se traduit par de fortes perturbations tant des températures que des précipitations : la campagne 2021/2022 pourrait s’en trouver affectée. Et puis du côté de la demande, l’ogre chinois a continué à grossir au point de devenir le premier importateur mondial de grains : 100 millions de tonnes de soja, mais aussi jusqu’à 50 millions de tonnes de céréales. Enfin, il faut tenir compte des tensions liées à la hausse des prix chez certains producteurs comme le Brésil et la Russie. En Russie, le gouvernement a mis en place une taxe à l’exportation sur le blé et le soja à compter du 15 février. Une étincelle de plus…

 

18 décembre

 

Alassane Ouattara à Abidjan, Alpha Condé à Conakry… Tous deux ont prêté serment pour leur troisième mandat à la tête de leur pays en ayant consciencieusement tordu les bras sinon à la lettre au moins à l’esprit de leur constitution respective. L’un et l’autre ont d’excellentes raisons de se croire indispensables, éternelle tentation de tout homme approchant de la retraite. Et au fond, n’ont-ils pas quelques illustres modèles en Chine avec Xi Jinping ou en Russie avec Poutine, sans parler de l’Égypte d’Al Sissi et même parmi les pays avancés de Singapour et au fond même de l’Allemagne où il n’y a pas de limites pour les mandats de chancelier et où Angela Merkel règne depuis maintenant plus de quinze ans et continue à chercher son successeur (ce qui est officiellement la position de Ouattara).

 

Certes aussi, alors que les États-Unis viennent de se choisir un président de 78 ans, on ne peut critiquer Ouattara, lui aussi âgé de 78 ans et Alpha Conde (82 ans) est à peine leur aîné. Mais on pouvait attendre mieux tant d’un ancien vice-président de la Banque Mondiale (Ouattara) que d’un pilier de l’Internationale socialiste (Alpha Conde). L’Afrique en tout cas méritait mieux.

 

 

 

21 décembre

 

Voilà donc l’hiver ! Est-ce pourtant une conséquence du réchauffement de la planète, mais les températures sont bien douces tout particulièrement au Pays basque, l’endroit de France où il fait le plus chaud. La neige s’en est allée et il faut aller beaucoup plus haut dans les Pyrénées pour en trouver. 2020 sera fort probablement l’année la plus chaude de l’histoire et l’homme y est certainement pour quelque chose. L’une des conséquences « positives » du Covid est qu’il a accéléré la prise de conscience des dangers que représentera au fil du siècle le changement climatique. Il y a un an encore, la petite Greta – une « femme de l’année » aujourd’hui bien oubliée – pouvait faire sourire. Mais pour beaucoup, santé et climat vont de pair et leurs dérèglements seraient ainsi les enfants d’une mondialisation mal maîtrisée : Œdipe est puni tout comme Prométhée et Sisyphe avant lui. Les dieux reprennent le dessus, cette Nature que célèbrent les intégristes de l’écologie, en héritiers du paganisme antique. À leurs yeux, le Covid a montré la faiblesse de l’homme prêt à toutes les transgressions, à toutes les manipulations. Un sondage récent montrait qu’en France, le parti politique inspirant le plus de confiance était celui des Verts. Au-delà du rejet d’une classe politique bien essoufflée et malgré le manque de crédibilité de la plupart des dirigeants verdâtres, le Covid aura eu là une certaine utilité.

 

 

20 décembre

 

Alors que les négociations « finales » sur le Brexit butent encore sur le difficile dossier de la pêche (les autres points de contentieux seraient plus ou moins réglés), voilà que le Royaume-Uni se trouve en quarantaine vis-à-vis du continent, mais cette fois-ci pour des raisons sanitaires. Le Covid a donc évolué (on nous pardonnera l’usage d’un masculin neutre dans une approche volontairement non « genrée »). Il s’en est développé une nouvelle variété outre-Manche, encore plus agile, semble-t-il. Et voilà le Royaume-Uni pris au piège d’une insularité qui l’a si souvent sauvé dans son histoire de Napoléon à Hitler. Toutes les liaisons et les transports, d’hommes et de marchandises se sont arrêtées et les Britanniques commencent déjà à prendre conscience de leur dépendance et de leur appartenance à l’Europe : pas de ski en Suisse ni de Noël dans le « cottage » de Dordogne, plus de légumes importés de Bretagne, ni de poissons ou de moutons vendus sur le continent ; des « traders » étrangers bloqués dans la City devant leurs écrans… C’est donc cela le Brexit poussé à l’extrême. Nombre d’Anglais doivent aujourd’hui mesurer les conséquences d’un vote en faveur du Brexit dont John Le Carré, l’admirable père du si britannique Smiley, estimait qu’il était une tragédie. Disparu il y a quelques jours, John La Carré n’aura pas vu cet ultime coup du sort qui permettra peut-être de contribuer à dénouer l’interminable bras de fer entre Londres et Bruxelles. En ce temps de l’année, on peut rêver.

 

 

19 décembre

 

L’année se termine par une véritable flambée des prix agricoles mondiaux. Le blé au-dessus de $ 6 le boisseau à Chicago, le maïs au-delà de $ 4 et le soja qui dépasse les $ 12, personne ne l’eut imaginé il y a seulement quelques semaines. Les marchés des grains avaient traversé les différentes vagues de la pandémie avec une certaine sérénité. Il est vrai que les récoltes mondiales furent à peu près partout excellentes, ce qui permit de rassurer les anxieux qui commençaient à faire, comme les ménages, des achats de précaution. Mais voilà, à partir de l’automne, on commence à parler de « La Niña », la petite sœur du « Niño », un phénomène climatique centré sur le Pacifique et l’océan Indien qui se traduit par de fortes perturbations tant des températures que des précipitations : la campagne 2021/2022 pourrait s’en trouver affectée. Et puis du côté de la demande, l’ogre chinois a continué à grossir au point de devenir le premier importateur mondial de grains : 100 millions de tonnes de soja, mais aussi jusqu’à 50 millions de tonnes de céréales. Enfin, il faut tenir compte des tensions liées à la hausse des prix chez certains producteurs comme le Brésil et la Russie. En Russie, le gouvernement a mis en place une taxe à l’exportation sur le blé et le soja à compter du 15 février. Une étincelle de plus…

 

 

18 décembre

 

Alassane Ouattara à Abidjan, Alpha Condé à Conakry… Tous deux ont prêté serment pour leur troisième mandat à la tête de leur pays en ayant consciencieusement tordu les bras sinon à la lettre au moins à l’esprit de leur constitution respective. L’un et l’autre ont d’excellentes raisons de se croire indispensables, éternelle tentation de tout homme approchant de la retraite. Et au fond, n’ont-ils pas quelques illustres modèles en Chine avec Xi Jinping ou en Russie avec Poutine, sans parler de l’Égypte d’Al Sissi et même parmi les pays avancés de Singapour et au fond même de l’Allemagne où il n’y a pas de limites pour les mandats de chancelier et où Angela Merkel règne depuis maintenant plus de quinze ans et continue à chercher son successeur (ce qui est officiellement la position de Ouattara).

 

Certes aussi, alors que les États-Unis viennent de se choisir un président de 78 ans, on ne peut critiquer Ouattara, lui aussi âgé de 78 ans et Alpha Conde (82 ans) est à peine leur aîné. Mais on pouvait attendre mieux tant d’un ancien vice-président de la Banque Mondiale (Ouattara) que d’un pilier de l’Internationale socialiste (Alpha Conde). L’Afrique en tout cas méritait mieux.

 

 

14 décembre

 

Alors que la vaccination contre le Covid a commencé au Royaume-Uni, permettant ainsi à Boris Johnson de distraire ses ouailles des angoisses du Brexit, la fièvre du vaccin gagne le monde entier avec les plus rapides, déjà en phase 3, et aux portes du Graal de l’autorisation des autorités scientifiques aux États-Unis et en Europe. À vrai dire deux pays au moins sont passés à la vaccination de masse en brûlant les étapes habituelles : la Russie et la Chine partagent la même conception totalitaire de la science : en Russie, le Spoutnik V aurait déjà été injecté à 150 000 personnes. Quant aux vaccins chinois, ils commencent à être exportés et un pays comme le Maroc a commencé à en utiliser. Aux États-Unis, la FDA a donné son feu vert le 12 décembre au vaccin Pfizer/BioNTech et les autorités espérant qu’à la fin mars 100 millions d’Américains auront été vaccinés. La tension est telle que ce sont les agents du FBI qui ont eu la charge du transfert des données des tests des laboratoires vers la FDA.

Tout ceci laisse la France… de marbre. Certes, il n’y aura pas de vaccin français et l’échec industriel de Sanofi et de Pasteur est patent. Mais surtout, la vaccinophobie des Français s’est encore accentuée y compris au sein du corps médical. La France, sur ce dossier, fait preuve d’une indéniable exception culturelle et le pourcentage des Français disposés à se faire vacciner a même plutôt tendance à diminuer. Attendons, observons et pour l’instant « Messieurs les Anglais, vaccinez les premiers ».

 

 

13 décembre

 

Oublions donc Trump ! Il reste quand même Boris Johnson pour apporter un peu d’imprévu au monde si feutré de la diplomatie internationale et avec le Brexit, il est proche du chef-d’œuvre. Le voilà qui mobilise la Royal Navy pour protéger les eaux britanniques non pas des galions espagnols de l’Invincible Armada, mais de bien innocents pêcheurs européens. Il y a chez lui du Churchill dont il a écrit une biographie ou du Thatcher, celle de la guerre des Falklands.

Les négociations devaient se terminer aujourd’hui, mais on va encore jouer les prolongations pour quelques jours, voire jusqu’à ce qui est la vraie date incontournable le 31 décembre.

Comme son ami Trump, Johnson est un remarquable joueur de poker. Certes, il n’a pas de cartes maîtresses dans son jeu et objectivement, le Royaume-Uni serait le grand perdant d’un « no deal ». Mais il a la chance d’avoir en face de lui une Europe, certes unie, mais dont l’Allemagne, qui préside l’Union ce semestre et avec Ursula von der Leyen à la présidence de la Commission, reste le ventre mou, désireuse d’obtenir un accord à tout prix quitte à ce qu’il soit un « Munich à l’envers ». Alors, Boris fait monter les enchères, parle ouvertement d’un « no deal » en sifflotant tout en mobilisant sa flotte.

« Même pas mal », disent les enfants qui se bagarrent dans les cours de récréation. La réalité est que le Royaume-Uni à tout perdre d’autant plus que Johnson n’a pas grand-chose à attendre de Biden, l’ami américain, qui est… Irlandais !

 

 

12 décembre

 

Voilà donc un lustre (cinq ans) que Laurent Fabius scellait d’un coup de marteau solennel l’accord de Paris sur le climat. Que n’a-t-on dit alors, que n’a-t-on rêvé. Enfin, le monde avait pris conscience de l’urgence climatique et tous les pays allaient collaborer pour limiter le réchauffement de la planète à 2 °C. Bien sûr, il ne fallait pas trop regarder dans les détails et ce d’autant plus que cet accord fut à l’époque vécu comme une victoire de la diplomatie française. Car l’accord en réalité ne comportait que des engagements volontaires et aucune mesure coercitive. Le mécanisme pourtant essentiel du prix du carbone n’était qu’évoqué à charge pour les COP suivantes de le préciser. Malheureusement, ce ne fut pas le cas et de COP en COP on accumula les déceptions au point de ne guère faire regretter l’annulation de la COP26 qui aurait dû se conclure aujourd’hui à Birmingham.

Bien sûr, il est de bon ton de faire porter aux États-Unis la responsabilité de cet immobilisme. Mais Donald Trump est l’arbre qui cache la forêt des divergences y compris au sein de l’Europe. Et puis la crise est passée par là et le Covid a éclipsé le climat. Pourtant, sur la question climatique, le Covid a joué un rôle d’accélérateur. D’un point de vue conjoncturel, la crise a provoqué une baisse des émissions de CO2 de 7 % en moyenne (20 % au plus fort d’avril). Mais surtout, assimilée à une pandémie de la mondialisation, elle a accentué la prise de conscience des gouvernants de la nécessité d’agir : résultat, des États unis à l’Europe et au Japon sans oublier la Chine, tous les plans de relance sont « verts » avec d’ambitieux objectifs de transparence carbone. C’est la modeste contribution du Covid à la cause un peu oubliée du climat.

 

 

11 décembre

 

Le 8 juillet 1890, le Sherman Act était promulgué aux États-Unis. Cet ancêtre et pionnier de toutes les législations antitrust et monopoles de la planète visait à l’origine, pour de basses raisons politiques, le cartel des allumettes ! Mais sa principale « victime » fut la célèbre Standard Oil qui dominait le marché pétrolier de l’époque : en 1911, elle fut démantelée au grand dam de son fondateur, J.D. Rockfeller, qui personnifiait alors l’image du capitalisme sans scrupules.

Héritière du Sherman Act, la Federal Trade Commission américaine, s’appuyant sur les plaintes de 48 états, républicains comme démocrates, s’attaque aujourd’hui à l’équivalent contemporain de Rockfeller, à mark Zuckerberg et à la situation monopolistique que Facebook a bâtie au fil des années avec des achats comme Instagram (2012) et Whatsapp (2014). La FIC a d’ailleurs déposé un dossier comparable contre Google à la mi-octobre.

De la même manière que la deuxième révolution industrielle avait favorisé une extraordinaire concentration des entreprises, les nouvelles technologies ont permis l’émergence de nouveaux monopoles en particulier autour des GAFAM. Et il est vrai que Facebook est tout aussi symbolique que la Standard Oil, que Zuckerberg rime avec Rockefeller (aussi peu sympathiques et charismatiques l’un que l’autre). Point d’illusion : l’affaire prendra des années et Facebook n’est que l’arbre qui cache la forêt des monopoles numériques.

Mais au moins, ceci nous permet-il de prendre conscience du danger que représentent toutes ces « gentilles » applications.

 

 

10 décembre

 

La Chine vient d’annoncer un excédent commercial record au mois de novembre : $ 75 milliards avec des exportations en hausse de 21 % par rapport à novembre 2019. Au-delà d’un effet de rattrapage post-Covid, c’est bien la confirmation que la Chine a tourné la page de la pandémie et laisse sur place le reste du monde.

Cette fin d’année 2020 ressemble au fond à une étape de montagne du tour de France. Au bas du col, le coureur chinois avait été victime d’une crevaison, mais après quelques réparations et confinements, il avait rattrapé le peloton, ralenti lui aussi par de multiples incidents. Rapidement, il s’était détaché, n’hésitant pas à pédaler en danseuse et le voilà donc arrivant au sommet, basculant dans la descente, et creusant un peu plus l’écart avec ses poursuivants, tirant quand même dans son sillage quelques autres coureurs asiatiques. Plus loin, à trois ou quatre lacets du sommet (et un écart de 6 % de croissance du PIB avec le Chinois), on trouve un premier peloton de coureurs solides, fortement dopés comme le Japonais qui en est à 17 % de son PIB en plans de relance. Outre le Japon, il y a l’équipe américaine qui vient de perdre son leader et qui attend un peu de dopage supplémentaire, les Allemands et quelques autres. Et puis beaucoup plus loin, souffrant encore du vent de face du Covid, c’est le « gruppeto », les attardés qui auront au sommet entre 10 et 15 % de croissance du PIB de retard sur le Chinois : il y a là beaucoup d’Européens (France, Italie, Espagne, Royaume-Uni, les grandes nations pourtant du cyclisme mondial…), mais aussi l’Inde, l’Afrique du Sud, le Brésil… Pour eux chaque coup de pédale supplémentaire se traduit encore en déficits, en chômage, en faillites. Ils n’atteindront le sommet du col qu’en 2021 au mieux, lorsque commencera le vrai Tour de France.

L’image est là peut-être cruelle, mais elle représente bien une réalité, celle d’une Chine qui creuse l’écart sur le reste du monde et en particulier sur l’Europe. La vraie question est maintenant de savoir si notre coureur chinois va se contenter de lauriers économiques, s’il ne va pas vouloir aussi une victoire politique dans sa zone d’influence tout d’abord comme cela vient d’être le cas à Hong Kong, et comme la Chine en menace aujourd’hui l’Australie, et puis au-delà en Afrique et en Amérique latine. On parlait autrefois, il y a bien longtemps du « péril jaune ». Mais aujourd’hui, c’est la Chine qui porte le maillot jaune !

 

 

9 décembre

 

Scènes d’émeutes en Nouvelle-Calédonie et en particulier à Nouméa. Cette fois-ci, les indépendantistes menés par le FLNKS s’attaquent au dossier du nickel à l’occasion de la vente par le mineur brésilien Vale de son usine de Goro dans la province Sud. Vale avait hérité du projet de Goro lorsqu’il avait pris le contrôle du numéro un mondial du nickel, le canadien Inco. Dans les conditions sociales et politiques difficiles de la Nouvelle-Calédonie et à la suite de graves problèmes techniques, Goro n’a jamais été rentable et finalement Vale a décidé de jeter l’éponge en cherchant un repreneur.

En Nouvelle-Calédonie, le nickel est avant tout une affaire politique : Goro est dans la province Sud à majorité loyaliste. Dans la province Nord, Koniambo est contrôlé par les autorités locales de tendance indépendantistes (en partenariat avec le sulfureux mineur et trader suisse Glencore). Celles-ci ont cherché à monter un dossier de reprise en s’appuyant sur un industriel coréen qui, au vu de la situation, a préféré se retirer. Vale a finalement porté son choix sur l’offre proposée par la direction actuelle avec des capitaux locaux et la participation de l’un des plus importants négociants en matières premières au monde, Trafigura. Furieux de voir cette proie leur échapper, les indépendantistes ont donc réagi violemment en cherchant à torpiller ce qui est pourtant un scénario de la dernière chance. Voilà en tout cas un épisode supplémentaire de la malédiction des matières premières appliquée au nickel en Nouvelle-Calédonie.

 

 

8 décembre

 

C’est avec un brin de nostalgie que toute une génération a appris que Bob Dylan dont la musique et les chansons ont baigné notre jeunesse contestataire a cédé aux sirènes sonnantes et trébuchantes de la marchandisation musicale. Non, ce ne peut être vrai, lui auquel l’Académie suédoise avait décerné le Prix Nobel de la littérature, certes contestable, mais qui avait eu le mérite de donner une place à la poésie musicale, lui qui avait tant marqué nos rêves d’un « monde d’après » durant la crise des années soixante-dix, lui que l’on imaginait « on the road again » la guitare en bandoulière, non… pas lui !

Et pourtant, il vient bien de vendre son catalogue, l’intégralité de son œuvre à Universal Music (filiale de Vivendi…) pour, dit-on quelques $ 300 millions. Certes, il a le droit d’assurer ainsi ses vieux jours et l’heure n’est plus aux grandes tournées. Mais réduire ainsi Bob Dylan à une affaire de gros sous ! Johnny Hallyday passe encore, mais Bob Dylan c’était quand même autre chose, un morceau du patrimoine immatériel sinon de l’humanité au moins de notre jeunesse. Tout cela est emporté par le vent du marché (blowed in the wind) puisque les temps ont changé (The Times They are a-changin).

Mais au fond, comme le chantait Brassens, « Les bourgeois plus ça devient vieux, plus ça devient c… ». Bob Dylan ? Un bourgeois…

 

 

7 décembre

 

Au moment même où l’Europe se voit bloquée et paralysée sur la question de l’état de droit en Pologne et en Hongrie, voilà que l’on reçoit en fanfare à Paris Abdel Fatah El Sisi qui règne d’une main de fer sur l’Égypte et auquel la France est heureuse de vendre avions et armes. Bien sûr, l’Égypte ne correspond guère à notre idéal démocratique et Emmanuel Macron, comme bien de ses prédécesseurs, va être obligé de faire le grand écart entre réalités géopolitiques et économiques et droits de l’homme. L’Égypte est un pion essentiel dans les fragiles équilibres méditerranéens et africains. Elle est une alliée aussi face à la Turquie d’un autre grand démocrate, RT Erdogan. À tout prendre cependant en termes de libertés politiques, la Turquie dame le pion à l’Égypte et Erdogan a même subi quelques défaites électorales, à la mairie d’Istanbul notamment, inimaginables pour un Al Sisi réélu avec un score de « maréchal » (97 %) et qui peut rester au pouvoir au moins jusqu’en 2030. Ce n’est que dans son rapport à l’islam que Al Sisi apparaît plus fréquentable pour les Occidentaux qu’Erdogan.

À vrai dire, la France n’est pas la seule à se livrer à pareilles contorsions. La BERD, la banque européenne fondée à l’origine pour financer le passage à la démocratie des économies en transition a aujourd’hui comme premiers « clients » justement la Turquie et l’Égypte… et même le Belarus. Mais au moment où le « moralement correct » devient la norme, convenons qu’il y a là bien de l’hypocrisie !

 

 

6 décembre

 

Apparemment, le « Black Friday » qui aura en réalité duré le samedi, voire le dimanche, a été une réussite : on parle de 5 milliards d’euros d’achats en « physique », ce qui pourrait dépasser même les chiffres de 2019. Frustrés de « courses », les Français sont donc sortis pour faire leurs achats de Noël. Bien sûr, l’affluence dans les rues et les magasins pouvait inquiéter et cela d’autant plus que semble-t-il, le reflux du Covid se serait interrompu.

 

De plus en plus en tout cas, la dimension psychologique de la pandémie prend le pas sur son versant sanitaire. L’homme est un animal social qui aime à vivre en groupes, à toucher ses congénères, à partager des festins quotidiens. Noël est pour lui un rendez-vous incontournable. Ce n’est plus guère une fête chrétienne ; la crèche est devenue une option, car c’est l’arbre qui devient le totem central du foyer. En Alsace et plus largement dans le monde germanique, on fêtait ces jours-ci la Saint-Nicolas, une occasion pour faire des cadeaux aux enfants (autrefois des oranges suffisaient…). Noël a balayé tout cela et les paquets s’accumulent au pied du sapin : on les ouvrira le soir du réveillon ou le lendemain matin si le père Noël n’est pas resté coincé dans la cheminée. Ce sont tous ces cadeaux que l’on a commencé à acheter en ce Black Friday. Difficile maintenant d’imaginer que l’on prive les Français de « leur » Noël.

 

29 novembre

 

Premier dimanche de l’Avent, la période qui chez les chrétiens précède Noël. La notion d’Avent n’a plus guère de sens dans une France largement déchristianisée si ce n’est par une création récente, les « calendriers de l’Avent » déclinés sous toutes les formes, du chocolat à la bière.

Mais, par une disposition dont l’absurdité bureaucratique saute aux yeux, les cultes étaient interdits au-delà de trente personnes et cela, quelle que soit la taille de l’édifice, de la cathédrale à la plus modeste chapelle. L’interdiction a d’ailleurs été invalidée dans la journée par le Conseil d’État qui a donné trois jours au gouvernement pour revoir sa copie.

Mais au-delà et quelle que soit la décision finale, comment ne pas être frappé par pareil mépris pour le fait religieux et cela quelle que soit la religion concernée. La Laïcité à la française telle que la pratique le gouvernement du moment attache plus d’importance à l’ouverture des commerces qu’à celle des lieux de culte. Et si dans les premiers on peut acheter des calendriers de l’Avent, dans les seconds, ceux des églises chrétiennes, on peut se préparer à cette montée vers Noël qui ne se limite pas à un simple sapin, un arbre « mort » comme le dirait certain !

 

 

28 novembre

 

Scènes d’émeutes à Paris qui ramènent quelques mois en arrière au temps de la grande époque des samedis des « gilets jaunes ». Décidément, ce confinement ne se termine pas en France dans la sérénité, mais dans le désordre de la polémique.

À l’origine, il y a ce que l’on peut qualifier quand même un peu de provocation : l’installation « spontanée » d’un camp de migrants sur la place de la République. En fait, quelques centaines de ces malheureux ont été manipulées par des ONG militantes et par des politiques, bientôt rejoints par tout ce que la France compte de bien-pensance bobo. La réaction policière intervenait en pleine discussion d’un projet de loi maladroit même s’il pose de vraies questions en un temps où la circulation des images sans contrôle aucun peut être considérée comme une atteinte aux libertés individuelles. La suite est d’ordre judiciaire, mais la mécanique était lancée permettant de lever le couvercle de toutes les frustrations politiques et sociales accumulées en silence durant cette année. Et comme d’habitude, la fin de la manifestation a tourné à l’émeute, à ce traditionnel pugilat entre police et « black bloc »… Il n’est pas question ici de porter un jugement d’un côté ou de l’autre si ce n’est quand même sur la responsabilité de ceux à l’origine de la première étincelle qui savaient parfaitement ce que serait la suite à l’heure justement où l’un des leurs annonçait sa candidature présidentielle.

 

 

27 novembre

 

S’il est un continent relativement épargné par la pandémie, c’est bien l’Afrique et surtout l’Afrique subsaharienne qui pèse bien peu dans les sinistres bilans mondiaux. Les raisons avancées sont la jeunesse de la population, le climat, l’habitude aussi de gérer des pandémies comme Ebola ou le sida. Mais quel contraste entre situation sanitaire et économique. Les principaux moteurs de l’Afrique sont à l’arrêt : l’Afrique du Sud devrait afficher en 2020 une croissance négative de 9,5 % ; le Nigeria est officiellement en récession ; la Zambie vient de faire défaut sur sa dette ; enfin l’Éthiopie, qui était jusque-là une vitrine du développement africain, vient de s’engager dans une guerre civile dont on ne voit guère l’issue.

Il faut certes tenir compte de la baisse du prix du pétrole (Nigeria, Angola…), mais le drame africain est avant tout celui de la malgouvernance, de ces dirigeants qui s’accrochent au pouvoir tout en entraînant leurs pays dans l’abîme. Le problème de l’Afrique est malheureusement avant tout celui des Africains et surtout d’élites africaines qui trop souvent ont confondu démocratie et kleptocratie. Certes, le néo-colonialisme européen n’a pas arrangé les choses, mais « le sanglot de l’homme blanc » ne peut tout expliquer.

 

 

26 novembre

 

Alors que la deuxième vague du Covid semble lentement refluer et que par petites touches la France commence à déconfiner, le bilan économique et surtout social de cette année à nulle autre pareille s’alourdit chaque jour un peu plus. Comme on pouvait s’y attendre, c’est le secteur de la distribution de vêtements et de chaussures qui est touché de plein fouet : après des enseignes comme La Halle, Camaïeu, Celio, NafNaf, GoSport, cela vient d’être le tour de Kidiliz, l’ancien groupe Zannier spécialisé dans la mode enfantine dont la liquidation vient d’être décidée. Quelques marques survivent, des magasins seront repris, mais le désastre social n’en sera pas moins immense. Certes, au même moment, les spécialistes de l’e-commerce développent leurs entrepôts : le monde change, il faut s’adapter dit-on, c’est cela la « destruction créatrice » prophétisée par Joseph Schumpeter… Facile à dire, mais bien difficile à accepter d’autant que les emplois créés le sont au plus bas de l’échelle.

Au même moment, la pression monte aussi sur de grandes entreprises qui, obsédées souvent par leur valeur boursière (garante quand même de leur indépendance), sont amenées à se restructurer et à se séparer de leurs activités et de leurs sites les moins rentables. C’est Bosch à Rodez ou Bridgestone à Amiens et puis au niveau global, ce sont les annonces d’IBM et surtout Danone. Le cas de Danone est le plus exemplaire tant la brutalité de l’annonce contraste avec l’image que l’entreprise et ses dirigeants ont entretenue au fil des années. Au-delà des discours, là aussi la destruction créatrice est à l’œuvre cette fois dans les fonctions de support et d’encadrement remises en cause par l’explosion du télétravail.

Le Covid aura donc joué un rôle d’accélérateur des mutations dans les entreprises. Il risque cependant de creuser un peu plus les inégalités, d’accentuer ce qui pourrait à terme redevenir des relations de maîtres à esclaves. Nous sommes là bien loin de ce Bien Commun dont on a tant rêvé au temps du premier confinement. Certes, l’État peut y contribuer, mais l’entreprise doit aussi en être le lieu privilégié. Sous la pression de la crise, bien des dirigeants l’ont aujourd’hui oublié. Pourtant, le Bien commun n’est-ce pas avant tout « le vivre ensemble » ? On pourrait d’ailleurs proposer de méditer à ce sujet une phrase du pape François dans Fratelli Tutti : « notre existence est liée à celle des autres, la vie n’est pas un temps qui s’écoule, mais un temps de rencontre ». C’est aussi vrai dans l’entreprise.

 

 

25 novembre

 

Joe Biden est en train de constituer son cabinet. Du fait de la forte probabilité que les républicains conservent leur majorité au Sénat, il doit s’entourer de personnalités suffisamment consensuelles pour passer l’écueil de la confirmation. Cela élimine donc l’essentiel de la gauche démocrate et une bonne partie de la génération « post-Obama ». Les premiers choix annoncés rassurent et font aussi la part belle aux… septuagénaires. Joe Biden a 78 ans. Il a désigné comme représentant sur le climat John Kerry et comme secrétaire au Trésor Janet Yellen, l’ancienne présidente de la Fed, qui a 74 ans. Anthony Blinken, le futur secrétaire d’État, fait figure de jeunesse avec ses 58 ans. Ils auront d’ailleurs en face d’eux, leur principal adversaire, le chef de la majorité républicaine au Sénat, Mitch Mc Connell qui a 78 ans, tandis que son homologue démocrate qui préside la Chambre des Représentants, Nancy Pelosi, a 80 ans ! Longtemps, les États-Unis ont eu la capacité de faire émerger des « jeunes » comme Clinton, Obama ou même Bush Jr. En Europe, au contraire, on se reposait sur des politiques blanchis sous le harnais et les jeunes générations rongeaient leurs freins. Dans une certaine mesure les positions se sont en quelque sorte inversées : un vent de jeunesse a soufflé sur la politique européenne alors qu’aux États-Unis démocrates comme républicains vieillissent sous les ors de la Maison-Blanche et du Capitole.

 

 

24 novembre

 

 

Voilà donc l’Europe encore bloquée ! Alors que l’on avait célébré le moment « hamiltonien » de l’adoption d’un plan de relance européen ambitieux qui semblait ouvrir de nouvelles perspectives à la construction européenne, voilà que quelques « ouvriers de la dernière heure » viennent en perturber la réalisation. La Pologne, la Hongrie et même la Slovénie continuent de bloquer tant le plan de relance que le cadre financier pluriannuel, c’est-à-dire le budget septennal de l’Union. La Pologne et la Hongrie refusent en réalité toutes les critiques qui leur sont adressées en matière d’État de droit, d’indépendance de la justice, des médias et des organisations non gouvernementales. Paradoxalement moins affectés par la pandémie (le PIB polonais ne devrait reculer que de 3,6 % en 2020, ce qui est la « meilleure » performance de la zone euro), ces deux pays peuvent prolonger quelque temps leur stratégie de la « chaise vide ». Bien sûr, cela fragilise l’Europe et retarde d’autant les transferts dont ont besoin les pays les plus touchés. Mais cela illustre aussi quelques-unes des faiblesses presque congénitales de l’édifice européen : la règle de l’unanimité au Conseil qui contraste avec le fonctionnement du Parlement qui fait la part belle aux minorités actives. Ce sont là des incohérences qu’il faudra quand même un jour parvenir à éliminer.

 

 

23 novembre

 

La crise du Covid aura eu au moins un mérite : celui de faire oublier la Convention Citoyenne installée en grande pompe comme réponse à la colère populaire des « gilets jaunes » (un peu oubliés eux aussi…). Il y avait dans cette idée toute la démagogie dont peuvent être capables des technocrates souhaitant passer outre à toutes les formes de représentation offertes par la démocratie dans un pays comme la France pour aller vers des Français « vrais » et écouter leur respiration. Alors donc, tirage au sort de cent cinquante « citoyens », une grande classe de primaire pour lesquels on ne va par contre pas laisser le choix des enseignants au hasard. Ce n’est pas faire polémique que de constater le manque absolu d’objectivité des intervenants qui se sont succédés et qui souvent étaient plus proches des plateaux des chaînes d’information en continu que de l’exigence scientifique que l’on aurait attendu d’un tel aréopage. En réalité, on retrouvait-là le biais rencontré déjà dans les débats organisés dans le cadre d’enquêtes publiques et qui très souvent se trouvent noyautés par les militants aux discours les plus simplistes et les plus démagogues.

La Convention Citoyenne a donc accouché de propositions parfois de bon sens, mais la plupart du temps donnant l’impression d’un manichéisme primaire. Les plus militants de ces citoyens, cornaqués par leurs anciens instituteurs, cherchent assez logiquement à pérenniser leur moment de gloire. Heureusement, le passage au Parlement, par un véritable processus démocratique, devrait les faire retomber dans l’oubli.

 

 

22 novembre

 

Une chose n’avait pas manqué de frapper les observateurs de la société française durant le premier confinement : c’était un immense sursaut d’optimisme, un élan de solidarité comme on n’en aurait pas cru capable une France engoncée dans ses égoïsmes. On rêvait du « monde d’après », un monde marqué au coin du Bien Commun, un bien commun représenté par l’existence de l’autre, par le vivre ensemble. Tous les soirs, on applaudissait les soignants, mais à tous les niveaux fleurissaient des initiatives solidaires, des repas aux SDF, aux courses pour les voisins.

Est-il cruel de dire que tout ceci a disparu durant ce deuxième confinement ? Certes, la saison est autre, les jours plus courts et plus frais. Chacun se replie sur son cocon et tant pis si les autres n’en ont pas. Ce qui règne aujourd’hui, c’est le manque de confiance, c’est l’usure et la fatigue. Alors, comme à la triste habitude en France, on se retourne contre l’État : enseignants, cheminots et quelques autres retrouvent le chemin de la grève. L’incivilité face au confinement redevient presque la règle. La solidarité du printemps est oubliée, chacun revendique les uns pour leurs cafés ou leurs commerces, les autres pour leur messe. Pour ces derniers, plutôt que de manifester peut-être auraient-ils pu méditer l’Évangile de ce dimanche : « J’avais faim et vous m’avez donné à manger… j’étais un étranger et vous m’avez accueilli… j’étais malade et vous m’avez visité… » (Mt 25).

Il est bien temps que finisse ce deuxième confinement si les statistiques le permettent, mais cette fois-ci il n’y aura pas eu de miracle des âmes.

 

 

21 novembre

 

Voilà le G20 en vidéoconférence ! Cette année, cela a au moins un avantage : les chefs d’État occidentaux n’auront pas à faire le déplacement en Arabie saoudite et à donner en quelque sorte un quitus à MBS. Certes, l’affaire Khashoggi est bien oubliée, mais en termes de défense des droits de l’homme et d’image la visite à Ryad eût été difficile à justifier pour Macron, Trudeau ou même Merkel. Autant rester devant son écran.

Et encore ! Après ses débuts en fanfare en 2008, le G20 s’est endormi à l’image de son grand frère le G7. En 2020, en pleine crise sanitaire, on aurait pu penser que le G20 aurait joué un rôle central d’harmonisation des politiques publiques et des plans de relance. Il n’en a rien été et au contraire, une fois le premier choc passé, conflits et affrontements ont repris de plus belle. Certes, l’Arabie saoudite, qui préside le G20 cette année, n’était pas la mieux placée, mais il n’est même pas sûr qu’un autre pays, moins sulfureux et plus consensuel, aurait fait mieux. En vérité, il n’y a plus aucun pilote à la barre du navire de la planète et ce n’est pas là la faute du seul Donald Trump. Le retrait américain est une réalité depuis Obama en réaction aux aventures catastrophiques de l’ère Bush. La Chine sort peu à peu de son isolement, cherche à occuper le terrain du multilatéral, mais continue à pratiquer un impérialisme du siècle dernier. Quant à l’Europe, elle n’existe guère et se déchire. Les autres participants à ce G20 pansent tant bien que mal leurs plaies. Rien à attendre donc d’écrans bien vides.

 

 

20 novembre

 

S’il est une grande fête aux États-Unis, c’est bien « Thanksgiving », la célébration de l’arrivée des premiers migrants protestants issus d’églises puritaines dans le Massachusetts en 1620. Ces trente-cinq « pilgrim fathers » prirent l’habitude de remercier Dieu à la fin de l’automne, après la récolte du maïs. Le texte qu’ils rédigèrent inspira plus tard la Constitution des États-Unis et il est toujours lu dans les écoles. Thanksgiving est devenu une fête nationale depuis la fin du XIXe siècle, célébrée en général le dernier jeudi de novembre. Ce jour-là, les Américains se retrouvent en famille pour consommer une dinde et c’est l’occasion aussi d’un long week-end, un mois avant Noël. Le lendemain, le vendredi, les Américains font leurs premières courses et depuis les années trente, ce jour-là est marqué par des promotions commerciales. C’est le « Black Friday ». Depuis une petite décennie, grâce à Internet, au commerce en ligne et à Amazon, le Black Friday s’est mondialisé. En France, il vient en plein confinement de faire polémique. Pouvait-on l’interdire ? Fallait-il en le limitant augmenter un peu plus les distorsions de concurrence dont souffre le petit commerce ?

Finalement, le Black Friday est repoussé d’une semaine. Tant pis pour Thanksgiving, et puis au fond, ne pourrait-on pas faire de même pour Noël et réveillonner à Pâques !

 

 

19 novembre

 

Alors que Donald Trump continue à jouer au golf, à tweeter, et, dans une ambiance de fin de règne à congédier les membres de son cabinet qui osent parler de défaite, Joe Biden commence à préparer son administration, au moins ses conseillers à la Maison-Blanche, puisqu’en ce qui concerne les ministres (secrétaires) et nombres de hauts fonctionnaires, il faudra passer l’obstacle de leur confirmation au Sénat. Sur ce point, la prochaine échéance est le 5 janvier avec les « sénatoriales partielles » en Géorgie dont les deux sièges peuvent faire basculer le Sénat d’un côté ou de l’autre.

Il paraît en tout cas évident que la priorité de la nouvelle administration sera avant tout domestique : lutter entre la pandémie et relancer un peu plus l’économie. Par leur vote, les Américains ont bien confirmé qu’ils ne voulaient pas changer de système de société : la gauche du parti démocrate a peu de chances d’être entendue et Joe Biden, même sans la contrainte d’un Sénat républicain est avant tout un centriste. Ses premiers décrets exécutifs porteront probablement sur les « dreamers », les enfants d’immigrés nés et élevés aux États-Unis, mais ne bénéficiant pas de titres de séjour, et puis symboliquement à l’international les États-Unis réintégrant l’OMS et l’accord de Paris sur le climat. Au-delà, Biden et son slogan « Buy American » préparent des lendemains tout aussi protectionnistes que Trump et la poursuite de la guerre froide avec la Chine.

 

 

15 novembre

 

En ce dimanche, la liturgie catholique offre l’un des textes des Évangiles les plus complexes à analyser et à interpréter. C’est la célèbre « parabole des talents » que l’on peut retourner dans tous les sens tant elle offre de pistes de réflexion, y compris sur le plan économique. C’est d’ailleurs la réflexion du Maître sur le prêt à intérêt qui permit à Calvin et aux protestants de rompre avec la tradition biblique et aristotélicienne d’interdiction de cette activité financière. L’histoire de ces talents (une unité monétaire, mais bien sûr en français, le terme peut prendre une autre signification) donnée par un maître à ses serviteurs est bien connue. Deux d’entre eux les font fructifier : ils créent des entreprises et doublent leur capital. Le troisième a peur ; il ne fait rien et enterre son lingot. À la fin de l’histoire, on est passé de huit à quinze talents : il y a eu création de richesses, mais les inégalités ont augmenté et le dernier serviteur a tout perdu. On aurait pu aussi imaginer un quatrième serviteur, qui aurait entrepris, mais échoué et se serait lui aussi retrouvé ruiné. Bien entendu, ne faire qu’une lecture économique de ce texte n’a aucun sens, mais la parabole est là pour illustrer un discours. Le domaine que gère le maître c’est le monde et il a besoin d’avancer, de prendre aussi des risques. Enterrer son talent c’est penser la décroissance !

 

 

14 novembre

 

C’était au début de ce siècle, il y a si longtemps déjà au temps heureux de la mondialisation et de la nouvelle économie. Un économiste de Goldman Sachs forgea un acronyme qui devait connaître un succès fulgurant : BRIC.

Il mettait là dans un même sac ce que l’on qualifiait aussi de pays émergent : le brésil, la Russie, l’Inde et la Chine. C’étaient les grands émergents auxquels étaient fermées les portes du G7. Pour bien faire, on rajouta un S pour « South Africa » afin que l’Afrique soit représentée. Il y eut des sommets des BRICS et une banque de développement commune fut même créée.

En réalité, la notion de BRIC n’avait guère de sens. Sans même parler de l’Afrique du Sud qui n’a jamais vraiment décollé et qui continue à s’enfoncer dans la malgouvernance, la Russie fut un pays en transition devenu un véritable « émirat » producteur de matières premières (pétrole, gaz, métaux, grains), certes mieux géré sous le règne de Vladimir Poutine, mais continuant à dépendre des marchés internationaux. Le brésil fit un peu plus longtemps illusion tout comme d’ailleurs la figure emblématique de Lula dont l’héritage s’est malheureusement révélé bien illusoire. Le décollage brésilien était donc un mythe.

Il restait au moins l’Inde et la Chine, et l’Inde justement la plus grande « vraie » démocratie au monde semblait plus rassurante que la Chine. Là aussi, Narendra Modi fit rêver avant que ne se révèlent les outrances de son nationalisme hindou. Et puis, le couperet économique vient de tomber : pour la première fois de son histoire, l’Inde est en récession. Après – 24 % sur le trimestre avril/juin, l’Inde a enregistré – 8,6 % sur juillet/septembre. Au-delà du Covid, c’est le modèle indien qui vacille.

Il ne reste donc plus que la Chine : on pourrait proposer le « C+ » en lui adjoignant quelques vassaux plus ou moins résignés comme le Vietnam et Taïwan.

Le seul héritage quelque peu positif du règne de Donald Trump est d’avoir compris que le monde redevenait bipolaire et que bientôt le C+ ne se contenterait plus des frontières de l’Empire du Milieu.

 

 

13 novembre

 

Jerry Rawlings vient de mourir ! Ce nom ne dira probablement rien à la plupart des lecteurs de ce texte, mais il est celui de l’un des dirigeants africains les plus exemplaires de ce dernier demi-siècle.

Né d’un père écossais et d’une mère ghanéenne, Jerry Rawlings fit ses armes dans l’aviation comme pilote et atteint le grade de « flight lieutenant » au sein des forces aériennes ghanéennes. En 1979, il fut au cœur d’un coup d’État visant à renverser le gouvernement particulièrement corrompu de cette ancienne « Cote de l’or » (Gold Coast). Ce coup d’État échoua, mais quelques mois plus tard, un second réussit. Au bout d’une courte période, Rawlings redonna le pouvoir aux civils, mais lassé de leur incompétence, il reprit la direction du pays en décembre 1981. En 1992, il organisa des élections, fut élu démocratiquement, obtint un deuxième mandat en 1996 et se retira en 2001 alors que le candidat qu’il avait choisi pour lui succéder était battu.

Durant les vingt années où il dirigea le Ghana, Jerry Rawlings fit de ce pays un modèle pour une Afrique alors en proie aux difficultés de la crise de la dette et surtout un peu partout de la mal-gouvernance. Rawlings accepta les recettes amères du Fonds monétaire international et de ses plans d’ajustement structurel. Alors que la Côte d’Ivoire voisine s’effondrait dans les convulsions de l’après-Houphouët, le Ghana devint même la vitrine du FMI. Le célèbre « Cocobad », l’organe de gestion de la filière cacao – la principale ressource du Ghana – fut même le seul organisme de ce type qui survécut en Afrique à la crise et aux pressions du FMI.

Jerry Rawlings quitta encore jeune le pouvoir et là aussi sa sortie contraste avec les règnes à vie de nombre de ses homologues africains (Cameroun, Gabon) et plus récemment aux troisièmes mandats que se sont offerts Alpha Conde en Guinée et Ouattara en Côte d’Ivoire. Il aura été malheureusement l’exception dans une Afrique qui reste rongée par la gangrène de la corruption…

So long Jerry…

 

 

12 novembre

 

C’est devenu une habitude : presque chaque semaine maintenant le gouvernement français communique. Ce soir, ils étaient tous là, Castex le Premier ministre avec son délicieux accent du Sud-Ouest, mais aussi Véran, Blanquer, Le Maire… Tous se sont exprimés, pleins d’empathie pour ceux qui souffrent, mais les décisions, fort logiques au demeurant, étaient déjà prises… Le confinement se poursuit au moins jusqu’au 1er décembre et en réalité probablement jusqu’à la fin de l’année, fêtes de Noël comprises (laïcité oblige, on parle que des fêtes de fin d’année comme si Noël n’était pas depuis longtemps sorti de sa gangue chrétienne). Le 1er décembre, il est probable que les commerces pourront rouvrir du moins si les statistiques sanitaires ne sont pas trop négatives. Par contre, bars, restaurants, cinémas resteraient a priori fermés. Personne ne se hasarde à faire des prévisions alors que la situation reste tendue dans les hôpitaux et leurs services de réanimation. Il est bien sûr facile de critiquer, mais à partir du moment où la santé publique est considérée comme une priorité incontournable – ce que l’on peut comprendre – les conséquences économiques du confinement doivent passer au second plan : les dépenses publiques explosent et donc aussi les déficits et en conséquence l’endettement. Mais ce que l’État peut faire, en profitant de l’abondance de liquidités au niveau mondial, n’est pas à la portée de petits entrepreneurs, commerçants, restaurateurs et autres qui risquent de ne pas voir Noël.

Grogne et scepticisme nourrissent donc l’esprit frondeur de nos chers Gaulois qui ont manifestement du mal à respecter ce confinement et qui en soulignent les absurdités les plus flagrantes : autant en effet le premier confinement – absolu et général – n’avait guère posé de problème d’interprétation, autant celui-ci pose des problèmes d’interprétation et d’inégalité de traitement. « Dimanche, je peux aller chez Leroy Merlin, mais pas à la messe », s’indigne ainsi un évêque. Le propos peut prêter à sourire, mais il illustre bien le « bricolage » d’un système mis en place sous la triple contrainte du Covid, du PIB et des libertés individuelles. Inutile d’ajouter sa pierre à ces tourments…

 

 

11 novembre

 

Un 11 novembre en plein Covid, sans cérémonies ni hommages à l’exception de la « panthéonisation » de Maurice Genevoix, devenu le symbole un peu oublié de « Ceux de 14 ».

Qu’ils sont poignants pourtant ces monuments aux morts que l’on trouve dans chaque village de France. Des listes d’hommes souvent bien longues quand on songe à la taille actuelle de ces hameaux aujourd’hui désertés de leurs habitants. Ceux de 14 étaient avant tout des paysans, des ouvriers agricoles menés par des officiers parmi lesquels on comptait nombre d’instituteurs. La « Grande Guerre » fit en France 1 364 000 victimes, mais il faut y rajouter 740 000 mutilés (les gueules cassées) et puis aussi au moins 200 000 morts de la grippe espagnole. La guerre laissa aussi 700 000 veuves et 760 000 orphelins et puis aussi tant d’anciens combattants, traumatisés par quatre années de tranchées, d’absurdité militaire et – il faut le souligner – de médiocrité du commandement qui trop souvent ne vit dans ces poilus que de la chair à canon. Ceux qui en revinrent relisaient chaque année les noms de leurs amis, de leurs voisins qui reposaient maintenant dans les immenses cimetières qui marquent encore aujourd’hui la ligne de ce front qui tint pendant quatre longues années.

Avec la Grande Guerre, c’est moins la Belle Époque qui disparaît (elle ne fut d’ailleurs belle que pour quelques privilégiés) que la France rurale qui était alors à son apogée. La vie y était rude sur les cinq millions d’exploitations agricoles dont la surface moyenne était de sept hectares (pour une population française de 40 millions d’habitants). C’est cette France-là qui fut saignée à blanc par la guerre et dont les villages commencèrent à se vider.

Maurice Genevoix, qui dans ses autres œuvres fut un chantre des rapports entre l’homme et la nature dans sa chère Sologne, est au fond un bon choix pour représenter au Panthéon, ceux de 14 et toute cette France qui a disparu dans cette folie barbare.

 

 

10 novembre

 

Il faut bien peu de choses : l’élection de Joe Biden et puis surtout l’annonce de la prochaine mise en production d’un vaccin contre le Covid ont suffi pour faire souffler un vent d’optimisme sur les marchés mondiaux. Les bourses se sont envolées tout comme le pétrole qui a bondi de près de 8 %.

Du côté américain, on espère bien sûr que Joe Biden pourra tenir ses promesses et celles des démocrates d’un nouveau plan de relance de quelques $ 2 000 milliards. Bien sûr, il a aussi promis de mieux gérer la pandémie, ce qui pourrait entraîner un peu plus de confinement.

Mais ce que les marchés ont acheté c’est surtout l’annonce par Pfizer et BioNTech que leur vaccin pourrait être efficace à 90 %. On pourrait enfin voir la fin de la pandémie même si les délais de mise sur le marché de ces vaccins sont encore relativement flous. Le retour à la vie normale serait proche et avec lui les joies de l’automobile et des voyages en avion : les valeurs de l’aéronautique ont flambé, celles de l’e-commerce et de l’internet ont chuté. Pour le pétrole, c’est bien sûr l’espoir d’un retour à la normale de la demande alors que pour l’instant le marché reste plombé par des stocks de kérosène (le « jet fuel ») utilisé dans le transport aérien. Le rebond du pétrole a été aussi un peu aidé par des rumeurs en provenance de l’OPEP+ (les pays de l’OPEP, la Russie et quelques autres) que les hausses de production prévues au 1er janvier (+ 2 mbj) pourraient être reportées. Et puis même à $ 42,4 le baril de Brent, le prix demeure raisonnable reflétant une situation à peine à l’équilibre.

Toute nouvelle un peu positive est bonne à prendre même si cet accès d’optimisme semble bien prématuré. Dans la plupart des pays, l’heure reste à un confinement certes allégé, mais qui va affecter la grande saison qui va de Thanksgiving à Noël. Et pendant ce temps-là, tapi au fond de la Maison-Blanche, Donald Trump se tait…

 

 

9 novembre

 

Il y a cinquante ans disparaissait Charles de Gaulle et aujourd’hui une bonne partie de la France politique fera le pèlerinage de Colombey pour lui rendre hommage et surtout pour récupérer quelques lambeaux de la tunique du gaullisme et de sa légende. Mais qu’en reste-t-il en réalité en 2020 ?

Il y a bien sûr la Cinquième République et la place donnée au Président, chef de l’État, détenteur de prérogatives presque régaliennes, et auquel les Français ont en général donné les moyens de les exercer. Les polémistes ne s’y trompèrent pas. Dès 1961, André Ribaud publiait avec « La Cour » des chroniques du Royaume qui firent les bonnes feuilles du Canard enchaîné et dont se sont inspirés d’autres auteurs à propos de ses successeurs. À l’exception de François Mitterrand toutefois, l’habit fut trop grand pour ceux qui s’essayèrent à le porter. Avec le quinquennat, la Cinquième République a évolué en un véritable régime présidentiel dont la lourde charge a écrasé ceux qui l’ont porté.

Charles de Gaulle a aussi voulu redonner à la France sa place sur la scène internationale et il est vrai que depuis la petite musique française s’est fait entendre parfois bien au-delà des capacités réelles du pays. Sur l’Europe, l’héritage gaullien reste ambigu, mais ne peut justifier que les actuels eurosceptiques se réclament du gaullisme.

Mais le cœur du gaullisme c’est avant tout le « modèle français », ce moment d’excellence des années soixante, au cœur des Trente glorieuses, où la direction des affaires publiques, le sens de l’État ont atteint des niveaux inégalés depuis. Ce fut l’âge d’or du dirigisme à la française, la mise en œuvre des grands projets qui donnèrent plus tard le TGV, Airbus, mais aussi des systèmes de santé et d’éducation qui faisaient alors l’admiration générale. C’est alors que se forgèrent les grands « services publics » à la française dont nous vivons aujourd’hui l’inéluctable déclin. À vrai dire, c’est sous George Pompidou que la France connut l’apogée de ce gaullisme à la fois technocratique et social. C’est au fond cet héritage du gaullisme social accompagné d’interventions publiques lourdes qui a le plus marqué la fabrique de la société française de ce dernier demi-siècle. C’était du retour à cet « âge d’or » que rêvaient, avant la pandémie, les gilets jaunes. Malheureusement, ce gaullisme-là a mal tourné dans une sauce libérale.

Enfin, il y a une dernière dimension du gaullisme bien oubliée aujourd’hui : ce sont ses racines chrétiennes, un christianisme gallican respectueux de la laïcité (le Général ne communiait jamais en public), mais inscrit dans les racines du pays.

Le gaullisme, tel qu’il s’épanouit dans les années soixante, marque peut-être l’un des derniers points hauts de la grandeur de la France. Mais la plupart de ceux qui s’en prétendent les héritiers sont bien petits.

 

 

8 novembre

 

Premier dimanche de confinement après la Toussaint. Églises et lieux de culte restent fermés dans une logique qui laisse un peu perplexe, mais en cette France « laïque » et de moins en moins religieuse au moins en ce qui concerne les catholiques, cela n’a plus guère d’importance. Le confinement est certainement moins radical qu’au printemps : les écoles sont restées ouvertes et les déplacements sont manifestement moins contrôlés. Au Pays basque cependant, les palombes migrent en toute quiétude faute de chasseurs…

La seconde vague du Covid prend peu à peu de l’ampleur et les « experts » sanitaires désormais familiers du petit écran continuent à pontifier sur les tenants et aboutissants de la pandémie. La communication gouvernementale est moins fluide, plus chaotique tant on sent la difficulté qu’il y a à maintenir le précaire équilibre entre doute sanitaire, réalité économique et libertés fondamentales. La mauvaise humeur est perceptible au-delà d’un certain fatalisme de la part de Français qui perçoivent le Covid comme une sorte de malédiction face à laquelle il serait vain de se rebeller.

Les entreprises tournent au ralenti et le télétravail avec les enfants à la maison n’enchante guère et ce d’autant plus que la situation dans les écoles et lycées commence à s’inquiéter. Les débats parlementaires prennent une saveur presque surréaliste, comme ceux d’un pays en temps de guerre, mais sans véritable union nationale.

Durant le premier confinement, face à l’urgence, il y eut de l’enthousiasme et de l’admiration tous les soirs pour ceux qui étaient au front dans les hôpitaux. Là, les balcons restent silencieux et tout n’est plus que lassitude. Alors que vient l’hiver, la solidarité et les discours sur le Bien Commun sont oubliés. Les enseignants menacent même de grèves et rien n’a changé dans la machine bureaucratique. Voilà un deuxième confinement au goût bien amer.

 

 

7 novembre

 

Au poker, dans les petits matins blêmes, lorsque la table est jonchée de cartes, de billets ou de jetons, de verres et de cendriers, le perdant, celui qui a tout joué sur un ultime « tapis », se lève, serre dignement la main du vainqueur et s’éloigne en titubant, groggy, encore sous le choc de son rêve fracassé… parfois, on entend un coup de feu, au moins dans les romans noirs. Dans une autre version, le perdant renverse la table et accuse le vainqueur qui est en train de compter ses billets d’avoir triché. Cela se termine en bagarre, mais cette fin-là n’est pas digne d’un gentleman…

Une chose est certaine, Donald Trump n’a jamais été un gentleman. Il en a eu pourtant l’éducation, mais en rébellion contre sa famille (dont il a quand même hérité), il s’est forgé en « bad guy » que cela soit dans les affaires, avec les femmes et aussi en politique. Ses quatre années de présidence n’ont pas été aussi négatives qu’on le prétend et il faudra en faire le bilan pour comprendre pourquoi un nombre record de 70 millions d’Américains (le chiffre le plus élevé de l’histoire après… Joe Biden) ont voté pour lui.

Mais en renversant la table électorale, en boudant ostensiblement à l’intérieur de la Maison-Blanche, en lâchant quelques ultimes tweets, lui qui doit rêver de lâcher son célèbre « you’re fired » au visage de Joe Biden, il franchit une ligne de plus que les Américains, à l’exception de quelques populistes enragés, ne lui pardonneront pas.

Donald Trump est bien en train de rater sa sortie. Il aura été le « bad guy » jusqu’au bout et il fait là au passage un merveilleux cadeau à un Joe Biden dont la dignité s’en trouve renforcée. Richard Nixon était sorti sur la pointe des pieds. Donald Trump, qui a fait bien pire, est incapable de pareille humilité et ce d’autant plus que son avenir personnel peut légitimement l’inquiéter. On le voit mal se contenter de jouer au golf à Mar del Lago, d’écrire ses mémoires et de choyer ses petits-enfants. Ce serait le plus grand service qu’il pourrait rendre au Parti républicain dont le bilan électoral serait très positif à l’exception de cette ultime « Trumperie ».

 

 

6 novembre

 

Il est difficile d’imaginer des pays aujourd’hui plus opposés dans leur vision de la société et de son évolution que la Pologne et la Nouvelle-Zélande. Aux antipodes tant géographiques que sociétales, elles illustrent à l’extrême les interrogations des sociétés occidentales en cette troisième décennie du XXIe siècle.

En Pologne, le gouvernement de droite s’appuyant sur la frange la plus traditionnelle de l’Église polonaise est pratiquement en train d’interdire l’avortement y compris pour des raisons de santé. Ceci a provoqué pour la première fois dans ce pays des manifestations populaires contre l’Église, longtemps porte-drapeau de la lutte contre le communisme et dont l’influence diminue dans une société qui se sécularise peu à peu.

En Nouvelle-Zélande, la Premier ministre Jacinda Arden bénéficie d’une popularité à faire pâlir de jalousie pratiquement tous ses homologues de la planète. Dans son nouveau gouvernement de coalition (Labour et Verts), on trouve des représentants de toutes les minorités : des Maoris certes et pour la première fois une Maorie ministre des Affaires étrangères, deux ministres lesbiennes et mères de famille, le ministre des Finances et numéro deux du gouvernement homosexuel militant… Le Parlement néozélandais compte d’ailleurs dix homosexuels sur cent-vingt parlementaires. La Nouvelle-Zélande doit d’ailleurs être un des seuls pays où ce genre de statistiques peut exister.

Ce type d’opposition rappelle ce que fut la situation de l’Espagne des années trente avec une Église catholique figée et incapable de comprendre la société et une gauche libérale et anarchiste rêvant au contraire d’abolir tous les symboles de ce qui était perçu comme un ordre bourgeois. On sait comment cela s’est terminé.

Des deux, c’est quand même la situation polonaise qui est la plus inquiétante et l’aveuglement de l’Église catholique, alliée « de facto » d’un régime réactionnaire, rappelle celui de l’Église espagnole dont le soutien au régime franquiste se paie aujourd’hui par le vide des églises.

 

 

3 novembre

 

Jour d’élections aux États-Unis : le président, mais aussi le shérif du village et puis les représentants, les gouverneurs, une partie du Sénat et encore d’innombrables élus locaux qui forment le tissu véritable de la démocratie américaine.

Le monde se focalise sur l’affrontement Trump/Biden et il est vrai que rarement l’opposition entre les deux candidats aura été aussi caricaturale, surtout après ces quatre années de « happening » que fut la présidence Trump. Mais au passage, on découvre toute la complexité d’un système électoral qui remonte au XVIIIe siècle. Les États-Unis furent le premier État à élire au suffrage – presque – universel (sans les femmes ni les esclaves…) leur président. À l’époque, sur la seule Côte Est donc, les États ruraux craignaient déjà la prédominance des « vieux » États historiques et du poids de villes comme Philadelphie ou Boston. Cela a donné l’égalité de chaque État au Sénat (deux sénateurs par État quelle que soit sa population) et ce curieux système de suffrage indirect par le biais de l’élection de grands électeurs. Deux siècles ont passé et chaque État a conservé ses particularités de l’organisation des primaires à la manière de compter les votes (et de matière plus récente la prise en compte des votes par correspondance éventuellement même après l’élection).

À la différence de nombre de démocraties qui à l’image de la France ne cessent de modifier leurs systèmes électoraux et de déplacer les dates des élections comme au Royaume-Uni (où c’est un privilège majeur de l’exécutif), il est hors de question de modifier aux États-Unis les règles d’un jeu, fixées il y a plus de deux siècles. La seule concession demeure toutefois le rôle ultime confié à la Cour Suprême qui, au-delà des polémiques récentes, demeure le garant de la démocratie américaine.

Ces élections sont en tout cas un test majeur pour des États-Unis menacés par une véritable fracture que Donald Trump a consciencieusement élargie. Et puis n’oublions pas qu’au-delà de l’élection du président, le contrôle du Sénat est une question tout aussi essentielle.

 

 

2 novembre

 

La semaine qui s’ouvre promet d’être marquée par quelques échéances majeures pour la planète entière.

On pense bien sûr à l’élection américaine. Déjà près de deux tiers des Américains ont voté, mais il faudra attendre le 4 novembre au matin pour savoir qui de Biden – le favori – ou de Trump – le sortant – l’aura emporté ou sera sur le point de l’emporter en fonction des résultats de quelques États sensibles. Malgré la concordance de sondages qui donnent Biden vainqueur, il est prématuré de réfléchir déjà à l’après-Trump. Et pour l’instant, vis-à-vis du reste du monde, l’administration n’a pas infléchi sa politique comme le prouve le blocage de la nomination de la future directrice générale de l’OMC, Washington continuant à soutenir une candidature coréenne alors que la grande majorité s’est orientée en faveur de l’ancienne ministre des Finances du Nigeria. Biden éventuellement élu, il n’est pas certain que la position américaine à l’international changera radicalement et cela dépendra aussi de l’évolution du contrôle du Sénat.

En Europe, le vieux serpent de mer du Brexit est toujours aussi vivace avec des négociations « de la dernière chance » (comme d’habitude), mais d’ultimes échéances qui se rapprochent. Et là, le diable est bien dans les détails. Mais pendant ce temps, les pays les uns après les autres se reconfinent à l’image du Royaume-Uni ou de la Suisse. La chape de plomb du Covid s’étend peu à peu sur l’Europe…

Ailleurs, il ne faut pas oublier quelques élections plus ou moins contestées ou contestables, de la Guinée à la Côte d’Ivoire.

La Chine, quant à elle, a déjà la tête ailleurs : elle vient de clore la réunion du cinquième plénum du 19e Comité central du Parti communiste chinois. Le projet du XIVe Plan qui sera adopté au printemps prochain a été présenté : la Chine se projette dans un avenir que Xi Jinping imagine radieux pour l’Empire du Milieu. Peut-être n’a-t-il pas tort !

 

 

1er novembre

 

En ce jour de la Toussaint, l’Église catholique offre à ses fidèles l’un des plus beaux textes des Évangiles, celui des Béatitudes dans la version de Mathieu : « Heureux les pauvres de cœur…, les doux…, les miséricordieux…, les artisans de paix…, ceux qui sont persécutés pour la justice… ». Rarement ce texte aura pu avoir pareille résonance, mais se trouver aussi décalé par rapport à une actualité faite d’intolérance et de violence.

Mais au fond déjà, au moment où ces paroles furent prononcées, elles ne pouvaient que surprendre ceux qui les recevaient : la Palestine était occupée par des forces étrangères ; il y avait des « collabos » qui profitaient de la situation et puis déjà des « résistants » (les zélotes en particulier) qui rêvaient de rétablir l’indépendance d’Israël. Le message du Christ pouvait surprendre voire choquer tous ceux qui vivaient au quotidien l’occupation romaine et la corruption des princes qui régnaient alors.

Soyons honnêtes, ce message nous choque encore tant il est difficile de pardonner, de tendre la joue. L’accueil fort mitigé fait à la dernière encyclique du pape, Fratelli Tutti, en est bien la preuve. Et le sort des « artisans de paix » à l’image de Gandhi ou de Martin Luther King n’est-il pas aussi d’être trahi par ceux qui les ont suivis.

L’extraordinaire des Béatitudes est que ce texte ait pu traverser les temps en conservant sa simplicité, sa fraîcheur, sa merveilleuse utopie sans perdre pour autant sa force et son caractère révolutionnaire. Il est certes chrétien, mais il appartient en réalité au patrimoine spirituel d’une humanité qui en certains moments est quand même parvenue à s’en approcher.

En des temps de doute comme ceux que nous vivons, les Béatitudes sont une merveilleuse respiration, et pour les catholiques aussi un rappel que les portes de la sainteté au quotidien sont grand ouvertes !

 

31 octobre

 

Le confinement est à peine en place qu’il suscite déjà ses premières controverses. Il s’agit bien sûr de la fermeture des commerces. Celle-ci s’applique à tous les magasins à l’exception du commerce alimentaire, aux pharmacies et aux opticiens ainsi qu’aux marchés. Mais la grande distribution bénéficiant de l’exception alimentaire, quid des rayons non alimentaires, ceux du textile, de la chaussure, de la quincaillerie et même de ce que certaines grandes surfaces qualifient pompeusement « d’espace culturel » en se contentant d’y empiler quelques best-sellers ?

Les libraires furent les premiers à réagir et à obtenir non pas la réouverture des librairies, mais la fermeture des rayons livres des supermarchés et de magasins comme la FNAC, autorisés à ouvrir pour leurs rayons électroniques. Mais que dire des autres rayons, notamment l’habillement et les jouets à l’approche des fêtes de fin d’année, cela alors que la première vague du Covid a déjà fait tomber des noms comme La Halle, Camaïeu, Célio, Go Sport, Premaman, Naf Naf et quelques autres. Interdire le non alimentaire dans la grande distribution ne serait-il pas faire le jeu de l’e-commerce, la fortune – encore augmentée – d’Amazon et consorts ?

Quelques maires ont en tout cas réagi, de Brive à Perpignan, en publiant des arrêtés d’autorisation d’ouverture des magasins malgré le confinement.

Le problème est certes complexe, mais une fois de plus, c’est la méthode, au cœur du modèle technocratique français qui pêche : la décision est prise par le Prince et son conseil et communiquée presque sans concertation avec les échelons intermédiaires ; en France, partis politiques et syndicats ont perdu presque toute légitimité laissant libre la voie à tous les populismes. Régions, départements, municipalités sont ravalés au rang de simples exécutants.

Dans le cas présent, ce confinement moins strict que celui du printemps présente manifestement quelques failles qu’il est urgent de corriger en acceptant la critique lorsque celle-ci est légitime ; et dans le cas des commerces des villes et villages, elle l’est.

 

 

30 octobre

 

L’horreur à nouveau et là, une attaque dans un lieu de culte chrétien qui réveille des souvenirs enfouis de guerre de religion.

Bien sûr, il ne s’agit que d’un acte isolé, un de plus après l’assassinat du Père Hamel et puis aussi ceux de nombre de religieux chrétiens qui avaient tenu à rester présents dans des terres d’Islam qui avaient été autrefois aussi chrétiennes. Mais cet acte isolé est le résultat de toute une propagande, de tout un enseignement qui circule librement dans les réseaux islamistes.

Plus que jamais, bien sûr, il faut distinguer islam et islamisme, tout comme pour d’autres religions, il faut savoir écarter les intégrismes, ne pas évoquer par exemple ces moines bouddhistes birmans qui appellent au massacre des minorités musulmanes ni les excès de certains milieux évangélistes.

Mais l’un des problèmes majeurs de l’islam est de s’être refusé depuis au moins le XIVe siècle à tout exercice d’interprétation et de contextualisation de ses textes fondateurs. Là où juifs et chrétiens se sont efforcés de s’adapter aux évolutions des sociétés qui les entouraient, au prix souvent de crises et de remises en cause douloureuses, l’Islam est resté tout d’un bloc, les courants les plus fondamentalistes ayant de plus profité des moyens fournis dans nombre de pays par la manne pétrolière. Ceux qui n’auraient dû rester que des courants minoritaires, comme il y en a dans toutes religions, sont même devenus dominants d’autant plus que les régimes « laïcs » de nombre de pays musulmans s’enfonçaient dans la malgouvernance, la corruption, les dictatures et le chaos. L’islam qui, à la différence des autres religions, est aussi un projet de société pouvait devenir une espérance facile à manipuler, à transformer en islamisme.

Le paradoxe est là, de viser la France, longtemps « fille ainée de l’Église » et fer de lance des Croisades, une France largement déchristianisée qui s’apprêtait à renouer, en cette Toussaint, avec des racines chrétiennes bien oubliées, trop oubliées pour être capable de répondre dans la sérénité à cette folie islamique.

 

 

29 octobre

 

Grand confinement, chapitre II ! La France replonge donc dans un confinement presque aussi strict qu’au printemps si l’on fait exception des écoles qui resteront ouvertes et des entreprises qui poursuivront tant bien que mal leur activité en « physique », mais surtout en distanciel. Au vu de l’aggravation de la situation sanitaire et malheureusement des projections faites pour les toutes prochaines semaines, c’était là probablement la décision la plus raisonnable même si elle est moins bien acceptée et que ses conséquences économiques d’être graves. Là où l’INSEE prévoyait une croissance zéro au dernier trimestre de 2020, il faut s’attendre à une rechute encore difficile à mesurer, mais qui risque de coûter 4 à 5 points de PIB sur ces derniers mois de l’année. La France avait bien rebondi au troisième trimestre (+ 18,2 %), mais l’acquis de croissance début octobre était de – 8,3 %. Avec ce nouveau coup, le recul français sur 2020 sera bien supérieur à la barre des 10 %.

C’est d’ailleurs toute l’Europe qui se referme : confinement déjà total en Irlande, au Pays de Galles, en Navarre ; mesures plus strictes prises dans des pays qui espéraient être passés « au travers des gouttes » comme l’Italie et même l’Allemagne.

Au niveau mondial, l’OCDE évoque un coût de la deuxième vague à 3,25 % du PIB, ceci s’ajoutant aux – 4,5 % des prévisions publiques en septembre. Le recul mondial pourrait être de l’ordre de 7 à 8 %, mais au-delà de ce chiffre, il faut surtout considérer l’accentuation des déséquilibres de croissance entre une Europe qui s’enfonce un peu plus (– 10 % ?), des États-Unis où le réveil postélectoral risque d’être douloureux (– 5 %) et la Chine – et plus largement l’Asie de l’Est – qui semble avoir retrouvé un dynamisme presque intact. Manifestement, il est plus facile de gérer pareille pandémie pour des régimes autoritaires que pour des démocraties surtout lorsqu’elles sont aussi peu consensuelles que dans le cas français.

Le confinement s’imposait, mais l’épreuve va être difficile à gérer pour des institutions fatiguées et contestées par un populisme irresponsable.

 

 

28 octobre

 

La Turquie et avant elle l’empire Ottoman eurent leurs heures de gloire, mais aussi bien des instants de folie et de déclin lorsqu’à Istanbul régnait « l’homme malade de l’Europe ».

Le « règne » de RT Erdogan est bien aussi celui de rêves de grandeur et de folies sur un fond d’islamisme auquel jusque-là avait échappé l’histoire turque. Kemal Atatürk avait fondé une République turque qu’il avait détachée de son passé religieux en abolissant le califat et en faisant de l’armée le pivot du régime et le garant d’une certaine forme de laïcité. Malheureusement, comme en bien d’autres pays comme l’Égypte ou l’Iran (avec les pasdaran), l’armée est devenue peu à peu un état dans l’état alors que les partis politiques au pouvoir se révélaient incapables de donner au pays une véritable base démocratique et s’engluaient peu à peu dans la corruption.

Un temps, la Turquie, associée de la première heure de la Communauté économique européenne, rêva d’intégrer l’Europe, ce qui n’était pas une hérésie historique. Comme on le sait, les négociations butèrent en particulier sur le modèle constitutionnel turc et sur le rôle dévolu à l’armée. Le rêve européen s’estompa, ce qui n’empêcha pas la Turquie de connaître un incontestable décollage économique avec l’émergence d’une classe d’entrepreneurs.

 

C’est sur les décombres d’une classe politique déconsidérée que le renouveau islamique a fait son lit. RT Erdogan en a profité et un temps a pu faire illusion en mettant en avant ce qui semblait être enfin un islam moderne adapté aux temps actuels. Mais confronté à la réalité de contraintes économiques difficiles (la livre turque a encore perdu 26,5 % de sa valeur en 2020), on a l’impression d’une véritable fuite en avant de plus en plus radicale dans deux directions : l’islam et la décision symbolique de transformer à nouveau Sainte-Sophie et quelques autres églises en mosquées, et puis l’impérialisme ottoman à l’œuvre de la Libye à l’Azerbaïdjan. L’affaire des caricatures de Mahomet tombait à point pour qu’Erdogan, proche des Frères musulmans, se fasse le héraut d’un islam si radical que l’on peut le qualifier d’islamisme. Atatürk est bien enterré et avec lui le rêve d’une Turquie moderne.

 

 

17 octobre

 

Ce vendredi matin, commençait dans le cadre du Master Affaires Internationales que je dirige à l’Université Paris-Dauphine, l’atelier consacré à « Spiritualités et mondialisation ». Partant du triste constat de la dramatique inculture religieuse de la plupart de mes étudiants (en Bac +5), plus d’ailleurs les Français que les étrangers, cet atelier vise à présenter les grandes spiritualités de la planète et éventuellement leur rapport aux questions économiques. En réalité, il s’agit avant tout de comprendre l’autre dans toutes ses racines et contrairement au dogme de la laïcité à la française nos racines les plus profondes sont aussi spirituelles.

Alors ce matin-là, j’ai demandé aux juifs, cathos, protestants, musulmans et autres bouddhistes de « lever le doigt » pour préparer les exposés qui seront faits au cours de l’année en commençant par les religions du livre et donc par le judaïsme. Les propositions ont fusé bien au-delà puisqu’on a évoqué l’animisme et dans une orientation bien différente l’athéisme. L’Islam avait lui aussi suscité des candidats et nous avions convenu de traiter tant le sunnisme que le chiisme sans oublier bien sûr… la finance islamique.

Au même moment, à quelques dizaines de kilomètres de là, un jeune collègue, professeur d’histoire comme moi, était égorgé et décapité pour avoir illustré son cours sur la liberté d’expression par des caricatures de Mahomet. Horreur absolue qui pour les chrétiens nous renvoie à ces siècles noirs, ceux de l’Inquisition et des guerres de religion, en un temps d’ailleurs où l’islam donnait au moins une impression de plus grande ouverture. Mais cette seule référence historique rend un peu plus insupportable ce fanatisme d’un autre âge soutenu par le silence d’une minorité agissante au sein de la communauté musulmane elle-même. Rien, aucune sourate du Coran, aucune leçon de la Sunna, aucune fatwa, rien ne peut justifier pareille folie si ce n’est l’ignorance nourrissant le fanatisme.

L’ignorance justement ! C’est bien justement l’ignorance religieuse qui est à la base de pareille dérive et on doit bien convenir – au-delà de toute polémique – que la laïcité à la française en porte quelque responsabilité. Dans sa conception intégrale – pour ne pas dire intégriste –, elle nie le fait religieux au-delà d’une liberté religieuse laissée en jachère. Les programmes scolaires ignorent pratiquement toute dimension spirituelle et rendent d’ailleurs de plus en plus difficile la compréhension tant de l’histoire (les guerres de religion au XVIe siècle par exemple) que de l’actualité (les guerres entre sunnites et chiites au Yémen). La République est neutre vis-à-vis des religions, mais ceci – héritage historique oblige – s’applique surtout à un catholicisme qui de toute manière ne pèse plus guère. Mais cette neutralité, ce silence, ce déni même, du fait religieux fait le lit de tous les obscurantismes et de tous les intégrismes, et l’Islam n’est pas là le seul concerné.

« Ils ne passeront pas », a dit le chef de l’État. Mais ils passent justement parce que la laïcité à la française leur laisse le champ libre. La réaction passe par l’éducation aux religions et à la tolérance que toutes portent en elles.

 

 

15 octobre

Couvre-feu

 

« Or donc en ce quatorzième jour du mois d’octobre de l’an de grâce 2020, le peuple de France, agenouillé devant d’étranges lucarnes de toute taille, écoutait la parole de son Prince… ».

Le propos est là à peine exagéré tant en France la fonction présidentielle est sacralisée par les sujets eux-mêmes. Dans aucune démocratie véritable de la planète, le chef de l’État ne bénéficie de pareil magistère. Ailleurs, rois, reines et présidents ne peuvent utiliser qu’une image paternelle ou maternelle, au point, au Royaume-Uni, de se voir dicter leur propre discours du Trône. Mais en France, l’héritage gaullien de la Ve République est bien d’essence monarchique, de Louis XIV à Napoléon. Les présidents qui se sont essayés à y déroger de Valery Giscard d’Estaing à François Hollande en ont été cruellement sanctionnés. Emmanuel Macron dès son investiture dans la pénombre des Tuileries l’avait bien compris. Mais après avoir essayé de prendre quelques distances au-dessus de la mêlée et des partis, le voilà donc revenu au cœur de l’action face à cette pandémie qui rebondit de manière inexorable. « Le roi te touche, Dieu te guérit », la célèbre formule des écrouelles redevient ainsi presque d’actualité.

Ce sera donc le couvre-feu – un terme sécuritaire en usage dans les armées et les casernes – pour un tiers des Français, la majorité des urbains. La marge de manœuvre était réduite entre la peur qui gagne une partie de la population, les limites d’un appareil sanitaire et hospitalier qui ne peut compenser par son dévouement d’innombrables pesanteurs bureaucratiques et le souci d’une économie à peine convalescente. Il y a quelques jours, l’INSEE avait publié ses dernières prévisions : après une chute de 13,8 % du PIB au deuxième trimestre, le rebond avait été net au troisième trimestre avec + 16 %. Mais pour la fin de l’année, la prévision de l’institut était déjà pessimiste avec 0 % de croissance. Gageons que l’impact du couvre-feu, touchant directement des secteurs, de la restauration à la culture, qui pèsent au total près de 10 % de l’économie nationale, fera basculer à nouveau la France en territoire négatif avec à la clef, malgré les aides publiques, faillites et chômage.

« En même temps », résister au virus et ne pas asphyxier l’économie, la ligne de crête est bien étroite et périlleuse. Mais, au-delà, la crise est bien sociétale. Le Prince devait agir tant la confiance en ses qualités de thaumaturge s’est effritée. L’image de la crise n’est-elle pas celle des queues devant les laboratoires d’analyse, les mêmes queues que l’on connut en d’autres crises pour obtenir des tickets alimentaires ? Avec le masque, disparaît le visage, et l’individu est seul au moment même où le collectif devrait jouer.

« J’ai besoin de chacun », a dit Emmanuel Macron. De ce constat d’impuissance, les Français sauront-ils démentir le pessimisme sous-jacent et faire bloc dans leur village gaulois ?

 

 

13 octobre

Patate douce

 

Va-t-on vers la guerre de la patate douce ? La question est sérieuse ! L’OMC vient de donner le feu vert à l’UE pour mettre en place près de $ 4 milliards de droits de douane supplémentaires sur des produits américains pour compenser le soutien accordé par les États-Unis à Boeing. Rappelons qu’il y a un an, les États-Unis avaient obtenu un jugement similaire (mais à hauteur de $ 7,5 milliards) à propos d’Airbus. À l’époque, l’administration Trump ne s’était pas privée d’en profiter et de taxer à hauteur de 25 % nombre de produits européens à commencer par les vins.

C’est donc le tour des Européens : 15 % sur le matériel aéronautique et 25 % sur une liste de produits laissés à la discrétion de Bruxelles. Pour les avions, ce n’est pas trop grave dans la mesure où avec le marasme du transport aérien il ne s’en vend plus guère. Pour le reste, il faut frapper dans le symbolique. On avait ainsi parlé du bourbon, des Harley-Davidson, du ketchup et donc maintenant des patates douces, ingrédient majeur de la nouvelle cuisine, des potages maison et des tendances végétariennes et dont on découvre à cette occasion que les exportations américaines représentent le tiers du marché français. L’histoire ne dit pas pour qui votent les producteurs américains même si la majorité des « farmers » penchent pour Donald Trump.

La bonne nouvelle est que l’OMC parvient encore à fonctionner alors que tous les nouveaux dossiers sont bloqués du fait de la paralysie de l’Organisme de Règlement des Différends, dont la nomination de nouveaux juges est justement bloquée par les États-Unis. L’OMC a pourtant démontré son utilité tant le commerce international a besoin d’un juge-arbitre alors que partout dans le monde s’érigent de nouvelles barrières aux échanges. L’élection de Joe Biden pourrait au moins mettre un terme à cette situation.

Mais il faudra aller plus loin et ce sera la tâche de la prochaine directrice générale de cette institution. Il ne reste que deux femmes en lice, une Nigériane au profil très international et une Coréenne. Le dossier de la patate douce (au sens le plus large) sera au-dessus de la pile d’un bureau bien encombré.

 

 

11 octobre

Mélange des genres

 

La France traverse du point de vue politique une période mouvementée. Contrairement à la tradition, aucun des partis politiques n’est vraiment « tenu » par une direction capable de mettre de l’ordre dans ses troupes. Ce qui est évident pour LR et le PS (ou ce qu’il reste de ces deux partis historiques) l’est aussi d’En Marche. La vague qui avait porté une majorité historique de marcheurs à l’Assemblée nationale s’est morcelée en une multitude de courants qui ne partagent qu’une allégeance de plus en plus lointaine au chef de l’État qui pourtant a permis leur élection et dans bien des cas leur existence politique tout court.

Alors à deux ans d’élections que nombre d’entre eux risquent de perdre, ils se lâchent dans tous les sens avec deux axes majeurs « verts et progressistes » : le bien-être animal et les conditions de procréation humaine.

Il n’y a pas de lien évident entre ces deux approches si ce n’est le hasard du calendrier parlementaire, car au fond elles se fondent sur des démarches philosophiques totalement opposées.

Le bien-être animal est certainement une noble cause qui se heurte à notre vieille tradition carnivore, à la nécessité aussi d’équilibrer les populations animales dans la nature. Ceci étant, la sacralisation de l’animal mène à bien des excès et surtout ne peut être assimilée à celle de l’homme.

Or paradoxalement, ce sont les mêmes qui luttent contre toutes les manipulations du vivant (comme les OGM) et qui ouvrent grandes les portes au bricolage génétique autour de l’embryon humain et qui s’engagent un peu plus loin en faveur de la banalisation de l’avortement.

Accaparé par la lutte tant sanitaire qu’économique contre le Covid, l’exécutif donne l’impression de lâcher la main à ses extrêmes et aux lobbies qui les entourent sur ces questions de société qui ont au moins l’avantage à ses yeux d’occuper les activistes. Mais, à chaque fois, ce sont de nouvelles brèches dans la fabrique de la société française et au-delà dans cette éthique dont se prévaut Emmanuel Macron lorsqu’il cite Paul Ricœur dont il fut – dit-on – un lointain disciple.

 

 

10 octobre

Nobel de la Paix

 

Donner le Prix Nobel de la Paix à une Organisation des Nations Unies ! Quelle curieuse idée : c’est un peu comme une médaille du Travail, distribuée parce que l’on a travaillé. Pour une fois cependant, l’Académie suédoise qui choisit les Nobel de la Paix et dont la propension à se tromper est légendaire (Barack Obama !) a fait un choix raisonnable. Le Programme alimentaire mondial (PAM ou WFP en anglais) est une des rares organisations internationales du système des Nations Unies à faire preuve d’une certaine efficacité. Le PAM est un véritable logisticien de l’extrême capable de se projeter dans les régions les plus difficiles et d’assurer la livraison de denrées alimentaires d’urgence. C’est le PAM qui a permis d’éviter les pires conséquences des catastrophes provoquées par la folie des hommes au moins sur le plan alimentaire.

Mais distinguer le PAM c’est – en creux – souligner la remarquable inefficacité de la bureaucratie onusienne. On peut commencer par l’autre agence des Nations Unies basée à Rome, la FAO dont les méchantes langues estiment – avec raison – qu’elle fait plus partie du problème que de la solution de la faim dans le monde. Mais on peut penser la même chose de l’UNESCO, de l’UNICEF (et ses beaux 4x4 blancs dans les quartiers riches des villes du Tiers-Monde) et comme on l’a vu cette année de l’OMS.

Certes, il faut tenir compte de la dimension politique de ces organisations et par exemple du forcing chinois pour la direction générale de la FAO. À l’intérieur des organisations, on doit équilibrer nationalités et genres pour des fonctions qui sont assez souvent de délicieux « fromages ». On est quand même mieux Via delle Terme di Caracallà à Rome qu’en brousse sur le terrain !

C’est dire que le PAM a d’autant plus de mérite et que ce Nobel – qui a perdu beaucoup de sa signification – est pour une fois amplement mérité.

 

 

8 octobre

Fratelli tutti

 

En la huitième année de son pontificat et alors que le monde subit le choc de la pandémie et de la crise économique, le pape François, dans sa troisième encyclique offre le texte probablement le plus personnel qu’un pontife ait jamais écrit, une synthèse de ses écrits et sermons au long de ces années, toute tendue vers ce qui lui tient le plus à cœur, la fraternité entre les hommes.

« Fratelli Tutti » – le titre est emprunté à Saint-François d’Assise – part d’un constat sombre, celui des « ombres d’un monde fermé ». Pour François, nous sommes dans une période de « recul de l’histoire », guettés par une « troisième guerre mondiale par morceaux », dans un monde où l’économie et les finances marquent « leur désintérêt du bien commun », où la croissance favorise la montée des inégalités. Le jugement est sans concessions et plus loin, François fustige le néolibéralisme et les « recettes dogmatiques de la théorie économique dominante ». On peut ne pas partager cette vision par trop manichéenne, mais on sait que François l’a forgée au fil des désastres argentins beaucoup plus liée à la mal gouvernance qu’à la malédiction libérale. Mais l’essentiel n’est pas là : François pointe surtout les excès du libéralisme tant économique que social lorsque celui-ci privilégie individualisme et indifférence aux autres.

Au long de son texte, François utilise l’image du Bon Samaritain. Être un bon samaritain aujourd’hui, c’est au contraire du « voyageur indifférent » être capable de fraternité, de bienveillance et de charité. Comme Benoît XVI l’avait fait dans « Caritas in veritate », il fait un éloge de la gratuité, de la « charité sociale ». Il rêve bien sûr d’un « ordre politique et économique mondial », prêche pour l’accueil des migrants, nous rappelle presque à toutes les pages que « le plus grand danger c’est de ne pas s’aimer ».

Ce n’est pas une encyclique économique et on pardonnera à François quelques raccourcis. En France, on pourra apprécier sa critique – justifiée – de la théorie du ruissellement (des riches vers les pauvres) tant vantée par Emmanuel Macron.

Mais l’essentiel n’est pas là et François le dit bien qui revendique le « défi de rêver », qui célèbre les « solidarités venant du sous-sol de la planète », qui s’enflamme pour ceux qu’il appelle les « poètes sociaux », qui termine son texte avec la figure de Charles de Foucauld, celui qui voulait être le « frère universel ». À lire cette encyclique, on sent bien que François a, comme il nous y invite, « la musique de l’Évangile dans ses entrailles ».

Mais il s’adresse à tous, chrétiens certes, mais croyants d’autres religions, agnostiques, tant le message là, celui de l’amour et de la bienveillance entre les hommes est universel. Et ceci est valable pour le plus petit de nos actes : s’arrêter afin de bien traiter les autres, dire « s’il te plaît, pardon, merci ».

Merci François !

 

 

6 octobre

 

Après le glyphosate, c’est donc l’heure de gloire parlementaire pour les néocotinoïdes. Ravis de l’aubaine, les Verts – au sens large – ont enfourché leur cheval de bataille dans une vision manichéenne (le bien contre le mal) leur permettant de balayer large comme ils ont su le faire contre les OGM, le gaz de schiste, Notre-Dame des Landes, Montagne d’or, le moindre barrage ou autres retenues et bien sûr le glyphosate. Le sujet arrive d’ailleurs à point tant ils manquaient de causes à défendre en cette période marquée par le Covid.

Le débat sur les néocotinoïdes est donc ouvert et il oppose de manière volontairement caricaturale les « gentils écolos » les méchants betteraviers représentants éminents de cette agriculture intensive et productiviste qu’ils vouent aux gémonies. Sur le plan scientifique, il est admis, sans contestation que les néocotinoïdes ont un effet néfaste pour tous les insectes (après tout ce sont des insecticides…) et donc aussi pour les abeilles que celles-ci soient « domestiques » ou sauvages. L’utilisation de ces produits doit donc être encadrée, limitée aux cas où ils sont incontournables.

C’est justement le cas de la betterave. Celle-ci est victime de pucerons provoquant une forme de jaunisse qui peut entraîner une très forte baisse des rendements. L’utilisation de néocotinoïdes enrobant la graine permettait de traiter le problème. Cette année, sans néocotinoïdes, la jaunisse est revenue, et cela en un moment difficile pour la filière sucre, directement touchée par la fin des quotas sucriers européens et le marasme du marché mondial.

En réalité, dans le cas de la betterave, le danger pour les abeilles est minime et ce d’autant plus qu’il s’agit d’une agriculture très en avance en termes de techniques de production et de souci de l’environnement.

 

Dans un pays normal – l’Allemagne par exemple (qui pourrait dépasser la France en termes de production de sucre) –, il n’y aurait pas eu de débat. Mais la France a les Verts qu’elle mérite… Et pendant ce temps, les frelons asiatiques font leur délice des abeilles !

 

 

1er octobre

Budget

 

L’automne, c’est le temps des budgets. Ceux des ménages confrontés aux dépenses de rentrée, mais surtout celui de l’État qui boucle son exercice pour l’année à venir.

2020 a été une « annus horribilis ». L’économie à l’arrêt ou presque pendant 55 jours et plus, des dépenses publiques qui ont explosé pour maintenir l’appareil de production et surtout l’emploi. La France a été le pays au monde qui a le plus utilisé le chômage partiel, ce qui a permis de sauver les équilibres sociaux. Mais le résultat, c’est un déficit public de 10,2 % du PIB alors qu’en 2019 il n’était que de 3 %, la célèbre barre de Maastricht : 195 milliards d’euros de déficit qu’il a fallu emprunter sur les marchés financiers qui heureusement continuent à consentir à la France des taux légèrement négatifs de – 0,10 à – 0,50 %. Mais il faudra bien commencer à rembourser un jour ou l’autre…

En 2020, les dépenses publiques ont représenté 62,5 % du PIB. Cela veut dire qu’à peine un peu plus du tiers de la richesse créée l’a été par le secteur privé. Ce sont là des chiffres presque soviétiques, mais face à l’incendie le pompier ne peut être accusé de gaspiller l’eau.

Mais qu’en sera-t-il en 2021 ? Le gouvernement a choisi une hypothèse réaliste, mais qualifiée quand même d’un peu « volontariste » : 8 % de croissance après un recul de 10 % en 2020. La France mettrait en fait cinq ans pour effacer la crise de 2020 et cela dans l’hypothèse d’une deuxième phase du Covid contenue.

Le budget qui est présenté pour 2021 table sur un déficit de 6,7 % du PIB soit encore plus de 150 milliards d’euros. Les dépenses publiques pèseraient encore 58 % du PIB, contre 53 % en 2019, ce qui était alors un record – avec la Suède – parmi les pays avancés. Il y a là, bien entendu, le plan de relance dont une partie sera – on le sait – financée par l’Europe. Tout ceci peut apparaître normal.

Mais à deux ans des présidentielles force est de constater que la plupart des engagements de réduction du train de vie de l’État ont été laissés de côté. Certes, il y a des priorités que l’on peut comprendre : il faut mieux payer les infirmières et les salariés des Ehpad, les enseignants et les policiers. Après le Ségur de la santé, on aura le Grenelle des professeurs et peut-être un jour le Balard des militaires !

 

Tout ceci est juste et trouve sa légitimité dans l’urgence face à la crise. Mais cela renforce aussi un peu plus la propension des Français à tout demander à l’État qui n’a pu s’empêcher de quelques mesures symboliques, mais coûteuses comme l’extension du congé de paternité ou la disparition de la taxe d’habitation. Malgré tout, le taux de prélèvements obligatoires à 43,5 % du PIB va rester un des plus élevés de la planète. Les Français auront un peu de beurre, mais devront pendant longtemps payer l’argent du beurre !

 

29 septembre

Confiance

 

Alors que la deuxième vague du Covid semble submerger à nouveau la France, le pays connaît une véritable crise de confiance, une analyse que l’on retrouve au fil des éditoriaux politiques des télévisions et de la presse.

Confiance, ce mot sonne curieusement tant justement c’est là ce qui a toujours manqué à la société française. Dans un livre remarqué, le philosophe américain Francis Fukuyama avait distingué les sociétés capables de confiance (Trust) et celles qui en étaient dénuées. Il s’agissait là de la confiance entre individus propice au développement du capitalisme (je fais assez confiance à mon voisin pour lui confier mon argent). Pour lui, les sociétés de confiance étaient les pays anglo-saxons, l’Allemagne et le Japon. Ceux où la confiance était la moins marquée étaient la Chine, l’Italie et… la France. L’absence de confiance des individus dans leur voisin pouvait être palliée par des réseaux familiaux, tribaux (ou même mafieux) ou bien par le recours à l’intermédiation de l’État. C’était bien entendu le cas de la France.

L’omniprésence de l’État en France (plus de 60 % de dépenses publiques dans le PIB encore en 2021 !) trouve là ses racines les plus profondes. Mais longtemps, cette confiance fut assez justifiée. L’État – au sens large – a atteint en France un rare niveau d’efficacité dont le sommet correspond à la fin des Trente Glorieuses (les années Pompidou). Les plus brillants sujets choisissaient alors le service de l’État sans songer à quelque pantouflage que ce soit. Au-delà de la Caravelle et du TGV, l’éducation et la santé étaient des « services publics » dont les Français étaient légitimement fiers et dans lesquels ils avaient toute confiance.

Mais voilà, la confiance dans un monde sanitaire et médical pétri de contradictions et dans un monde politique et administratif à la fois démagogue et bureaucratique, cette confiance n’existe plus et les corps intermédiaires, syndicats, associations, églises ne peuvent malgré toute leur bonne volonté compenser cette faillite.

Voilà peut-être une des raisons pour laquelle le Covid aura déclenché en France une véritable crise de société de plus en plus béante, plus marquée que dans la plupart des autres pays occidentaux.

 

 

28 septembre

Confins arméniens

 

Au détour d’une page d’un quotidien, on apprend que l’Arménie et l’Azerbaïdjan sont au bord de la guerre à propos de la province du Haut-Karabakh, peuplée d’Arméniens, mais enclavée en pays azéri. En ces temps de Covid, ce conflit qui a déjà fait plusieurs dizaines de milliers de morts n’intéresse guère et si l’on en parle un tout petit peu c’est que l’Arménie est soutenue par la Russie et l’Azerbaïdjan par la Turquie. L’un et l’autre furent ottomans puis soviétiques. Voilà le genre de guerre de « nulle part » qui rappelle la « guerre du Chaco » dans les années trente entre la Bolivie et le Paraguay (et que les lecteurs d’Hergé retrouveront à peine masquée dans « L’oreille cassée »).

Pourquoi en parler encore, alors qu’au fond nul ne s’en préoccupe guère ? Hérité de l’éclatement de l’URSS, le Haut-Karabakh fait partie de ces multiples points de tension qui maillent la planète. L’Inde et la Chine s’affrontent dans les confins de l’Himalaya. L’Arabie saoudite et l’Iran se battent par Yéménites interposés. La Syrie est un champ de ruines tout comme la Libye… Dans le cas du Haut-Karabakh, il s’agit presque d’un conflit « classique » avec des armées, des tranchées, de l’armement classique pour l’essentiel hérité de l’époque soviétique, mais que la Russie a contribué à moderniser d’un côté comme de l’autre. L’Arménie est relativement démocratique là où l’Azerbaïdjan est une bonne vieille dictature ex-communiste. Mais Bakou, où le jeune Staline fit ses premières armes, a l’avantage de ses ressources pétrolières ainsi que du soutien de la Turquie. RT Erdogan a trouvé là une autre occasion de brandir l’étendard ottoman et, après la Libye, de semer un peu plus le désordre pour compenser ses échecs domestiques.

On ne sait quelle peut être la solution et la communauté internationale a manifestement bien d’autres soucis. Concernée au premier chef par cet héritage mal assumé, la Russie semble s’en laver les mains. Dans ces montagnes perdues, la fin de l’histoire tient en tout cas du rêve !

 

 

24 septembre

Covid, chapitre II

 

En août 1914, tous les combattants qui montaient au front « nach Paris » ou « à Berlin » pensaient que la guerre serait finie à Noël. On sait ce qu’il en advint.

Au printemps 2020, le monde affronta le Covid et l’on pensait qu’à l’automne ce serait une histoire oubliée. Mais voilà les premiers jours de l’automne et déjà quelques sanglots. Un peu partout dans le monde, les gouvernements confrontés à une deuxième, voire une troisième vague dans le cas de l’Iran, hésitent entre fermeté sanitaire et relâchement économique. L’Inde a rouvert le Taj Mahal à la visite, mais le confinement y reste la règle alors que le pays s’achemine, ou a peut-être déjà dépassé, les 100 000 morts. Buenos Aires, en Argentine, poursuit au moins jusqu’à la mi-octobre un confinement strict qui dure depuis plus de six mois, le plus long de la planète. Madrid se referme aussi alors que les pubs anglais vont comme dans les métropoles françaises fermer à 22 h. Au niveau mondial, le bilan du Covid a déjà dépassé le million de victimes, les chiffres officiels à ce jour étant menés par les États unis (201 000) suivis du Brésil (138 000), de l’Inde et du Mexique. Mais, un peu partout, la flambée du nombre de cas positifs inquiète et, la deuxième vague est une réalité dans de très nombreux cas.

Du point de vue économique, l’été avait été marqué de quelques bonnes nouvelles : les enquêtes de conjoncture étaient mieux orientées et un peu partout, les ménages commençaient à puiser dans leur bas de laine que l’absence de consommation durant le confinement avait bien rempli. La page du Covid semblait pouvoir être tournée. Il en resterait quand même un repli de l’économie mondiale de plus de 4 % en 2020. Mais en 2021, le rattrapage serait effectif avec plus de 5 % de croissance. On prévoyait quand même qu’il serait plus lent en Europe et même aux États-Unis. Mais là, l’heure était aux plans de relance, aux taux d’intérêt à zéro, voire négatifs, à l’inflation jetée aux tisons. C’était hier sous le soleil estival.

La résurgence du Covid est trop récente pour que les économistes aient pu adapter leurs prévisions, mais l’automne promet d’être plus douloureux pour nombre de secteurs du tourisme aux spectacles, de l’aviation à la restauration. Le rebond anticipé sera certainement moins fort que prévu. Et même un confinement limité pourrait avoir des conséquences catastrophiques pour des économies fragilisées.

Débats sanitaires et économiques vont donc s’entrechoquer dans les prochains jours en Europe certes, mais aussi dans le reste du monde. Aux États-Unis, la négociation d’un nouveau plan de relance est perturbée par la proximité de l’élection présidentielle. En Russie, Vladimir Poutine – qui n’a pas ces soucis – consacre pour la première fois plus d’argent à la relance économique qu’aux dépenses militaires. En Allemagne même, on commence à s’inquiéter. Après avoir battu des records, les bourses de valeur sont partout en net repli.

En 1914, les combattants rêvaient d’un Noël dans leurs foyers. Mais en 2020, Noël – avec ou sans « arbres morts » – s’annonce brumeux et angoissé. La proposition d’Esther Duflo de se confiner maintenant afin de pouvoir sortir à Noël est peut-être au fond assez réaliste.

 

 

 

17 septembre

Histoire de bidet

 

À l’heure où la France prépare son plan de relance, rêve de hautes technologies, d’hydrogène et d’intelligence artificielle, voilà une histoire qui va nous ramener au plus proche de la condition humaine, celle du bidet, autrefois célébré par Duchamp, et que fabriquait encore en céramique, l’usine de Jacob Delafon à Damparis dans le Jura. Nous sommes là au cœur de la vieille industrie française et c’était la dernière usine en France à fabriquer des produits sanitaires en céramique.

Mais voilà, Jacob Delafon, l’orgueil de nos salles de bains et autres toilettes, a été racheté en 1985 par le groupe américain Kohler. Kolher est un groupe privé américain centenaire toujours contrôlé par la famille fondatrice, et dirigé par Herbert et David Kohler. L’entreprise est présente dans le monde entier dans le domaine élargi de la salle de bains. Ce n’est ni un fonds de pension ni une entreprise se repaissant des dépouilles de ses victimes. Au contraire, sur leur site, ils célèbrent leurs 30 000 « associés » dans le monde : dans la novlangue du politiquement correct, l’associé va du président au camarade balayeur… Pour aller dans le sens de l’histoire, le site de Kohler s’ouvre actuellement sur une admirable déclaration de sympathie pour la communauté afro-américaine en ces temps de troubles raciaux.

Voilà bien sûr qui nous éloigne du Jura et de la décision de fermer l’usine de Damparis sans grandes possibilités de reclassement pour ses 151 salariés. L’usine est ancienne et nécessiterait des investissements importants. Une autre page de l’histoire industrielle française se tourne dans l’indifférence la plus totale. Kohler a certainement sa logique. L’usine n’est plus rentable et le créneau des produits en céramique est étroit face à la montée de nouveaux matériaux.

Jacob Delafon était, elle aussi, une vieille entreprise française fondée en 1889, indépendante pendant un siècle et puis, comme nombre de PME et d’ETI françaises, rachetée par un mastodonte étranger qui fit certainement à l’époque moult promesses comme en d’autres domaines, Nokia, General Electric ou Bridgestone.

Aujourd’hui, sur son site, Jacob Delafon fait apparaître un « design 100 % d’origine France ». Ce n’est pas exactement le « made in France ». Pas du tout.

Le sens de l’histoire est probablement que l’on ne fabrique plus de bidets en céramique dans une vallée du Jura. Une page se tourne. Là-bas, 150 personnes restent sur le carreau… de céramique !

 

 

15 septembre

La géostratégie du porc

 

On aime bien parler des produits stratégiques, ceux dont le développement des besoins au niveau mondial posent des problèmes stratégiques et géopolitiques majeurs. On pense aux terres rares, au cobalt et au lithium, au gaz naturel et même encore au pétrole. Mais en cet automne 2020, l’un des produits les plus « chauds » sur la scène internationale est la viande de porc, jambon, longe, oreilles et queue ! Autour de la table porcine mondiale, on trouve la Chine, la Russie, les États-Unis, le Brésil, l’Allemagne, Taïwan et quelques autres.

Au moment même où se tenait un sommet UE-Chine et qu’Angela Merkel faisait preuve d’une grande fermeté face à Pékin, la Chine annonçait un embargo total sur ses importations de viande porcine allemande. Il est vrai que l’on vient de découvrir des cas de peste porcine africaine chez des sangliers dans l’Est de l’Allemagne. La décision chinoise est logique, mais disproportionnée et contient probablement un message subliminal. Il y a quelques années, ce sont aussi des raisons sanitaires que la Russie avait mises en avant pour bloquer toutes ses importations de porc européen à l’époque où l’UE fronçait le sourcil à propos de l’annexion de la Crimée.

Touchée par la peste porcine africaine, la Chine est devenue le poumon du marché mondial du porc et elle utilise ses importations comme une arme diplomatique favorisant parfois le Brésil de Bolsonaro, calmant les États-Unis de Trump, ou réprimandant le Canada.

Taïwan par contre n’importe pas de porc américain pour des raisons sanitaires du fait de l’utilisation aux États-Unis de ractopamine. Mais les autorités taïwanaises veulent à tout prix signer un accord commercial avec Washington, qui renforcerait leur main face à Pékin. Alors, l’interdiction visant le porc américain va être levée à la grande fureur de l’opposition qui continue à flirter avec le continent et la grande Chine.

La géopolitique du porc n’en finit pas de nous surprendre !

 

 

10 septembre

Les Verts à la manœuvre

 

Les scrutins municipaux du printemps ont permis aux Verts de conquérir plusieurs grandes villes et quelques mois plus tard, les nouveaux exécutifs sont à l’œuvre. Les marges de manœuvre d’un maire sont relativement limitées, alors dans un premier temps on est resté dans le domaine du symbolique avec un délicieux florilège : à Bordeaux, le maire a décidé qu’il n’y aurait pas de sapin de Noël devant la mairie cette année – pas « d’arbre mort ». À Lyon, le maire s’en est pris au Tour de France qui arrivait dans sa bonne ville en critiquant un spectacle « machiste et polluant ». À Strasbourg, la maire a annulé des arrêtés anti-mendicité pris par l’exécutif précédent.

Analysons ces décisions : l’arbre de Noël ? Certes, il s’agit d’un rite païen qui pollue quelque peu la dimension chrétienne de Noël. On peut lui préférer la crèche, mais celle-ci est interdite depuis longtemps dans les lieux publics. Quant à l’arbre lui-même, il provient de forêts cultivées, le sort de la plupart des conifères étant de terminer en pâte à papier. Une forêt doit en effet être entretenue par l’homme et si le retour à la sylve gauloise a de quoi séduire nos écologistes urbains, il tient du délire environnemental.

Le Tour de France réunit des coureurs mâles. Contrairement à d’autres sports et malgré notre Jeannie Longo nationale, le cyclisme féminin s’est moins développé que d’autres sports. De là à parler de machisme. Certes, la caravane émet du CO2, mais le Tour est un hymne à la ruralité et à la France préindustrielle. C’est aussi un sport populaire, un peu besogneux, parfois dopé, aux antipodes de la pureté intellectuelle de nos écologistes qui lui préfèrent des vélos électriques dopés au cobalt.

Quant à la mendicité, elle pose certes – mais bien mal – le problème de la pauvreté. La mendicité aggrave la dépendance et la marginalisation. Certes, l’interdire n’avait de sens que si la solidarité pouvait s’exprimer autrement. Était-ce le cas ?

 

Pardon, cher lecteur pour cet agacement, mais la bêtise, portée à ce niveau par des édiles désormais en charge de centaines de milliers d’administrés, a de quoi inquiéter pour la suite de leurs mandatures.

 

 

4 septembre

 

La République aurait donc 150 ans aujourd’hui. Peut-être, quoique ! Il est exact que le 4 septembre 1870, au lendemain de la capitulation de Napoléon III à Sedan, le corps législatif vota la déchéance de l’Empire et Jules Favre et Léon Gambetta se rendirent à l’Hôtel de Ville de Paris pour y proclamer la République.

Celle-ci ne fut toutefois formellement instituée que quelques années plus tard. La France connut en effet une véritable guerre civile avec l’écrasement de la Commune de Paris. La chambre élue une fois la paix revenue était à majorité monarchiste. Une fois réglée la question de la rivalité entre les Bourbons et les Orléans, la voie était ouverte pour le retour d’un roi en France, le comte de Chambord, petit-fils de Charles X, auquel devrait succéder – puisqu’il n’avait pas d’enfant – un Orléans. La chambre était acquise, le président du Conseil, le duc de Broglie, tout comme le maréchal de Mac Mahon qui faisait office de chef de l’État (on ne parlait pas de république, du moins pas encore), tous attendaient donc le retour d’Henri V dont on préparait déjà le couronnement.

Il n’en fut rien : Chambord qui n’avait jamais vécu en France était d’un autre siècle. Il insista pour rétablir le drapeau blanc fleurdelysé de la monarchie et refusa les trois couleurs. Même ses plus chauds partisans comprirent qu’il n’était pas l’homme de la situation. La monarchie ne fut pas rétablie et la République vit enfin le jour presque en catimini.

On peut d’ailleurs là imaginer une délicieuse « uchromie ». Imaginons, en effet, un comte de Chambord un peu plus ouvert. Il accepte le drapeau tricolore. Il est couronné et la France devient une monarchie constitutionnelle. A priori aucun événement n’aurait pu la remettre en question. Ceci étant, qu’aurait fait le « roi très chrétien » en 1905 au moment de la séparation de l’Église et de l’État ? Un Orléans s’en serait peut-être accommodé. Mais surtout qu’aurait fait le roi en juin 1940 ? Aurait-il quitté la France comme la reine des Pays-Bas ou serait-il resté comme le roi des Belges ? En tout état de cause, il n’est pas sûr que la monarchie ait alors survécu, quoique le général de Gaulle aurait probablement imaginé la rétablir.

Ce n’est là bien sûr qu’une uchronie. Mais la célébration du 4 septembre 1870, au Panthéon en plus, a de quoi laisser rêveur. Elle entretient un mythe républicain dont les fondements historiques sont bien fragiles. À voir d’ailleurs en France la survivance des titres et des particules, on comprend que le cheminement républicain est encore loin d’être achevé.

Mais en ce 4 septembre 2020, l’agenda électoral offrait une fenêtre de tir dont le président le plus monarchique de la Ve République aurait eu tort de se priver.

 

 

3 septembre

 

C’est la rentrée ! Le calendrier du Covid reste toujours aussi prégnant même si on peut se demander s’il n’a pas changé de nature. Au niveau mondial, la pandémie a probablement dépassé le million de décès, certains pays comme la Chine et l’Iran sous-estimant notoirement leur nombre de décès. Officiellement, les États-Unis (185 000) mènent le bal devant le Brésil (123 000) et l’Inde (67 000). La chape de plomb du Covid continue à peser un peu partout même si on peut se demander si la pandémie ne change pas de nature. Toujours aussi agile, mais de moins en moins létale. L’ouragan ne serait plus qu’un simple orage tropical…

Par contre, l’ouragan économique continue son œuvre de dévastation. La plupart des chiffres de « croissance » du deuxième trimestre sont désormais connus : seule la Chine, la première touchée s’y affiche en positif (+ 3,2 %). Mais que de reculs : en rythme annuel, c’est Singapour qui remporte la palme avec – 41,2 % devant Israël (– 28,7) et l’Inde (– 23,9). Parmi les pays avancés, le recul le plus profond est celui du Japon (– 27,8) devant le Royaume-Uni (– 20,4) et l’Espagne (– 18,5). La zone euro s’en sort un peu mieux à l’image de l’Allemagne (– 10,1) et même au fond de la France (– 13,8). Répétons-le, il s’agit de la crise la plus forte que le monde ait connue depuis 1930 et cette fois-ci c’est l’homme qui en est responsable.

Voilà pour le rétroviseur. Mais qu’en est-il de l’avenir ? On ne se hasardera pas ici à faire des prévisions sanitaires. Du point de vue économique, tout le monde s’attend à un net rebond au troisième trimestre. Les marchés boursiers ont déjà effacé le Covid pour battre leurs records historiques. Mais dans l’économie réelle, la plupart des indicateurs avancés sont dans le vert : les ménages puisent dans leur épargne, les États empruntent, les banques centrales ne se préoccupent plus d’inflation, les entreprises de la nouvelle économie fanfaronnent. La réalité est probablement moins radieuse. Tous les plans de relance de la terre ne suffiront pas à colmater les brèches dans la vieille économie. Les entreprises en faillite, les emplois perdus (5 millions en Europe au deuxième trimestre) ne se retrouveront pas facilement. Le rebond attendu sera insuffisant pour panser tant de plaies.

Cette crise ouvre une page nouvelle. Elle marque bien la fin des Trente Glorieuses de la mondialisation heureuse. Mais devant nous, la page reste blanche et force est de constater que la plupart des gouvernements dans le monde se révèlent incapables d’en écrire quelque ligne nouvelle.

 

30 août

 

Dernier dimanche de vacances, fort pluvieux au Pays basque comme c’était le cas hier à Nice pour la première étape du Tour de France. Mais aujourd’hui, c’est le grand soleil sur la deuxième étape dans les Alpes-de-Haute-Provence, autour de Nice avec quelques grands cols (Turini, Eze…) : une vraie étape de montagne par une chaleur encore estivale.

Tout cela aurait dû avoir lieu, il y a deux mois. Dans les pentes du Turini, on se serait bousculé et les coureurs auraient même eu du mal à fendre la foule. Rien de tout cela aujourd’hui, la course se déroulant en semi-confinement avec une jauge de spectateurs limitée et des commentateurs, en « live » depuis les studios parisiens ! Mais au moins, le Tour a-t-il bien lieu avec comme aujourd’hui des étapes somptueuses au cœur de paysages tout droits sortis des pages de Giono : villages perchés, vallées profondes, ascension de cols improbables… Un match de football ou de rugby peut se dérouler n’importe où même si l’on aime à dire que certaines enceintes sont mythiques. Mais le terrain de jeu du cyclisme, c’est un territoire entier et au fil des étapes, c’est un voyage en France, celle des cartes postales, mais aussi celle de la ruralité, que nous offre le Tour.

Et puis, malgré sa mauvaise réputation et ses histoires de dopage, le cyclisme reste un sport « vrai ». Chacun y fait les mêmes doutes. Il ne s’agit pas que de pédaler, mais de gérer sa course, d’évaluer ses adversaires, sachant que les derniers mètres d’un col mentent rarement. Bien sûr, il y a les « grands » et les porteurs d’eau, les vedettes et les anonymes ; le cyclisme a toujours été professionnel, mais pour de courtes carrières et sans les débordements financiers – et fiscaux – constatés dans le football ou le tennis.

Aujourd’hui, grâce à cette étape devant la télévision, c’est un clin d’œil, celui du retour presque à la normale, car au fond ils pédalent aussi pour nos rêves.

 

 

29 août

 

À Nice, première étape du 107e Tour de France : deux mois de retard et une assistance limitée, mais… ils roulent ! Par contre, le Forum économique mondial de Davos prévu en janvier 2021 est repoussé à l’été et peut-être au-delà.

En ce week-end de rentrée (en France au moins), c’est toujours la cacophonie face au Covid. Les uns voudraient enfin en tourner la page et revenir à la vie normale tandis que les autres écoutent avec effroi la litanie des statistiques marquées un peu partout par l’augmentation des cas positifs.

Comme on pouvait s’y attendre en effet, les pays touchés parmi les premiers – en Europe notamment – enregistrent tous une forte remontée non seulement du nombre de cas positifs, mais aussi du taux ramené au nombre d’examens réalisés. On le constate en France, mais aussi en Espagne ou en Allemagne. Par contre, le nombre de patients admis en réanimation et a fortiori le nombre de décès continue à diminuer et dans certains pays n’a absolument plus aucune signification. Pour l’instant, le ciseau entre cas positifs et détérioration fatale est grand ouvert et le Covid se trouve rabaissé au rang d’une vulgaire grippe.

Que faire alors ? Pour l’instant, c’est le péril sanitaire qui domine : en France le port du masque bien sûr, mais aussi un confinement mesuré et encore beaucoup d’ambiguïtés à quelques jours de la rentrée scolaire. Ailleurs, l’heure est à la quarantaine et dans certains cas à nouveau au confinement…

Alors, le Tour de France roule pour le plaisir… des téléspectateurs. Davos par contre est avant tout un moment de contacts où l’on se frotte les épaules comme disent les anglo-saxons. Il en sera probablement de même pour la plupart des conférences et autres salons internationaux qui permettraient la rencontre des grandes « tribus » professionnelles.

Plus sérieusement, la vraie question n’est-elle pas maintenant celle du véritable statut de la pandémie : Covid mortel ou grippe certes agile, mais bénigne. À cela, pour l’instant, les « professeurs » ne savent pas répondre.

 

21 août

 

Les marchés boursiers sont-ils de bons indicateurs avancés de la conjoncture économique ? On peut quand même en douter et convenir au moins du fait qu’ils obéissent à une rationalité qui ne converge pas toujours avec la recherche du bonheur économique. La preuve, le SP500, l’indicateur le plus représentatif de Wall Street vient de battre un record historique, effaçant en totalité les doutes et le mini-krach provoqué par le Covid.

Ceci étant, il y a quand même une certaine logique puisque l’indice est littéralement aspiré vers le haut par les valeurs « technologiques » : toutes les entreprises pour lesquelles le confinement et la communication à distance ont été une bénédiction : les sept FANGMAN ont atteint une valorisation boursière de $ 7 600 milliards menés par Apple qui a passé la barre des $ 2 000 milliards devant Amazon ($ 1 650 milliards) et Microsoft ($ 1 600 milliards). C’est bien la victoire de ce que l’on appela à la fin du XXe siècle la « nouvelle économie » sur la vieille industrie (Exxon a même été retirée du Dow Jones).

Malgré tout de telles valorisations ne font pas grand sens et puis un jour ou l’autre même, ces entreprises seront touchées par la morosité ambiante. L’homme ne peut pas être de pure essence immatérielle : il doit consommer, se loger, s’habiller, voyager, aimer et pas seulement de manière virtuelle.

Les indices boursiers sont en fait de plus en plus décalés de la vie réelle. Ils reflètent les espérances de technologies souvent encore loin de la maturité économique : Tessla vaut plus que Toyota ! Les bourses peuvent donc s’affranchir des basses contingences de la conjoncture économique. Et à la limite, avec le recul de la consommation des ménages, partout l’épargne est au plus haut, une épargne qu’il faut bien investir quelque part… À la fin du jour, cependant, il faudra bien que ces entreprises dégagent quelque bénéfice…

Pour l’instant, acceptons – en croisant un peu les doigts – le présage de marchés boursiers bien optimistes…

 

 

20 août

 

« Transformer l’église catholique ». Sous ce titre, Michel Camdessus, ancien directeur général du FMI, mais aussi catholique engagé et familier du Vatican, vient de publier un texte rédigé par un petit groupe de travail composé pour l’essentiel de personnalités de sa génération – plutôt octogénaires – contemporaines donc de Vatican II, de ses ouvertures et de ses espérances.

Perplexes devant l’évolution actuelle de l’Eglise et d’une bonne partie du clergé qui pratique un véritable « retour en arrière », ils souhaitent soutenir les efforts – pour l’instant infructueux – du pape François à faire bouger les lignes d’une institution bimillénaire (la plus ancienne de la planète) dont la crise est manifeste en particulier pour les pays de vieille chrétienté.

Ils partent de l’un des premiers axes de la réforme souhaitée par François, celui de la lutte contre le cléricalisme, c’est-à-dire la concentration du pouvoir dans l’Eglise par la seule autorité sacerdotale qui a facilité maintes dérives et le silence qui a prévalu.

A partir de ce constat, ils proposent une véritable refondation du clergé avec notamment l’accès au sacerdoce des hommes mariés et le mariage des prêtres. On peut regretter une certaine prudence de leur part quant à l’ordination des femmes dont ils pensent que « l’heure viendra ». Ils insistent pour que la formation des prêtres soit en phase avec la réalité du monde et non à quelque illusoire retour à une chrétienté « traditionnelle » quelque peu enjolivée.

La synodalité, c’est-à-dire la participation de tous et en particulier des laïcs, aux responsabilités dans l’Eglise est pour eux une évidence bien contrariée malgré les efforts de François. C’est là l’aspect le plus délicat de leur réflexion : une des forces de l’Eglise catholique qui lui a permis de traverser les siècles et leurs crises, c’est bien son organisation centralisée et hiérarchique qui contraste avec l’éparpillement des églises protestantes. Assouplir sans affaiblir, l’équilibre est délicat, mais la France serait un beau terrain d’exercice pour pareille démarche tant le catholicisme y est en crise ce que le repli sur quelques bastions loin du christianisme populaire d’antan ne peut masquer. Ce texte, qui pour certains sera un véritable brûlot, a le mérite d’aller plus loin que beaucoup de catholiques, trop silencieux, ne pouvaient rêver.

 

 

18 août

 

Conférence avec Michel Camdessus à Saint-Jean-de-Luz sur la « crise de 2020 ». Quel regard porter et surtout quel regard chrétien ?

L’ancien directeur général du FMI a été en première ligne au moment de la crise asiatique de 1997 et reste un observateur au jugement sûr des turbulences mondiales. Alors que j’évoque les « Trente glorieuses » de la mondialisation heureuse, il nous ramène au cœur de cette période, en 1999, lorsque Francis Fukuyama nous berçait avec le rêve hégélien de la « Fin de l’histoire », auquel l’auteur de ces lignes a quelque temps adhéré en même temps qu’il sifflotait (mal) la petite chanson d’Amélie Poulain. Nous pensions alors que le monde avait enfin trouvé un modèle indépassable, une sorte de martingale idéale.

La rupture est là totale avec la permanence de trois menaces majeures, la crise écologique, la croissance des inégalités et le risque atomique. Mais, souligne Michel Camdessus, ne faut-il pas compter aussi avec ce qu’il appelle les « bénédictions cachées ». C’est bien sûr le progrès technologique qu’il serait absurde de balayer d’un revers de la main. C’est aussi le fait que de plus en plus de nos contemporains reconnaissent l’ardente nécessité de « l’abondance frugale ». Enfin – et ce point est plus discutable – il note une certaine avancée de la gouvernance mondiale et au moins européenne.

L’un et l’autre, nous pensons que 2020 est un tournant majeur et que les voix de la spiritualité sont encore trop inaudibles. De ce point de vue, l’encyclique « Laudato Si » du pape François marque une rupture plus d’ailleurs dans la forme que sur le fonds.

Le texte est court et clair, parfois même un peu simpliste mais il éclaire tout un pan de la crise écologique et sociale que 2020 a si cruellement mis à nu.

Fondamentalement, le regard chrétien doit avant tout privilégier la dignité de l’homme. Et j’aime cette « sortie par le haut » que proposait Benoît XVI dans Caritas in Veritate en 2009 : la grâce du don tout simplement !

 

 

17 août

 

La France exulte ! Il y a enfin une « université » française dans les quinze premières mondiales au classement de Shanghai. Cocorico !

Le classement de Shanghai est une invention chinoise qui consiste à classer les universités en fonction de la productivité de leurs chercheurs. Celle-ci est mesurée par le nombre de publications et de références à des publications à comité de lecture. On rajoute quelques points pour les prix Nobel et autres médailles Fields. Les publications retenues privilégient les sciences dures aux dépens des lettres et des sciences humaines. Mais, c’est là le sens de l’histoire. Remarquons que ce paradigme n’est pas propre à Shanghai : il régit toute la communauté académique internationale et les carrières ne s’y construisent qu’au prix de multiples publications d’envergure de plus en plus limitées :  « publish or perish », telle est la triste condition de l’universitaire de base ; l’enseignement, la transmission des méthodes du savoir, tout cela est devenu secondaire.

Longtemps, la France n’a guère figuré dans ce fameux classement de Shanghai. C’est que les universités y sont récentes, supprimées qu’elles furent à la Révolution du fait de leur dépendance de l’Eglise et vraiment rétablies seulement par la loi de 1896. Entre-temps, s’était développé un système original de « grandes écoles » formant des ingénieurs (Polytechnique en 1794, les Arts et Métiers en 1804) puis des « commerciaux » (ESCP en 1819, HEC en 1889), écoles qui continuent à drainer en France les meilleurs étudiants sortis après concours des « classes prépas ». Sauf exception (médecine, droit), les bacheliers vont à l’université en dernière option.

Facteur aggravant pour les malheureuses universités, l’organisation de la recherche s’est faite à partir de 1945 dans la logique française de centralisation autour d’établissements publics comme le CNRS, l’INRA et quelques autres.

Résultat, ni les universités bien mal loties, ni les grandes écoles, trop petites, ne figuraient dans un classement de Shanghai certes critiquable, mais devenu incontournable. C’est là qu’est intervenu le génie français du bricolage administratif. Alors qu’il y a cinquante ans, on avait fait éclater les universités (l’université de Paris était passée de I à XIII !), on a décidé de les recoller en y rajoutant des grandes écoles pour faire bonne mesure. Ainsi sont nées Paris-Saclay, Paris Sciences et Lettres et quelques autres. C’est en général artificiel et n’a pour l’instant d’existence que sur le papier : du « window dressing » diraient les anglo-saxons. Mais pour Shanghai, cela a marché !

 

 

15 août

 

Le soleil brillait sur Lourdes pour le traditionnel pèlerinage « national ». Mais en ces temps de Covid, c’était un « national » bien particulier, sans malades : ni chariots ni chaises roulantes et des brancardiers réduits à des fonctions de service d’ordre afin de ne pas dépasser le seuil des 5 000 personnes autour de la grotte.

Dans la basilique souterraine, la messe était présidée par le cardinal Parolin, le secrétaire d’Etat du Vatican. Comme d’habitude à Lourdes, toutes les langues s’entrechoquaient, révélateur de cette universalité de l’Eglise catholique dont cette petite ville au pied des Pyrénées est un symbole. A l’aune de Lourdes justement, le sanctuaire était presque vide mais il retentissait des youyous joyeux d’un pèlerinage ivoirien tandis que se croisaient Espagnols et Indiens, Chinois et Italiens.

La ville, elle, avait bien triste mine. Sur près de deux cent hôtels, à peine une trentaine étaient ouverts et aucun n’était complet. Avec un parc hôtelier souvent vétuste et devant pratiquer des prix plus que modérés, le Covid a été un coup qui risque d’être fatal pour nombre d’établissements et de commerces dont même, en ce 15 août, les vitrines sont restées closes.

Pourtant, c’est dans ces rues « marchandes » que bat aussi le cœur de Lourdes : on y trouve des restaurants du monde entier, aussi bien Tamils du Sri Lanka que maquis africains. On y côtoie des pèlerins de toutes races et de toutes origines, faisant d’ailleurs preuve d’un assez grand respect pour le port du masque.

L’après-midi, le long du gave, la foule était joyeuse, mais aussi recueillie le temps du chapelet.

Lourdes peut bien faire sourire les esprits forts mais c’est aussi un lieu où justement souffle l’Esprit. En y venant comment ne pas penser aussi aux amis musulmans privés cette année de « hadj ». Mon ami sénégalais, Cheikh Kante, qui chaque année fait le petit hadj, m’a répondu ce soir « comme d’habitude, nous sommes en union de prières ».

 

Si toute la vie et la géopolitique mondiale pouvaient être aussi simples et franches…

 

 

12 août

 

Joe Biden a donc choisi son/sa colistière. Comme prévu, une femme et de couleur, Kamala Harris, sénateur de Californie. Elle est tout sauf une inconnue tant aux États-Unis les sénateurs (il y en a deux par État) disposent d’un poids politique considérable.

Si elle coche les cases du sexe et de la couleur, elle n’est pas pour autant issue de la communauté afro-américaine. Ses parents, lui Jamaïcain, elle Indienne, issus de milieux bourgeois se sont connus sur le campus de Stanford où son père fut professeur d’économie. Avant d’être sénateur, elle avait été procureur général de Californie (un poste soumis à élection aux États-Unis). Elle était considérée comme beaucoup plus proche de Biden que de Bernie Sanders.

Si aux États-Unis, le vice-président est une sorte de « prince consort » sans aucun pouvoir exécutif, la composition du « ticket » reste essentielle pour balayer large : Biden est un produit de la Côte est relativement classique, mais catholique (s’il était élu, il serait le second président catholique après Kennedy). Il choisit une femme issue de l’immigration, peu marquée du point de vue religieux. C’est assez bien joué. Ceci étant, Kamala Harris, qui avait été candidate à l’investiture et qui a un incontestable charisme, risque de ne pas se contenter de jouer les potiches et pourrait jouer un rôle plus important notamment en matière d’ordre et de justice. Et puis, Joe Biden ne faisant – vu son âge – qu’un mandat de quatre ans, elle serait bien placée pour 2024 : le dernier vice-président à avoir été élu président fut Bush père qui succéda à Reagan.

Il leur reste simplement à confirmer dans les urnes des sondages pour l’instant largement favorables. Trump sera coriace dans les dernières semaines alors qu’il lance son propre plan B faute d’accord avec les démocrates du Congrès. Qui se souvient d’ailleurs de son vice-président ? (Mike Pence). Les jeux ne sont pas faits.

 

 

6 août

 

Explosion à Beyrouth, mais c’est tout le Liban qui implose… Beyrouth – et surtout ses quartiers chrétiens – se trouve ravagée et l’on découvre à cette occasion toutes les failles qui minent ce qui fut longtemps considéré comme la Suisse du Moyen-Orient.

Le Liban a reçu de l’histoire le lourd héritage d’une mosaïque de races et de religions, de la domination romaine, byzantine, franque et surtout ottomane avant un bref – et bien peu glorieux – épisode français. Le système d’équilibre des communautés inventé au moment de l’indépendance pouvait avoir son sens à la fin des années quarante. Mais il a joué à l’encontre de la construction d’une identité libanaise et a ouvert au contraire ce petit pays au grand vent d’influences délétères venues d’Iran et de Syrie, d’Arabie saoudite, sans oublier la Palestine et Israël.

Alors que la plupart des pays voisins se contentaient de quelques paroles de bienveillance, le Liban accepta le fardeau des réfugiés, Palestiniens d’abord, et cela dès les années soixante, Syriens plus récemment.

La guerre civile a dressé les uns contre les autres et le Liban n’est plus aujourd’hui qu’un assemblage de principautés féodales aux équilibres précaires et qui s’accrochent à leurs privilèges : le Hezbollah (le parti chiite, bras armé de l’Iran en Syrie) contrôlait une partie du port de Beyrouth ; le parti du général Aoun, le président de la République chrétien, tient l’électricité et des fournitures limitées à quelques heures par jour ; l’ancien premier ministre avait augmenté la fortune du groupe familial de construction en réalisant une bonne partie de la reconstruction de Beyrouth…

On comprend la colère des Libanais et le désarroi des bailleurs de fonds internationaux. Mais l’absence totale d’empathie des dirigeants libanais face à la catastrophe, à commencer justement par le général Aoun, n’incite guère à l’optimisme. Il n’est pas sûr que cette fois-ci le Liban parvienne à surmonter une crise certes économique et financière, mais avant tout politique et sociale.

 

4 août

 

La nouvelle est tombée sur une dépêche de Bloomberg et en quelques heures a fait le tour de la planète des commodités : BNP Paribas arrête ses activités de financement du négoce international (commodity trade finance).

Il y a quelques années encore, BNP Paribas dominait ce secteur en réalisant la moitié d’un marché mondial alors en plein développement. Financer les transactions du négoce international de matières premières est en effet une activité à haut risque : les montants engagés (50 000 tonnes de blé, c’est $ 10 millions, un million de barils de pétrole $ 40 millions…) dépassent très vite le montant des fonds propres d’entreprises privées (au sens anglo-saxon du mot) qui gèrent des risques considérables en optimisant au quotidien leur spéculation. Le banquier finance-là, en dehors de quelques grands groupes, avant tout des hommes, des équipes capables de gérer ces risques. Chaque année, des faillites ou des disparitions viennent rappeler qu’il ne s’agit pas d’un métier de tout repos.

Curieusement, alors que la France a perdu à peu près toute l’activité de négoce (sauf un peu dans le domaine agricole), ce sont les banques françaises qui ont inventé et longtemps dominé cette ligne de métier. Dans les années soixante-dix Paribas inventa à Genève les premiers swaps pétroliers, tandis qu’à Paris le Crédit Lyonnais puis la BNP se dotaient de cellules spécialisées.

Par le jeu des fusions, BNP Paribas devint, à partir de Genève et de Paris, le premier acteur mondial. Mais c’est de Genève que quelques opérations financées sur du pétrole du Soudan (entre autres) malgré un embargo américain déclenchèrent une amende record (€ 9 milliards) infligée par la justice américaine à la banque française. Les commodités devinrent alors une sorte de brebis galeuse et au fil des départs BNP Paribas perdit peu à peu son expertise. Quelques faillites récentes à Singapour et à Dubaï ont contribué à sonner le glas final d’une

 

 

2 août

 

Les uns après les autres tombent les chiffres de la « croissance » au deuxième trimestre : pratiquement partout ce sont les pires jamais enregistrés depuis la Grande Dépression du début des années trente.

– 9,5 % aux États-Unis, ce qui donne – 32,5 % en rythme annuel, la pire performance depuis 1 931 ; – 18,5 % en Espagne et en fait – 22 % pour le premier semestre ; le pire cette fois-ci depuis la guerre civile. En Europe, la zone euro est à – 12,1 %, ce qui est là aussi le plus mauvais chiffre historique, allant donc des – 18,5 % de l’Espagne à – 10,1 % pour l’Allemagne.

Ailleurs, à l’exception de la Chine tout est négatif à l’image du Mexique (– 17,3 %) et en fait de toute l’Amérique latine. Et en Asie, que dire des – 41 % de Singapour et même des – 3,3 % de la Corée du Sud ?

Certes, on regarde là dans le rétroviseur : le deuxième trimestre a été celui du grand confinement en Europe et de l’extension de la pandémie aux Amériques. Mai a été probablement le pire mois de l’histoire économique du monde contemporain. Tout cela est maintenant du passé : un peu partout les plans de relance sont à l’œuvre à coup de milliards de dollars ou d’euros. Certes, la crainte d’une reprise du Covid maintient des secteurs entiers – au premier chef le tourisme et l’aérien – dans un état comateux. Mais les indicateurs avancés (les PMI) sont presque partout revenus dans le vert et les perspectives d’un rebond au troisième trimestre semblent crédibles.

Les marchés boursiers ne sont bien sûr pas les sources les plus faibles. Pendant la débandade économique de ce deuxième trimestre, le SP500 de Wall Street réalisait sa meilleure performance depuis 1998 (+ 19 %). Et en juillet, Apple, redevenue la première capitalisation mondiale, a culminé à $ 1 817 milliards ! Enfants de la mondialisation, les GAFAM ont largement profité de la crise qui condamne les excès de cette même mondialisation.

 

Cette avalanche de mauvais chiffres passera peut-être inaperçue au cœur de la torpeur estivale. Mais, c’est la rentrée qu’il faudra en payer les factures !

 

28 juillet

 

La « relique barbare » est en folie ! L’or a atteint en séance $ 1980 l’once et aura peut-être passé la barre mythique des $ 2000 au moment de la lecture de cette chronique.

La chute du dollar, liée au rebond du Covid aux États-Unis et à des perspectives économiques américaines moins propices, a été l’ultime étincelle qui a provoqué la flambée des cours de ces derniers jours. Mais en ces temps d’incertitude, le réflexe valeur refuge a joué notamment pour les investisseurs qui utilisent les fonds d’investissement (ETF) qui détiennent désormais plus de 3 000 tonnes d’or. Ajoutons à cela quelques banques centrales qui pour des raisons politiques préfèrent l’or au dollar comme cela a été le cas ces dernières semaines de la Turquie.

Mais la raison principale de cet emballement est la faiblesse des taux d’intérêt, nuls, voire négatifs. L’or est en effet un placement « idiot » : il est stérile, ne crée pas de richesse et ne rapporte rien. En temps normal, il est plus rentable d’acheter des obligations d’état, tout aussi sécurisés, mais qui au moins rapportent des coupons. Mais avec des taux négatifs, l’achat d’or n’est plus aussi absurde, d’autant plus que dans certains pays, l’or échappe aux fourches caudines fiscales et l’avantage de la discrétion. C’est le cas en France bien sûr, mais aussi en Chine et en Inde, les deux principaux « consommateurs » d’or au monde. Et la perspective d’une bonne mousson en Inde augure d’une belle « saison des mariages » et donc d’une augmentation des achats d’or, du moins si le Covid le permet.

Jusqu’où l’or peut-il monter ? Certaines prévisions (jusqu’à $ 5 000 l’once) ne sont pas très raisonnables. Goldman Sachs parle de $ 2 300 à douze mois, ce qui paraît excessif. Il faut en effet tenir compte du fait de l’importance du stock d’or qui peut réapparaître à des prix pareils. Dimanche, toute la première de couverture d’un quotidien régional français « La Dépêche du Midi » portait la manchette : « Vendez votre or ». Et il peut en sortir beaucoup du dessous des matelas dans le monde entier !

 

 

27 juillet

 

Aux abois, pris entre la résurgence du Covid dans les états républicains et des perspectives économiques qui restent médiocres, Donald Trump a appuyé sur le bouton chinois pour essayer de susciter un sursaut patriotique. Les cartouches iraniennes et vénézuéliennes sont en effet déjà utilisées et vis-à-vis de l’Europe, il faut ne pas heurter les importantes diasporas irlandaises, italiennes et même allemandes ou polonaises (seul le French bashing peut fonctionner, mais les vins français sont déjà taxés…).

Alors, la Chine et ce d’autant plus que les Chinois ne sont pas irréprochables en matière de propriété intellectuelle et d’espionnage en tout genre : fermeture donc du consulat de Houston ; réplique immédiate des autorités de Pékin avec la fermeture du consulat américain de Chengdu. C’est la « guerre des consulats » ! Il est loin le temps où les légations occidentales étaient assiégées à Pékin durant la guerre des boxers, mais aussi pendant la Révolution culturelle.

De manière assez curieuse, pendant ce temps, les affaires continuent et la Chine a réalisé en une semaine des achats record de soja et de maïs américain et semble enfin commencer à tenir ses engagements de « phase 1 » signés le 15 janvier dernier.

Paradoxalement, sur le fond de l’affaire, les États-Unis ont raison (tout comme d’ailleurs l’Europe, mais qui n’a pas la même puissance de feu), mais c’est la Chine qui a la main face à une administration Trump affaiblie. Xi Jinping se contente de répliquer, considère la reprise en main de Hong Kong comme un fait accompli et profite même d’une relative embellie économique.

À cent jours des élections américaines, l’indifférence chinoise sera payante et il n’est pas sûr que l’activisme trumpien lui permette de remonter son retard électoral. Mais les questions posées du côté américain sont légitimes et il faudra qu’à un moment ou un autre l’Occident s’en inquiète.

 

 

22 juillet

 

Ce fut donc au petit matin, dans une grande tradition bruxelloise qui remonte aux marathons agricoles, qu’un peu de fumée blanche est apparue au sommet du bâtiment du Conseil des ministres européens. Il y avait un accord et cela malgré l’opposition des « frugaux » menée par un austère néerlandais et une jeune prima donna autrichienne sans oublier quelques sombres requins hongrois et polonais. L’axe franco-allemand a tenu bon, aidé par un aimable Belge qui a arrondi les angles comme on sait le faire dans pays habitué à tous les compromis.

Résultat donc, un accord : pour la première fois, un emprunt européen de € 750 milliards répartis entre € 390 milliards de subventions et € 360 milliards de prêts. On était parti de 500/250 et on peut imaginer tous les marchandages auxquels cette répartition a pu donner lieu. Les principaux bénéficiaires en seront l’Italie, l’Espagne et la France et il y avait quelque indécence de la part des pays concernés à annoncer les sommes allouées, comme une sorte de cadeau tombé du ciel, alors que cet argent de l’Europe reste financé par les contribuables européens.

Il a fallu bien sûr, céder un peu de rabais aux frugaux, enterrer les remarques aussi sur l’état de droit de manière à ne pas froisser Hongrois et Polonais dont la conception peut être élastique.

Loin de l’euphorie hamiltonienne, ce fut un accouchement aux forceps qui a mis en évidence des fractures qui risquent de se creuser dans les années à venir.

Le départ des Britanniques n’a malheureusement pas marqué de rupture dans une fabrique européenne qui tient plus du sable que du ciment. Ceci étant, avoir enfin une dette commune devrait rapprocher beaucoup plus que l’illusion d’un idéal européen que nous sommes bien peu à partager encore.

 

 

21 juillet

 

Une longue course de montagne, le long du Jaizquibel, la chaîne qui va de Fontarrabie à Saint-Sébastien et qui surplombe la mer s’est terminée, après moult fatigues qui fait sentir « des ans et du Covid l’irréparable outrage », à Pasajes, l’avant port de Saint-Sébastien. Pasajes est en fait une longue rue coincée entre la montagne et l’étroit goulet menant au port. C’est un haut lieu de la basquitude, célèbre par un monument rappelant la victoire des Basques contre l’envahisseur Charlemagne à Ronceveaux. Mais Lafayette et Victor Hugo sont aussi passés par là.

Ce soir c’était comme toujours l’heure du paseo. Mais tous les promeneurs portaient un masque et le montagnard quelque peu épuisé dut sortir le sien du sac à dos. Jeunes et vieillards, tous étaient ainsi accoutrés.

Au même moment, on circulait à Biarritz ou à Saint-Jean-de-Luz sans la moindre contrainte. Certes, le masque est à nouveau imposé dans les commerces, mais le principal sujet du moment est de savoir si le masque pourrait être « remboursé » et subventionné.

La France est arrivée à un tel niveau d’assistance que l’on a estimé cette demande presque normale et que le refus d’Emmanuel Macron – parfaitement justifié – a été interprété comme une preuve supplémentaire de son insensibilité. À la limite, il serait légitime en France d’être payé pour porter un masque !

Nos amis Basques, qui viennent de redonner une confortable majorité au PNV, le parti nationaliste basque, éliminant presque de la carte locale Podemos, ne se posent pareilles questions.

Merveilleuse exception française !

 

 

19 juillet

 

La maîtrise de la pandémie en Asie a un coût tant économique que social. La croissance de Singapour a été en recul de 41 % au deuxième trimestre : l’économie s’est arrêtée, les frontières se sont fermées à tous les travailleurs immigrés qui font tourner l’économie, tout comme celle de la Malaisie voisine. En Malaisie, 84 % de la main-d’œuvre des plantations de caoutchouc et d’huile de palme sont des immigrés en provenance surtout de l’Indonésie et du Bangladesh. Ceux-ci se trouvent bloqués par les mesures de quarantaine décidées par le gouvernement malaisien et la production d’huile de palme risque d’en souffrir. Dans un pays comme la Malaisie, ces travailleurs immigrés – même musulmans – sont au plus bas de la hiérarchie sociale dominée par les « bumiputras », les Malais qui ont la préséance sur les Chinois et les Indiens.

La prospérité asiatique est à ce prix, l’Indonésie et les Philippines faisant office de réservoirs de main-d’œuvre corvéable à merci.

Les conditions d’émigration sont en général autrement plus strictes que celles prévalant en Europe, la palme de ce point de vue revenant à Singapour. L’île-état ne vit que grâce à une main-d’œuvre immigrée parquée dans des conditions à peine supérieures à celles qui sont la règle dans le golfe Arabo-Persique.

Un peu comme on a oublié la traite arabe au profit de la seule traite atlantique, il faut reconnaître que la réalité des migrations et de l’exploitation des hommes est bien universelle. Et alors que semble se tourner une page de la mondialisation de la fin du XXe siècle, ne faut-il pas rappeler que celle-ci s’est limitée aux marchandises et aux « affaires » et que le déplacement des hommes en est resté cruellement limité.

La population indienne en Malaisie était arrivée en qualité d’« indentured servants », une invention britannique à mi-chemin du serf et de l’esclave. Rien de cela n’a vraiment changé.

 

 

17 juillet

 

La Chine se redresse ! Au deuxième trimestre, la croissance chinoise a été de 3,2 % (après – 6,8 % au premier trimestre). Ce chiffre s’explique surtout par la reprise de la production industrielle (+ 4,8 % en juin) alors que la consommation des ménages reste encore dans le négatif (– 1,8 % pour les ventes de détail en juin).

Les données de production les plus récentes confirment cette embellie : en juin, la production d’acier a augmenté de 4,5 % (sur juin 2019) et la demande apparente d’acier de 9,4 % soutenue en particulier par la construction. La Chine a recommencé à augmenter ses importations de matières premières : 12,9 millions de barils/jour de pétrole en juin (+ 34 %), + 11 % pour le gaz naturel, + 100 % pour le cuivre, + 71 % pour le soja… Le moteur chinois semble bien reparti alors même que les principaux marchés de la Chine à l’exportation sont toujours en crise.

Touchée la première, la Chine aurait trois à quatre mois d’avance sur les pays industrialisés, plus encore sur les autres BRIC qui sont encore en pleine phase d’expansion de la pandémie à l’image du Brésil, de l’Inde ou de l’Afrique du Sud.

Bien sûr, le bilan sanitaire chinois est tout autre que ce qu’en disent les autorités et les 3 000 ou 4 000 morts de Wuhan ne sont que la partie émergée d’un iceberg que nul ne sait mesurer. Mais à la taille de la Chine, cela importe peu et la « victoire » chinoise sur le Covid renforce un peu plus la dérive totalitaire du régime de Pékin : Hong Kong en est la preuve, mais il en est de même, de manière plus subtile, tout au long de ces nouvelles « routes de la soie » sur lesquelles l’influence chinoise s’appuie sur des dépendances financières de plus en plus marquées. Maints détails devraient alerter comme l’absence de réciprocité pour les lignes aériennes au départ ou à destination de la Chine. Mais les nouveaux déséquilibres du monde favorisent un impérialisme chinois qui se joue tant de l’Europe que de l’Amérique du Nord, alors même que le reste de l’Asie souffre encore à l’image de Singapour (– 41,2 % au deuxième trimestre !).

La Chine se réveille ; plus forte que jamais et le vieux monde tremble !

 

 

15 juillet

 

Il n’y a de justice que pour la canaille… La Cour de Justice européenne vient à nouveau d’en administrer la preuve en annulant l’amende de € 13 milliards infligée à Apple pour avoir bénéficié d’avantages fiscaux indus en Irlande. Apple comme bien d’autres GAFAM avait profité – et profite encore – du dumping fiscal et social que l’Irlande a mis en place pour attirer les sièges européens de groupes mondiaux.

En réalité, ce que la Cour de Justice a implicitement condamné, c’est le désordre fiscal européen. Apple n’a rien fait d’illégal en exploitant les contradictions entre pays européens (et bien au-delà). L’Irlande n’est d’ailleurs pas le seul pays en cause. Sans parler des paradis fiscaux parasites de l’UE (Jersey, Lichtenstein, Gibraltar, Andorre…) que dire de Malte, devenue la Mecque des paris en ligne et même des vertueux Pays-Bas, si prompts à faire la leçon aux Européens trop dépensiers, où nombre d’entreprises européennes entretiennent des sièges sociaux fictifs. Malheureusement, l’harmonisation fiscale européenne tient encore du rêve.

Ceci étant, il y a une autre manière d’aborder le problème : Apple et les autres GAFAM sont des entreprises qui se prétendent exemplaires, héritières de l’éthique protestante anglo-saxonne, accentuée par tous les mouvements de responsabilisation sociale et environnementale qui ont fleuri sur la côte Ouest des États-Unis. Ces entreprises – et leurs dirigeants – sont les premières à donner des leçons aux dirigeants politiques de la planète et à mettre en avant leurs « valeurs ». Mais la première de ces valeurs ne devrait-elle pas être de payer son impôt dans la communauté au sein de laquelle s’exerce son activité ? La réflexion est bien naïve et ne passerait pas la barrière de la moindre direction financière. Mais elle illustre les limites de cette éthique dont se targuent tant les « nouveaux riches » de la planète. Bill Gates a eu beau donner une partie de sa fortune, Microsoft n’en est guère plus exemplaire. Et feu Steve Jobs n’était pas plus recommandable…

 

 

14 juillet

 

Avec la Russie et la Chine, la France est le seul pays – et la seule démocratie – à avoir conservé la tradition des parades militaires. Et en ces temps de dénigrement, des institutions que sont l’école, la justice ou la police, l’armée reste l’un des piliers les plus solides de la République, un cadeau pour les gouvernements de passage qui y trouvent un interlocuteur docile, prêt à intervenir sur de multiples terrains où la France défend son statut de grande puissance, et surtout s’accommodant de conditions souvent précaires et spartiates, servis par un corps d’officiers là aussi la plupart du temps aux antipodes des évolutions de la société française…

En ces temps de Covid, le défilé du 14 juillet a été réduit à un circuit autour de la place de la Concorde (là même – mais on l’avait oublié – où furent décapités Louis XVI et Marie-Antoinette…). A en juger par la couverture médiatique, la ferveur était bien là et le Président de la République en a profité pour renouer avec la tradition de l’interview télévisée, cela la veille du discours de politique générale de son nouveau Premier ministre.

Ce fut là un curieux exercice, six cents jours donc avant les prochaines élections présidentielles. Le Président a battu sa coulpe, mais n’a pas pour autant changé son cap même si le pas des réformes semble de plus en plus mesuré. Il n’est franchement même pas sûr que ce quinquennat puisse se terminer avec enfin une véritable réforme des retraites. Les 149 propositions de la Convention citoyenne seront d’aimables diversions, souvent d’une totale irresponsabilité, permettant de verdir un peu la politique française tandis qu’en catimini, des textes comme celui sur la PMA permettent de séduire la macronie de gauche. On est là dans la cuisine politicarde.

Pendant ce temps-là, la France affiche l’un des pires bilans économiques européens sans pour autant avoir triomphé sur le plan sanitaire. C’est bien la preuve que le diagnostic d’Emmanuel Macron en 2017 sur la nécessité des réformes était juste. Trois ans ont passé…

 

 

12 juillet

 

Bordeaux qui rit… Bordeaux qui pleure ! Rarement, le marché du vin aura offert pareil contraste.

Bordeaux qui rit, ce sont les grands crus, ceux qui au printemps sont vendus en primeurs (le millésime 2019, livrable en 2021). La campagne des primeurs a été cette année « virtuelle » sans les traditionnelles dégustations de château en château. Le confinement était passé par là même si tout laisse à croire que le 2019 sera excellent. Tenant compte de la crise et des stocks accumulés dans le négoce, la plupart des châteaux ont proposé leurs vins à des prix moindres que ceux du millésime 2018. Pontet Canet, le premier château à annoncer ses prix, a donné le la avec une baisse de 30 %. Tout le monde a suivi avec des baisses de prix de 20 à 25 %. Résultat, la demande a été forte et de l’avis de tous les acteurs, la campagne des primeurs 2020 a été une incontestable réussite.

Bordeaux qui pleure maintenant : c’est l’immense majorité des vignerons bordelais, ceux qui produisent simplement « du Bordeaux ». Ce sont les vignes de l’Entre-Deux-Mers, de la rive droite jusqu’à Blaye. Le vin se vend en vrac par barrique bordelaise de 900 litres (soit donc 1 200 bouteilles). Le prix de la barrique était tombé à moins de € 700 ; 500 000 hectolitres ont été distillés pour alléger le marché, mais cela n’a pas suffi et les prix se sont à nouveau effondrés, à peu près à la moitié des coûts de production réels. La raison en est la diminution de la demande et surtout la concurrence internationale dans cette catégorie de vins (entre € 5 et € 10 la bouteille) en provenance du Chili, d’Argentine ou d’Australie, sans oublier l’Espagne et ses vignobles de Rioja ou de Ribeira del Duero. Mais le résultat en est qu’une barrique de Bordeaux AOC vaut le même prix qu’une bouteille de premier cru classé (Lafite ou Haut-Brion) : un rapport donc de 1 à 1 200 si on prend là les extrêmes.

Bordeaux qui rit et Bordeaux qui pleure…

 

 

10 juillet

 

Recep Tayyip Erdogan est un homme de plus en plus dangereux tant pour la Turquie que pour son voisinage. Il fut un temps où l’on pouvait considérer la Turquie comme un candidat crédible à l’Union européenne. L’auteur de ces lignes en fut ainsi un partisan rappelant par exemple qu’une bonne partie des pérégrinations de Saint-Paul se déroulèrent en Turquie comme l’attestent ses lettres aux Éphésiens et autres. La candidature turque gênait l’Europe du fait de la place centrale occupée par l’armée, garante du Kémalisme. Et au début, l’arrivée au pouvoir d’islamistes modérés, alors que la Turquie connaissait un véritable boom économique, semblait offrir une alternative crédible aux dérives dont souffraient la plupart des régimes de la région.

La réalité du caractère de RT Erdogan n’est apparue que peu à peu. La tentative de coup d’État menée par certains milieux militaires a encore aggravé sa dérive que ses récents échecs municipaux (il a perdu les mairies d’Istanbul et d’Ankara) n’ont fait qu’amplifier. RT Erdogan rêve ainsi de la reconstruction d’un califat ottoman : califat, dans la mesure où l’Islam redevient le centre de toute chose, et ottoman pour redonner au peuple turc son poids géopolitique en reprenant d’anciennes principautés tributaires, de la Syrie à la Libye.

Sa décision de refaire de Sainte-Sophie une mosquée est absurde. Atatürk avait en 1934 choisi ce symbole pour marquer la laïcisation de la Turquie (dix ans plus tôt, il avait supprimé le califat). Istanbul ne manque pas de mosquées, souvent plus « pures » en termes d’architecture religieuse comme la Mosquée bleue. Sainte-Sophie était un beau symbole de convergence religieuse.

 

Mais Erdogan, confronté à la crise économique, à l’enlisement militaire en Libye et en Syrie, à la contestation même dans les rangs de son parti, avait besoin de faire diversion et de mobiliser le cœur de ses partisans par une mesure archaïque qui l’éloigne un peu plus d’une UE où la Turquie actuelle n’a vraiment pas sa place. Dommage et… inquiétant.

 

9 juillet

 

Curieuse idée que de vouloir faire renaître de ses cendres le Commissariat au Plan (qui deviendrait un « Haut » commissariat tant la République aime les titres ronflants).

Le « Plan » tel que nous l’avions connu fut supprimé par un trait de plume du flamboyant Dominique de Villepin que le commissaire de l’époque, le philosophe Alain Etchegoyen avait quelque peu irrité. Mais en France, rien ne se perd et le siège du Plan (un superbe hôtel particulier, rue de Martignac en face de Sainte-Clotilde) et ses équipes furent récupérés par un nouvel organisme faisant grosso modo la même chose, France Stratégie.

Il est vrai que le Plan, en ce début de XXIe siècle n’était que l’ombre de l’organisme créé en 1945 et chargé sous la houlette de Jean Monnet de coordonner la reconstruction de la France puis la gestion de l’aide du Plan Marshall. En créant un Plan dans ces années d’après-guerre, la France emboîtait certes le pas de l’URSS et de l’Allemagne nazie, mais surtout préparait les « Trente Glorieuses » de ce que l’on qualifia d’économie mixte. Le Plan fixait des objectifs élaborés par des groupes où se retrouvaient entreprises publiques, patronat privé et syndicats. Le cadre général était donné par de vastes analyses macro-économiques et le Plan fut un pionnier dans l’utilisation des premiers modèles mathématiques.

L’âge d’or du Plan, ce furent les années cinquante, marquées par la faiblesse du pouvoir politique et par l’émergence d’une technocratie qui fit du Plan un lieu privilégié tant de réflexion prospective que surtout d’échanges et de dialogues entre partenaires sociaux, milieux académiques et même un peu de société civile. Il était au fond la version « haut de gamme » d’un Conseil économique et social endormi dans les ors de la République.

Les plans quinquennaux disparus, le Plan conserva un temps sa double fonction de prospective et de lieu de rencontre. D’autres structures d’expertise (comme le CAE) apparurent. L’auteur de ces lignes qui fut candidat il y a une vingtaine d’années au poste de Commissaire au Plan peut en parler avec expérience, et la résurgence du Plan en France souffre plutôt aujourd’hui d’une pléthore d’organismes et de commissions « ad hoc » se superposant les unes aux autres.

Certes, on parle de plan de relance et l’on pense qu’il faudrait là un haut commissaire. Mais sauf à utiliser un vieil hôtel parisien et à donner un hochet à un politique méritant, cela n’a plus guère de sens.

 

 

7 juillet

 

Il y a cinquante et un ans, un lycéen bordelais consultait fébrilement les listes des reçus au baccalauréat. Élève moyen de Terminale C, frôlant la nullité en physique-chimie et bien laborieux en maths, il n’y avait que l’histoire et le latin qui pouvaient le sauver. En latin, il avait eu un passage du « De Natura Retum » de Lucrèce, en allemand, sa seule langue, un texte de Kafka. En 1969, au lendemain de 1968, il y avait écrits et oraux. Les résultats étaient là : 10, tout juste, rattrapé en fait par le latin, matière à option et un 18. 10, pas de quoi pavoiser, mais suffisant pour faire par la suite quelques études… La seule mention très bien de notre collège alla à un futur polytechnicien.

C’était il y a plus de cinquante ans et le « bachot » premier grade de l’enseignement supérieur avait quelques sens.

La cuvée 2020, certes perturbée par le Covid, tient de l’absurde : 91,5 % de reçus avant même rattrapage (il n’y a pour l’instant que 5,2 % de recalés). Le baccalauréat n’a plus guère de sens et de toute manière toutes les sélections sont – via Parcoursup – déjà jouées. Pour l’instant, les statistiques des mentions ne sont pas disponibles, mais gageons que le nombre de mentions TB sera lui aussi en forte croissance.

Réalisant cette année les sélections pour le Master que je dirige à Dauphine, l’immense majorité des candidats (bacheliers en 2015 en général) avaient obtenu une mention TB et plusieurs avaient eu des moyennes supérieures à 19 !

Le baccalauréat n’a plus aucun sens, ne sert à rien, coûte cher et doit disparaître. La logique voudrait qu’on le remplace par un diplôme de fin d’études délivré par chaque lycée. Ce pourrait donner lieu à une remise solennelle dans chaque établissement avec discours et parents émus. Non seulement on donne le baccalauréat à tous, mais on ne sait même pas le remettre.

Ils sont 700 000 cette année à avoir un petit goût amer dans la gorge, l’impression que les adultes, une fois de plus, se sont moqués d’eux.

 

 

6 juillet

 

Changement de gouvernement en France. L’essentiel est bien le changement de Premier ministre et cela illustre le statut désormais bien ambigu de cette fonction. Autrefois, il y avait rue de Varenne, en l’hôtel Matignon, un président du Conseil. L’occupant de l’Élysée n’était qu’une potiche dont le pire exemple avait été le malheureux président Lebrun en juin 1940.

L’arrivée du général de Gaulle a changé la donne. Fort de sa majorité et de son élection au suffrage universel, il fit du premier des ministres un collaborateur, choisissant même des hommes sans véritable aura politique à l’image de Georges Pompidou (un banquier de chez Rothschild). Par la suite, la relation Élysée/Matignon évolua au gré des rapports de force avec même des périodes de cohabitation durant lesquelles le Premier ministre redevenait le véritable chef de l’État.

Le passage au quinquennat eut le mérite de simplifier les choses puisque les trois dernières législatures (Sarkozy, Hollande, Macron) ont vu les Français donner à leur président toutes les clefs de la maison. Avec François Fillon, Jean-Marc Ayrault et même Manuel Valls, le Premier ministre s’est vu ravalé au même niveau (et encore…) que le secrétaire général de l’Élysée.

Emmanuel Macron est donc allé au bout de cette logique en se séparant d’un Édouard Philippe devenu un peu trop populaire et en nommant un haut fonctionnaire, de qualité et à la carrière irréprochable, mais sans véritable existence politique, un parfait directeur de cabinet en quelque sorte.

Quant au remaniement ministériel, il est resté fort modéré, les principales têtes politiques (de l’Ancien Monde) restant à leurs postes. On amuse un peu la galerie avec l’arrivée de deux « grandes gueules », à la Justice et à la Culture, quelques chaises musicales, des sorties discrètes.

À deux ans des présidentielles, Emmanuel Macron reprend la main, mais désormais sans pare-feu. Le 14 juillet il parlera, reléguant le discours de politique générale de Jean Castex aux utilités. Logique, mais dangereux.

 

 

2 juillet

 

Il y a vingt-cinq ans, le drapeau britannique était amené sur l’une des plus symboliques des dernières colonies de sa très gracieuse majesté : Hong Kong, héritage des « traités inégaux » qui avaient conclu les guerres de l’Opium, était rendu à la Chine. C’était en 1997, un peu plus de vingt ans après la mort de Mao. L’empire du Milieu commençait à peine à sortir de la torpeur et des crises qui avaient marqué le siècle jusqu’à la Révolution culturelle. Encore marqués par le pragmatisme de Deng Hsiao Ping, le petit timonier, les dirigeants chinois avaient accepté maintes concessions : Hong Kong restait autonome, conservait son système, tel fut le compromis qu’applaudirent les milieux d’affaires qui avaient fait de Hong Kong la porte d’entrée vers la Chine.

Vingt-cinq ans donc ont passé. La Chine est la seconde puissance économique de la planète, la première pour nombre de secteurs industriels. Shanghaï a dépassé Hong Kong et Singapour même l’a un peu plus repoussé. Hong Kong reste, malgré tout, la troisième place financière mondiale, car elle offre un cadre juridique et institutionnel beaucoup plus sûr que celui de la Chine continentale qui continue à dépendre du bon vouloir du Prince.

Le prince justement a changé à Pékin. L’héritage de l’équilibre des pouvoirs cher à Deng Hsiao Ping a été balayé par le nouvel empereur qui ne tolère guère la liberté de penser, de parler et d’écrire dont font preuve nombre de Hongkongais, des plus jeunes aux plus anciens comme le cardinal Zen Ze-Kiun.

Le 30 juin à 23 heures est entrée en vigueur une loi votée – à l’unanimité bien sûr – par l’Assemblée nationale chinoise dont on connaît bien le caractère démocratique. Cette loi permet désormais aux agents de Pékin, d’arrêter, d’extrader et de juger sur le continent toute personne coupable de subversion ou pire encore de sécession. La reprise en main est totale.

Comme les Soviétiques en 1956 à Budapest au moment de l’affaire de Suez, Xi profite du fait que les Occidentaux sont occupés à lutter contre le Covid. Hong Kong n’intéresse guère et les banquiers et autres milieux d’affaires ne songent qu’à protéger leurs intérêts en payant hommage et tribut à l’empereur.

 

Seuls les Britanniques, pourtant coincés entre Covid, Brexit et l’une des plus fortes récessions de la planète, sauvent l’honneur en promettant des passeports à plus de 3 millions de personnes, près de la moitié de la population de Hong Kong. Mais c’est bien là une page qui se tourne et une autre, bien inquiétante, qui s’ouvre avec Taïwan en première ligne.

 

30 juin

 

Au lendemain donc d’une vague « verte » (mais par marée basse étant donné le taux de participation) et alors que le président recevait les participants à la convention citoyenne et leurs 149 propositions (une au moins ne sera pas réalisée, les 110 km heure sur autoroute… pas fou !), le dernier réacteur de Fessenheim s’est arrêté. Indignée, mais bien dans l’air du temps, la CGT parle d’un « écocide ».

Disons simplement que la bêtise a franchi un nouveau seuil. Fermer Fessenheim est absurde sauf si l’objectif ultime est l’arrêt total du nucléaire. C’est ce que souhaitent certains militants extrêmes, peu nombreux, mais actifs, souvent manipulés par des « ONG » peu transparentes quant à leurs structures et à leurs sources de financement et qui aiment monter des « coups » médiatiques. On peut comprendre l’opposition au nucléaire pour des raisons éthiques et morales. La distance est bien faible entre le nucléaire civil et l’horreur de l’arme atomique et les dérives, comme en Iran et en Corée du Nord sont toujours possibles. La question des déchets est aussi une réalité même si leur recyclage quasi perpétuel devrait se réaliser dans les années à venir. Enfin, le nucléaire réclame un environnement politique et scientifique particulièrement sécurisé. Construire des centrales dans des régions comme le golfe Arabo-Persique et ses émirats à la merci de la moindre révolution de palais est une hérésie. Oui donc, on peut douter du nucléaire et penser en tout cas qu’il ne jouera pas un rôle déterminant dans la transition énergétique.

Mais pour ceux qui, comme la France, ont réalisé cet investissement, il y a un demi-siècle, qui offrent tous les « pare-feux » nécessaires (politiques et techniques) comment oublier l’admirable bilan carbone du nucléaire qui est la seule énergie presque propre. Comment aussi condamner une filière essentielle à l’indépendance nationale alors que les éoliennes viennent d’Allemagne et les panneaux solaires de Chine (sans oublier le cobalt congolais et le lithium chilien).

La fermeture de Fessenheim est un acte de pure politique sans rationalité ni économique ni technologique ou sanitaire, ni climatique bien sûr. Mais en politique justement, il faut ratisser large.

 

 

28 juin

 

Soir d’élections municipales en France. Enfin un second tour sachant que nombre de maires sortants – plutôt de droite – avaient été déjà élus il y a trois mois. Abstention massive et c’est vrai qu’en ces temps de Covid et de crise économique, on avait du mal à se passionner pour des cuisines politiciennes qui ont mené assez souvent à des alliances contre nature.

À ce petit jeu, un perdant majeur : le parti du président, En Marche, qui échoue presque partout y compris dans ses alliances. Le Rassemblement national gagne Perpignan (Salvador Dali doit s’en retourner dans sa tombe), beaucoup plus grâce à la médiocrité du maire sortant qu’à une adhésion aux thèses de l’extrême droite. Une première lecture donne aux Verts une incontestable victoire avec Bordeaux, Lyon, Marseille, Besançon, Strasbourg et quand même aussi un peu Paris. Le seul échec pour les Verts de quelques centaines de voix, c’est Lille où Martine Aubry sauve un improbable quatrième mandat. Pour autant, les Français se sont-ils convertis à cette idéologie verdâtre qui semble aujourd’hui dominer tout le paysage politique : de droite comme de gauche, les quelques rescapés du monde politique traditionnel se sont presque excusés de leur victoire et ont assuré leurs adversaires verts de leur foi dans la transition écologique.

Une chose est claire en tout cas ; en France, le vert ne peut être que de gauche. Seule la gauche est généreuse, solidaire tant des démunis que des victimes des crises sanitaires et écologiques. Et il est exact que face à la dilution du Parti socialiste et à la marginalisation des Insoumis, seuls les verts ont été dans bien des villes capables de bâtir des coalitions certes hétérogènes, mais qui ont profité des dissensions des droites.

L’écologie est une chose trop sérieuse pour devenir l’apanage d’une minorité politique. La vague verte a profité de la médiocrité et du clanisme des politiques locales, de l’incapacité aussi de gérer des successions, de Marseille à Lyon ou Bordeaux. Espérons simplement qu’à l’épreuve du feu, les nouveaux élus sachent faire preuve de pragmatisme et nous épargnent la démagogie et la guimauve.

 

 

25 juin

 

La page Trump est-elle en train d’être tournée ? Dans sa dernière estimation statistique des élections présidentielles américaines, l’hebdomadaire The Economist donne à Joe Biden, le candidat démocrate, 54 % du vote populaire. En termes de grands électeurs – ce qui compte dans le processus électoral américain –, il en emporterait 337 contre 201 à Donald Trump (la barre est à 270 pour l’emporter). Au 25 juin, Joe Biden aurait 87 % de chances de l’emporter. Il lui reste à dérouler en profitant des ennuis de Trump et à choisir sa colistière qui sera une femme probablement afro-américaine si possible évangélique et susceptible de gagner un peu de l’électorat des femmes républicaines.

Bien sûr, l’élection n’est que dans quatre mois et l’excellent joueur de poker qu’est Donald Trump sait l’importance des dernières cartes. Alors, il raidit un peu plus la position américaine sur les dossiers internationaux : embargo total sur le Venezuela qui ne parvient plus à vendre son pétrole et qui en est réduit à acheter de l’essence en Iran en le payant avec les derniers lingots d’or de la banque centrale ; fermeté accrue face à la Chine sur Hong Kong et Taïwan ; sanctions contre la Syrie avec l’application depuis le 17 juin du Caesar Act ; et puis un petit coup contre l’Europe avec le retrait des États-Unis des discussions en cours à l’OCDE à propos de la taxation des GAFA et menaces contre toute mesure unilatérale que pourraient prendre certains pays à commencer la France…

Ces quatre mois vont être bien longs et en rajouter un peu plus à ce grand désordre du monde qui était le thème dominant de notre rapport CyclOpe 2020. Le Covid nous l’avait fait un peu oublier. Mais le monde d’avant revient au galop et Joe Biden, s’il est élu aura bien du mal à en recoller les morceaux.

 

 

21 juin

 

La convention citoyenne sur le climat vient donc de rendre ses 149 propositions. Même si on a échappé à la plus stupide (la semaine de 28 heures), on ne peut qu’être confondu de la banalité de cette bien-pensance environnementale dont le résultat reviendrait à renforcer un peu plus le centralisme et le jacobinisme dont souffre tant la France. On y parle en effet de lois, de contrôles, de mesures publiques comme si chacun de ces cent cinquante «citoyens» ne rêvait au fond que d’un «big brother» verdâtre. Il faudrait même rajouter quelques paragraphes à la constitution comme si le principe de précaution ne suffisait pas à leur bonheur.

À lire ce catalogue à la Prévert, on constate combien au fond ces Français moyens rêvent de toujours plus d’état, de lois et de réglementations toujours plus contraignantes. C’est la France du «il faut» et du «y a qu’à». Tout est prévu jusqu’à la température des bâtiments, la taille des voitures ou les normes des emballages. Cette accumulation de bons sentiments donne le vertige. Mais paradoxalement, il ne semble y avoir aucune référence à la véritable démocratie citoyenne, celle du local. Car le résultat de toutes ces recommandations, si par extraordinaire elles étaient appliquées, serait de renforcer un peu plus les administrations centrales aux dépens mêmes des autorités locales. Ce dont souffre la France – et la crise du Covid l’a bien montré – c’est d’un excès de règles, de normes, de textes dont le labyrinthe est devenu trop souvent inextricable.

On peut d’ailleurs s’interroger quant à la pertinence d’un tel exercice. Emmanuel Macron devait pourtant se souvenir qu’en sa jeunesse, il avait servi de plume à la Commission Attali, convoquée par Nicolas Sarkozy, dont aucune recommandation n’avait été mise en pratique. Elles avaient pourtant quelque réalisme.

Pour aller plus loin dans le sens de la démagogie citoyenne, on parle maintenant de referendum. Mais à moins de deux ans des présidentielles, on tombe là dans la cuisine politicienne. L’écologie et notre environnement valent mieux que cela…

 

 

19 juin

 

La lecture du quotidien sportif L’Équipe est un peu surréaliste en ces temps d’un déconfinement qui commence à peine à toucher les stades. Il n’y a rien à se mettre sous la dent si ce n’est un peu de football à huis clos. On parle pour l’essentiel des «riches», les sports professionnels dont les «mercatos» ont repris avec quand même, semble-t-il un peu moins de millions à la clef. Même pour ces sports, au-delà de quelques vedettes (dont la solidarité est restée assez limitée), la situation est difficile dans les petits clubs de sports collectifs, chez les joueurs de tennis au-delà des cinquante meilleurs mondiaux, chez les porteurs d’eau et autres gregarii du cyclisme et puis pour tous les sports moins médiatiques ou plus confidentiels dont 2020 aurait dû être une année de gloire avec les Jeux olympiques : athlétisme, natation, judo, mais aussi tant d’autres que l’on ne compte que tous les quatre ans au poids des médailles.

Pendant le Covid cependant, le sport est resté au cœur des tensions géopolitiques. L’Arabie saoudite en a fait un de ses axes de pénétration pour contrer le Qatar où aura lieu une improbable Coupe du Monde de football. Ryad a acheté un club anglais et des rumeurs circulent autour d’un club français des bords de la Méditerranée.

Mais dans ce numéro de L’Équipe, une nouvelle attirait l’attention. Le président de l’Union Cycliste internationale (UCI), une de ces organisations en général basées en Suisse et peuplées d’apparatchiks plus ou moins véreux (l’ancien président de l’IAAF-athlétisme est actuellement devant les juges pour quelques modestes prévarications), David Lappartient donc – un Breton – a décerné la plus haute distinction de l’UCI au président du Turkménistan, Gurbanguli Berdimuhamedow, un sympathique dictateur rescapé de l’époque communiste que l’on compare parfois au petit Kim nord-coréen. Mais le Turkménistan a du gaz et est resté sagement dans l’orbite de Moscou. Or, c’est un oligarque russe, Igor Makarov, très actif dans le domaine des hydrocarbures qui tire en réalité les ficelles du petit monde du cyclisme international.

Ryad, Moscou, Doha, même à huis clos, le sport reste un miroir de toutes les passions géopolitiques.

 

 

18 juin

 

Avec la réouverture totale des restaurants a pris fin le grand confinement alimentaire que les Français ont vécu pendant presque tout le printemps.

Publié aujourd’hui, le rapport de l’Observatoire de la Formation des prix et des marges des produits alimentaires fait le point sur cette période extraordinaire qui a bousculé nombre de nos habitudes alimentaires. Plus de RHD, ni cantines, ni restaurants, ni fast food : matin, midi et soir chez soi à cuisiner ou dans le pire des cas à réchauffer. Des magasins souvent fermés et en général difficiles d’accès, des marchés silencieux, il a fallu apprendre à vivre au-delà des stocks.

Ruée donc, dans les grandes surfaces qui triplent leur chiffre d’affaires le 16 et 17 mars, puis recours au commerce de proximité et de plus en plus en e-commerce et surtout aux drives. Au final, on achète moins de volailles, de poissons, de fromages à la coupe, de viande de veau, mais par contre on se rue sur la crème et l’emmental râpé, sur le steak haché et sur les fruits et légumes emballés.

La chaîne qui va du champ à l’assiette a dû s’adapter : les agriculteurs ont eu des problèmes de main d’œuvre saisonnière pour récolter asperges ou fraises gariguettes ; des filières entières ont perdu leurs débouchées de l’ostréiculture aux élevages de canard ou de pintades ; la moitié des bateaux de pêche n’est pas sortie.

L’industrie de transformation a été elle-même confrontée au Covid, en particulier dans le secteur de la viande. Il a fallu s’adapter à l’évolution de la demande quitte à diminuer la valorisation des produits pour les produits laitiers et les viandes.

Mais, dans un contexte de tensions historiques entre industrie alimentaire et grande distribution, force est de constater que durant ces 55 jours, une certaine solidarité a joué entre les différents maillons des filières. Pour l’agneau ou la fraise, la grande distribution a joué la carte de l’origine France. Et au stade du consommateur, les prix sont restés stables. Ce fut un moment de grâce. Mais déjà, quelques tensions nouvelles se font jour et malheureusement le naturel revient au galop.

 

 

16 juin

 

Un temps le Covid avait fait oublier la « France d’avant », celle des gilets jaunes et des quartiers, des syndicats bornés et de multiples pesanteurs bureaucratiques. Elle était jolie cette France qui tous les soirs applaudissait ses héros sanitaires. Radios et télés se faisaient l’écho de toutes les solidarités du quotidien et l’on découvrait avec émotion que les Français pouvaient aussi avoir du cœur.

Quelques manifestations et le retour en force des « black blocs », ces casseurs professionnels ont suffi pour briser ce joli rêve. Retour au racisme du moins tel qu’il est perçu et exagéré, policiers et gendarmes à nouveau ostracisés, tout redevient comme avant. Un médiocre agenda politique avec des municipales oubliées a repris le dessus. Alors que nombre d’entreprises annoncent des plans de licenciement massifs, les syndicats des secteurs protégés, de l’éducation à la poste, retrouvent leur seule logique de défense catégorielle. Et ailleurs, la sortie du chômage partiel est vécue difficilement après ces semaines de confinement.

Soudain, la réalité frappe en plein visage : la pandémie semble s’achever certes, mais elle laisse le gouffre d’une récession qui dépassera les 10 % de PIB et qui aura détruit au moins un million d’emplois. Oui, il faudrait mieux payer les travailleurs de la santé, mais comment faire alors que les déficits publics vont eux aussi dépasser les 10 %. Oui, il faudrait une France plus souple, vraiment décentralisée, plus d’autonomie pour chacun des maillons de l’immense chaîne qui maille depuis des siècles le jacobinisme à la française. Mais les égoïsmes reviennent bien vite et l’étendard du Bien commun n’aura vraiment flotté que durant cinquante-cinq jours. Disciple de Ricœur et d’Ellul, parfois maladroit, mais de bonne foi, Emmanuel Macron aborde ses deux dernières années de mandat en constatant avec un peu d’amertume que ses irréductibles Gaulois, repliés dans leurs villages, sont toujours les mêmes braillards, râleurs, attendant tout de l’état, un brin égoïstes et hostiles aux réformes. Le Covid n’a rien changé !

 

11 juin

 

Malheureux Christophe Colomb ! Il aura presque tout raté. Parti pour les Indes à la recherche d’une route qui permettrait de contourner le monopole exercé par Venise sur le commerce du poivre et autres épices, il découvre quelques îles nouvelles sans jamais vraiment prendre conscience qu’il s’agit d’un continent. Jalousé à la Cour d’Espagne, il sera peu à peu écarté de ses découvertes. Sans le vouloir, lui et ses compagnons vont offrir aux populations indigènes quelques maladies inconnues en ces terres dont l’effet sera malheureusement plus foudroyant que les armes des conquérants (plus tard, Cortes et Pizarre mettront fin aux empires aztèques et incas qui n’étaient pas exactement des tendres). À la même époque, se terminait avec la chute de Grenade, la parenthèse d’une Espagne musulmane où l’esclavagisme était pratique courante (on faisait pareil du côté chrétien, mais de manière un peu plus hypocrite). Ceci étant, pour l’historien, Christophe Colomb et sa « découverte » marquent un tournant majeur de l’histoire universelle. Il n’en était probablement pas conscient, ses contemporains guère plus, mais c’est le début de ce que l’on pourrait qualifier de première mondialisation.

Et voilà qu’en 2020, on détruit les statues érigées en l’honneur de ce malheureux Christophe. Oui il a été un modeste maillon dans une longue chaîne de conquêtes et de quelques massacres comme il s’en pratiquait allègrement un peu partout à l’époque. Il n’est pas seul à être déboulonné ainsi par des foules passablement ignorantes et pratiquant « ex post » un jugement sur le bien et le mal auquel ne se risquent pas les historiens un peu confirmés.

Bien sûr, l’histoire ne peut être une hagiographie. Mais il faut aussi savoir relativiser le « sanglot de l’homme blanc » ou du moins l’étendre à presque toutes les civilisations tant sont rares les moments où a dominé le seul amour du prochain : la démocratie athénienne tant célébrée n’était-elle pas fondée sur l’exclusion des étrangers (les métèques), des esclaves et… des femmes. Périclès était un esclavagiste !

Déboulonner, jeter, briser, brûler est une hérésie tant on ne peut effacer le passé. Expliquer, analyser, comprendre, laisser aussi leur place aux témoins de l’histoire, fussent-ils d’innocentes statues, le chemin est là plus difficile.

 

 

9 juin

 

La présentation, ce matin, du Rapport CyclOpe sur les marchés mondiaux (le trente-quatrième !) intervient alors que la Banque Mondiale et l’OCDE publient leurs prévisions de « croissance » pour 2020. En avril, le FMI anticipait — 3 %. La Banque Mondiale est aujourd’hui à – 5,2 % et l’OCDE à — 6 %. C’était déjà, c’est encore plus la récession la plus forte que le monde ait connu depuis la Seconde Guerre mondiale et 2020 dépasse même la malheureuse année 1930. La seule différence avec la grande dépression est que celle-ci a duré au moins jusqu’en 1934 alors que pour l’instant tout le monde anticipe un rebond en 2021, à 4,2 % pour la banque mondiale. Ceci étant, l’institution de Washington a aussi un scénario « noir » à — 8 % en 2020 et seulement + 1 % en 2021 !

Quoi qu’il en soit, l’essentiel n’est pas dans les chiffres, mais dans le tournant que cette crise, sanitaire à l’origine, pourrait imprimer à l’économie mondiale. La thèse que développe le rapport CyclOpe en se situant dans une perspective historique revient à faire de 2020 la troisième crise majeure de l’histoire économique contemporaine après 1929 et 1974.

1929, et en fait les années trente avaient mis fin aux années folles et au libéralisme économique et même politique. Elle avait marqué le début de la construction de l’état providence et de ces économies mixtes qui triomphèrent durant les Trente Glorieuses.

1974 y mit un terme. Au-delà de l’étincelle du premier choc pétrolier, la crise qui balaya toutes les années soixante-dix, fut marquée par la remise en cause du modèle de croissance occidentale et par le retour en force du libéralisme économique qui prépara d’autres « Trente glorieuses », celles qui, à partir de 1990 et de la symbolique chute du communisme soviétique, furent l’époque de la mondialisation « heureuse » marquée d’une nouvelle révolution technologique et de l’émergence économique d’une bonne moitié du globe.

Depuis quelques années, on sentait que ces trente glorieuses-là arrivaient à leur terme : montée des populismes, échec du multilatéralisme, crise écologique et climatique, et donc crise sanitaire qui aura été peut-être l’ultime étincelle.

2020 pourrait alors marquer un certain recul de cette main invisible du marché décidément fort aveugle. Remettre le Bien commun au cœur des problématiques politiques et économiques ? L’occasion est belle. L’humanité saura-t-elle la saisir ?

 

 

7 juin

 

Ce que les plus de 100 000 morts du Covid-19 aux États-Unis ne sont pas parvenus à réaliser, un seul mort dans une rue de Minneapolis est peut-être en train de le réussir : compromettre enfin les chances de réélection de Donald Trump face à Joe Biden qui reste bien fade, mais dont le silence compassionnel est maintenant presque une force.

George Floyd était à l’image du prolétariat afro-américain : un peu de basket, pas d’études, de menus larcins et quelques séjours en prison, mais aussi un engagement chrétien au cœur des églises missionnaires du Texas puis du Minnesota. Il était devenu videur (bouncer) dans des restaurants et boîtes de nuit, et il était donc sans emploi fixe depuis le début de la pandémie aux États-Unis. Que s’est-il passé le soir de son interpellation, les choses ne sont pas claires, mais ce qui est certain, c’est que l’intervention musclée d’un policier blanc a entraîné sa mort dans la meilleure tradition d’une police locale américaine qui reste marquée par un racisme latent.

Depuis 1968 et ses émeutes un peu identiques, la situation des « Afro-Américains » s’est améliorée, mais à 27 %, leur taux de pauvreté est le triple de celui de la population blanche. Le contraste est immense bien sûr avec les Asiatiques et même avec les Hispaniques.

L’une des raisons en est la destruction des cellules familiales : 70 % des naissances dans la communauté noire sont hors mariage et 70 % des couples se séparent dans les cinq ans. La marginalisation des hommes noirs est une des tristes réalités des Etats-Unis.

C’est peut-être en cela, plus que dans un racisme qui n’a pas de racines particulières en France, que la comparaison avec la situation dans les banlieues françaises est pertinente. Là aussi, le chômage, l’inactivité et la marginalisation touchent en priorité les populations masculines et on assiste au même délitement des cellules familiales. Les dérapages policiers y sont aussi une réalité, mais les sanctions sont claires et sans appel.

« I can’t breathe », je ne peux respirer, c’est avant tout ce que pensent nombre de jeunes dont l’avenir est déjà obscurci par les pesanteurs de « quartiers » redevenus des ghettos et qui, comme tous les enfants, ont le droit de rêver.

 

 

5 juin

 

Hong Kong gronde, mais Pékin pousse inexorablement ses pions dans l’indifférence presque la plus totale. Il faut quand même saluer le geste britannique, presque Churchillien, de Boris Johnson (qui a écrit une biographie de Winston). Le Royaume-Uni va accorder la nationalité britannique aux quelques 300 000 habitants de Hong Kong détenteurs d’un passeport de sa très gracieuse majesté : à quelques mois près, ils auraient même pu être Européens ! L’Europe justement fait preuve d’un silence assourdissant ! Il est vrai que la plupart des pays européens, à commencer par le couple franco-allemand ont déjà suffisamment à faire avec le Covid et la crise économique qu’il a provoqué pour ne pas risquer la colère de la Chine, dont la reprise économique est un des seuls rayons d’espoir dans une actualité bien glauque : silence donc d’Emmanuel Macron et d’Angela Merkel et puis même de tous les autres. Il y a bien Donald Trump, peut-être pour des raisons électorales, mais les États-Unis ont par contre les moyens de mettre Hong Kong à genoux.

Hong Kong est en effet devenue la troisième place financière mondiale ; le dollar de Hong Kong, fort bien géré par la HKMA, la banque centrale, appuyé par $ 440 milliards de réserves est considéré comme l’équivalent du billet vert auquel il est lié par un « peg ». Hong Kong est la porte de la Chine et a remarquablement joué cette carte même si Singapour est un concurrent de plus en plus présent : c’est à Singapour par exemple que les grandes entreprises chinoises, publiques et semi-publiques ont installé leurs filiales de trading. Hong Kong est un peu trop proche d’une mère patrie qui tourne à la marâtre !

 

Les puissants à Hong Kong ont bien compris l’enjeu de la survie de la place financière. Tous rentrent la tête dans les épaules et annoncent qu’ils respectent la loi, celle de la Chine bien sûr. HSBC (Hong Kong and Shanghai) l’a annoncé tout comme BNP Paribas (en licenciant il y a quelques semaines un employé trop démocrate) et même les vieux « hongs », les sociétés qui avaient fait fortune au XIXe siècle au temps de la guerre de l’opium (Jardine Mathieson, Swire…). Pour eux tous, la démocratie est un sujet bien secondaire…

 

1er juin

 

Les États-Unis offrent ces jours-ci une image contrastée alors que la pandémie n’a pas encore atteint son pic et que l’économie est en train de connaître un des pires trimestres de l’histoire.

Il y a d’un côté la réussite de Space X, la nouvelle navette qui a permis à deux cosmonautes de rejoindre la station internationale. Space X, ce n’est ni la NASA ni x, mais une start-up née de l’esprit fertile d’un improbable Californien qui est aussi proche de réaliser son pari sur la voiture électrique. Space X, c’est l’esprit d’entreprise poussé à l’extrême un peu comme au XIXe siècle un Thomas Edison pendant que les savants français restaient dans leurs chaires académiques. Soyons honnêtes, il y a aussi de très importants subsides publics, mais ce que l’on a envie de retenir là, c’est la saga entrepreneuriale. Au même moment, des émeutes embrasaient plusieurs villes américaines à la suite de la mort d’un Afro-Américain, victime de violence policière. De telles émeutes ne sont pas nouvelles aux États-Unis où le racisme demeure une réalité même après l’élection de Barack Obama. Mais l’épidémie du Covid a aussi montré la grande vulnérabilité des populations afro-américaines, souvent plus pauvres, mal nourries, souffrant d’obésité et enfin mal couvertes par un système de santé profondément inégalitaire.

Un pays où des milliardaires peuvent envoyer des navettes spatiales, mais qui se révèle incapable, cent cinquante ans après la Guerre de Sécession, d’intégrer les descendants des anciens esclaves, voilà qui dépasse la petite cuisine électorale mitonnée par un Donald Trump qui, pour faire oublier son absence d’empathie pour les victimes de la pandémie, retourne à ses premiers amours, la guerre avec la Chine !

 

L’Europe n’a pas de leçons à donner, mais au moins son État-providence et son système de soins sont plus justes et efficaces. Pour le reste, c’est Jules Verne qui le premier a envoyé des hommes dans l’espace.

 

30 mai

 

S’il est quelqu’un qui a œuvré pour le développement de Twitter en faisant de ses tweets un redoutable instrument de communication, c’est bien Donald Trump, un twetteur compulsif qui « tire » en moyenne une quinzaine de fois par jour. Bien sûr, connaissant Donald, ses messages sont à son image : brutaux, exagérés, à la limite mensongers et certainement souvent proches de l’affabulation. Mais c’est comme cela qu’on l’aime !

Et voilà que Twitter, pris d’un prurit éthique poussant à chasser les « fake news », a décidé de censurer quelques messages du président américain. Il semblerait qu’il y ait là une volonté de complaire aux autorités européennes et notamment à la redoutable Margaret Verstagger qui s’inquiète de la puissance des réseaux américains.

Mais a-t-on réfléchi à ce que représente pareille censure. De quel droit Twitter peut-il décider de ce qui est juste et qui ne l’est pas ? Il est certes louable de lutter contre les « fake news » (dont Donald Trump a su profiter durant sa campagne électorale), mais faut-il pour autant à Twitter pareil pouvoir avec des « gate-keepers » dont nul ne peut garantir l’indépendance.

Le monde des réseaux est une jungle et ceux qui s’y aventurent en connaissant la « loi ». On sait ce dont est capable un « grand fauve » comme Donald Trump. Rien ne sert de lui limer les griffes…

 

 

28 mai

 

Enfin, du nouveau du côté de Bruxelles ! Jusque-là, le « machin » comme aurait pu le dire le général de Gaulle, était plutôt absent. Personne ne pesait bien lourd dans l’exécutif européen sous l’improbable et certainement méritante présidence croate. Sommets virtuels après visioconférences, l’Europe n’avait su que dire non et le clivage nord/sud n’avait cesse de s’accentuer.

La proposition franco-allemande a permis de déverrouiller la situation et enfin la pâle Madame von der Leyen s’est lancée. Elle a repris l’essentiel des idées Macron/Merkel et en particulier l’idée que le cœur du plan de relance doit s’appuyer non pas sur des prêts, mais sur des subventions qui devraient s’élever à € 500 milliards. D’après de premiers calculs de coins de table, l’Italie aurait € 82 milliards, l’Espagne € 77 milliards et la France € 39 milliards. Ces sommes bénéficieraient aussi au secteur privé avec un accent mis sur les entreprises stratégiques. Au total, on est à $ 1 300 milliards pour le plan de relance articulé par le Commission auxquels il faut rajouter les $ 1 000 milliards de la BCE et bien sûr les programmes des états membres avec en première ligne le bazooka d’Angela Merkel en Allemagne. Cela commence à faire sérieux face aux $ 3 000 milliards du programme américain que les démocrates du Congrès voudraient d’ailleurs doubler.

Bien sûr, on n’est là qu’au stade de la proposition et dans le curieux système européen, c’est le Conseil, celui du 18 juin, qui décidera. Il faut espérer qu’alors, les « radins » et autres « frugaux » comprendront qu’il est de leur intérêt de favoriser la relance d’un marché européen dont, Autrichiens ou Bataves, sont les premiers à profiter.

Ce lendemain de crise ressemble à un lendemain de guerre. En 1919, à Versailles, les vainqueurs avaient voulu faire payer dettes et réparations. L’Allemagne n’avait pas payé, mais le terreau était prêt pour la montée du nazisme. En 1946, les États-Unis offrirent le Plan Marshall aux Européens et ce furent les Trente Glorieuses. En 2020, l’Europe a enfin la chance d’exister un peu !

 

 

26 mai

 

La France est un pays qui ne vit et respire qu’à Paris même en pleine période de télétravail. Toute la vie politique tourne autour de quelques adresses devenues emblématiques, de véritables « marques » : il y a Matignon, Grenelle et maintenant Ségur puisque vient de s’ouvrir un « Ségur de la santé ».

Matignon, rue de Varenne (avec des sorties discrètes sur les rues adjacentes) là où furent signés en juin 1936 les « accords de Matignon », ceux de la semaine de 40 heures et des premiers congés payés.

Grenelle, la rue de Grenelle avec là aussi des ministères et surtout celui du Travail où furent signés les « accords de Grenelle », le 27 mai 1968, dont la portée fut bien moindre et qui furent insuffisants pour mettre un terme au mouvement social issu de Mai 68.

C’est pourtant Grenelle qui fut utilisé à toutes les sauces en particulier avec le célèbre « Grenelle de l’environnement » de 2007 sous la présidence de Nicolas Sarkozy. Par la suite, on a régulièrement évoqué des Grenelle dès lors qu’il s’agissait de réunir tous les acteurs concernés par un sujet de société sous la houlette des pouvoirs publics et politiques. Ceci étant, la « marque » Grenelle s’est un peu épuisée autour de sujets souvent secondaires. Au début de la présidence Macron, la mode fut aux États généraux (dont on sait la faiblesse au temps de la monarchie absolue) avec les célèbres Egalim (états généraux de l’alimentation).

Voilà donc maintenant un « Ségur » du nom de l’avenue où siège, dans un bâtiment peu inspiré des années soixante, le ministère de la Santé.

Matignon, Grenelle, Ségur, la formule est toujours la même : on convoque les intéressés, on les fait parler, mais à la fin du jour, la décision reste le fait du prince. Il serait inimaginable en France qu’il en soit autrement tant les partenaires sociaux y sont infantilisés. Ce sera probablement encore plus le cas de ce «Ségur» qui ne remettra pas en cause la technocratie médico-sanitaire qui vient d’emmener notre pays dans le mur.

 

 

24 mai

 

Le monde d’avant est revenu ! Au moins dans ses manifestations les plus stupides, dans ses gâchis les plus manifestes, dans ses débordements les plus excessifs.

Qu’on en juge : alors que la barre des 100 000 morts était dépassée aux États-Unis, Sotheby’s a vendu aux enchères en ligne, une paire de « baskets » (sneakers en américain) pour $ 560 000 ! Bien sûr, il s’agirait d’une pièce « mythique » : les premières Air Jordan 1, celles de 1985, portées peut-être par le maître lui-même et en tout cas Michael Jordan avait dédicacé au feutre la chaussure droite. C’est sur ce modèle que Nike fit une partie de sa fortune. En 2015, Nike en ressortit une copie en édition limitée qui vaut un millier de dollars sur le marché gris. Des Air Jordan neuves valent un peu moins de $ 200.

Mais $ 560 000 pour une vulgaire paire de chaussures ! Le vendeur a créé un musée des « sneakers » et certes il y a eu récemment à Paris une exposition consacrée à un chausseur célèbre aux semelles rouges (Louboutin). Mais on est là quand même loin des œuvres d’art à moins que faire du second degré « à la Duchamp ».

Sur un marché un prix mesure la rareté, mais aussi la capacité à susciter l’envie. Des millions d’adolescents et adultes post-adolescents se conforment à des codes vestimentaires qui curieusement culminent par leurs pieds. Alors pourquoi pas…

 

 

22 mai

 

Avec quelques semaines de retard, la Chine tient sa grande messe, la réunion annuelle de l’Assemblée nationale populaire. On est là dans l’ordre du rite, celui des partis uniques et des monologues hérités du temps des soviets : des heures de discours-fleuves écoutés avec sagesse par les 3 000 délégués venus de toute la Chine. Tout commence par ce que l’on peut qualifier de « point sur la situation » par le Premier ministre, Li Keqiang, personnage effacé, un technocrate passé par l’école du parti (l’ENA chinoise, digne héritière des concours mandarinaux de l’Empire), aux compétences économiques reconnues, mais dont le principal mérite est de ne pas faire d’ombre à Xi Jinping.

Cette année, sa principale annonce n’en est pas une. D’habitude, le premier chinois annonçait le chiffre de croissance du pays pour l’année en cours et on pouvait être à peu près sûr que ce serait là effectivement le résultat final, du moins celui présenté par un appareil statistique serviable (mais au fond assez proche de la réalité). En 2019, Li Keqiang avait pour la première fois donné une fourchette de croissance qui s’était vérifiée plutôt dans sa partie basse. Avant que n’éclate la crise du coronavirus, la grande question était de savoir si l’objectif de croissance serait ou non supérieur à 6 %. Mais là rien ! Li Keqiang ne s’est risqué à aucun pronostic. Soyons honnêtes, l’exercice était difficile entre les pessimistes qui pensent que l’année s’inscrira en négatif et ceux qui comme le FMI anticipent encore 1 à 2 % de croissance en 2020. Rien, en tout cas de quoi pavoiser pour le parti.

Li Keqiang a quand même annoncé une augmentation – mesurée – du déficit budgétaire et puis un nouveau plan de relance ($ 600 milliards) qui reste presque modeste. Il est vrai que le redémarrage de l’économie chinoise est une réalité si on en juge par le rebond des prix du fer et de l’acier revenus à des niveaux pré-covid.

Par contre, profitant du désarroi politique et économique dans le reste du monde, Pékin a décidé de reprendre la main à Hong Kong. Moscou avait fait la même chose à Budapest en 1956 et à Prague en 1968 pendant que l’Occident avait la tête ailleurs. Les vieux partis communistes ne changent pas !

 

 

19 mai

 

Enfin ! Un léger vent d’optimisme a commencé à souffler sur l’Europe avec l’accord entre Angela Merkel et Emmanuel Macron pour la mise en place d’un fonds de solidarité européen de 500 milliards d’euros. Le couple franco-allemand va devoir obtenir l’accord des 25 autres européens, mais Emmanuel Macron a fait sa part en parvenant à convaincre Angela. L’idée du couple franco-allemand est que l’Union européenne émette des obligations, de la dette publique, qui seraient utilisées pour financer des projets sous la forme non pas de prêts, mais de subventions (grants). La différence avec les « coronabonds » dont les Allemands ne voulaient pas est subtile et presque sémantique. Ces 500 milliards ne combleraient pas des trous budgétaires d’états impécunieux, mais financeraient des programmes existants ou à venir, dans des domaines comme l’industrie (automobile, aéronautique) ou le tourisme.

Face au moteur franco-allemand, l’opposition est venue comme on pouvait s’y attendre des « radins », menés par l’Autriche et les Pays-Bas qui ne veulent pas financer le trou sans fond de l’impécuniosité du « Club Med ». La cassure est claire entre le nord et le sud de l’Europe avec les PECO assistant un peu goguenards à ces déchirements (ils sont déjà les grands bénéficiaires des robinets européens). La France faisant – au vu de ses déficits – clairement partie du Club Med, c’est la position allemande qui devient centrale et déterminante. L’enthousiasme de la CDU, menacée sur sa droite par l’AFD, est pour le moins mesuré. Tout repose sur Angela Merkel, en fin de parcours et sans héritier depuis l’abandon d’AKK. Rien n’est gagné, mais au moins, il y aura matière à discussion le 18 juin à Bruxelles pour un sommet « physique ». Jusque-là « let’s cross fingers » comme disent les Britanniques dont l’Europe est au moins débarrassée !

 

18 mai

 

Un tanker battant pavillon iranien et ayant chargé de l’essence dans le port de Bandar Abbas vient de passer le canal de Suez. Selon toute probabilité, il se dirige vers… le Venezuela !

L’Iran et le Venezuela, les deux pestiférés, font cause commune pour narguer Donald Trump ? Il y a un peu de cela, mais l’histoire est probablement beaucoup plus sordide.

Le Venezuela est au fond du trou. Le pays qui a les plus importantes réserves de brut de la planète a longtemps fait illusion (c’est à Caracas que Christian Dior installa sa première boutique à l’étranger au début des années soixante et le Concorde reliait Paris et Caracas). Le Venezuela a connu tous les malheurs de la malédiction du pétrole : l’accaparement de la rente par une bourgeoisie vivant dans l’orbite des États-Unis, le messianisme d’Hugo Chavez servi par les prix élevés du baril lui permettant toutes les folies (comme offrir de l’essence aux pauvres Américains) tandis que l’appareil du régime tombait aux mains des Cubains, et puis la chute aux enfers avec Nicolas Maduro, prisonnier d’une armée devenue une véritable kleptocratie. L’ensemble de l’économie a été nationalisé, tout manque à commencer donc par les carburants puisque les capacités de raffinage n’ont pas été entretenues.

Du temps de la splendeur du Venezuela, il reste encore un peu d’or (en partie conservé à Londres par la Banque d’Angleterre). Ce serait avec cet or que le régime bolivarien paierait ses achats de carburants, car l’Iran ne fait rien de gratuit.

Mais avec l’embargo américain, personne ne se risque à commercer avec Caracas. Les Russes le faisaient, Rosneft a été indirectement sanctionné et on peut penser que le Venezuela a été victime du rapprochement russo-américain sensible au moment de l’accord OPEP+ sur la réduction de la production de pétrole. Alors, Moscou a probablement fermé les yeux et passé le relais à Téhéran qui ne risque plus rien face aux États-Unis.

Les États-Unis ont déployé quelques navires dans la mer des Caraïbes. Mais de là à intervenir ! Ce n’est quand même pas la crise des fusées de Cuba.

 

 

14 mai

 

Il y a parfois des gifles qui se perdent. Cette fois-ci, c’est le patron mondial de Sanofi qui mériterait pareille correction : certes, il est britannique et il dirige un laboratoire pharmaceutique mondial, résultat de multiples fusions d’entreprises françaises, allemandes et américaines. Comme son nom l’indique, Sanofi est juridiquement française, mais ses laboratoires sont tant en Europe qu’aux États-Unis, ses fabrications sont bien souvent délocalisées en Asie et ses marques sont mondiales. Ceci étant avec un minimum de finesse, qui serait la moindre des choses pour un patron dont le « chèque de bienvenue » s’est chiffré en millions d’euros, il aurait pu se taire plutôt que de déclarer que si Sanofi parvenait à développer un vaccin contre le Covid-19, il serait administré en priorité au plus offrant, à celui qui aurait payé le plus pour financer les programmes de recherche, c’est-à-dire aux États-Unis.

Formellement, Paul Hudson a raison et est tout à fait dans la logique d’une entreprise qui, certes, œuvre dans le domaine de la santé, mais dont le seul objectif – en soi légitime – est sa profitabilité. Or, on le sait, l’industrie pharmaceutique doit courir en permanence pour découvrir de nouvelles molécules, sachant que chaque année d’anciennes formules tombent dans le domaine public et deviennent des médicaments génériques. La recherche est donc essentielle et il est au fond assez logique qu’elle profite à ceux qui la financent : dans ce cas précis, l’Autorité américaine pour la recherche biomédicale y a mis plus de moyens que les crédits impôts-recherche dont Sanofi peut bénéficier en France.

Paul Hudson ne mérite pas de conserver son poste et son conseil d’administration devrait s’en séparer en espérant que son parachute n’est pas trop doré. Mais le cynisme de ce mercenaire sonne juste, et en soi il n’a pas tort. Face aux États-Unis, ni l’Europe ni les principaux états ne sont capables de présenter un front cohérent dans le domaine de la recherche. La classe politique est choquée, bien sûr, et y va de faciles condamnations. Mais Paul Hudson nous a cruellement mis en face de nos propres faiblesses.

 

 

12 mai

 

Grâce au déconfinement, on peut à nouveau partir en montagne ! Pour cela, il faut de bonnes chaussures et celles de l’année dernière avaient rendu l’âme. Cap donc sur un magasin de sport. Il n’y en a plus dans les centres-ville et il faut donc aller dans l’une de ces zones commerciales sans âme constituées de hangars ignobles qui enlaidissent les périphéries de toutes les villes et bourgades de France. L’urbanisme commercial est un échec malheureusement universel et les architectes qui s’y prêtent n’ont pas à en être fiers.

Mais passons : une grande surface spécialisée donc (par la grande chaîne appartenant à une famille du Nord proche, à la franchir, de la frontière belge) plutôt bien achalandée et un personnel sympathique. Gel et masque bien sûr.

Cap sur le rayon randonnée et montagne : un bon choix de chaussures de 30 à 200 euros à peu près. Des marques internationales, italiennes et même françaises. Mais, le « made in » va nous faire voyager. Aucun « made in France » bien sûr, mais un seul produit européen, fièrement annoncé, une marque italienne « made in Romania » : la Roumanie où nombre de districts italiens se sont délocalisés ces vingt dernières années. Le reste ? La Chine bien sûr, mais aussi le Cambodge, le Vietnam… et cela non seulement pour les entrées de gamme, mais aussi pour les produits les plus sophistiqués.

Que conclure ? L’Europe a fait le choix de délocaliser en ayant l’illusion de conserver les marques et la conception : des ateliers sous les tropiques fabriquent les chaussures qui nous permettront de grimper les montagnes basques (autrefois on le faisait en espadrilles et il existe encore quelques fabricants locaux). Nous sommes aussi devenus des consommateurs aveugles, ultimes maillons d’une chaîne de valeurs qui a fait presque toute la planète.

J’ai acheté mes chaussures roumaines en faisant ainsi un bras d’honneur symbolique à la mondialisation et en affirmant mes convictions européennes. Et pour l’instant, elles ne me font pas trop mal.

 

 

11 mai

 

Alors que le déconfinement va son petit bonhomme de chemin dans plusieurs pays européens (France, Espagne, Danemark, Royaume-Uni), c’est l’heure de comptes bien cruels dans nombre de pays émergents. Deux au moins inquiètent les marchés financiers : l’Argentine qui s’achemine de manière inéluctable vers le neuvième défaut d’une histoire qui commença au XIXe siècle et la Turquie en proie à une crise de liquidité. Soyons honnêtes, Argentine et Turquie avaient fait déjà les beaux jours de l’été 2018. Mais elles ne sont plus seules. Le magazine « The Economist » a établi une liste des pays les plus vulnérables à la suite de ces quatre mois de crise. Il n’est pas surprenant de retrouver en tête le Venezuela suivi du Liban, de la Zambie, de Bahreïn, de l’Angola, du Sri Lanka et de la Tunisie.

En réalité, il s’agit de pays déjà mal en point, marqués par la mal-gouvernance (Venezuela, Angola) par le chaos politique (Liban, Sri Lanka), par la dépendance pétrolière et bien souvent par la corruption.

La crise ne fait qu’aggraver des situations dont il était illusoire d’espérer une sortie par le haut, à l’exception peut-être dans la liste précédente de la Tunisie. Cela illustre l’extrême fragilité de toute une frange de pays, souvent un peu plus haut dans les classements, qui ont pu faire illusion au point de faire croire en un éventuel décollage.

Au-delà des dommages subis par les pays avancés, c’est dans les pays du « deuxième tiers » que la crise risque d’avoir les conséquences les plus durables par la remise en cause de pans entiers d’une mondialisation dont ils pouvaient espérer recueillir au moins les miettes. De ce point de vue, il sera intéressant de suivre la trajectoire dans les mois à venir des pays qui semblaient les plus prometteurs comme l’Éthiopie, le Bangladesh ou le Maroc.

 

 

8 mai

 

Il y a soixante-quinze ans, la Seconde Guerre mondiale se terminait sur le front européen par la défaite de l’Allemagne inexorablement broyée dans la tenaille formée par l’URSS et les États-Unis. L’armée allemande s’était battue au-delà même du raisonnable dans une logique quasi suicidaire qui fut celle de ses dirigeants.

Grâce à De Gaulle et aussi à Churchill, la France put figurer à la table des vainqueurs et cela même malgré son « étrange défaite », il y a justement quatre-vingts ans. Célébrer en France le 8 mai tient un peu de l’escroquerie intellectuelle si ce n’est pour en faire un jour de mémoire pour toutes les atrocités que cette guerre a provoquées, pour toutes les vilénies qu’ont pu commettre des Français qui ne sont pas sortis grandis de cette épreuve. Car ce fut alors le temps de la délation, ce que l’on a retrouvé curieusement ces dernières semaines de confinement de la part de « bons » Français. Ce sera vite oublié, mais c’est bien la face sombre de la bipolarité de Français qui mettent en avant au contraire la vertu de solidarité. Tout comme après 1945, on avait voulu tout oublier de la collaboration et de la Shoah.

Mais il y aura demain un autre anniversaire, celui des 70 ans du discours prononcé par Robert Schumann dans le salon de l’Horloge du Quai d’Orsay et dans lequel il tendait la main à l’Allemagne en proposant de mettre sous une autorité unique le « charbon et l’acier », le nerf économique de la guerre qui semblait se préparer entre l’Ouest et l’Est. Ce fut, avec la CECA, le début d’une construction européenne qui commence malheureusement à se déliter sous nos yeux.

Le monde est aujourd’hui plus complexe : le « Green Deal » pourrait jouer le rôle du charbon et de l’acier. Mais en Europe, qui y croit vraiment ?

 

 

7 mai

 

Les prévisions économiques que vient de publier la Commission européenne confirment cruellement les pires appréhensions. L’Union européenne enregistrerait un recul de 7,4 % en 2020 et la zone euro de 7,7 %. La Grèce connaîtrait la pire récession (9,7 %) devant l’Italie (9,5 %) et l’Espagne (9,4 %), la France (8,2 %) venant compléter la triste performance du « Club Med », le plus directement affecté, en nombre de décès, par le Covid-19. Le Royaume-Uni (– 8,3 %) confirme au fond la corrélation entre l’impact de la pandémie et la panne économique. Plus au nord, la situation serait « meilleure » avec des reculs de 6 à 7 % quand même en Allemagne et aux Pays-Bas. C’est la Pologne qui s’en sortirait le mieux avec – 4,3 %.

Jamais l’Europe n’avait connu pareille déroute et ceci va se traduire par des déficits publics (– 8,5 % en moyenne pour la zone euro), la montée de la dette (à 103 % du PIB) et du chômage qui serait pour la zone euro à 9 % en fin d’année (contre 6,7 % fin 2019). Certains analystes considèrent ces prévisions comme « optimistes » et avancent des chiffres au-delà de 10 % de recul.

Dans ce contexte, le jugement de la Cour constitutionnelle allemande de Karlsruhe apparaît presque surréaliste même s’il est fondé dans un droit allemand conçu pour éviter les funestes dérives de la Reichsbank de l’entre-deux-guerres. Les juges allemands ont pratiquement condamné – sans le dire – le programme de « quantitative easing » de la BCE et veulent en tout cas bloquer la dérive naturelle poussant une banque centrale à acheter directement de la dette souveraine (comme cela se pratique au Japon).

Au-delà des arguties juridiques, c’est une attaque supplémentaire contre la dernière institution européenne en première ligne face à la crise actuelle.

La Commission imagine pour 2021 un rebond de 6,3 % de la croissance. Mais cela risque de tourner à la course d’obstacles…

 

 

6 mai

 

Début janvier les prévisions que l’on pouvait faire pour l’évolution des marchés de matières premières étaient légèrement négatives. Cyclope prévoyait alors un recul global de 2 % des prix mondiaux pour l’année 2020.

Début mai, l’horloge des marchés indique un recul de 42 % en quatre mois ! À l’exception de l’or, du riz et du blé, toutes les grandes matières premières se sont inscrites en baisse à l’instar de la plus emblématique de toutes, le pétrole qui a perdu plus de 60 % de sa valeur.

Il y a en réalité deux histoires, deux chocs, l’un ayant porté sur l’offre et l’autre sur la demande. Le choc d’offre remonte en fait à 2019 et même aux années qui l’ont précédé. C’est à la fois, le résultat des investissements en capacités nouvelles qu’il s’agisse de pétrole et de gaz de schiste aux États-Unis, de nouvelles mines de cobalt ou de lithium, de trains de liquéfaction de gaz naturel en Australie, d’affineries d’aluminium en Chine… et puis aussi d’un climat presque optimal pour les productions agricoles depuis au moins trois campagnes. Les marchés étaient excédentaires et les Saoudiens furent de véritables apprentis sorciers en déclenchant début mars la guerre du pétrole.

C’est alors justement qu’est intervenu un choc de demande avec la baisse de la croissance qui sur ces quatre premiers mois est probablement de l’ordre de 5 % en rythme annuel. Mais, la demande d’hydrocarbures a diminué de 25 %, celle de métaux de 15 à 20 %. On a parlé de l’effondrement du pétrole, mais cela a été aussi le cas du gaz naturel (– 50 %) et puis aussi du sucre et du maïs (– 22 %) dans le sillage de l’éthanol, de l’huile de palme (– 32 %) à la suite du biodiesel.

Les marchés des métaux ont payé avec 10 à 20 % de baisse la panne industrielle et notamment celle du secteur automobile. Et il en a été de même dans les textiles pour le coton (– 16 %) et la laine (– 23 %).

Seuls, au fond, quelques produits agricoles comme le riz et le blé ont profité de la peur de manquer et de quelques embarras logistiques.

Enfin, ne nous étonnons pas qu’en ces temps d’incertitude, la « relique barbare » se soit appréciée de 12 %.

Ainsi vont les marchés, éternels baromètres de nos craintes, de nos angoisses et parfois aussi de nos espérances !

 

 

5 mai

 

À peine le Covid-19 commence-t-il à s’éloigner que les tensions géopolitiques reprennent le dessus. Cela fait plus de trois mois que le dossier États-Unis/Chine était resté sur un coin du bureau ovale de Donald Trump à la Maison-Blanche. Depuis la signature solennelle de l’accord dit de phase 1 le 15 janvier, les États-Unis avaient fait preuve d’une admirable retenue vis-à-vis de la Chine. Celle-ci n’avait pourtant respecté aucun de ses engagements d’importations de produits américains : pas de pétrole, presque pas de gaz naturel ou de charbon, bien peu de soja, des viandes quand même et même beaucoup de porc ce qui commence à poser des problèmes d’approvisionnement du marché intérieur américain. Mais au total, le compte n’y est pas.

Donald Trump a donc décidé de reprendre l’offensive sur un thème qui peut réunir autour de lui l’électorat américain : la Chine est responsable de la pandémie issue d’un laboratoire de Wuhan. La rumeur – il est vrai – circule dans les milieux scientifiques et elle est plausible. Non pas que le virus ait été « fabriqué », mais que sa diffusion soit le résultat d’une erreur de manipulation.

La Chine, qui donnait des leçons au reste du monde en matière de lutte contre la pandémie, se trouve maintenant sur le banc des accusés. Les États-Unis menacent même de nouvelles sanctions douanières pour lui en faire payer le prix.

Donald Trump cherche à reprendre la main, conscient que les Chinois l’ont trompé en signant le 15 janvier un accord dont ils savaient déjà qu’avec la pandémie, ils ne pourraient l’honorer. L’affrontement sino-américain risque de reprendre de plus belle après cette curieuse trêve sanitaire. De ce point de vue, c’est bien le « monde d’avant » qui revient sur le devant de la scène. Quant à l’espérance de quelque gouvernance mondiale, oublions-la !

 

 

4 mai

 

La France est donc le plus mauvais élève de l’Europe économique avec son recul de 5,8 % du PIB au premier trimestre contre 3,8 % pour la zone euro et surtout plus que l’Espagne et l’Italie pourtant plus affectées par la pandémie.

Comment expliquer pareil résultat qui touche de plein fouet ce modèle français dont tous nous célébrions au moins la résilience en période de crise. Cela coûtait cher, mais au moins la France avait le meilleur système de santé, les protections sociales les plus efficaces, les entreprises publiques les plus résilientes. Mais voilà, le petit vent du Covid-19 a tout balayé : un système de santé étouffé par sa bureaucratie et par le pouvoir de son mandarinat qui ne sauve la face que grâce au dévouement du « rank and file », un État-providence qui par son apparente générosité a réussi à paralyser l’économie ; une classe politique tétanisée, héritière de ce principe de précaution inscrit dans la constitution ; des services publics paralysés par un « droit de retrait » dont les syndicats ont parfois abusé.

Au fil des déclarations solennelles du président, des membres du gouvernement, du conseil scientifique et puis de tous ceux qui avaient accès aux « étranges lucarnes », la peur a gagné la France entière.

Tout s’est arrêté et l’on ne s’étonnera pas que ce grand confinement ait eu de telles conséquences au point que l’on ne sache plus comment en sortir.

Oui, la France en ces dernières semaines est un immense ratage. La guerre sanitaire n’est pas gagnée, la guerre économique est perdue. Il n’y a pas un responsable, mais soixante millions d’entre eux. Habitués à tout attendre de l’état, les Français ont subi sans réagir s’accommodant au fond du confort de leur chômage partiel, obéissant sans se rebeller même aux pires absurdités bureaucratiques.

            Puisse cette humiliation économique nous servir de leçon.

 

 

3 mai

 

Il y eut longtemps le 10 mai, le 10 mai 1981, cette date emblématique pour le peuple de gauche qui vit l’élection d’un vieux politicien de la IVe République qui avait raté Mai 68 et qui devint le président le plus marquant après son fondateur d’une Ve République qu’il avait tant honnie.

Il fit son miel de ce régime ambigu de présidentialisme limité seulement par des alternances parlementaires et il connut d’ailleurs deux cohabitations dont il fit aussi son bonheur.

Et voilà que son lointain successeur (22 ans plus tard) a fixé le 11 mai comme date symbolique du déconfinement. L’acte était politique, le ton solennel et toute la France l’a cru et se prépare donc, dans une semaine à vivre ce retour à la liberté.

Mais voilà, la technocratie tant politique que sanitaire en a décidé autrement. Le « comité scientifique » n’en voulait pas, l’a fait savoir et a de ce fait imaginé un cahier des charges, notamment pour l’école, qui risque de faire un véritable enfer de la vie scolaire. Au point que nombre de maires demandent à repousser un peu plus cette curieuse rentrée des classes.

Mais en dehors des écoles, on continue à rester à guichets fermés. Bars, restaurants, cinémas et théâtres bien sûr, ni mariages et enterrements et toutes formes de cultes interdites. Le jeudi de l’Ascension, le lundi de Pentecôte resteront fériés, mais leur fondement spirituel, la célébration eucharistique sera interdite sauf sous sa forme télévisée !

La France, dans l’attente du 11 mai, est rouge de désespoir ou verte d’espérance sur la base de critères complexes dont il est bien difficile de suivre la logique et la cohérence.

Héritier des rois de France thaumaturges, le président pourrait actualiser la célèbre formule des écrouelles au moment du sacre :

            « Le président te touche, le 11 mai tu guériras… »

 

2 mai

 

La Russie a décidé de suspendre ses exportations de blé. Ce n’est pas vraiment un embargo dans la mesure où on est à la fin de la campagne et que la Russie aura exporté 33 ou 34 millions de tonnes (sur un marché mondial de 181 mt). Avec l’Ukraine et le Kazakhstan, la « mer Noire » représente désormais un tiers des exportations mondiales de blé.

La décision russe a fait la une de la presse et immédiatement des menaces de pénurie ont refait surface ce qui a contribué à maintenir les prix du blé à un niveau élevé, au-dessus de € 200 la tonne à l’exportation en Europe. Mais la plupart des achats de précaution, avant le ramadan, étaient réalisés et dans un pays comme l’Égypte, la récolte va bientôt commencer.

Pour le blé, la campagne 2020-2021 s’annonce record à plus de 760 mt même en tenant compte du déficit hydrique qui a affecté le nord de l’Europe jusqu’en Russie. Ce n’est pas de ce côté qu’il faut voir des soucis pour la situation alimentaire mondiale, mais plutôt de la malgouvernance et des guerres du Yémen au Soudan et puis aussi en Afrique de l’Est des ravages provoqués par des essaims de criquets pèlerins. Bien entendu, le climat peut bouleverser les situations les plus solides. En 2010, une canicule en Russie en juillet avait provoqué un embargo autrement plus grave, en août en début de campagne. Mais en 2020, les disponibilités sont là et cela permet au moins à l’Europe – et surtout à la France – de récupérer des marchés à l’exportation sans risque de manquer dans les boulangeries !

 

 

1er mai

 

Ni muguet, ni défilé ! Passons sur le muguet qui est pourtant un symbole d’affection dont le besoin se fait bien sentir en ces temps de confinement. Quant aux défilés et à cette fête du Travail née du souvenir des grandes grèves de Chicago en 1886 et de leur féroce répression, c’est la IIe internationale réunie à Paris en 1889 qui décida de faire du 1er mai la « fête des Travailleurs ». Et deux ans plus tard, le 1er mai 1891, la troupe tira sur la foule à Fourmies dans le Nord.

Longtemps les défilés du 1er mai furent une occasion de montrer la force et l’unité du mouvement ouvrier dans une logique qui restait celle de la lutte des classes. Mais cela fait bien des années que ce rite avait perdu toute signification. En dehors de quelques bastions dans le secteur public, les syndicats ont, en France, perdu l’essentiel de leur représentativité et, ce, d’autant plus qu’ils sont éparpillés en de multiples chapelles. Même le 1er mai, ils sont en général incapables de former un seul défilé. Le confinement leur aura au moins permis d’échapper aux traditionnelles querelles de clocher.

 

Et puis, si au XIXe siècle, il était logique d’opposer travailleurs et rentiers, au XXIsiècle, même si certains ont été jusqu’à imaginer « la fin du travail », le travail, à l’heure du chômage, est presque devenu un privilège. Faute de travail, il restait le muguet…

 

30 avril

 

On avait beau s’y attendre tant des prévisions – parfois plus sombres – avaient circulé, cela fait quand même mal : – 5,8 %, tel est le recul officiel du PIB français au premier trimestre 2020, le chiffre le plus mauvais enregistré depuis la Seconde Guerre mondiale, et cela pour une période qui ne comprenait qu’une vingtaine de jours au plus de confinement total. Toutes les composantes de la croissance économique sont dans le rouge qu’il s’agisse de la consommation des ménages (– 6,1 %) ou de l’investissement des entreprises (– 11,8 %). La chute la plus spectaculaire est celle de la consommation de biens manufacturés : – 16,3 % et bien sûr un effondrement des immatriculations de voitures en mars.

Déjà, la croissance française avait été légèrement négative au quatrième trimestre 2019 (– 0,1 %) et donc officiellement la France est en récession. Mais le pire est probablement à venir : au deuxième trimestre, il y aura au moins six semaines de confinement et donc le PIB devrait reculer de 10 % sinon plus. Sur l’ensemble de l’année, Bercy a calé la loi de finances sur un retrait de 8 %, un chiffre pour l’instant réaliste, mais qui suppose un coup de reins à l’automne.

Et pour l’instant chaque jour ce sont de nouveaux gouffres qui s’ouvrent. Ainsi, sur le front de l’emploi, 246 000 chômeurs supplémentaires ont été inscrits au mois de mars, ce qui marque une rupture totale de tendance alors même que plus de dix millions de personnes sont en situation de chômage partiel.

La seule compensation est qu’en ces temps de confinement, si on consomme moins, on épargne plus : en mars, les dépôts sur les comptes bancaires ont été de € 19 milliards contre € 6 milliards en moyenne pour un mois normal. Cet argent sera peut-être dépensé « après », mais un après qui semble bien lointain.

Voilà en tout cas la confirmation que cette « crise de 2020 » est la plus forte que la France ait connue depuis les années trente. En trois mois ce sont quatre années de croissance – certes bien faible – qui ont été effacées. Et la « guerre » n’est pas finie…

 

 

29 avril

 

Parfois, certaines Cassandres, adeptes de l’observation dans les petits matins glauques de l’envol des « cygnes noirs » finissent par avoir raison. L’économiste américain Nouriel Roubini est l’un d’entre eux. Il y a déjà plusieurs mois, il avait publié un article dans lequel il mettait en garde face au manque de défense dont disposerait l’économie mondiale en cas de crise majeure. Il estimait que gouvernements et banques centrales avaient épuisé une bonne partie de leurs munitions pour sortir de l’embuscade financière de 2008 : partout l’endettement était au plus haut et les taux déjà bien proche de zéro. Les limites raisonnables de l’endettement étaient proches d’être atteintes, voire dépassées. Face à une nouvelle crise, les marges de manœuvre seraient bien limitées surtout pour les « cigales ».

La France en est un exemple type : son déficit public était à peu près identique, un peu au-dessus de 2 %, en 2007 tout comme en 2019. Mais entre-temps, l’encours de la dette est passé de 500 à 1 700 milliards d’euros. Pour l’instant grâce à la baisse des taux, cela reste pratiquement indolore, mais toutes les fêtes ont une fin.

Il n’est pas question de remettre en cause les dépenses engagées pour lutter contre le chômage et pour sauver des pans entiers de l’économie. On peut seulement regretter l’impécuniosité passée et les milliards gâchés pour acheter quelques gilets jaunes…

 

 

28 avril

 

Le système institutionnel français, renforcé par une certaine cohérence des électeurs, fait de l’Assemblée nationale un lieu de débats certes, mais guère de décisions. C’est particulièrement le cas sous cette mandature avec la majorité absolue dont dispose le parti présidentiel et cela même malgré quelques défections. C’est donc assuré du soutien de ses « godillots » qu’Édouard Philippe a présenté cet après-midi son plan de ce confinement. À la tribune de l’Assemblée, il n’a pu utiliser de PowerPoint, mais il n’en a pas pour autant été plus précis dans ses efforts de contournement de l’oukase présidentiel qui avait consacré la date du 11 mai comme celle de la fin du grand confinement. Il savait – le malheureux – qu’il serait la victime expiatoire des ratés de la période et que dans les couloirs on suppute déjà sur sa succession. Alors, il a présenté un plan « à la française », intelligent, mais complexe avec des départements verts et d’autres rouges, avec des limites de 100 kms de déplacement, de 15 élèves par classe, des promesses de 700 000 tests par semaine. Beaucoup d’imprécisions aussi sur les lycées, les bars et restaurants, les offices religieux, les plages et même la menace d’un retour au confinement total. La critique est facile et l’exercice était bien périlleux. Mais que d’inconnues en ce joli mois de mai !

 

 

27 avril

 

Il y avait ce matin, d’après un comptage de l’AFP, 206 567 décès dus au Covid-19, sur 2,9 millions de cas recensés dans 193 pays du monde. Ce chiffre est fort probablement largement en dessous de la réalité : la Chine n’apparaît pas parmi les principaux pays touchés et son compteur reste bloqué à moins de 4 000 décès. La plupart des observateurs s’accordent pour un nombre de décès en Chine situé à minima entre 50 000 et 100 000. Les chiffres iraniens sont aussi largement sous-estimés et pourraient en fait approcher des 50 000. Le Covid doit avoir, trois mois après son officialisation par les Chinois, un bilan plus proche des 500 000 décès.

Une chose est sûre par contre : né – voire fabriqué – en Chine, il a trouvé l’Occident fort à son goût et s’y est épanoui. Si l’on suit les chiffres « officiels », 55 000 décès aux États-Unis (sur 956 000 cas) et puis un peloton européen avec l’Italie (26 000), l’Espagne (23 500), la France (22 800) et le Royaume-Uni (20 700). Tous ces chiffres ne sont pas exactement comparables, mais il faut les prendre comme des ordres de grandeur à « minima ». Ce qui est important, c’est aussi de comparer les courbes ; certains semblent avoir passé un pic, d’autres pas encore et pour l’instant aucune deuxième vague ne semble être apparue même en Asie (mais la Chine, toute à sa communication triomphante en ferait-elle état ?). Mais rien n’est encore joué.

 

26 avril

 

On a beaucoup parlé de pétrole cette semaine, mais si l’on fait exception de l’épisode des prix négatifs à New York, la palme de la chute la plus forte des prix depuis le début de l’année revient au gaz naturel. Du fait de sa nature gazeuse, le gaz naturel se transporte sur terre par des gazoducs, mais, pour aller d’un continent à l’autre, il faut passer par la coûteuse opération de la liquéfaction. Le prix de référence à l’international est celui du GNL sur les marchés comptant en Asie. Vendredi, il est passé pour la première fois de l’histoire en dessous de $ 2 le mbtu (million de « British thermal unit », une curieuse unité thermique utilisée pour le gaz naturel). À titre de comparaison, au moment de Fukushima et de la fermeture des centrales nucléaires au Japon, le GNL avait dépassé les $ 20, et en octobre 2019, il cotait encore $ 6,80. Pour calculer un prix de revient il suffit de prendre le prix du gaz aux États-Unis ($ 1,75 lui aussi au plus bas) d’y ajouter $ 3 de liquéfaction et 60 cents de transport pour avoir un coût pour du GNL exporté des États-Unis de $ 5,45. Les exportateurs australiens, plus intégrés, doivent avoir un coût marginal de $ 3. Inutile de dire que nombre de grands projets comme celui d’Exxon dans le canal du Mozambique sont remis en cause.

Le gaz naturel concurrence moins le pétrole que le charbon. La baisse des prix du gaz et donc plutôt une bonne nouvelle dans la mesure ou nombre d’importateurs dotés de centrales thermiques mixtes peuvent passer du charbon au gaz. La place du gaz devrait augmenter dans le mix énergétique asiatique, du moins tant que l’on en produira.

 

 

25 avril

 

Faut-il s’inquiéter pour la situation alimentaire mondiale ? A priori, il ne devrait pourtant pas y avoir de problèmes supplémentaires au-delà des situations de pauvreté alimentaire qui touchaient en 2019, selon la FAO, un peu moins d’un milliard d’êtres humains ; là-dessus la faim, c’est-à-dire le manque absolu de nourriture, affectait 135 millions de personnes dans des régions touchées par la folie des hommes comme le Yémen ou le Soudan, sans oublier la Syrie.

Mais, en dehors de ces situations qui ressortent malheureusement de la « normalité » géopolitique, il faut souligner que la production agricole mondiale a à nouveau battu des records sur la campagne 2019/2020. Presque partout, les conditions climatiques ont été optimales. On s’inquiète certes actuellement de sécheresses dans le bassin de la mer Noire et en Amérique du Sud. Quelques pays ont aussi limité leurs exportations de riz surtout pour des raisons de logistique. Mais, il n’y a vraiment aucune raison de crier à la crise alimentaire mondiale. Sauf…

Sauf là une nouvelle fois pour les plus pauvres, partout dans le monde, touchés par l’augmentation de certains prix liée aux difficultés logistiques provoquées par les confinements. C’est aussi le cas de paysans confrontés à des problèmes d’approvisionnement en semences et en engrais. Dans les pays riches comme dans les pays pauvres, les chaînes agricoles et alimentaires sont soumises à rude épreuve. Et ceux sont les plus pauvres qui en souffrent.

 

 

24 avril

 

Il n’y aura pas d’encierro, le lâcher des taureaux dans les rues, le grand moment des fêtes de Pampelune qu’Hemingway a immortalisé. Il n’y aura pas non plus de Fêtes à Bayonne fin juillet et pire encore, pas d’Oktoberfest à Munich à l’automne. Les Jeux olympiques auront lieu en 2021 et les Journées mondiales de la jeunesse de l’Église catholique prévues à Lisbonne en août 2022 sont déjà reportées à 2023 ! Il n’est l’heure ni de rire et de faire la fête ni même de prier en dehors de la solitude de l’ermite. Et ce sera bien difficile pour tous les musulmans qui commencent le mois du ramadan de ne pas fêter le soir la rupture du jeûne.

Dans bien des pays, le confinement dure depuis plus d’un mois et le déconfinement semble à la fois lointain et limité à quelques activités : fêtes et festivals estivaux sont tous annulés et la rentrée de septembre apparaît bien morose à écouter les « professeurs » qui ont pris le contrôle de nos existences. En France, l’application d’un principe de précaution absolu va faire tourner au cauchemar la rentrée des classes partielles prévue le 11 mai. Certains pays ont déjà engagé une réouverture de leurs magasins et de leurs écoles. D’autres, au contraire, à l’image de l’Espagne ou de l’Inde prolongent leurs mesures d’urgence. Nul ne sait en réalité de quoi sera fait l’été alors que tombent des données économiques plus catastrophiques les unes que les autres.

            Trois mois de coronavirus… une éternité déjà.

 

 

21 avril

 

On avait les taux négatifs, voilà donc le pétrole négatif ! Hier soir, le baril de pétrole américain (WTI) a clôturé sur la bourse de New York à $ – 37,63 ! La nouvelle a fait le tour du monde suscitant à juste raison incrédulité et incompréhension. Pourtant, ce n’est pas une « fake news », simplement une toute petite partie de la réalité du marché du pétrole : c’est le contrat échéance mai du Nymex qui a clôturé en négatif alors que le terme de ce contrat est aujourd’hui mardi 21 avril.

Le pétrole est coté sur des marchés à terme (futures) : on peut y acheter ou vendre des contrats portants sur la livraison de pétrole à une échéance précise (le 21 avril pour le contrat de mai par exemple) en un endroit précis : à Cushing dans l’Oklahoma pour la cotation de New York. Cushing est un nœud d’oléoducs et a une des plus importantes capacités de stockage des États-Unis (76 mb). Normalement, sur les marchés à terme, très rares sont les opérations qui vont jusqu’à leur issue physique. Les opérateurs sont pour l’essentiel des investisseurs (fonds de placement, ETS) pour lesquels les commodités sont une classe d’actifs comme une autre. Ils viennent y spéculer et n’ont pas les capacités de gérer des flux de marchandises physiques. En général, ils ne traitent d’ailleurs pas l’échéance la plus rapprochée dont la liquidité (les volumes traités) diminue au fur et à mesure que l’on se rapproche du terme. Ne restent alors en position que les opérateurs capables de livrer ou de prendre livraison de ce pétrole à Cushing, ce qui ne représente guère plus de 0,1 % des volumes de contrats « papier » échangés, et encore !

Que s’est-il donc passé ce 20 avril après-midi à New York ? Un certain nombre d’opérateurs étaient encore en position sur l’échéance de mai. Ce n’était certainement plus de purs spéculateurs financiers, mais des gens capables de gérer du pétrole physique. Certains étaient acheteurs et s’apprêtaient donc à prendre livraison de pétrole le lendemain à Cushing. Mais, soudain, ils ont pris conscience qu’il n’y avait pas d’espace de stockage disponible ou que les prix de location en étaient devenus prohibitifs. Désespérés, ils ont cherché à vendre leur « papier », mais en face, il n’y avait pas d’acheteurs ou du moins ceux qui tenaient le marché et les capacités de stockage attendaient… que le prix tombe, devienne négatif jusqu’à $ – 40 le baril ! C’est ce que l’on appelle sur les marchés un squeeze ! Donald Trump, qui s’y connaît, a très justement parlé d’un « squeeze financier ». Cette fois-ci, il porte sur la denrée la plus rare, non pas le pétrole, mais l’espace de stockage dans une obscure bourgade de l’Oklahoma !

Ce n’est donc pas là le prix du pétrole, mais simplement une des ses composantes les plus marginales : le WTI pour l’échéance juin est à $ 20 et le Brent, la vraie référence mondiale, à un peu moins de $ 30. Mais sur les marchés physiques, pour certaines qualités (Canada, Mexique), en certains endroits (à Midland au cœur du bassin de production du Permian au Texas), les prix sont bien inférieurs à $ 10. Et n’oublions pas que la notion de prix négatif existe aussi pour certains produits dont on ne peut maîtriser la production : cela a été le cas pour le gaz naturel aux États-Unis et pour l’électricité en Europe en mars. Enfin, il est exact qu’avec la baisse de la demande mondiale de pétrole liée au coronavirus (– 30 %), partout les stocks débordent sur terre et en mer.

Voilà en tout cas une belle histoire (un squeeze inversé !) que se raconteront pendant longtemps les traders au coin du feu.

 

 

20 avril

 

Curieux exercice auquel se sont livrés hier après-midi – à l’heure du thé – le Premier ministre, le ministre de la Santé et quelques scientifiques. Parlons d’abord de la forme. La mode du « PowerPoint » a gagné la communication politique. Elle est pourtant bien dangereuse : les « slides » étaient difficiles à lire, trop chargées, parfois incompréhensibles. Dans les conférences et autres interventions, on dit toujours que les images doivent illustrer le propos, que les auditeurs ne peuvent à la fois écouter et lire. Zéro pointé de ce point de vue donc et cela d’autant plus que le Premier ministre, en bon « techno » n’a pu s’empêcher de truffer son grand oral de chiffres lancés avec la précision d’un métronome et qui l’ont rendu parfaitement indigeste.

Quant au fond ! Ce fut avant tout un exercice d’autocongratulation gommant allègrement toutes les lacunes notamment en termes de matériel. Bien entendu, le téléspectateur épuisé par cette avalanche de chiffres et de graphiques n’attendait qu’une chose : quelques précisions sur le déconfinement. Mais là, aucune précision, un flou artistique remis à quinzaine même sur l’école : on parle d’expérimentation, de dialogue avec les autorités locales, ce qui n’est pas franchement dans les gènes du ministère de l’Éducation nationale. Le seul message à retenir de ces deux heures de « prime time » est que la vie normale ne reprendra certainement pas avant le 11 mai, mais plutôt en 2021.

Ce fut là un grand moment de cette communication technocratique dont ce gouvernement a le secret !

 

 

19 avril

 

« Tous les croyants vivaient ensemble et ils avaient tout en commun ; ils vendaient leurs biens et leurs possessions et ils en partageaient le produit entre tous en fonction des besoins de chacun ». Ce passage des Actes des Apôtres (2,43) était la première lecture de la messe catholique de ce dimanche.

En ces temps de coronavirus, de solidarité et de partage, il prend bien sûr une dimension toute particulière d’autant qu’il a été souvent utilisé dans une dimension sociale du christianisme dont le pape actuel est l’héritier. Il suffit de penser à certains sermons de Jean Chrysostome, à François d’Assise et aux fraticelli, aux réductions jésuites du Paraguay et plus près de nous aux prêtres ouvriers. C’est aussi l’esprit de l’année jubilaire qui dans la tradition juive était celle du partage et de la redistribution des biens.

Le coronavirus nous touche tous et l’état providence par le biais de l’hôpital traite chacun « selon ses besoins ». Certes, mais que d’inégalités dans le confinement, dans cette vie quotidienne soudain arrêtée. Que de petites solidarités aussi alors que l’on fait mine de redécouvrir nos aînés parqués dans leurs EHPAD, cet acronyme horrible qui fait maintenant partie de notre télévision quotidienne.

À chacun selon ses besoins, c’est bien le rêve d’un communisme primitif à méditer en un dimanche de confinement.

 

 

18 avril

 

L’économie et la liberté contre la santé. Aux États-Unis, le débat attisé par Donald Trump suscite des manifestations à la mode des « gilets jaunes ». En France aussi certaines voix commencent à se faire entendre contre la dictature du « sanitairement correct » pour reprendre l’expression d’André Comte-Sponville. Jusqu’où faut-il continuer à bloquer l’économie, à pousser vers la faillite tout un tissu de PME pour obéir aux directives d’instances de la santé publique dont on peine parfois à saisir la cohérence. Faut-il accepter ainsi le diktat du sanitaire sur la politique, alors même que les plus lucides des scientifiques concernés savent combien la notion de vérité scientifique peut être aléatoire.

En réalité, nous sommes prisonniers de deux principes de plus en plus paralysants : il y a d’abord le célèbre principe de précaution dans sa version absolue quand il s’applique à la santé. Il y a aussi la culture du « zéro-mort » qui pèse sur toute action politique. Ces deux principes paralysants s’accommodent de l’immobilisme et donc du confinement. L’argument sanitaire porté à son extrême l’emporte sur toute autre considération. Dans certains pays, comme la Hongrie, ceci peut justifier la remise en cause des libertés. Mais parfois n’est-il pas de même en France ?

 

 

17 avril

 

En ces temps de confinement, les rumeurs circulent au fil des réseaux et il est bien difficile de faire la part de quelque vérité et de l’intoxication. Ainsi, tourne en boucle une interview du professeur Montagnier, scientifique français dont l’équipe a découvert le virus du Sida, ce qui lui a permis d’obtenir le prix Nobel de médecine (en oubliant d’ailleurs une partie de ses collaborateurs, une pratique devenue malheureusement assez courante dans des milieux académiques gagnés par la course à la publication). Depuis sa retraite, il travaille pour l’essentiel aux États-Unis.

Son opinion est que ce que l’on sait de cet étrange coronavirus ne correspond pas à une évolution naturelle, mais porte la trace de « ciseaux » extérieurs et qu’en particulier on y retrouve des caractéristiques provenant du HIV du Sida. En clair, il y aurait derrière le coronavirus une fabrication humaine qui pourrait provenir d’une fausse manœuvre dans un laboratoire de Wuhan, justement spécialisé dans la recherche sur les virus et leurs vaccins. La transmission par des animaux sauvages sur un marché de Wuhan aurait été mise en avant pour couvrir une erreur humaine.

La Chine qui met en avant aujourd’hui sa capacité à gérer la pandémie et qui donne des leçons au monde entier (en oubliant avec la complicité de l’OMS, l’exemplarité de Taïwan) serait en réalité à l’origine du coronavirus par le biais de quelques apprentis sorciers à Wuhan.

Voilà en tout cas ce qui conforte les accusations de Donald Trump et même les silences d’Emmanuel Macron. Voilà en tout cas une pièce supplémentaire dans un dossier fertile en doutes et incertitudes.

 

 

16 avril

 

Depuis quelques jours, les services économiques des grandes banques avaient commencé à se livrer à l’exercice périlleux de prévisions économiques mondiales « post-coronavirus ». Le Fonds Monétaire International vient de livrer ses propres anticipations qui traditionnellement font autorité. Pour le FMI, l’économie mondiale devrait se contracter de 3 % en 2020. L’impact du coronavirus serait en fait de 6 % du PIB mondial puisqu’en janvier, « avant », le FMI tout comme CyclOpe tablait sur une croissance mondiale positive de l’ordre de 3 %. C’est le recul le plus important que l’économie mondiale ait connu, sur une année entière, depuis la Seconde Guerre mondiale. Des principaux pays, seules l’Inde (+ 1,9 %) et la Chine (+ 1,2 %) auraient un rebond suffisant au second semestre leur permettant d’enregistrer une croissance positive, quoique bien inférieure aux prévisions du début de l’année. Mais partout ailleurs, quelle débâcle ! De 5,9 % aux États-Unis à 7,5 % pour la zone euro, avec 9,1 % en Italie et 8 % en Espagne, les chiffres négatifs sont impressionnants. Pour la France, le FMI est presque optimiste avec un recul de 7,2 % alors que le gouvernement français vient de présenter sa loi de finance rectificative avec une hypothèse malheureusement plus réaliste de 8 %. Mais, l’Amérique latine (– 5,2 %) et l’Afrique sont aussi dans le rouge tout comme le Moyen-Orient pénalisé par la chute du pétrole. Bien sûr, le FMI anticipe un rebond en 2021, mais il ne sera pas de la même ampleur et le monde y perdra l’équivalent de $ 9 000 milliards, soit les PIB cumulés de l’Allemagne et du Japon.

Désastre total provoqué par un choc exogène – une pandémie – mille fois amplifié par les mesures de protection prises un peu partout dans le monde. Et ce n’est pas, contrairement à ce que certains affirment, la conséquence d’un essoufflement de la mondialisation et du libéralisme économique. Que par contre ce choc incite à prendre du recul, à réfléchir aux inégalités, à agir, comme le suggère le pape François, en faveur des plus pauvres, c’est évident. Mais, la difficulté de l’exercice sera en même temps de payer ces dettes que nous accumulons bien allègrement !

 

 

15 avril

 

La rumeur circulait depuis quelques jours au fil des tweets de Donald Trump, de plus en plus virulent à l’égard de l’OMS. Les États-Unis suspendent leur participation – et leur financement – à l’Organisation mondiale de la santé. Pour une fois, on ne peut pas lui donner totalement tort. Certes, on peut y voir une manœuvre de sa part pour couvrir ses propres responsabilités, son inconséquence à prendre au sérieux la pandémie (ne disait-il pas que tout serait fini pour Pâques, avant-hier ?). À sa décharge, le président des États-Unis a, en ces domaines, moins de marges de manœuvre qu’un Emmanuel Macron sauf à décréter un état d’urgence national. Ce sont en fait les gouverneurs des États qui sont vraiment à la manœuvre.

Mais l’OMS ! C’est l’exemple même de la bureaucratie onusienne qui fait partie du problème plus que de la solution. L’OMS a été de plus une des cases importantes de la diplomatie chinoise à l’assaut du système des Nations-Unies. Son directeur général, l’éthiopien Tedros Adhanam Ghebreyesus a été élu grâce à des manœuvres chinoises et il est exact que l’OMS a été d’une sage lenteur pour reconnaître l’importance de la pandémie tout en acceptant des déclarations chinoises sous estimant plus de vingt fois le nombre de décès du coronavirus. Au travers de l’OMS, Donald relance sa campagne de Chine.

 

 

14 avril

 

Il y a des chiffres dont la seule disproportion est infiniment choquante. D’un côté, $ 2 200 milliards de la loi CARES aux États-Unis pour sauver l’économie, $ 1 000 milliards annoncés au Japon, $ 500 milliards en Europe (sans compter les programmes nationaux). On est assez proche désormais des $ 5 000 milliards annoncés il y a quelques semaines par le G20. De l’autre, ce même G20 qui n’est parvenu qu’à un moratoire sur la dette des pays pauvres : $ 20 milliards qui se trouvent seulement reportés et non annulés. 76 pays, dont 40 d’Afrique subsaharienne sont concernés. On est loin – très loin – de la remise de la dette dont le pape François s’est encore fait l’avocat dans sa bénédiction pascale. Pour l’instant donc, un nouveau moratoire d’un an, peut-être plus à l’automne alors que tant de pays voient leurs espoirs de croissance fracassés moins directement par le coronavirus que par ricochet du fait de la contraction du commerce international, des effets de la crise dans les pays avancés sur les transferts de fonds des travailleurs migrants et enfin de la chute des prix de nombre de matières premières à commencer par le pétrole.

Bien sûr, la remise des dettes n’est pas forcément la bonne solution quand on pense à la malgouvernance de tant de ces pays, dont la dépendance aux matières premières les fragilise encore plus. Bien sûr, le développement économique ne se commande pas quoiqu’en disent les économistes les plus nobélisés. Mais nous soignons la paille dans notre œil en laissant béante la poutre dans l’œil des pauvres.

 

 

13 avril

 

Rarement allocution d’un président de la République fut autant attendue, espérée et écoutée. Emmanuel Macron a ce soir battu un record d’audience. On attendait bien sûr des faits, des données précises et pour la plupart des commentateurs c’est à cela que s’est réduit la demi-heure de la trop longue allocution présidentielle : un mois de plus donc jusqu’au 11 mai, date à laquelle la seule certitude serait la réouverture des crèches et des écoles (les universités restant fermées au moins pour les cours). Mais au-delà de cette date pivot du 11 mai, le flou est total : bars, restaurants, cinémas resteront fermés et les festivals de la première partie de l’été sont annulés. Il y aura des masques, des tests peut-être. La stratégie de déconfinement reste imprécise, ce qui est au fond logique et dans un accès d’humilité, Emmanuel Macron a dit qu’il ne savait pas. Il a beaucoup remercié, toutes les catégories socioprofessionnelles possibles ; il a fait l’éloge de la France solidaire qui se bat ; il a parlé aussi un peu du temps d’après. 

Comme à l’habitude, l’auditeur qui attendait du concret a été déçu d’autant plus que le président ne s’est guère appesanti sur les problèmes « matériels » qui ont marqué ces dernières semaines.

Acte II du confinement donc, mais le dénouement attendra un Acte III estival.

 

 

12 avril

 

Pâques pour les chrétiens, Pessah pour les juifs et puis un mois de pleine lune qui annonce l’aube du Ramadan des musulmans, c’est tout le peuple du Livre qui vit ces fêtes dans un confinement qui touche désormais plus de la moitié de l’humanité.

Temps de prière pour les uns, de partage au travers des cérémonies que transmettent tous les réseaux de la planète, de recul au moins pour tous. Cette crise est en effet propice au recul, à la prise de quelque distance par rapport à notre propre situation pour penser aussi à un monde qui souffre.

À midi, le pape François a béni le monde. L’Église catholique « pèse » plus d’un milliard de fidèles plus ou moins pratiquants. En tant que chef de cette Église, la plus structurée des religions de la planète, le pape est l’autorité religieuse la plus influente dont nul ne peut contester la totale indépendance.

En ce jour de Pâques, depuis une basilique Saint-Pierre complètement vide, il a béni le monde, mais a accompagné son geste de quelques mots bien sentis rappelant qu’au-delà du coronavirus, il y avait la Syrie, le Yémen, l’Irak, le Liban, l’Ukraine, la Libye et même « la région de Cabo Delgado au nord du Mozambique ». Il a tout spécifiquement mentionné l’Union européenne pour « que ne soit pas perdue l’occasion de donner une nouvelle preuve de solidarité, même en recourant à des solutions innovatrices ». Et puis, il appelé à « remettre la dette qui pèse sur les budgets des plus pauvres ». Ainsi parlait François face à la peste, et tous écoutaient…

 

 

11 avril

 

C’est donc une sorte de miracle de Pâques que l’on doit de la manière la plus inattendue à Donald Trump. À l’issue du G20-énergie, les producteurs de pétrole sont parvenus à un accord qui devrait retirer presque 10 mbj de pétrole du marché à compter du mois de mai.

Déjà, jeudi, à l’issue de la réunion de l’OPEP+ une bonne partie du chemin avait été parcourue : la Russie avait accepté le principe de nouvelles réductions et surtout l’Arabie saoudite avait été contrainte de prendre comme référence de production, non pas les 12,3 mbj produits en avril, mais un chiffre bien inférieur 11 mbj, symboliquement la même production que la Russie.

Là-dessus, Russes et Saoudiens vont donc réduire leurs pompages de 23 % comme tous les autres. MBS, le prince saoudien, a dû en avaler quelques serpents du désert, mais la pression des États-Unis a été la plus forte et tout s’est joué directement entre Trump et Poutine qui a probablement obtenu quelques compensations du côté de Rosneft et de Nordstream II. Il restait toutefois un dernier petit obstacle. Le Mexique ne voulait pas réduire sa production de 400 000 bj, mais seulement de 100 000 bj. Qu’à cela ne tienne : Donald Trump est venu au secours de Lopez Obrador (AMLO), le président mexicain de gauche (mais populiste comme lui) qu’il n’apprécie pourtant guère. Ainsi, sans engager les États-Unis, en tordant le bras à MBS et en flattant AMLO, Donald Trump a permis ce bien improbable accord pétrolier.

 

 

10 avril

 

En ce jour de Vendredi saint, l’heure est celle de l’humilité : humilité d’une humanité prométhéenne qui en quelques décennies avait repoussé tant de limites, de l’intelligence artificielle au transhumanisme. Soudain, un petit virus nous a ramenés à notre condition d’hommes vulnérables et mortels, pour lesquels les chrétiens croient que Jésus s’est sacrifié en ce jour qu’ils célèbrent. L’humilité doit être bien sûr celle des économistes, non point parce qu’ils ne savent anticiper l’imprévisible, mais parce que l’éternelle modélisation des comportements se révèle incapable d’autre chose que de projeter le passé dans le futur. L’économie a eu beau se mathématiser, elle n’est pas une science et en fait n’a guère de raison à en être une.

La médecine est sans conteste une science, mais depuis quelques décennies, elle a suivi malheureusement le chemin de l’économie. On y est mesuré par le poids des publications « peer-reviewed » ; on ne raisonne plus que par des tests laissant bien peu de place à l’intuition. Or, la médecine a de tout temps aussi été un « art » : on peut faire tous les examens et scanners possibles, il reste l’art du diagnostic, du regard médical, du scalpel du chirurgien (même lorsqu’il télécommande un robot). La crise du coronavirus a mis à nu bien des certitudes médicales ; l’urgence est venue bouleverser tous les délais de publication !

Pour les économistes bien sûr, mais surtout pour le monde de la médecine, l’heure est bien celle de l’humilité… et peut-être du pardon.

 

 

 

9 avril

 

Quatre semaines déjà de confinement et la fâcheuse impression que le dossier médical des Français ne progresse guère. Oh, certes, pas sur le terrain où, dans les tranchées, on se bat avec courage et parfois même inconscience, avec le panache des « conscrits de l’an II ». Non, c’est dans les États majors que semble régner une immense pagaille moins en termes de moyens que d’idées et de stratégies. Chaque soir, à la télévision, on voit les « galonnés », les « professeurs » à multiples étoiles, certains sur le terrain, mais bien d’autres dans les bureaux et laboratoires. Ils parlent de masques, de respirateurs, de tests et de réactifs. Ils se critiquent bien sûr les uns les autres, doutent des résultats des uns sous prétexte que des tests n’ont pas été réalisés dans les règles de l’art, qu’ils n’ont pas été publiés dans des revues cautionnées par leurs pairs, s’agitent, mais laissent les Français de base, les « non-sachants » dans la perplexité la plus totale.

Or, en France, plus qu’ailleurs, il n’y a pas de place pour l’improvisation. Le système est centralisé, cadenassé de Paris vers les Agences régionales de santé dont les objectifs sont tant sanitaires… que comptables. Ce dernier point est logique tant par le passé l’ensemble du corps médical a pratiqué irresponsabilité et aveuglement financier. Dans un tel système jacobin, une mesure comme le confinement coulait de source même si l’intendance (masques et autres) ne suivait pas. Mais au-delà de cette ligne Maginot, il n’y a pas de stratégie comme le montrent les atermoiements autour d’un éventuel déconfinement. Les galonnés, médecins ou technocrates, ne savent pas et regardent avec envie le « blitzkrieg » allemand.

 

6 avril

 

On s’est beaucoup agité ce week-end dans les coulisses pétrolières pour finalement décider de reporter à jeudi la réunion de l’OPEP+ qui devait se tenir ce matin non plus à Vienne, mais en visioconférence. Le marché du pétrole avait terminé la semaine sur une note presque positive au-delà de $ 30 le baril de Brent dans l’espoir d’un accord entre les producteurs. Las, les tensions n’ont pas diminué entre la Russie et l’Arabie saoudite, chacun accusant l’autre d’avoir déterré la hache de guerre (le principal coupable est sans conteste l’Arabie saoudite et son prince « héritier », MBS. Plus sérieusement, les uns et les autres se sont tournés vers les États-Unis et là avec raison. Le pétrole américain ne peut continuer à couler à flots même si à $ 20 le baril ces flots vont peu à peu se réduire, moins d’ailleurs qu’on ne le pense (1 à 1,5 mbj d’ici l’été). Or, Donald Trump a les mains liées par la législation antitrust américaine, qu’il pourrait toutefois assouplir. Pour l’instant, il s’est contenté de menacer de taxer les importations américaines de pétrole (les États-Unis importent du pétrole lourd et exportent du léger), mais il n’est même pas sûr que cela soit possible. Un accord sans les États-Unis est-il imaginable ? On peut en douter.

Et puis quand bien même on retirerait de manière exceptionnelle 15 mbj du marché, la panne de la demande pourrait s’élever en mai à 30 mbj. Il n’y aura pas de « driving season » aux États-Unis cette année ! Il n’y a presque plus personne pour consommer ce pétrole bradé et MBS doit regretter – un peu tard – d’avoir ainsi joué à l’apprenti sorcier.

 

 

5 avril

 

Pour les chrétiens, c’est aujourd’hui le dimanche des Rameaux qui célèbre l’entrée joyeuse de Jésus à Jérusalem, mais qui plonge aussi par la lecture de la Passion dans le mystère pascal. Dans une France, plus laïque que jamais, on n’en a guère parlé sur les chaînes d’information en continu et on semble avoir oublié cette vieille tradition des rameaux bénis placés dans l’entrée des maisons. Pâques est au fond avant tout un long week-end autour de vacances devenues « de printemps ».

En Espagne, confrontée pourtant à une déchristianisation brutale dans cette période post franquiste, l’annulation de la « Semana Santa » est une affaire d’État, et pas seulement pour ses incontestables retombées économiques et touristiques. Dans un pays où le rapport à la religion a été au XIXe et XXe siècle l’occasion de conflits et de massacres (des deux côtés), la semaine sainte est une pause, un temps de recul (le Vendredi saint est férié) avant la joie de Pâques.

Chaque religion a ainsi ses moments forts qui sont en général des moments de « mémoire », de la mort du Christ, de la sortie d’Égypte, de la révélation du Prophète… En ces temps de pandémie, faire mémoire n’est-ce pas là l’essentiel.

 

 

4 avril

 

La crise du coronavirus vient d’ouvrir en France un autre dossier sensible, celui des EHPAD. Que cet acronyme, d’ailleurs, sent le bureaucrate, l’anonymat et l’insensibilité qui classe les personnes âgées dans des boîtes et des tiroirs. On parlait autrefois de maisons de retraite, de « homes » pour personnes âgées. Mais là le mot, entré dans notre vocabulaire quotidien (l’Académie devra y songer), a la sécheresse du scalpel administratif. Soudain, avec le coronavirus, on découvre la réalité de maisons souvent admirables, où se terminent les désormais très longues vies de nos aînés.

Souvenons-nous. Il en fut de même en 2003 au moment de la canicule. On prit soudain conscience d’une augmentation brutale de la mortalité chez les personnes âgées, en particulier à l’époque de celles qui étaient isolées. Ce furent les urgences hospitalières qui donnèrent l’alarme en ce mois d’août. Le gouvernement de l’époque proposa alors de supprimer un jour de vacances (le lundi de Pentecôte) pour financer… la construction de nouveaux Ehpad. En France, cela se termine toujours par quelques impôts nouveaux !

La réalité est plutôt celle de l’érosion en France des liens familiaux. La famille se réduit et les aînés en sont peu à peu exclus, dans des maisons où ils attendent…

 

 

3 avril

 

Le ministre des Comptes publics et du Budget, Gérald Darmanin vient de faire un appel aux « riches » pour qu’ils ouvrent leur portefeuille pour la lutte contre le coronavirus un peu comme ils l’avaient fait au moment de l’incendie de Notre-Dame. L’idée n’est pas sotte, mais elle part malheureusement d’un constat à la fois réaliste et cruel. En France, les « riches » ne sont pas généreux. Oh, certes, il y a des exceptions, mais bien rares et le mécénat culturel dont s’enorgueillissent bruyamment certaines grandes fortunes n’en fait pas partie. La France est le pays qui a fait de ses exilés fiscaux de véritables héros, des sortes de Robin des Bois luttant contre l’hydre fiscale. Certes, l’impôt est lourd en France, mais pour les très riches, il n’est guère moins lourd aux États-Unis.

Mais justement aux États-Unis, le secrétaire au Trésor n’aura pas à s’exprimer ainsi. Il est probable que le coronavirus soit un désastre pour un système de santé américain profondément inégalitaire. Mais on peut penser que la solidarité sera autrement plus active. « Que puis-je faire pour ma communauté ? » Elle est la question que se pose tout américain, comme l’avait déjà remarqué Tocqueville, qu’il soit pauvre ou riche. C’est là bien sûr l’héritage du protestantisme : le « Beruf » que Martin Luther traduisait à la fois comme réussite professionnelle et vocation : rendre ce qui nous a été donné. En France, parce que nous payons l’impôt, nous nous estimons quittes : à l’État de se débrouiller.

 

 

2 avril

 

Alors que le coronavirus étend son empreinte mortelle à la planète entière, les chiffres commencent à tomber qui permettent de mesurer l’impact économique des mesures de confinement qui concernaient en début de semaine une soixantaine de pays et près de la moitié de la population mondiale. Ainsi, en mars, les ventes d’automobiles en France se sont-elles effondrées de 72 %. L’économie espagnole est à l’arrêt depuis lundi. La demande mondiale d’essence a chuté de 50 %, celle de kérosène de 70 %. On enregistre les premières faillites, des chaussures André en France à Whiting Petroleum qui était le plus important producteur de pétrole du Dakota du Nord, aux États-Unis. Et à côté des arbres qui tombent, l’herbe ne pousse plus.

C’est aussi le moment où certains se hasardent à l’art périlleux de la prévision. Cela réclame avant tout une bonne dose d’humilité. Certes, on voit bien le scénario dont la page chinoise semble déjà écrite : trois mois de purge violente et puis un rebond dont il est encore difficile de mesurer l’ampleur : ainsi en Chine en mars, les indicateurs avancés (PMI) sont redevenus positifs et la croissance chinoise pourrait être de l’ordre de 3 % en 2020. L’Europe ayant deux mois de retard par rapport à la Chine et l’impact du coronavirus ayant été plus marqué, on peut partager l’avis de la Commission européenne d’une récession plus profonde qu’en 2009. Chaque mois de confinement coûte 2,5 % de croissance à un pays comme la France. Au lieu du pour cent de croissance attendu, le recul européen sera probablement de l’ordre de 5 %. Les autorités italiennes tablent sur

6 %. Mais, les prévisions deviennent plus aléatoires pour toutes les régions qui commencent à peine à découvrir le coronavirus. Que va-t-il se passer en particulier aux États-Unis ? Le confinement y sera-t-il total ? Et puis ailleurs, en Amérique latine, en Asie, en Afrique, l’inconnue est entière. Un pays comme l’Indonésie vient de réduire de moitié, de 5 % à 2,5 % ses prévisions de croissance, avec un scénario « noir » à 0,5 %.

Alors, les premiers chiffres mondiaux sont à prendre avec des pincettes : – 3,5 % en 2020 nous dit une grande banque anglo-saxonne et + 7,2 % en 2021. L’espérance ne coûte rien !

 

 

1er avril

 

Le gouvernement français vient d’annoncer la suppression définitive du baccalauréat. Certes, il eut été difficile d’organiser le millésime 2020, mais dans un acte de courage qu’il faut saluer, il a été décidé de mettre un terme à ce qui était devenu un dérisoire exercice. C’est la fin de ce qui fut longtemps le premier grade universitaire, celui de bachelier que les Anglo-saxons ont conservé avec le « Bachelor » (bac+3) devenu notre licence. Mais le baccalauréat à la française n’avait plus guère de sens avec un taux de succès déraisonnable (plus de 90 %) et des notes souvent extraordinaires : l’auteur de ses lignes traite actuellement les dossiers de candidature au master qu’il dirige à l’Université Paris-Dauphine : la plupart des candidats passés par l’université et non les classes préparatoires avaient eu il y a cinq ans mention très bien et le record est pour l’instant un bac obtenu avec 19,85 ! Quelle importance d’ailleurs puisque toutes les sélections (le politiquement correct dirait orientation) se font en amont, avant même cet exercice inutile et coûteux. On pourrait le remplacer par un diplôme de fin d’études secondaires décerné par chaque établissement en toute indépendance. À quelle belle réforme !

 

Mais regardez la date, cher lecteur. Ce n’est là qu’un triste poisson d’avril. Il n’y aura peut-être pas de bac en 2020, coronavirus oblige, mais il ne faut pas rêver. L’Éducation nationale reste l’administration la plus soviétique de la planète, tout vient d’en haut et le baccalauréat restera le symbole de cet aveuglement.

 

30 mars

 

Des fenêtres de mon confinement basque, je vois l’Espagne, ou plutôt Euskadi (le Pays basque espagnol) et la Navarre. Ce matin, le Jaizquibel, le dernier massif pyrénéen qui se jette dans l’océan entre Fontarrabie et San Sebastian était blanc d’une jolie neige de printemps.

Après l’Italie, l’Espagne avec près de 80 000 cas de coronavirus et plus de 6 000 morts est le deuxième pays européen le plus touché et le désastre sanitaire y est immense. Alors le gouvernement de Pedro Sanchez (un socialiste allié aux « insoumis » de Podemos) a décidé de frapper fort et de mettre à l’arrêt toutes activités économiques dès aujourd’hui pour quinze jours au moins : les seules exceptions sont l’agriculture, la pêche, l’agroalimentaire et les usines travaillant pour l’effort de guerre sanitaire. Tous les salariés renvoyés chez eux sont mis en vacances forcées et à la différence de la France on ne parle pas ici de chômage partiel (il est vrai que l’Espagne a le taux de chômage le plus élevé d’Europe : 14 % à la fin de l’année dernière). L’économie espagnole s’est donc pratiquement arrêtée aujourd’hui et les vallées basques, l’un des hauts lieux de la résistance industrielle européenne (avec la célèbre coopérative de Mondragon) doivent être bien silencieuses.

L’Espagne mérite en tout cas mieux que les remarques méprisantes des représentants de quelques pays « vertueux » comme les Pays-Bas auxquels, tout humour batave mis à part, il serait facile de rappeler combien leur prospérité est aussi celle d’un paradis fiscal.

 

 

29 mars

 

La grande faux du coronavirus continue de frapper inconnus et amis, personnes âgées, mais aussi maintenant quelques jeunes et puis aussi des personnalités du monde politique et économique, nombreux à être contrôlés positifs et certains ne s’en relevant pas. En France, le premier à tomber ainsi est Patrick Devedjian. Il avait 75 ans, mais pour avoir souvent partagé avec lui des dîners, il était d’une merveilleuse jeunesse d’esprit. Il aura été une personnalité marquante de la droite française sans toutefois occuper les tout premiers rôles, restant un peu dans l’ombre de Jacques Chirac, puis surtout de Nicolas Sarkozy. En France, un homme politique pour exister doit se tailler un fief, posséder une ville, un comté ou un duché. Il en fut ainsi de Juppé à Bordeaux, de Bayrou en Béarn, de Baroin à Troyes… En Île-de-France, la chose est plus difficile, mais Patrick Devedjian arracha la baronnie des Hauts-de-Seine, la plus riche de France, certes, mais un improbable territoire, un arc de cercle autour de Paris, ancrée à droite, mais divisée en de multiples chapelles sans compter quelques alleux irréductibles de Levallois à Puteaux. Patrick Devedjian sut donner quelque rationalité à cet ensemble et il fallait entendre son enthousiasme à propos de la « Seine musicale » qu’il avait bâti sur l’île Seguin. 

Il y a un siècle, la France sut accueillir les réfugiés d’Arménie. Ce fut une chance et Patrick Devedjian nous l’a bien rendue.

 

 

28 mars

 

Qu’en sera-t-il demain ? Que sera le monde, que seront nos sociétés après le coronavirus ? Nombre de politiques, à commencer par Emmanuel Macron, promettent une mise à plat complète, une « nouvelle donne » pour ne pas dire un New Deal. D’autres rêvent de démondialisation, de frontières à nouveau hermétiques, de relocalisation non seulement de la fabrication de masques et de gel, mais de toutes les activités industrielles. Comme toujours, on a tendance à idéaliser le « monde d’avant », en oubliant dans ce cas que c’était un monde où déjà circulaient les épidémies. Quant aux écologistes, ils imaginent un retour à une mère Nature là aussi bien idéalisée.

Mais souvenons-nous en 2008/2009, que n’avait-on dit à propos de la finance ? Plus jamais cela, plus jamais de traders assoiffés de profits à court terme. La finance devait servir le Bien Commun. Devant des commissions parlementaires, on avait vu en Europe comme aux États-Unis, des banquiers, des princes de la finance battre leur coulpe, montrés du doigt comme de vulgaires Kerviel ou Madoff. Plus jamais cela ? Il suffit de deux ou trois années pour qu’à nouveau la saison des bonus batte son plein à Wall Street et dans la City, pour que la finance revienne plus arrogante que jamais.

Alors demain ? Ne risquons-nous pas de tout oublier dans la joie d’avoir survécu ? Oublier la maladie peut-être, mais de grâce pas la solidarité née de ces moments.

 

27 mars

 

La place Saint-Pierre à Rome vide alors que venait le soir, sous une pluie battante. Une silhouette blanche, seule sous un dais, face à cette place d’ordinaire grouillante de fidèles et là seulement éclairée par la flamme de quelques braseros. Le pape François proposait au monde un temps de méditation au cœur de la crise du coronavirus et aux catholiques une bénédiction « urbi et orbi ». Il avait choisi un texte des Évangiles (Marc 4-35) connu comme l’épisode de la tempête apaisée. En pleine tempête, les disciples de Jésus paniquent alors que leur embarcation manque de couler. Pendant ce temps, Jésus dort ! C’est la seule fois d’ailleurs de tous les Évangiles qu’on le voit dormir. Réveillé par ceux qui l’entourent, il a cette seule phrase : « Pourquoi avez-vous peur ? »

Et c’est bien la peur qui domine en ces jours de confinement : peur de cet insaisissable virus, peur de l’autre qui peut nous contaminer, peur économique maintenant. Chacun se barricade, les frontières se font hermétiques, réfugiés et SDF sont oubliés. Mais la tempête, cette épreuve qui nous ballote, met en évidence l’immense vulnérabilité d’une humanité qui hier encore rêvait de transhumanisme. Un petit virus nous ramène au temps de la Peste noire du XIVe siècle. Mais pourquoi avoir peur alors que c’est l’occasion de redécouvrir solidarité et fraternité comme le font au-delà du seul monde de la santé tant de gestes quotidiens. Le pape a employé les termes de Bien Commun. Puisse cette tempête ouvrir dans nos sociétés un vrai débat sur ce qui est du Bien Commun afin d’oublier la peur et… de dormir !

 

 

26 mars

 

L’Europe malheureusement bien installée dans le coronavirus avec des attitudes diverses allant du confinement total à une approche plus souple (les stations de ski restent ouvertes en Suède !), les regards se tournent maintenant vers les États-Unis, le troisième pays le plus touché dans le monde après l’Italie et la Chine. Bien entendu à la taille du continent américain les différences sont grandes entre les plus de 25 000 cas recensés dans l’État de New York et la trentaine du Dakota du Sud. Mais la croissance de la pandémie y est d’une extraordinaire rapidité.

Comme partout, les dirigeants américains font face à un double défi : sanitaire et économique. Paradoxalement, sur le plan économique, ils sont beaucoup mieux armés. Du fait de la position américaine comme « emprunteur de dernier recours » et de la force actuelle du dollar, la notion de déficit budgétaire leur est de plus en plus étrangère et de ce point de vue ni Donald Trump ni un Congrès plutôt démocrate n’ont de scrupules à engager un plan de relance de $ 2 000 milliards, ce qui représente 10 % du PIB américain. Début avril, chaque américain gagnant moins de $ 100 000 touchera un chèque de $ 1 200 par adulte et $ 500 par enfant. Pour parer à l’augmentation très probable du chômage, qui pourrait passer du record historique de 3,2 % à 10 % voire 20 % en quelques semaines, le régime des allocations chômage, bien peu généreux si on le compare à l’Europe, va être gonflé pour permettre de tenir jusqu’à la fin de l’année. Petites et grandes entreprises seront soutenues dans un moment de passage à vide qui pourrait se traduire par un recul du PIB comparable à celui de la Grande Dépression de 1929.

Mais sur le front sanitaire rien n’est acquis et les États-Unis risquent de payer cher le caractère inéquitable de leur système de santé, l’absence d’une véritable sécurité sociale même après la mise ne place de l’Obamacare. Il y a aux États-Unis six fois moins de lits d’hôpitaux qu’au Japon, deux fois moins qu’en Europe. La célèbre série télévisée « Urgences » n’était qu’illusion. Avec le coronavirus, la réalité américaine risque d’être bien cruelle.

 

 

25 mars

 

3 milliards de terriens confinés ce soir ! Au-delà des comptes sanitaires, les économistes commencent à faire les leurs et certains se hasardent à de premières prévisions. Pour l’instant, les données précises manquent. Un indicateur avancé parmi les plus utilisés, celui des directeurs d’achat (PMI) est dans le rouge le plus sanglant : construit de telle manière qu’au-dessus de 50, il annonce l’expansion et au-dessous la récession, il est pour la zone euro à 31,4, contre plus de 50 en début d’année. Il est même plus bas qu’en février 2009 au cœur de la crise économique. Au Japon, il est de 35,8, au Royaume-Uni à 37,1, aux États-Unis un peu plus haut à 40,5.

Quelle prévision faire alors : du négatif au deuxième trimestre 2020, c’est évident, mais quelle ampleur donner au recul. Les plus pessimistes, les économistes de la Deutsche Bank avancent un recul de 24 % en zone euro, de 13 % aux États-Unis (en rythme annuel). Sur l’année 2020, la fourchette des quelques prévisions disponibles va pour la zone euro de – 1,7 % à – 5 %.

Une chose devient en tout cas presque certaine : pour les pays occidentaux, le coronavirus aura une empreinte économique plus profonde que celle de la crise de 2008/2009. Certes, les gouvernements ne sont pas avares de plans de sauvetage ou de relance ($ 2 000 milliards aux États-Unis). Mais, les marges de manœuvre sont moindres qu’en 2009, l’endettement déjà beaucoup plus élevé. Alors ensuite, reprise en V, en U, en W ? On y perd son alphabet !

 

24 mars

 

C’est en Floride que, hier soir, le coronavirus vient de frapper à nouveau un proche. Carole Brookins est partie. Carole était la plus Française des Américains et une véritable légende dans le milieu des économistes de l’agriculture à l’international.

J’ai connu Carole il y a presque trente ans lors de mon premier séjour à Washington. Elle avait fondé « World Perspectives » une société de conseil dans le domaine de l’agroalimentaire et publiait une lettre mensuelle d’une rare intelligence. C’était l’époque où les conflits agricoles dans le cadre de l’Uruguay Round puis de l’OMC occupaient la première place sur la scène internationale. Carole portait dans le monde la parole américaine et je l’ai croisée aussi bien à Buenos Aires qu’à Blois. Républicaine, Carole aurait probablement été secrétaire à l’Agriculture si George Bush père avait été réélu. Finalement, c’est Georges Bush fils qui lui offrit un mandat public en la nommant administrateur de la Banque mondiale pour les États-Unis. Elle occupa ce poste pendant quatre années puis retourna à New York avant de s’installer entre la Floride et Paris où elle était devenue une fidèle des déjeuners CyclOpe. Carole venait de créer une fondation de mémoire militaire entre la France et les États-Unis. À 76 ans, elle avait gardé l’enthousiasme de la jeune femme qui avait fait ses classes sur les « pits » agricoles du Chicago Board of Trade et dont la grande fierté était son « Mérite agricole ». Au revoir Carole.

 

 

23 mars

 

11 000 morts… et puis 1 milliard et même un peu plus de « confinés », probablement le cinquième de l’humanité quoiqu’on ne sache pas exactement comment entrer dans ces chiffres la Chine et maintenant l’Inde. Il y a dans ces deux chiffres une heureuse disproportion qui permet d’espérer que le nombre de décès sera loin, très loin non seulement de ceux de la grippe espagnole d’il y a un siècle, mais aussi de la grippe asiatique de 1956/1958 qui fit entre 1 et 4 millions de victimes (dont au moins 25 000 en France). Mais on mesure là aussi certes le progrès de la médecine dans sa fonction de prévention et puis l’influence des systèmes d’information à la fois pour le meilleur (l’alerte) et pour le pire (la psychose). Il est impossible bien sûr de faire la part entre rationnel et irrationnel et le corps médical sur le terrain, dont on commence à déplorer les premiers décès, est là pour rappeler combien la situation est grave et encore sous-estimée.

Parmi ceux qui restent « corona-sceptiques », il y a justement Donald Trump qui continue, à peser le pour et le contre entre la santé et l’économie. Il est probablement là en train de jouer sa réélection. Xi Jinping et Emmanuel Macron veulent quant à eux tenir un G20 « sanitaire ». Un peu de coordination ne ferait pas de mal y compris d’ailleurs en ce qui concerne les marchés et le soutien à l’économie. Mais avec l’Arabie saoudite qui préside le G20, il n’y a pas grand-chose à espérer.

 

 

22 mars

 

Un de mes amis me suggère de célébrer aujourd’hui un anniversaire un peu décalé par rapport aux préoccupations actuelles : celui du 22 mars 1968, il y a cinquante-deux ans et cela commence à sentir les anciens combattants.

Ce jour-là donc, quelques étudiants parmi lesquels Daniel Cohn Bendit occupèrent la résidence des étudiants de la toute jeune université de Nanterre. Ce fut l’origine du « mouvement du 22 mars » et de Mai 1968 en France. La France ne fut pas un cas isolé et au même moment les campus américains étaient tout aussi agités sans pour autant remettre en cause l’ordre public. En France par contre, on en rêva, comme on rêva de bien d’autres choses : « Cours camarade, le vieux monde est derrière toi ».

Le camarade a cinquante-deux ans de plus et jouit d’une digne retraite de septuagénaire. Ses enfants ont surfé sur la vague de la mondialisation heureuse et pour certains ont fini « traders » dans la finance ou ailleurs. Ses petits-enfants par contre retrouvent le chemin de la mobilisation ; ils s’indignent avec Greta de la passivité climatique des adultes ; ils militent pour l’égalité des genres ; ils ne rêvent plus d’élever des moutons sur le Larzac, car ils sont souvent végétariens, voire végans… À la différence de 1968, ils n’adhèrent à aucune idéologie. Mais comme nous ils rêvent d’un autre monde sans bien savoir ce qu’il pourra être.

 

 

21 mars

 

Au cinquième jour du grand confinement, on a l’impression que la France s’est totalement repliée sur elle-même. Les radios et télévisions nous abreuvent d’informations sur la manière dont nos concitoyens vivent ces moments, mais le reste du monde n’existe plus. Qu’en est-il de l’offensive d’Assad sur Idlib, du sort des réfugiés syriens auxquels le coronavirus inflige la double peine de la fermeture des frontières de Schengen ? La réforme constitutionnelle russe qui donne quelques années de plus – l’éternité en fait – à Poutine a-t-elle été adoptée ? Et en Inde, Modi continue-t-il à souffler sur les braises des tensions religieuses ? Aux États-Unis, on a bien compris que Joe Biden avait plus ou moins gagné les primaires démocrates, mais que fait Trump ? Et des Français reclus chez eux sont même indifférents au prix de l’essence et donc à celui du pétrole. Le monde n’existe plus, la France tourne sur elle-même n’écoutant que la parole de quelques « professeurs », regardant avec crainte l’Italie ou l’Espagne, rêvant même de la Chine.

Au même moment où l’information circule en temps réel sur la planète, cette première pandémie de l’ère digitale se traduit par un repli sur soi, par un véritable nombrilisme national, voire régional ou local. C’est au fond logique dans les premiers jours, mais il est grand temps de se réveiller.

 

 

20 mars

 

Hugues est mort aujourd’hui en début d’après-midi. Hugues était un ami, le premier de notre entourage à partir du coronavirus. Soudain, ce virus qui nous confine, mais qui reste lointain au travers des écrans des télévisions, ce virus est là, au plus près de nous, tranchant le fil d’amitiés anciennes. À ce jour, 450 morts en France nous dit-on, moins que la grippe, mais là, soudain c’est de la vie et de la mort d’amis, de voisins qu’il s’agit. Ce Covid-19, cette petite boursouflure à face d’oursin a effacé en quelques jours le sourire d’Hugues, son humour, le merveilleux couple qu’ils formaient avec Anne. Il nous reste, de l’autre côté de la porte, des souvenirs de soirées, de cinémas et de théâtre, de discussions passionnées, en particulier sur l’après.

Hugues ne croyait guère, et même pas du tout. Il sait maintenant et ce n’est pas le trahir que de l’imaginer dans cette Espérance du chemin des hommes, de l’alpha à l’oméga. Hugues est vivant au cœur de cette chaîne qui défie la mort.

Il est parti, mais, confinement oblige, nous ne pourrons même pas l’accompagner en ce dernier voyage, partager avec famille et amis un dernier repas autour de lui, avec lui. Ce sera pour après, tant la mort véritable c’est lorsqu’il n’y a plus personne pour vous porter dans son affection, dans sa mémoire. Alors Hugues est vivant…

 

 

20 mars

 

En marge de l’épidémie du Covid-19, le monde vit un contre-choc pétrolier déclenché le 7 mars par la décision de l’Arabie saoudite de casser le marché et d’ouvrir les vannes de sa production de pétrole. En marge, car le lien entre les premières semaines de l’épidémie et la demande de pétrole est assez limité. Ainsi, sur les deux premiers mois de l’année, les importations chinoises de pétrole brut à 10,4 millions de barils/jour (mbj) étaient de 5,2 % plus élevées qu’en 2019 (et le calcul sur deux mois permet de neutraliser l’impact du Nouvel an chinois « flottant »). Certes, on s’attendait à une diminution de l’activité des raffineries chinoises du Shandong et à une augmentation des stocks publics et privés. Depuis, la plupart des institutions qui font autorité en matière pétrolière ont révisé à la baisse leurs prévisions pour la demande mondiale en 2020 : en baisse pour l’AIE, en légère hausse encore pour l’OPEP et l’EIA américaine. Mais toutes ces révisions sont intervenues après le coup de tonnerre de Vienne.

Revenons au début de 2020. L’année avait commencé fort sur le marché du pétrole avec la mort du général Soleimani tué à Bagdad par un drone américain. Le baril de Brent avait alors culminé à $ 71. À y réfléchir pourtant, ce n’était pas très cher payé pour un risque géopolitique – l’embrasement du Golfe – aussi élevé. C’est qu’en réalité, malgré les efforts de l’OPEP+ (OPEP et Russie), le marché était excédentaire d’un bon million de barils/jour. Rapidement d’ailleurs le baril de Brent retomba, alors qu’Iran et États-Unis calmaient leur jeu. En février, le Brent oscilla entre $ 50 et $ 55 et le 3 mars il cotait $ 52,59. Un groupe de travail réuni par l’OPEP préconisa alors une nouvelle coupure de quota de l’ordre d’1 mbj. Finalement, le 5 mars à Vienne, l’OPEP opta pour une réduction de 1,5 mbj, dont 500 000 bj pour la Russie et ses alliés. L’Arabie saoudite optait là pour une stratégie classique de réduction de l’offre avec un objectif de prix supérieur à $ 60, ce qui était aussi essentiel pour le maintien du cours de l’action Aramco dont l’introduction en bourse en décembre n’avait pas obtenu le triomphe escompté. Mais le lendemain, la Russie refusa de suivre l’OPEP. Soutenu par les compagnies pétrolières russes et surtout par Igor Sechin, le patron de Rosneft, Vladimir Poutine ne voulait pas faire le jeu des États-Unis en soutenant le marché. Avec un équilibre budgétaire à $ 42 le baril et $ 570 milliards de réserves, la Russie avait les moyens de faire « mal » aux producteurs américains et accessoirement à un Donald Trump qui avait multiplié les gestes hostiles du Venezuela au gazoduc Nordstream II.

Inattendu pour les Saoudiens, le refus russe provoqua le lendemain une réaction brutale du prince héritier saoudien, Mohamed bin Salman, qui le même jour était en train de régler quelques affaires de famille (en faisant arrêter quand même, le frère de son père et quelques autres princes). Depuis qu’il est arrivé au pouvoir, MBS nous a habitués à des sautes d’humeur. Derrière l’image d’un prince moderne, soucieux de préparer l’Arabie saoudite à l’après-pétrole, on trouve en réalité un adolescent despotique ne supportant aucune contradiction, assoiffé de pouvoir et dont la plupart des initiatives ont été sinon des catastrophes, au moins des impasses : guerre au Yémen, embargo sur le Qatar, quasi-arrestation du Premier ministre libanais, et bien sûr exécution de Kashoggi au consulat saoudien d’Istanbul.

Ce samedi 7 mars, alors que le monde se préparait à la crise économique du coronavirus, il décida donc de sa propre guerre pétrolière : plus de quotas et production et exportations au maximum. De 9,7 millions de barils/jour, la production saoudienne devrait passer en avril à 12,3 mbj et on parle déjà d’un objectif de 13 mbj. Fidèles alliés les Émirats arabes unis pourraient ajouter 500 000 bj voire plus. La Russie à moins de marges de manœuvre, mais pourrait réagir à hauteur de 300 000 à 500 000 bj. Et cela au pire des moments alors que l’épidémie de coronavirus chinoise devient mondiale, que la demande, par exemple, de Kérosène pour les avions (8 mbj quand même) s’effondre. En avril et mai, l’excédent pétrolier mondial sera, selon les évaluations, quelque part dans une fourchette de 5 à 10 mbj ! Résultat, les marchés se sont effondrés revenant à des niveaux ignorés depuis le début du siècle : moins de $ 25 le baril de Brent ! Comme un apprenti sorcier, MBS a ouvert un flacon dont il ne maîtrise pas le génie…

À ce prix-là, personne ne passe et les producteurs américains moins que les autres. Aramco, bien sûr, peut produire, mais l’Arabie saoudite doit plonger dans des poches certes encore profondes ($ 502 milliards). À $ 30 le baril, son déficit budgétaire serait de 22,1 % soit quand même $ 170 milliards. Encore peu endettée, l’Arabie saoudite peut bien sûr emprunter sur les marchés internationaux, au moins tant que ceux-ci n’intègrent pas trop la prime de risque MBS. Sa décision a plongé en tout cas dans la crise les producteurs les plus dépendants du Nigeria à l’Irak, de Bahrain à l’Algérie et pour l’instant MBS a fait la sourde oreille aux appels à la reprise des discussions au sein de l’OPEP+. Paradoxalement, l’ennemi iranien, allié de Moscou, est le moins affecté du fait de l’embargo américain.

En temps normal, la stratégie saoudienne (« survival of the fittest » disent les Anglo-saxons pour cette sélection naturelle) aurait pu se concevoir malgré la « casse » qu’elle aurait entraînée chez nombre d’alliés du Royaume-Uni, amis en pleine crise économique, alors que partout – même en Chine – l’heure est au négatif, voire à la récession, la décision de MBS est d’une rare irresponsabilité.

Pour l’instant, il n’en a cure, mais le monde devra s’en souvenir lorsque Ryad accueillera le G20 à l’automne…

 

 

19 mars

 

Trois jours déjà que le « grand confinement » a commencé en France, après l’Italie et l’Espagne, mais aussi comme dans la plupart des pays d’Europe. L’heure est certes au télétravail, mais il reste du temps pour la réflexion en particulier en ce qui concerne le « monde d’après » : après le coronavirus, après la pandémie, lorsque reprendra la vie « normale ».

Du point de vue économique, il est à peu près évident que tous les pays avancés vont passer par la case récession, avec peut-être un léger doute en ce qui concerne les États-Unis. La vraie question est celle de l’ampleur du rebond chinois : on sait maintenant que l’économie chinoise a brutalement freiné au premier trimestre avec une baisse de 13,5 % de la production industrielle et de 23,7 % des ventes au détail sur janvier et février. Mais la Chine semble maintenant avoir maîtrisé le coronavirus et on s’attend à une forte relance de la part des autorités. La Chine pourrait sortir rapidement par le haut alors que l’Occident poursuivra sa descente dans les enfers de la dette.

La dette justement… Cette crise doit amener à une remise à plat des politiques publiques. L’état providence tourné vers le Bien commun a retrouvé ses lettres de noblesse, effacées depuis quelques lustres par la croyance aveugle dans la main invisible d’un marché mondialisé. À la fin du XXe siècle, le pape Jean-Paul II, dans son encyclique Centesimus Annus, ne disait pas autre chose lorsqu’il rappelait qu’« avant toute logique des échanges à parité de marché, il y a un dû à l’homme parce qu’il est homme en raison de son éminente dignité ». Soyons honnêtes, même en France, depuis une vingtaine d’années nous avons reculé sur le dû à l’homme sans pour autant d’ailleurs améliorer nos finances publiques. Un autre pape, Benoît XVI, dans Caritas in Veritate, a rappelé qu’entre le marché et l’état, il y avait l’individu et sa capacité à l’amour du prochain. Voilà une belle idée pour le grand confinement.

 

 

18 mars

 

La débâcle se poursuit sur le marché du pétrole : le Brent est passé au-dessous de $ 25 le baril, au plus bas depuis 2001. Le choc est double. D’une part, le coronavirus a fait son chemin et la demande mondiale s’affaisse. Ainsi la consommation de kérosène pour les avions est déjà en baisse de 20 %, alors qu’elle représente 8 % de la demande mondiale de pétrole. À court terme, la consommation mondiale devrait maintenant baisser de quelques millions de barils/jour. Or, c’est précisément le moment où l’offre, à compter du 1er avril va exploser : 2,5 mbj de plus de pétrole saoudien, 500 000 bj pour les Émirats, un peu moins pour la Russie. L’offre mondiale augmenterait donc de 3 à 3,5 mbj. Cela et la baisse de la demande donnent un excédent mondial qui pourrait dépasser les 5 mbj dès le mois prochain. Certains prévisionnistes avancent des chiffres encore plus élevés jusqu’à 10 mbj ! Les frets pétroliers ont flambé avec la demande pour du stockage flottant et la volonté de l’Arabie saoudite de pénétrer les marches de ses concurrents russes et américains.

Certains producteurs, à l’image de l’Irak, ont demandé une reprise des négociations entre l’OPEP et la Russie. Mais dominés par l’hubris de MBS, les Saoudiens n’en veulent pas et pour nombre d’exportateurs du Nigeria à l’Algérie, et même dans le Golfe, la descente aux enfers ne fait que commencer.

 

 

14 mars

Crise boursière

 

Semaine d’apocalypse sur les marchés boursiers de la planète. L’extension du coronavirus hors de Chine vers l’Iran, l’Italie, le reste de l’Europe, la côte ouest-américaine, les décisions unilatérales de certains gouvernements dont celle notamment de Donald Trump de fermer les frontières américaines aux voyageurs en provenance d’Europe et puis bien sûr le contre-choc pétrolier, tout ceci a précipité les marchés vers des abysses qu’ils n’avaient pas connus depuis 2008 : en une semaine, le Dow Jones a perdu 18 %. Dans la seule journée du 12 mars, le CAC 40 à Paris a dévissé de 12,28 %, un record historique ! Les taux des emprunts d’État ont chuté de façon historique aussi dans une fuite désespérée vers la sécurité : le Bund allemand est tombé à – 0,84 % ! Si la BCE n’a pas bougé (et Christine Lagarde a raté son premier grand oral), la Fed et la Banque d’Angleterre ont baissé leurs taux. En fin de semaine, les marchés pansaient leurs plaies alors que les économistes commençaient à faire leurs comptes et cherchaient à mesure l’ampleur du repli de l’économie mondiale : récession en Europe, certainement, mais aux États-Unis peut-être et alors quel impact sur les chances de réélection de Donald Trump dont l’adversaire devrait être Joe Biden.

La seule bonne nouvelle de la semaine est l’apparente rémission du virus en Chine. La Chine pourrait être la première à s’en sortir, ce qui lui donnerait un avantage comparatif par rapport aux pays occidentaux. Le paradoxe de ce virus venu de Chine serait donc qu’il conforterait le pouvoir de Xi Jinping bien au-delà des frontières chinoises. C’est d’ailleurs la Chine qui va fournir en matériel médical, l’Italie, le seul pays à avoir adhéré aux routes de la Soie, sur les traces de Marco Polo.

 

 

13 mars

Crise sanitaire

 

Le discours d’Emmanuel Macron vient de faire entrer la France de plain-pied dans la tragédie du coronavirus. Bien sûr, dans la position ambiguë du probable perdant, il n’a pas osé remettre en cause les élections municipales que souhaitent tant les partis traditionnels de droite comme de gauche. Mais il a décidé de la fermeture de toutes les écoles et universités. Les réunions et spectacles limités d’abord à 1 000 personnes le sont désormais à 100 personnes et de ce fait, la plupart des messes dominicales vont être suspendues. Peu à peu, le scénario à l’italienne s’impose : toutes les manifestations privées ou publiques sont annulées les unes après les autres. Les chiffres – infectés et décès – augmentent aussi et chacun prend peu à peu conscience de la dimension dramaturgique de cette pandémie sans équivalent – comme Emmanuel Macron l’a souligné – depuis la grippe espagnole, il y a maintenant un peu plus d’un siècle. Le coronavirus domine toutes les conversations et les élections municipales – même à Paris – sont reléguées au second plan, tout comme d’ailleurs l’effondrement boursier. C’est le temps du grand repli sur soi avec même pour ceux qui le peuvent des départs à la campagne… Chaque soir, la France entière est suspendue au communiqué du directeur général de la Santé et toutes sortes de rumeurs circulent au fil des réseaux sociaux. On ne se voit plus, mais on se parle. Étranges moments marqués de gravité et d’inconscience. Le système hospitalier semble supporter le choc, celui des urgences le (« 15 ») est par-contre à la limite. Cette crise vaut en tout cas mieux que tous les débats sur l’État-providence : elle marque bien les bornes que nos sociétés doivent mettre au bien commun.

 

 

12 mars

Coronavirus

 

Le coronavirus vient de recevoir ses galons de pandémie auprès de l’OMS. Cela fait quelques jours qu’il les avait obtenus de la part des marchés financiers et la décision de Donald Trump de fermer les frontières aux voyageurs venant de Chine, mais aussi d’Europe a provoqué un nouveau bain de sang sur les marchés boursiers qui subissent par ailleurs un contre-choc pétrolier.

Les économistes commencent à faire leurs comptes. Alors que la croissance mondiale était anticipée autour de 3 % en 2020, elle pourrait en réalité être inférieure à 2 %. Les États-Unis seraient en négatif au second trimestre sous le double impact du coronavirus et de la crise pétrolière qui touche de plein fouet les régions productrices de pétrole de schiste. Le Japon est déjà en récession et l’Europe n’en est plus très loin malgré les efforts de la BCE. Mais la principale inconnue est chinoise. L’épidémie semble être jugulée, mais la reprise de l’activité reste encore de façade. Au deuxième trimestre, la croissance chinoise serait inférieure à 3 % et sur l’ensemble de l’année, la Chine resterait au-dessous de 4 %, un plus bas historique, inférieur à la croissance nécessaire pour maintenir emploi et chômage aux niveaux actuels. Toute la question est de savoir si les autorités chinoises pourront orchestrer une reprise en V assurant un rattrapage post-coronavirus.

Comme la Peste noire en 1348, celui-ci a en tout cas quitté les rivages asiatiques pour s’ancrer fermement dans le monde occidental. Mais le monde occidental découvre de profondes inégalités dans sa capacité à affronter le coronavirus et c’est en quelque sorte la revanche du modèle rhénan face au modèle anglo-saxon : s’il y a 12 lits d’hôpitaux pour 1 000 habitants au Japon, 8 en Allemagne et 6 en France, on en compte à peine plus de 2 au Royaume-Uni et aux États-Unis, 3 seulement en Italie. Voilà qui relativise les chiffres de croissance et qui permettra de relancer le débat sur l’État-providence.

 

 

10 mars

Crise pétrolière

 

C’est donc une dernière goutte de pétrole qui a déclenché une panique générale sur les marchés financiers de la planète avec à la clé des chutes (6 à 8 %), les plus fortes depuis 2008 qui en ont fait un véritable « lundi noir ». Et dans le rôle de l’apprenti sorcier, Mohamed Bin Salman. Alors qu’il était en train de régler leur compte à quelques princes récalcitrants qui lui faisaient de l’ombre, il n’a pas hésité à déclencher une véritable guerre pétrolière sans se préoccuper ni des circonstances ni des conséquences. Faire éclater la bombe pétrolière alors même que l’économie mondiale commençait à plier sous l’impact du coronavirus était pour le moins inconséquent. C’était apporter de l’eau au moulin des cassandres au moment même ou au contraire on avait besoin d’une gestion responsable des marchés. Mais de cela, aveuglé par son hubris, MBS n’en avait cure.

Dans un Moyen-Orient qui aura été riche ces dernières années en personnages dangereux, de Saddam Hussein à Khadafi ou Assad, MBS a aujourd’hui un pouvoir de nuisance sans équivalent : ses années au pouvoir ont été une suite de catastrophes pour la région, qu’il s’agisse de la guerre au Yémen, de l’embargo sur le Qatar, du conflit avec l’Iran. Persuadé qu’il peut tout acheter, MBS est allé d’échecs économiques en régressions sociales. Il vient de jeter aux orties l’un des seuls axes forts qu’il avait bâtis, la relation privilégiée avec la Russie au sein de l’OPEP+. Même Trump commence à se lasser de tant d’irresponsabilité.

Dans quelques semaines, il accueillera les chefs d’État du G20. Quelle hypocrisie !

 

 

9 mars

Contre choc pétrolier

 

C’est un véritable contrechoc pétrolier que vient de déclencher l’Arabie saoudite. Le baril de pétrole Brent se rapprochait aujourd’hui des $ 30 le baril, un niveau oublié depuis les affres de la crise économique de 2008. Que s’est-il passé ?

Le 5 mars, les pays membres de l’OPEP s’étaient réunis à Vienne pour faire le point sur un marché du pétrole ébranlé par la crise du coronavirus, avec un baril de Brent évoluant entre $ 50 et $ 55. Le coronavirus avait d’ailleurs bon dos, car sur janvier et février, la Chine avait encore augmenté ses importations de pétrole brut à plus de 10,4 mbj. En réalité bien avant la crise sanitaire, le marché du pétrole était excédentaire d’un bon million de barils/jour (sur une consommation mondiale de l’ordre de 100 mbj). À Vienne, les pays de l’OPEP, menés par l’Arabie saoudite décidèrent d’une réduction de 1,5 mbj des quotas : un million de barils/jour pour l’OPEP et 500 000 bj pour la Russie et ses alliés. Le problème est que le lendemain, la Russie refusa. Vladimir Poutine refusait le jeu de Mohamed Bin Salman. Le Russe estimait probablement que la Russie avait les reins plus solides, pouvait tenir le choc à $ 40 et que surtout, il ne fallait pas faire de cadeaux aux producteurs américains dans un contexte de tensions exacerbées entre la Russie et les États-Unis au Venezuela et en Crimée. À tout prendre, Poutine préfère aussi l’alliance de Téhéran, précieuse en Syrie, plutôt que celle du velléitaire MBS.

Celui-ci prit la mouche et le samedi 7 mars il déclencha donc une guerre des prix qui a embrasé les marchés. Certains analystes tablent maintenant sur des cours à $ 30 jusqu’à la fin de l’année. Le marché mondial va en effet rester largement excédentaire au fil des augmentations de production des uns et des autres.

Ce contrechoc pétrolier n’est pas donc directement la conséquence du coronavirus qui n’en aura été au fond que la dernière goutte de… pétrole ! Mais intervenant au moment même où l’épidémie se mondialise, il a amplifié la réaction des marchés boursiers et financiers pour lesquels le lundi 9 mars a été un véritable lundi noir.

 

Pour le reste, les consommateurs se réjouiront – au moins à court terme – de la baisse du prix de l’essence et les producteurs se lamenteront un peu plus sur cette malédiction du pétrole dont ils sont incapables de s’affranchir.

 

 

4 mars

Coronavirus

 

Il y a un long chemin entre Wuhan et Crépy-en-Valois, mais il n’aura fallu que quelques semaines au coronavirus pour le parcourir au gré d’incertaines migrations. Voilà donc désormais « covid-19 » au cœur de nos vies quotidiennes et, malgré son impact pour l’instant fort limité, raflant la une de l’actualité au fil abêtissant des chaînes d’information en continu, à des actualités autrement plus graves comme le nouvel exode des réfugiés syriens.

C’est aussi que la paralysie qui commence à affecter les chaînes du commerce international fait son chemin vers le porte-feuille. Un peu partout on révise à la baisse les prévisions de croissance d’un demi-point de PIB, voire plus. Certains comme en Italie se préparent à la récession. Aux États-Unis, la Fed prend les devants et décide d’une spectaculaire baisse de ses taux directeurs de 50 pb. Les autres banques centrales, souvent déjà proches de taux zéro, ont moins de marges de manœuvre, mais s’apprêtent à ouvrir en grand les robinets à liquidité.

Il est vrai que cette crise sanitaire nous offre l’occasion d’une plongée dans l’irrationnel au cœur des systèmes économiques. C’est la peur qui règne partout aujourd’hui : la peur qui a fait plonger l’indicateur des directeurs d’achat chinois plus bas encore qu’en 2008 ; la peur qui pousse à l’annulation de salons et voyages même lorsque ceux-ci concernent des destinations « sans risques » ; la peur qui vide les avions et les théâtres et dont la chape de plomb est chaque jour plus lourde. Bien entendu, tout ceci va se traduire de manière concrète par un recul de l’activité et il y a désormais fort à parier que la croissance économique mondiale n’atteindra pas en 2020 les 3 % espérés.

Mais soyons un peu cyniques. Le coronavirus est aussi une diversion permettant aux politiques de faire oublier leurs faiblesses : Xi Jinping n’aura pas à justifier le recul de la croissance chinoise ; l’Europe peut faire oublier sa coupable faiblesse sur le dossier syrien ; en France le 49-3 sur les retraites et les municipales passent au second plan ; et même aux États-Unis, Donald Trump profite du coup de pouce inespéré de la Fed ! Cela vaut bien de ne plus avoir de mains à serrer !

 

 

2 mars

Retraites : le 49-3

 

Dans tous les bons westerns, il y a un moment où le héros excédé par les provocations des « méchants » finit par dégainer son colt. Le silence se fait alors avant que ne commence la fusillade. Edouard Philippe vient de dégainer l’arme fatale de tout débat parlementaire, le 49-3. Il est vrai que l’opposition et notamment la France Insoumise, s’en était donné à cœur joie avec plusieurs milliers d’amendements. Le travail parlementaire était paralysé et ce passage en force est assez logique. Et autour des motions de censure, Édouard Philippe va pouvoir réunir à nouveau sa majorité fort ébranlée ces jours-ci par le probable fiasco des municipales.

 

 

Mais quel échec quand même. Que n’avait-on dit de cette réforme qui devait être emblématique tant sur le fond que par la méthode de concertation choisie. Et pendant deux ans, il y eut en effet des réunions dont tous les participants vantèrent la qualité et l’ouverture. Rapidement pourtant, à la réforme systémique ambitieuse revenant à créer un cadre unique par principe plus juste et équitable, vinrent se superposer quelques tabous comme l’équilibre financier et surtout les bornes calendaires en termes d’âge ou de durée de cotisation. Les Français se révélèrent imperméables à cette idée relativement simple que s’ils vivaient plus longtemps (un trimestre d’espérance de vie supplémentaire chaque année depuis le début du XXe siècle), il leur faudrait travailler plus longtemps. Rien n’y fit et la maladresse de quelques « technos » réussit à mettre dans le camp des opposants le seul syndicat constructif, la CFDT. Là-dessus, il fallut affronter l’opposition de tous ceux, des avocats aux enseignants, qui s’estiment, souvent à juste raison les perdants, d’une réforme de moins en moins équitable au fil du détricotage et des reculs de l’exécutif. Samedi dernier, l’Opéra de Paris, en grève, a annulé la première de Manon de Massenet. On ne pleurera pas sur la mort de Manon, mais on peut soupirer sur la difficulté qu’il y a à faire en France de manière consensuelle des réformes raisonnables.

 

 

27 février

Agriculture

 

C’est la semaine du Salon de l’Agriculture à Paris, le moment où soudain la classe politique se souvient des racines agricoles de la France que, le reste du temps, elle ignore allègrement. À l’image du président de la République qui y a passé douze heures, tous les responsables politiques font ainsi la pause des municipales pour aller Porte de Versailles flatter le cul de quelques vaches et assurer le monde agricole de leur profonde compréhension. Et même s’ils n’en pensent rien, cela fait quand même du bien à entendre tant le spleen agricole est intense. Peu de professions, en effet, auront subi autant de chocs en si peu d’années. Il y a d’abord eu la disparition de la Politique agricole commune, mise en place dans les années 60 qui garantissait des prix rémunérateurs et qui stabilisait les marchés. Cette PAC est morte et les agriculteurs sont passés du stable à l’instable avec toutes les incertitudes et tous les risques que l’on peut imaginer. Certes, une partie de cette instabilité a été compensée par des aides directes financées par une nouvelle PAC qui représente encore un peu moins du tiers du budget européen.

Mais ces aides sont désormais conditionnées à des cahiers des charges agro-climato-environnementaux qui portent la marque de calendriers politiques verdâtres qui ont trouvé dans l’agriculture un bouc émissaire commode et mal défendu même en France. En quelques années, l’agriculteur est devenu un pollueur, un malodorant, un être insensible se réjouissant de l’abattage de sympathiques bestioles. Haro sur les phytosanitaires et le glyphosate, sur l’élevage, revenons au bon vieux temps, celui où la plupart des Français mangeait mal en souffrant de pauvretés et de famines mais où ils mangeaient « naturel ».

Que leur répondre ? Le ministère de l’Agriculture vient de lancer avec la Commission nationale du Débat public une consultation sur l’avenir de l’agriculture française. On aimerait en sourire si ce n’était pas si grave. La marraine de cette opération n’est autre que l’animatrice de l’émission télévisée « L’amour est dans le pré » qui s’efforce de trouver des conjoints à des agriculteurs célibataires. C’est qu’en même temps, on les aime bien les paysans, mais sous cloche, en version bio et même avec un bœuf devant la charrue.

 

 

25 février

Coronavirus

 

Le coronavirus change de dimension. Non pas parce que l’OMS l’a baptisé Covid-19 (les ouragans et les cyclones ont au moins droit à des prénoms féminins, ce qui est un peu plus poétique). Mais parce que quittant les rivages asiatiques, il a, comme la peste Noire en 1348, abordé les rivages italiens et aurait déjà une dizaine de décès à son actif. Soudain, ce qui était loin, limité à quelques grands voyageurs, se rapproche et touche Venise en plein carnaval, Milan et sa « Fashion week ». Déjà les Alpes n’apparaissent plus aussi hermétiques. Les pharmacies sont dévalisées de leurs masques et de leurs gels antibactériens. Le corps médical a beau répéter que ce coronavirus-là est beaucoup moins dangereux que la grippe classique et que pourtant les Français répugnent toujours à se faire vacciner. Mais rien n’y fait, la psychose est là. On parle de fermer en avance les portes du Salon de l’Agriculture. Les entreprises annulent les uns après les autres les plus anodins des déplacements de leurs collaborateurs afin d’éviter des mises en quarantaine. Et puis, on commence à craindre pour la croissance économique touchée par la chute de la contribution du tourisme et par la panne d’un certain nombre de chaînes industrielles faute de pièces bien souvent importées de Chine.

Alors qu’en Chine, l’épidémie semble avoir atteint son pic (mais les chiffres sont-ils fiables ?), c’est l’Europe qui est maintenant en première ligne et qui fait son miel de gouvernements affaiblis comme en Italie et en France en plein débat sur les retraites.

 

 

22 février

Europe

 

Cela faisait longtemps que l’Europe ne s’était pas offert le luxe d’un sommet se terminant sur un constat d’échec. Et cette fois-ci, on parlait gros sous, c’est-à-dire du budget européen pour les sept ans à venir : le « multi-annual financial framework » (MFF) en anglais dans le texte puisque l’anglais est resté la langue de travail à Bruxelles. L’enveloppe ne doit normalement pas dépasser 1 % du RNB européen. La proposition de la Commission pousse à 1,074 %, ce qui a déclenché la colère des pays les plus près de leurs sous, « les quatre radins » (Pays-Bas en particulier). Mais la vraie question est celle de la répartition : les pays du « Club Med » rejoints par la Pologne ne veulent pas que l’on touche à la PAC (menacée de perdre € 50 milliards). D’autres, en général à l’Est, tiennent aux transferts en faveur des régions les plus pauvres. Or on a déjà là les deux tiers du budget européen et il n’y a pas beaucoup de place pour le reste.

En réalité, au-delà des chiffres, ce qui manque, c’est un projet et soyons honnêtes, il n’y en a plus guère. L’Europe de la connaissance, celle de l’agenda de Lisbonne, est oubliée. Il y a bien le « Green New Deal » annoncé en fanfare en décembre dernier. Mais on ne le retrouve pas dans ce MFF et il faudra un autre sommet pour le boucler. La vraie porte de sortie, celle de donner plus de moyens à l’Europe, demanderait un peu plus d’imagination créative et pour l’instant, il n’y en a pas à Bruxelles.

 

 

20 février

Nucléaire

 

C’est à partir de demain que va commencer le compte à rebours de la fermeture de la centrale nucléaire de Fessenheim. Au fil de maintes controverses sur le nucléaire, Fessenheim était devenue un symbole. Sous la pression électoraliste des milieux écologiques, les gouvernements successifs s’engageaient sur un calendrier qu’ils ne respectaient pas, de gauche comme de droite, tant le dossier nucléaire demandait quand même de faire preuve d’un peu de réalisme.

A l’heure en effet où le monde désespère de l’augmentation des émissions de carbone au cœur du réchauffement de la planète, la position française est particulièrement confortable avec le niveau le plus faible de tous les pays avancés. Et cela pour une bonne raison, un exemple unique celui d’un pays qui au tournant des années 1960 a décidé de bâtir une filière nucléaire qui représente aujourd’hui 15 % de l’électricité d’origine nucléaire dans le monde, plus des trois-quarts de la production d’électricité française et 40 % de notre consommation totale d’énergie. Or ce nucléaire, que critiquent tant les ONG vertes ne produit pas de carbone. Grâce au nucléaire, la France a pu bien avant le Royaume-Uni et bien sûr l’Allemagne abandonner le charbon.

Bien entendu, le nucléaire n’est pas exempt de problèmes ni de dangers. Les barrages peuvent s’effondrer, les déchets peuvent inquiéter. Le nucléaire réclame un degré de sophistication industrielle tel que peu de nations ont pu le développer. En soi, il ne peut être une solution aux problèmes de nombre de pays du Tiers monde confrontés à l’explosion de leurs émissions de carbone.

Mais la France dispose de ce capital et d’une filière industrielle parmi les plus efficientes au monde. Au nom de quelle logique a-t-on décidé qu’il fallait réduire la part du nucléaire à 50 % dans la production d’électricité ? Et cela pour le remplacer par des énergies renouvelables – solaire et éolien – dont on ne maîtrise ni la durée de vie ni le recyclage des installations. On baigne là dans l’idéologie de la bien-pensance.

Disons-le tout net : fermer Fessenheim est absurde, mais nous ne sommes pas à une absurdité électoraliste près.

 

 

18 février

Etats-Unis

 

L’association d’informations différentes peut donner parfois d’étranges résultats et éclairer sur l’état d’une société.

Aux États-Unis, l’association des « Boy Scouts of America » vient de se mettre sous la protection de la loi des faillites (chapter 11). Dans la tradition anglo-saxonne, les scouts sont un mouvement laïc (à la différence de la France où le scoutisme s’est développé dans l’entre-deux-guerres sur des bases confessionnelles). On compte aujourd’hui plus de 2 millions de scouts (garçons) aux États-Unis et l’esprit du scoutisme a plus largement imprégné le système éducatif américain à l’image des célèbres « summer camps ». Mais voilà, les Boyscouts ont eux aussi connu leurs affaires de pédophilie et devant l’afflux des plaintes et des dommages à honorer, l’association nationale n’a eu d’autre choix que de se déclarer en faillite, tout comme l’avaient envisagé plusieurs diocèses catholiques américains. Merveilleuse école de la vie, le scoutisme souffre des deux côtés de l’Atlantique du poids de soupçons certes justifiés, mais souvent excessifs.

Au même moment, Donald Trump usait de la grâce présidentielle en faveur de Michael Milken : Michael Milken, l’inventeur des « junk bonds » à la grande époque de Drexel Burnham Lambert. Condamné, mais fortune faite, Milken s’était engagé dans l’univers caritatif. La grâce trumpienne vient effacer symboliquement les excès d’une finance trop inventive qui connût son apocalypse en 2008. Les scouts et Milken ? Aucun rapport, mais c’est l’Amérique.

 

 

5 février

Coronavirus 2

 

L’épidémie de coronavirus parti de la ville de Wuhan et de la province du Hubei en Chine prend une véritable dimension planétaire. C’est maintenant la Chine qui se trouve isolée du reste du monde alors que les autorités prolongent un peu plus les vacances du Nouvel an et que l’atelier du monde se trouve en panne.

Le lundi 3 février, les marchés chinois ont rouvert malgré tout et ont affiché des baisses de l’ordre de 8 %, le maximum de pertes autorisées sur une seule journée. L’ensemble des marchés financiers de la planète avait d’ailleurs anticipé cette sévère correction. Mais la chute la plus spectaculaire a été celle des matières premières : le baril de pétrole Brent qui caracolait au-dessus de $ 70 au moment de la mort du général iranien Soleimani à Bagdad coûte moins de $ 55 au grand désarroi des membres de l’OPEP. Le cuivre, le minerai de fer, le caoutchouc et l’huile de palme, tous ces produits, dont la Chine est le principal consommateur et importateur mondial, ont vu leurs prix reculer brutalement.

C’est en effet presque la moitié de l’économie chinoise qui serait à l’arrêt. Et la Chine représente 30 % de la production industrielle mondiale. En 2003, l’épidémie de SRAS avait coûté 1 % du PIB à la Chine, mais son impact avait été négligeable pour les pays avancés. Mais aujourd’hui, la situation est bien différente : la Chine produit, consomme, échange et tout cela à hauteur d’une économie qui, en termes de parité de pouvoir d’achat, a dépassé celle des États-Unis. Et puis la Chine est au cœur des chaînes d’approvisionnement qui maillent la planète bien au-delà du seul « made in China ».

Avec un peu de retard, les autorités ont réagi et la Banque centrale a injecté près de $ 200 milliards de liquidités pour éviter que la panique ne s’étende sur les marchés. Et alors que Hong Kong a affiché une croissance négative en 2019, il est évident que la Chine va connaître un ralentissement encore plus marqué.

 

Triste début pour cette année chinoise du rat qui, en d’autres temps, fut un vecteur de la peste.

 

 

31 janvier

Brexit : fin !

 

À minuit donc le Royaume-Uni aura quitté l’Union européenne et le Brexit se réalisera enfin. Une page se tourne et cette triste fin ne peut que laisser un goût amer à tous ceux qui ont vécu – ou au moins observé – le long calvaire de ces dernières années. Pour les Britanniques, tout d’abord, qui découvriront bien vite que le rêve de Boris Johnson de « Singapore upon Thames » n’est qu’un mirage tout comme d’ailleurs une quelconque bénévolence américaine. Et parmi les Britanniques que dire des « remainers » et au premier chef des Écossais pour lesquels le Royaume est de moins en moins uni…

Mais l’Europe est aussi perdante et pas seulement sur le plan économique. Le Brexit c’est aussi le résultat de la panne de la construction européenne. Certes, les Britanniques eurent en la matière quelque responsabilité, mais depuis trois ans rien n’a vraiment bougé. Il fut longtemps facile de faire des Britanniques les responsables des blocages européens et l’accusation avait quelque fondement, Londres se mettant bien souvent à la tête d’un véritable front du refus. Mais ils n’avaient pas tort non plus de critiquer le pointillisme fort peu démocratique des directives européennes. Et en jouant les mouches du coche, leur apport était loin d’être négatif.

Dans un divorce, les torts sont toujours un peu partagés et c’est bien le cas pour le Brexit. Il reste maintenant à parler de gros sous et de pensions alimentaires, de gardes des enfants et autres migrants et expatriés, de partage aussi des quelques derniers actifs et autres programmes comme Erasmus qui a permis à tant de jeunes européens de se comprendre. Mais cela n’a pas été suffisant…

 

 

30 janvier

Australie

 

L’immense avantage d’une convalescence est que l’on doive se reposer et dans ces moments, que l’on peut céder à la facilité télévisuelle. Durant ces après-midis, la chaîne l’Equipe 21 retransmet le « Tour Downunder », le tour cycliste d’Australie qui réunit la plupart des grandes équipes professionnelles avant que ne commencent les choses sérieuses avec les grandes classiques puis les tours européens.

On y apprend que le maillot du leader est un maillot « ocre » qui correspond bien avec la couleur des terres manifestement desséchées que traverse le peloton. Le Tour se déroule dans la région d’Adélaïde, loin des foyers d’incendie qui ont ravagé la côte Est. On traverse des zones céréalières juste après une moisson qui devrait être une des plus faibles de ces dernières années. Les paysages rappellent ceux du sud-méditerranéen et la chaleur y est intense.

Ce que connaît l’Australie est en fait une évolution climatique structurelle et les productions agricoles devraient à l’avenir continuer à diminuer qu’il s’agisse des grains ou des produits animaux : ainsi, le cheptel ovin, producteur de laine et de viande, poursuit son lent déclin. Mais en d’autres endroits d’Australie, on continue à produire du fer et surtout du charbon qui, exportés vers la Chine, se transforment en carbone.

Un jour peut-être, le maillot ocre du Tour Downunder sera un maillot noir…

 

 

29 janvier

Coronavirus

 

« Le jour viendra où pour le malheur et l’enseignement des hommes, la peste réveillera ses rats et les enverra mourir dans une cité heureuse ». Les dernières lignes de « La Peste » d’Albert Camus résonnent avec une cruelle vérité et la cité chinoise de Wuhan s’inscrit dans la mémoire d’Oran.

Confrontées à une épidémie qui a désormais fait plus d’une centaine de victimes, les autorités chinoises ont confiné Wuhan et au-delà presque toute la province de Hubei. Alors que la Chine aurait dû vivre les fêtes du Nouvel An chinois – le passage du cochon au rat – propices aux retrouvailles familiales, trafics ferroviaires et aériens sont en baisse de 42 % et la Chine s’isole peu à peu du reste du monde.

Pourtant, les autorités ont agi. Alors qu’en 2003, elles avaient nié pendant plusieurs mois l’ampleur de l’épidémie de SRAS, elles ont cette fois-ci largement ouvert leur communication à l’international en particulier avec l’OMS. C’est que Xi Jinping y joue aussi sa crédibilité. Le coronavirus a au moins l’avantage de faire passer Hongkong, Taïwan et les Ouïghours au second plan et pourra même justifier le recul attendu de la croissance économique : de premières estimations circulent tablant sur une perte équivalente à 1 à 2 % de PIB. La plupart des marchés internationaux ont d’ailleurs réagi à la baisse : malgré le chaos libyen, le pétrole est tombé en dessous de $ 60 le baril ; le cuivre a perdu 7 % de sa valeur et la plupart des indices boursiers sont en repli. La Chine éternue et le monde s’affole.

Après la peste porcine africaine qui a entraîné une baisse de 40 % du cheptel de truies chinoises, le coronavirus est un nouveau défi pour un pays dont les infrastructures sanitaires n’ont pas suivi la folle croissance économique.

Au début de la Révolution culturelle, c’est à Wuhan que Mao avait choisi, pour reprendre le contrôle du pays, de montrer l’exemple en traversant à la nage le Yang Tse. Rien n’était impossible pour le grand timonier. Xi Jinping qui, en bien des domaines, a revêtu les habits de Mao a à Wuhan un tout autre défi.

 

 

16 Janvier 2020

 

Cette chronique est enregistrée d’une chambre de l’hôpital George Pompidou à Paris dont je suis l’hôte involontaire depuis quelques jours. En effet mon ardeur vélocipédique en faveur de la transition énergétique s’est heurtée de front aux attaques automobiles et à la dureté du macadam parisien. Il a donc fallu renforcer ma colonne vertébrale avec du ciment et des vis ce qui m’a permis une plongée au cœur des urgences et des hôpitaux parisiens.

Une première conclusion s’impose : l’état-providence à la française a de beaux restes. De l’intervention des policiers puis des pompiers aux urgences d’un premier hôpital pour finir à Pompidou et être opéré à minuit dans la nuit de samedi à dimanche, la chaine a admirablement fonctionné, la qualité des soins et l’engagement des personnels ont été remarquables. La France reste probablement l’un des pays où il est le plus agréable d’être « pauvre et blessé ». Nulle question en effet de finances et je n’ai aucune idée du coût de ce vol plané même si j’espère que les compagnies d’assurances en prendront l’essentiel en charge.

Par-contre la vie quotidienne dans un hôpital comme Pompidou, le plus grand d’Europe, est déroutante. C’était la mode il y a trente ans de donner dans le gigantisme hospitalier. Le résultat au cœur de Paris et sans le moindre espace vert est une sorte de blockhaus innervé de couloirs interminables et d’ascenseurs. La prise en charge des patients y est anonyme, les équipes tournent et dans un bâtiment qui commence à marquer son âge, on sent bien que chaque matin le personnel fait des prouesses pour satisfaire le Moloch administratif qui régit les lieux.

Le personnel justement, d’une infinie gentillesse dans la plupart des cas, est en grève mais obéit aux réquisitions qui lui sont imposées. Il souffre aussi bien sûr des grèves des transports qui affectent la région parisienne. Hier 1200 chefs de service ont démissionné de leurs fonctions administratives pour protester contre la faiblesse de leurs moyens et la rigidité des normes administratives qui leur sont imposées.

Ainsi dans la santé, l’état providence fonctionne aujourd’hui –comme l’école et l’université d’ailleurs– avec des bouts de ficelle. Attention au jour où il n’y aura plus assez de ficelle pour faire des nœuds.

 

 

6 janvier

Iran – Etats-Unis

 

Le baril de pétrole Brent à $ 70, l’once d’or à $ 1580, au plus haut depuis sept ans et la jeune action Aramco en baisse de 10 %, les marchés n’ont pas tardé à réagir à l’attaque décidée par le président Trump qui, à Bagdad, a coûté la vie au général iranien Qacem Soleimani, le chef des forces spéciales iraniennes engagées sur les fronts extérieurs et en fait un véritable numéro deux du régime ne rendant des comptes qu’au guide suprême de la Révolution.

La disparition du général Soleimani ne provoquera guère de regrets dans tous les pays, de la Syrie au Yémen en passant par le Liban et l’Irak où les interventions iraniennes n’ont provoqué que du sang et des larmes. À la tête du clan des faucons, il était incontestablement un obstacle à quelque processus de paix que ce soit en Iran et dans la région. Et derrière l’unanimité de l’hommage que Téhéran a rendu à son martyr, il y avait certainement maintes larmes de crocodile.

Ceci étant, en agissant de la sorte, Donald Trump a pris un énorme risque dont il n’a probablement pas mesuré les conséquences : en Iran, il a contribué à renforcer le régime des mollahs que la crise économique et l’augmentation de l’inflation avaient fragilisé ces dernières semaines malgré la répression impitoyable qui avait fait plusieurs centaines de morts. En Irak, il a au contraire fragilisé un peu plus un régime politique en crise. Quant aux alliés des États-Unis – ou ce qu’il en reste –, ils ont pour la plupart préféré le silence.

Que peut-il se passer maintenant ? Face aux États-Unis, l’Iran ne peut risquer un choc frontal que de toute manière Donald Trump en année électorale ne peut aussi risquer. L’Iran peut s’attaquer aux installations pétrolières saoudiennes ; les États-Unis peuvent mettre l’Irak sous embargo pétrolier ; l’Iran peut enfin bloquer en partie ou en totalité le détroit d’Ormuz ou au moins le rendre impraticable à la navigation civile… L’escalade peut se poursuivre et les compteurs de monter : pétrole à $ 100, or à $ 2000, Aramco au panier.

Les drones sont devenus des jouets bien dangereux…

 

 

5 janvier

Grèves

 

Curieuse ambiance en France en ce début d’année. La grève des transports est maintenant dans son deuxième mois, manifestement essoufflée, mais les syndicats jouent maintenant gros avec la reprise officielle des négociations et deux journées d’action qui leur permettront de se compter. La stratégie du gouvernement est simple : profiter de la lassitude générale et au prix de quelques concessions, détacher les syndicats réformistes, l’UNSA et surtout la CFDT.

Ceci étant, les critiques n’ont pas tort de remarquer la contradiction entre les objectifs initiaux d’Emmanuel Macron, largement repris par le rapport Delevoye, et la réalité du détricotage auquel le gouvernement s’est livré : on ne parle plus de régimes spéciaux, mais de contraintes spécifiques et du danseur de l’Opéra au pilote de ligne tout le monde ou presque a eu droit à son exception. De facto, la réforme n’est plus guère universelle et l’essentiel des contraintes pèse sur les cadres du secteur privé ainsi que sur les enseignants qui peuvent légitimement douter des promesses concernant leurs rémunérations. Une fois de plus, le ventre mou qui absorbe le choc ce sont ces classes moyennes que décidément Emmanuel Macron et les technocrates qui l’entourent n’aiment ni ne comprennent : des sortes de « gilets jaunes-sup » qui ne manifestent guère et qui subissent de plein fouet le fardeau fiscal et désormais un peu plus celui des retraites. Du grand sauve-qui-peut catégoriel auquel on assiste depuis quelques semaines, voilà les ultimes perdants.

 

 

1er janvier

2020

 

Bienvenue dans les années vingt. Au siècle dernier, ce furent des « années folles » entre la boucherie de la Première Guerre mondiale et les affres de la grande dépression. Un peu comme aujourd’hui, le monde souffrait de l’absence de gouvernance. On s’y était essayé à Versailles, mais le retrait des États-Unis avait fragilisé dès l’origine l’édifice de la Société des Nations. Après la crise des années 1920/1921 (et jusqu’en 1923 en Europe), ce fut une période de forte croissance économique, en partie grâce à la diffusion des progrès techniques développés pendant la guerre : automobile, radio… On connaît la suite, l’éclatement de la bulle boursière, le « chacun pour soi » et le retour du protectionnisme.

Un siècle plus tard, on retrouve un peu les mêmes ingrédients : les derniers feux d’une révolution technologique, un optimisme boursier financé par de l’argent pas cher, l’absence à peu près totale de gouvernance internationale et là aussi un repli américain des affaires du monde. La comparaison s’arrête là. Il y a un siècle, on vivait l’apogée des empires coloniaux et la Chine était le champ clos des impérialismes. L’expérience communiste pouvait faire illusion et c’était encore le temps des grandes idéologies. Rien de tel aujourd’hui. La décennie qui s’ouvre sera un peu plus encore celle de la Chine, l’Europe ne comptera guère et le repli américain pourrait durer plus longtemps que l’improbable présidence de Trump. Quant au déficit climatique, qui y songe ?