Diplômé d’HEC, Agrégé d’histoire et Docteur es lettres, Philippe Chalmin est professeur d’histoire économique à l’Université Paris-Dauphine où il dirige le Master Affaires Internationales.
Il est le président fondateur de CyclOpe, le principal institut de recherches européen sur les marchés des matières premières qui publie chaque année le rapport CyclOpe sur l’économie et les marchés mondiaux.
Il a été nommé en Octobre 2010, Président de l’Observatoire de la Formation des prix et des Marges Alimentaires auprès du Ministre de l’Agriculture et du Ministre de l’Économie et des Finances. Il a été membre du Conseil d’Analyse Économique auprès du Premier Ministre, du Haut Conseil des Biotechnologies et du Conseil des Ventes Volontaires.
Il est l’auteur d’une quarantaine d’ouvrages dont parmi les plus récents « Le monde a faim » (2009), « le siècle de Jules » (2010), « demain, j’ai 60 ans, journal d’un économiste » (2011), « Crises, 1929, 1974, 2008 Histoire et espérances » (2013)
1er octobre 2024
En arrivant à Dauphine ce matin, je pensais à Philippine, cette étudiante assassinée à quelques mètres de là dans le bois de Boulogne. Elle était en troisième année, mais j’aurais pu l’avoir l’année prochaine parmi les candidats à notre master et séduit par ses engagements (le scoutisme !), elle aurait pu être parmi nous.
Rien de cela, mais des larmes et de la colère et puis l’admiration pour la dignité des siens soutenus par la profondeur de leur foi : elle est entrée dans l’Espérance, mais quand même trop vite, trop tôt et de manière si violente.
On peut bien sûr polémiquer sur les lenteurs et les failles de la justice en France, mais de grâce épargnons-nous polémiques et récupérations politiques. Nous ne saurons jamais ce qui s’est passé en cet après-midi dans les fourrés du bois de Boulogne si près et si loin de notre université : la folie d’un homme, un engrenage que nulle prière ne pouvait interrompre.
Ailleurs, dans le monde, tant de folies sont encore quotidiennes, mais elles sont lointaines. Mais là, écoutons dans son homélie à l’enterrement de Philippine, le père Grosjean : « que le monde comprenne que le mal n’a pas gagné et qu’il ne gagnera jamais… servir, croire et aimer portera toujours du fruit ». La Foi, l’Espérance, l’Amour, les vertus cardinales de toutes les religions.
30 septembre 2024
Retour sur la planète foot ! L’argent qui y circule n’a pas d’odeur. En Europe, les clubs changent de mains au gré des caprices financiers et ce sont souvent des fonds qui investissent (parfois quand même à fonds… perdus). Everton en Angleterre vient ainsi d’être racheté. En 2022, cela avait été le cas de l’AC Milan (le « club » de Berlusconi) par Redburn Capital Partners dirigé par un ancien de Goldman Sachs pour la modique somme de € 1,2 milliard. Alors, bien sûr, il faut meubler le maillot de publicités diverses. Et en la matière, l’AC Milan vient de faire très fort en enrôlant pour quelques centaines de milliers d’euros… la République démocratique du Congo.
La RDC, l’ancien Zaïre, l’ex-Congo belge, le lieu de toutes les exploitations : un scandale géologique riche en cuivre, cobalt, coltan, diamants qui depuis son indépendance et surtout depuis la chute de Mobutu n’a connu qu’instabilité et guerre civile. L’Est du pays en proie aux milices et aux armées privées échappe au contrôle de Kinshasa. À tous les niveaux, la corruption est la norme, mais elle s’accompagne de désordres et de violence. La RDC est l’exemple caricatural de cette malédiction des matières premières qu’analyse souvent CyclOpe au fil de ses pages.
Officiellement, le sponsoring de l’AC Milan vise à promouvoir le tourisme en RDC. Mais qui serait assez inconscient aujourd’hui pour imaginer faire du tourisme en RDC ? Le potentiel est certes immense des réserves d’animaux aux croisières sur le Congo. Mais le risque pays est trop grand et on se prend à penser que cet argent-là serait mieux dépensé en RDC que dans les finances d’un club de football italien contrôlé par un fonds américain. À moins que certaines poches n’en profitent aussi à Kinshasa ou à Genève (là où se trouvait autrefois la fortune de Mobutu…).
Le foot fait rêver en Afrique, mais là il y a de quoi pleurer.
29 septembre 2024
Une semaine déjà pour le gouvernement Barnier. Les ministres se sont installés, ont découvert leurs bureaux et leurs crayons, ont commencé à former leurs cabinets (le choix des « dircabs » est en général imposé à tous ces débutants et pour le reste, on ne se presse pas au portillon pour des emplois plus que précaires…).
Le sujet majeur est celui du budget et comme d’habitude les entrants chargent un peu plus la barque des sortants : ainsi, le déficit budgétaire de 2024 va bien dépasser la barre des 6 %, toutes les mesures proposées par Bruno le Maire pour le contenir ayant été, au printemps, balayées par le tandem Attal/Macron. Il est clair que ce n’est pas tenable et la sanction des marchés est déjà impitoyable : l’Espagne, le Portugal et même la Grèce (le « Clubmed » autrefois si méprisé) empruntent moins cher que la France ! Mais que faire ? Réduire les dépenses, mais tout paraît si indispensable (il suffit de voir les collectivités locales) et puis cela prendra du temps. Alors, augmenter les impôts et prélèvements : là aussi, les collectivités locales ne s’en privent pas (les avis de taxes foncières qui tombent ces jours-ci en sont la preuve). Mais faire payer un peu plus les riches et les entreprises restera bien insuffisant tout en faisant de la France le champion toutes catégories des prélèvements publics. On frémit à imaginer ce qu’aurait été dans un pareil contexte l’application du NFP. Mais quand on aime, on ne compte pas les milliards !
28 septembre 2024
Coup de tonnerre au Liban avec la frappe israélienne au sud de Beyrouth sur le quartier général du Hezbollah qui a coûté la vie à son chef politique et spirituel, Hassan Nasrallah.
La compassion doit aller aux innocentes victimes de telles frappes plutôt qu’à celui qui de son refuge libanais en avait lui-même tant ordonné. Qui vit par le glaive et les bombes doit périr par le glaive et les bombes. Inféodé à l’Iran, pilier du soutien à Bachar el Assad en Syrie, destructeur des fragiles équilibres libanais, Nasrallah avait fait du Hezbollah une puissance militaire et pratiquement un état indépendant au Liban. Sa rhétorique enflammée ne pouvait qu’entraîner tous les fanatismes, ceux de ses disciples, mais aussi ceux des extrémistes israéliens.
Israël, cette fois-ci, a vengé le 7 octobre en éliminant les chefs du Hamas et du Hezbollah, mais en prenant le risque d’en faire des martyrs. Mais au-delà de l’élimination d’une tête, le problème reste entier, celui de l’après Gaza et espérons-le bientôt de l’après Netanyahou.
Une chose est claire en tout cas : c’est le Liban qui est la principale victime et dans les mille vies du chat libanais, il y a peu de chances que cette fois-ci il retombe sur ses pattes ; un million de personnes sont déplacées, les ressources essentielles manquent, les cèdres sont déracinés.
27 septembre 2024
Au nord du Maroc, face à l’Espagne et à Gibraltar, Tanger a une longue et complexe histoire depuis les temps phéniciens jusqu’à l’époque de l’internationalisation de la ville durant la première moitié du XXe siècle avant que de redevenir marocaine. Depuis quelques années, Tanger est une des vitrines du développement économique du pays avec son pôle automobile (Peugeot et Renault) et surtout son port, Tanger Med, devenu le premier port africain et qui est entré dans les vingt premiers ports mondiaux de conteneurs en 2023 avec plus de 8 millions de « boîtes » transbordées. Du haut de la Kasbah qui domine les colonnes d’Hercule, on assiste au ballet d’une noria de porte-conteneurs d’autant plus nombreux qu’à l’autre bout de la Méditerranée, Suez et la mer Rouge sont pratiquement fermés du fait des attaques houthis.
La médina est belle, peut-être plus « authentique » que bien d’autres au Maroc. On y croise bien des témoins du passé international de la ville, des synagogues du mellah aux églises espagnoles et, bien sûr, aux légations et consulats : celui des États-Unis est le seul monument historique américain en dehors des frontières américaines. Il est resté dans son « jus » du XIXe siècle et comporte même la station de communication de l’OSS (la CIA actuelle) au temps où Tanger était aussi un nid d’espions. Et en prenant un café au « Gran Café Central » du petit Socco, on se prend à rêver aussi au grand voyageur Ibn Battouta, un Marco Polo tangérois du XIVe siècle qui parcourut le monde jusqu’en Chine.
23 septembre 2024
Une dizaine de jours en Grèce, de Thessalonique à Athènes sur les pas de Saint-Paul avec quand même quelques détours obligés vers les Météores et Delphes. Un premier constat matériel s’impose : l’économie touristique tourne à plein régime et frôle parfois même la saturation. L’arrivée de quelques excursions de croisières aux Météores transforma ainsi ces merveilleux monastères en caricature de Disneyland !
S’il est un lieu pourtant, un peu ignoré du tourisme de masse, qui séduit tant l’œil que l’esprit, c’est bien Mystra, au cœur du Péloponnèse, la capitale de ce qui fut au XVe siècle le dernier bastion de Byzance. C’est là qu’en janvier 1449 fut couronné Constantin XI, le quatre-vingt-huitième et dernier empereur d’Orient, le basileus qui quatre ans plus tard devait disparaître dans la fièvre de la bataille qui marqua la chute de Constantinople. C’est à Mystra que s’épanouit une dernière fois l’art byzantin, cette manière de représenter « l’esprit de Dieu » qui avait su traverser le millénaire de l’histoire byzantine. Mystra qui domine la ville moderne de Sparte n’est qu’un champ de ruines au flanc d’une colline, mais plusieurs églises et un monastère encore offrent au regard par leurs fresques, le dernier éclat d’un monde qui allait disparaître. Seuls quelques chats aujourd’hui hantent ces murs effondrés, derniers témoins du rêve byzantin.
21 septembre 2024
La France a enfin un nouveau gouvernement. Dire que celui-ci suscite l’enthousiasme serait un doux euphémisme. Il est en effet constitué d’hommes et de femmes politiques (députés ou sénateurs) pour la plupart inconnus provenant manifestement de la « réserve » des partis politiques qui ont donné leur soutien à Michel Barnier. Il n’y a qu’une seule prise de gauche, fort honorable d’ailleurs, en la personne de Didier Migaud qui devient garde des Sceaux. Pour le reste, c’est un subtil équilibre de LR et de macronistes mais, à quelques exceptions près (Retailleau), il s’agit de « seconds couteaux » dont les compétences pour les portefeuilles dont ils héritent ne sautent pas aux yeux. Le comble en la matière est atteint à l’Éducation nationale et, dans une moindre mesure, pour l’Agriculture. On peut se rassurer en se disant que rien ne vaut un regard neuf sur un sujet complexe et qu’en son temps René Monory, nanti de son seul certificat d’études fut un grand ministre de l’Éducation nationale. Mais son poids politique était tout autre.
Voilà donc un gouvernement plutôt de droite, mais dans lequel les principaux leaders, de Wauquiez à Philippe en passant par Bayrou, ont tellement peu confiance qu’ils ont refusé de s’y engager.
Rendez-vous maintenant devant l’Assemblée.
19 septembre 2024
Fumée blanche à Bruxelles avant Paris. Ursula von der Leyen a dévoilé l’architecture complexe de « sa » Commission : 27 commissaires aux mandats souvent bien vagues et se chevauchant les uns les autres. Il y a bien six vice-présidents exécutifs censés cornaquer les commissaires « juniors ». Mais leurs portefeuilles restent là aussi quelque peu confus et ils risquent de se marcher d’autant plus sur les pieds que ces « super commissaires » sont des novices à Bruxelles à l’image du Français Christophe Séjourné dont le portefeuille (« industrie et stratégie ») est le prix de l’absence de soutien à Thierry Breton.
La réalité est que cet organigramme complexe ne peut que renforcer la prééminence de la présidente. Le deuxième mandat d’Ursula von der Leyen sera celui de la monarchie presque absolue. On ne voit aucune personnalité capable de lui résister et la position centrale de la présidence en matière d’arbitrages ne fera que la renforcer. Cela devrait aussi contribuer à donner un peu plus de pouvoir à la technocratie des directions générales. Tout ceci promet en tout cas des moments tendus sur des questions (Greendeal, PAC…) sur lesquelles les orientations de Madame von der Leyen peuvent être différentes de celles du Parlement.
17 septembre 2024
La composition d’une Commission est un art subtil. La présidente n’a pas le choix des commissaires et doit donc même supporter des individualités critiques voire opposantes. Tel était, semble-t-il, le cas de Thierry Breton et Ursula von der Leyen a tout fait pour s’en débarrasser. Après quelques hésitations, elle a trouvé l’oreille d’Emmanuel Macron dont la fidélité en amitié n’est pas la principale qualité. Quoique Madame von der Leyen eut préféré l’arrivée à Bruxelles d’une Française pour donner un peu plus de parité à sa Commission, elle a dû accepter le recasage de son piteux ministre des Affaires étrangères, Stéphane Séjourné, ce qui donne un peu d’air à Michel Barnier pour la composition de son propre gouvernement.
Tout ceci, ce bricolage d’arrière-cour, fait perdre à la Commission un de ses rares « poids lourds » et contribue à diminuer un peu plus la crédibilité française à Bruxelles. Mais au-delà du pitoyable cas de la France, cet épisode, ajouté à quelques autres, montre bien les limites d’une gouvernance européenne sans poids politique ni véritable légitimité. On voudrait détruire l’Europe que l’on ne ferait pas autrement.
12 septembre 2024
Il y a maintenant près de cent jours que des élections européennes dont au fond le résultat était parfaitement prévisible ont déclenché, à partir de la dissolution de l’Assemblée nationale par Emmanuel Macron, un bouleversement dont la France risque de mettre longtemps à mesurer les conséquences. Il y eut donc quatre semaines de campagne électorale suivies de trois semaines d’incertitude puis de deux semaines des Jeux olympiques rallongées encore de deux semaines de pause estivale et puis encore quelques semaines pour que la France retrouve un gouvernement sur lequel pèsera toutefois l’épée de Damoclès d’une censure parlementaire.
Bien d’autres pays ont connu des périodes plus longues d’incertitude et de paralysie de leur exécutif national. Mais cela pouvait être atténué par l’existence de gouvernements régionaux responsables. Rien de tel dans le modèle français centralisé : comment imaginer une rentrée scolaire sans ministre de l’Éducation nationale, un attentat sans réaction du ministre de l’Intérieur, un budget sans locataire permanent à Bercy. La pesante mécanique administrative française peut certes continuer à tourner, mais plus qu’ailleurs, le risque est grand que cela soit à vide.
À vrai dire, la situation économique durant ces cent jours n’a rien eu de bien surprenant. Globalement, la croissance économique française devrait en 2024 rester d’une honnête médiocrité de l’ordre de 1 %. Après un ralentissement au printemps, la croissance du troisième trimestre profitera d’un effet JO qui ne sera pas compensé à l’automne. La France se trouvera dans la moyenne européenne, ce qui ne met pas la barre très haut, ce dont s’inquiète à juste raison Mario Draghi (sans pour autant proposer de solutions). En réalité, nous sommes plus proches du syndrome allemand que de la quasi-euphorie espagnole… Mais l’essentiel n’est pas là, on le sait. Certes inquiétant notamment en ce qui concerne l’activité industrielle et le commerce extérieur, ce pour cent de croissance serait suffisant si les comptes publics n’affichaient une dérive dangereuse partant déjà d’une situation insoutenable et le risque de 6 % de déficit public (le double du célèbre critère de Maastricht) est bien réel. La France bat en effet des records tant en termes de dépenses que de prélèvements publics. Raisonnablement, on ne peut faire plus ni dans un sens ni dans l’autre. Ce n’est pourtant pas là le discours qui a été dominant durant ces quinze semaines. Passons sur les excès – même corrigés – du programme NFP. Mais sur presque tous les bancs de cette nouvelle assemblée, l’heure est à la dépense – un peu électorale – plus qu’aux économies. Et il est vrai que nombre de services publics sont au bord de l’asphyxie souvent plus par excès de normes, de règles et de rigidités que par manque de moyens. Mais la stérilité du débat actuel est confondante et c’est bien l’immobilité qui a dominé ces quinze semaines.
En France, les grandes élections ont presque toujours lieu en mai et juin. Depuis le célèbre New Deal de Roosevelt en 1933, on scrute les « cent jours » du nouvel exécutif, le temps de l’été justement : une sorte d’état de grâce dont il faut profiter pour agir et imprimer la direction des années à venir. Soyons honnêtes, en France, la théorie des cent jours n’a jamais vraiment fonctionné et pour citer quelques exemples célèbres récents, tant Nicolas Sarkozy que François Hollande les avaient gâchés. Mais là, ces cent jours ont été gaspillés et la faute en incombe un peu à tout le spectre politique. Et au vu des fragiles équilibres parlementaires, le nouveau gouvernement n’a guère d’espérances au-delà des affaires courantes et d’un budget qu’il faudra accoucher dans la douleur.
Au fond, ces cent jours-là ont moins bouleversé qu’ils n’ont enfoncé la France. Un temps, les Jeux olympiques ont entretenu l’illusion, mais la page en est bien tournée. Le seul mérite pourtant de cette dissolution malvenue est d’obliger les Français à ouvrir les yeux sur quelques réalités qu’ils ont voulu trop longtemps ignorer. Mais que de larmes !
11 septembre 2024
À Bruxelles comme à Paris, l’heure est à la composition de gouvernement et d’un côté comme de l’autre cela réclame tact et diplomatie.
Ursula von der Leyen a gagné quelques jours de répit grâce au retard mis par la Slovénie pour confirmer son choix de commissaire. Mais sa tâche demeure complexe tant il faut satisfaire les desiderata des pays, respecter les équilibres politiques, promouvoir les femmes sachant que cette commission sera loin de la parité et enfin tenir quand même compte des compétences des commissaires désignés par leurs pays respectifs. Une fois nommé, chaque commissaire devra être confirmé par le Parlement européen. Mais tout ce processus achevé, la Commission sera là pour cinq ans…
Michel Barnier a presque les mêmes contraintes entre hommes et femmes, jeunes et vieux, représentants des partis et personnalités plus libres, compétences aussi quand même. Les rumeurs circulent alimentées parfois par les intéressés eux-mêmes. C’est en tout cas, semble-t-il, à Matignon que tout se décide et non plus à l’Élysée. Les candidats de droite et du centre ne manquent pas, mais c’est le panachage vers la gauche, y compris chez les macronistes, qui semble plus problématique. Et puis, à la différence de la Commission, combien de temps durera le gouvernement Barnier ?
9 septembre 2024
Il y a des pays où, avec une bonne armée, on peut faire dire à peu près ce que l’on veut dans les urnes et se prétendre quand même démocrate. Pendant qu’Emmanuel Macron se débattait dans les filets qu’il avait lui-même tendus, de l’autre côté de la Méditerranée, le président Abdelmadjid Tebboune pouvait rester serein. Après avoir éliminé tous les opposants un peu crédibles, il vient effectivement d’être réélu par 95 % des votants (et un taux de participation officiel de 48 % et en réalité plus proche de 20 %). Il n’est même pas sûr qu’il ait fallu bourrer les urnes pour arriver à ce score pharaonique : les quelques votants l’ont fait de bonne foi tant le souvenir des années noires et de la terreur islamique reste prégnant. Que l’Algérie soit mise en coupe réglée par les généraux et les derniers descendants du FLN reste presque secondaire tant que la rente énergétique permet de colmater un peu les brèches sociales. Mais le prix du pétrole baisse… Peu avare de sa rente mémorielle vis-à-vis de la France, le président Tebboune ne viendra probablement pas à Paris cet automne. Les leçons de ce grand démocrate auraient probablement été utiles…
Au Venezuela, Nicholas Maduro, dont Jean-Luc Mélenchon a toujours affiché la proximité, a plus de mal à imposer sa lecture de la démocratie. Le véritable vainqueur des élections vient d’être exfiltré vers l’Espagne et, comme Tebboune, Maduro survit grâce au soutien de l’armée.
Au fond, même chaotique comme aujourd’hui en France, la vraie démocratie a du bon.
8 septembre 2024
Clap de fin pour les Jeux paralympiques. Certes, moins médiatisés que les jeux classiques, ils ont profité des mêmes infrastructures à Paris et en Île-de-France et l’engouement des spectateurs a été presque aussi intense même en ce dernier jour pour les marathons. Plus complexe, l’organisation en a éré toute aussi parfaite. Mais voilà, une semaine après la rentrée des classes, la parenthèse olympique est définitivement fermée.
Venu de nulle part, appartenant à la catégorie des grands séniors (plus de 70 ans…), un concurrent a coiffé tous les autres pour emporter l’or de Matignon. Ses principaux adversaires ont buté sur les derniers obstacles tandis que d’autres remettaient en cause le principe de cette course lancée il y a bientôt trois mois. Entre-temps, la piste s’est détériorée, des inondations budgétaires se sont déclarées et l’on risque de ne pouvoir même faire la fin de saison.
L’exercice olympique a montré ce que la France pouvait faire de mieux. L’exercice politique montre le pire, un pays auquel il manque avant tout la confiance des uns vis-à-vis des autres, ce que déjà avait analysé le philosophe américain Francis Fukuyama dans son livre « Trust » qui expliquait que faute de cette confiance, les Français demandaient tout à l’État.
Redonner confiance à des Français qui sont les premiers adeptes du « French bashing », voilà là aussi ce que n’a pas su réaliser Emmanuel Macron.
7 septembre 2024
Les manifestations organisées un peu partout en France par les Insoumis n’ont eu guère de succès au-delà du cercle des militants. C’est que les Français sont las de ce feuilleton politique estival et que – les sondages semblent le montrer – sans déborder d’enthousiasme, ils s’accommodent pour l’instant de la solution Barnier. Bien sûr, une majorité aurait préféré l’autre solution de « centre gauche », celle de Bernard Cazeneuve. Mais celle-ci a été littéralement sabotée par la ligne majoritaire au sein du PS qui a préféré s’aligner sur la position insoumise et donc sur la censure préalable. La page en est tournée et il ne sert à rien d’en cultiver les regrets, semblent dire les Français.
Ignoré de toutes les tractations de ces dernières semaines, le RN revient de fait au centre du jeu, s’arrogeant même une position d’arbitre qu’il ne manquera pas de monnayer notamment sur la question d’une part plus importante du gâteau électoral dévolue à la proportionnelle. Dans le jeu de rôle qui s’installe, on aura donc le RN dans la posture de l’opposant constructif et LFI dans celle de l’opposant à tout va. Combien de temps ses alliés dans le NFP se rendront-ils compte qu’il n’y a rien à gagner sur cette ligne si ce n’est de renforcer un peu plus Jean-Luc Mélenchon ?
Sans parler vraiment d’état de grâce, Michel Barnier a devant lui un court moment de respiration.
6 septembre 2024
L’été 2024 a été chaud ! Il l’a été du point de vue climatique avec des records de température au niveau mondial. Il a été étouffant du point de vue politique en France malgré l’incontestable « sans fautes » des Jeux olympiques. Mais dans le reste du monde, les tensions n’ont cessé un peu partout de s’exacerber : ouverture d’un nouveau front en Russie autour de Koursk (le lieu emblématique de la plus grande bataille de chars de la Seconde Guerre mondiale) ; poursuite de la guerre à Gaza, échec des pourparlers pour un cessez-le-feu et frappes israéliennes à Téhéran et au Liban ; manipulation d’élection au Venezuela et verrouillage du pouvoir par Maduro ; tensions entre la Chine et les Philippines autour de quelques îlots ; tentative d’assassinat de Donald Trump, retrait de Joe Biden et spectaculaire remontée du ticket démocrate Harris/Walz ; chute de la Première ministre au Bangladesh ; et puis encore et toujours la guerre au Soudan (la pire catastrophe humanitaire de ce siècle) et l’instabilité chronique de la bande sahélienne. La fraternité de façade des Jeux olympiques n’aura pas fait longtemps illusion (mais en a-t-il jamais été autrement ?).
Malgré toutes ses limites et l’imbroglio français, l’Europe fait quand même bonne figure. Certes divisé, le Parlement européen a renouvelé le mandat de Madame von der Leyen qui s’attaque maintenant à la subtile composition de « sa » Commission. Dans un contexte international difficile, la mécanique européenne fonctionne et parvient même (enfin !) à tenir la dragée haute à la Chine sur un dossier comme celui des véhicules électriques. Le retour au pouvoir des travaillistes au Royaume-Uni est aussi de bon augure même si au plan économique l’Europe au sens le plus large continue à peiner. La croissance pour 2024 y sera probablement inférieure à 1 % plombée par le zéro allemand. Et là, le contraste avec les États-Unis n’en est que plus frappant : les craintes de récession se sont évanouies et le bilan de Biden sur le plan économique est excellent au point que l’on peut déjà anticiper des baisses de taux à l’automne, ce qui serait favorable à la candidature de Kamala Harris face à un Donald Trump plus imprévisible que jamais et que l’on aurait tort en Europe de sous-estimer.
Mais du point de vue économique, la principale interrogation, celle qui agite les marchés et en particulier ceux de commodités, concerne la Chine. Au deuxième trimestre 2024, la croissance chinoise n’a été « que » de 4,7 %, c’est-à-dire inférieure aux objectifs annoncés. Nombre d’indicateurs sont orientés à la baisse à commencer par ceux de l’immobilier et donc de la construction, ce qui se retrouve dans les prix de l’acier et du minerai de fer. Le « modèle chinois », celui d’énormes surcapacités inondant la planète ne commence-t-il pas à trouver ses limites ? Les partenaires de la Chine en tout cas réagissent, mais la demande intérieure chinoise peine à assumer le relais. Alors même si les importations chinoises de matières premières fluctuent et au fond baissent moins qu’anticipé, le sentiment sur les marchés aura été orienté à la baisse à de rares exceptions près.
Qu’il s’agisse en effet des métaux, du pétrole ou des grains, les ours (bears) l’ont emporté sur les taureaux (bulls). Ainsi, le baril de Brent qui cotait encore $ 86,54 le 5 juillet ne valait plus que $ 73,75 le 3 septembre. En Chine, le minerai de fer était passé en dessous de $ 100 la tonne. Parmi les métaux non ferreux au-delà des affres du nickel et du lithium, le cuivre lui-même chancelait à peine au-dessus de $ 9 000 la tonne. Pour les produits agricoles, ce sont les perspectives d’excellentes récoltes (la France est là une exception) des États-Unis à l’Australie qui ont maintenu la pression à la baisse sur les marchés. Les produits tropicaux ont quand même fait exception avec des situations toujours tendues pour le café (Robusta surtout), le cacao et même le sucre. Et puis le véritable record de 2024 est à mettre au compte de l’antimoine utile pour les panneaux solaires et surtout pour les munitions malheureusement fortement demandées par les temps qui courent !
La Chine et le climat ont ainsi pesé plus lourd que les affres géopolitiques et même les incidents autour de la mer Rouge et le détour nécessaire par le cap de Bonne Espérance (augmentant ainsi les délais et les tonnages « en mer ») n’ont eu qu’un impact mineur si ce n’est sur les taux de fret des conteneurs qui ont plus que doublé.
S’il est en fait une malheureuse vedette de cet été 2024, c’est bien l’or qui a battu de nouveaux records au-delà de $ 2 500 l’once. Il reste au fond, au-delà de la saison des mariages en Inde et des achats des banques centrales, le meilleur indicateur des peurs de la planète, la « relique barbare » de Keynes qui nous rappelle à tout instant que l’humanité n’est pas sortie de la barbarie.
5 septembre 2024
Finalement, c’est le dernier nom sorti du chapeau présidentiel qui prend le chemin de Matignon. Michel Barnier va remplacer Gabriel Attal. Dire que ce choix ne fait pas l’unanimité serait un euphémisme. Jean-Luc Mélenchon en a profité – en étant le plus rapide à réagir comme d’habitude – pour refaire à son profit l’unité d’un NFP qui commençait à se lézarder. Ailleurs, les réactions, y compris chez les macronistes, étaient plus nuancées. Et c’est bien le RN qui a donné un paradoxal feu vert en ne brandissant pas une censure de principe comme il l’avait fait de Xavier Bertrand. Pour autant, Michel Barnier n’est pas un pis-aller. En un moment crucial de la vie politique européenne, il apporte à la France une incontestable crédibilité et une expérience bruxelloise qui avait cruellement manqué aux précédents locataires de Matignon. Dans la grande famille gaulliste, il a été un des proches de Jacques Chirac et par la suite a mené sa barque à Bruxelles tout en imaginant régulièrement pouvoir être un recours pour sa famille politique qui pourtant ne l’a jamais beaucoup aimé. Son âge (73 ans, celui de l’auteur de ces lignes) est une garantie contre toute ambition présidentielle. Après avoir négocié le Brexit avec Boris Johnson, on peut imaginer qu’il saura gérer tant Marine Le Pen que les socialistes, Mélenchon se mettant hors-jeu de lui-même.
Ce choix est peut-être le moins mauvais que pouvait faire Emmanuel Macron. Il reste à former un gouvernement crédible et à passer l’écueil de l’Assemblée nationale.
4 septembre 2024
Les jours se suivent… et se ressemblent tant l’impitoyable arithmétique des sièges à l’Assemblée nationale coupe les têtes même les plus prometteuses. Éliminée des instances de l’Assemblée, le RN se réveille en position d’arbitre ultime : Xavier Bertrand en est la principale victime et il ne peut guère espérer récupérer à gauche les voix nécessaires. Quant à Bernard Cazeneuve qui pourrait bénéficier de la neutralité des LR, il se heurte à l’hostilité d’Olivier Faure qui craint à juste raison que son arrivée à Matignon ne contribue à ébranler un peu plus ce qui reste du PS. De fait, ni Bertrand ni Cazeneuve ne passeraient le cap d’une motion de censure et seraient renversés par l’alliance improbable des extrêmes. Comme il est impossible d’amadouer les mélenchonistes, il faut trouver un profil qui ne déclenche pas un tir de barrage immédiat du RN. En cette journée deux noms ont circulé : celui de David Lisnard et surtout celui de Michel Barnier, certes un politique, mais relativement éloigné de la scène nationale et tout auréolé de sa réussite dans la négociation du Brexit avec le Royaume-Uni. C’est incontestablement un homme de consensus dont le profil un peu terne ne ferait pas trop d’ombre au château… Il faisait la une des journaux télévisés du soir. Jusque-là ce n’était pas un bon présage pour les interessés.
3 septembre 2024
Toujours pas de fumée blanche, mais au contraire quelques nuages noirs, ceux du déficit budgétaire et donc de la dette. À Bercy, on envisage, en effet maintenant, non plus 5,1 %, mais 5,6 % de déficit public. La faute n’en est pas à la croissance qui reste d’une honnête médiocrité (1,1 %) avec un petit effet JO qui s’effacera bientôt. Cependant, les recettes (TVA, impôt sur les sociétés) sont un peu inférieures aux attentes. Mais, l’essentiel est la dérive des dépenses et en particulier celles des collectivités locales, notamment les communes et les départements : il est vrai qu’en ce domaine, le millefeuille territorial français s’en donne à cœur joie tant sur le fonctionnement que sur l’investissement. Bruno Le Maire avait bien essayé de « raboter », mais dès le printemps, les péripéties politiques ont commencé à paralyser l’exécutif. Il reste effectivement des crédits gelés pour 2024 (€ 16 milliards soit l’équivalent de la dérive des collectivités locales) et le gouvernement à venir devra arbitrer et répondre quand même aussi aux légitimes injonctions bruxelloises.
Certains des visiteurs de l’Élysée sont conscients de la situation. Tel n’est pas le cas de tous, ni à gauche ni à droite. Les promesses – le programme du NFP en particulier – sont dans ce contexte plus surréalistes que jamais alors que, à politiques inchangées, la France s’installerait au-dessus des 6 % de déficit public dès l’année prochaine ! Pendant ce temps, le ballet des visiteurs se poursuit au palais. Surréaliste aussi…
2 septembre 2024
Jour de rentrée. Les Jeux paralympiques se poursuivent dans une remarquable ambiance populaire. À l’Élysée, les consultations ont repris et Cazeneuve et Bertrand, Sarkozy et Hollande ont eu droit à leur audience. Mais rien, si ce n’est une nouvelle « fuite » en la personne d’un quasi-inconnu, Thierry Beaudet, un ancien instituteur qui a fait ses classes dans le monde mutualiste et qui est le président d’une institution dont l’utilité peut laisser dubitatif (si ce n’est pour y placer d’anciens amis), le Conseil économique, social et environnemental (CESE). Celui-ci rejoint donc la liste déjà longue des noms de quasi-inconnus dont l’étoile s’est levée avant que de disparaître de l’horizon.
Centre droite (Bertrand ?), centre gauche (Cazeneuve ?) ou bien personnalité de la société civile plus malléable aux directives de l’Élysée et surtout moins prompte à détricoter ce qui reste de l’héritage macroniste. Emmanuel Macron manifestement ne sait, ne peut, ni ne veut trancher. Mais le temps fait son œuvre et il n’est plus le maître des horloges. C’est désormais sa crédibilité qui est en jeu et son indécision n’est plus seulement une faute, mais un crime politique, l’assassinat en règle de la constitution.
31 août 2024
Fallait-il aller en Serbie pour vendre quelques Rafales à un pays pour le moins ambigu dans son jeu de balance entre l’Europe et la Russie (ce qui n’a rien de nouveau, la Serbie ayant eu des responsabilités majeures dans le déclenchement de la Première Guerre mondiale…) ? Mais, au moins, ce déplacement aura-t-il eu le mérite de changer les idées d’un Emmanuel Macron qui ne cesse de retarder le choix fatidique du locataire de Matignon. La décision devait être prise avant l’ouverture des Jeux paralympiques, mais point de fumée blanche alors. Une chose en tout cas semble sûre : le miracle d’apaisement des JO ne se reproduira pas. Les vacances sont terminées ; les enfants vont rentrer en classe ; la météo elle-même est capricieuse ; l’opinion se retourne contre un maître des horloges dépassé par les conséquences de cette dissolution qui lui file entre les doigts.
Alors dans le calme du pavillon de la Lanterne, il ne peut que retourner les termes d’une équation impossible. Aucune combinaison ne pourra être à l’abri d’une motion de censure tant en France les ambitions politiques personnelles l’emportent sur l’intérêt commun qui devrait être celui d’une « grande coalition ». Celle-ci semblant exclue, on en revient à la tentation d’une personnalité indépendante à l’écart du bourbier politique. Certains pensent ainsi à Christine Lagarde, mais il lui faudrait une bonne dose d’abnégation pour quitter la quiétude de Francfort (et l’influence française en Europe s’en trouverait un peu plus diminuée).
Une certitude semble en tout cas peu à peu s’imposer. La réalité du pouvoir va quitter l’Élysée et se trouver à Matignon avec l’épée de Damoclès d’une motion de censure et donc la nécessité de compromis avec le Palais Bourbon. De l’autre côté de la Seine, en son palais jupitérien, Emmanuel Macron ne pourra que « regarder monter en un ciel ignoré du fond de la Seine des étoiles nouvelles »
(pardon à J.M de Heredia de ce plagiat des Conquérants).
26 août 2024
La dernière semaine d’août commence avec toujours un gouvernement « démissionnaire ». Ce qui apparaît presque normal en Belgique (où la recherche de gouvernement a commencé le 9 juin…) devient de plus en plus inconfortable en France. Le président a reçu tous les partis politiques. Certes J. L. Mélenchon a avancé le principe d’un gouvernement NFP sans ministres LFI (pardon pour les acronymes) sur le modèle de 1936 sans le PCF, mais cela ne trompe personne. La nouvelle échéance serait celle de l’ouverture des Jeux paralympiques, mais on commence à douter et la réalité est celle d’une impasse. Des noms circulent, vont et viennent : Bertrand, Cazeneuve, d’autres encore…
Les vacances se terminent. Les Jeux et leurs parenthèses magiques sont déjà oubliés. C’est l’heure des « universités d’été », des rassemblements de partis ou de ce qu’il en reste. Les hypothèses les plus incongrues circulent. À l’exception de quelques ultimes fidèles, Emmanuel Macron est seul face à une feuille blanche dont il a gommé toutes les solutions. Les échéances approchent notamment celle du budget, mais au fond rien ne semble altérer l’impression de vide qui a saisi la France.
Dormez en paix, bonnes gens, mais les dernières lumières vacillent.
24 août 2024
En ce jour de la Saint-Barthélemy, en l’abbaye de Randol, au cœur de la chaîne des Puys, Alexis, un jeune moine bénédictin, petit neveu de l’auteur de ces lignes, était ordonné prêtre. Dans la France chrétienne de ce XXIe siècle, c’est en effet chose bien rare que d’assister à pareil engagement, et cela dans une communauté fidèle aux plus anciennes traditions monastiques, loin des temps modernes, dans un repli sur le travail et la prière (ora et labora !).
Le choix monastique a de quoi interpeller tant il tranche sur la frénésie de nos vies quotidiennes. Certes les monastères sont visités et on aime à y faire de courtes retraites. Mais l’engagement à vie dans une communauté soumise à l’austérité de la règle bénédictine est autre chose. On touche là un mystère, celui de la place de la prière dans l’existence, celui de l’influence mystique, celui aussi du don de soi dans le silence d’une abbaye. Cette interrogation, cet émerveillement aussi, est commun à l’ensemble des expériences religieuses.
Sur ces monts auvergnats, en cette chaude journée soufflait l’Esprit et puis aussi une main tendue vers l’absolu.
22 août 2024
Il a été longtemps l’homme politique le plus marquant du Pays basque. Didier Borotra vient de décéder à l’âge de 87 ans. Il était exemplaire de ces hommes politiques pour lesquels l’ancrage territorial était essentiel. Sénateur-maire de Biarritz pendant plus de vingt ans, un cumul aujourd’hui malheureusement impossible, il a été à l’origine de la renaissance d’une station balnéaire dont l’étoile n’avait cessé de pâlir depuis le temps de sa gloire impériale. Il avait permis que Biarritz échappe en partie aux bétonneurs qui ont massacré tant de rivages du Touquet à La Baule. Il avait su donner à Biarritz une nouvelle stature internationale en l’ouvrant un peu plus vers l’Amérique latine en profitant de tous les réseaux de l’immigration basque. Ancré dans la démocratie chrétienne, il avait su composer avec toutes les tendances politiques, n’hésitant pas par exemple à s’allier aux « abertzale » pour conquérir Biarritz.
Lors de nos conversations (nous étions beaux-frères par alliance), il me rappelait toujours la vanité des carrières politiques « parisiennes » et l’importance de réaliser du concret, sur le terrain dans « sa » ville. En France, trop de grands féodaux l’ont oublié en rêvant des ors de la capitale. Avec Didier, c’est un peu de ce bon sens qui disparaît.
19 août 2024
Retour donc sur terre après le week-end du 15 août (se souvient-on qu’il s’agit d’une fête catholique, l’Assomption de Marie ?). Emmanuel Macron a décidé de manifestement prendre son temps puisque ce n’est que vendredi qu’il recevra les chefs de partis et de groupes parlementaires. Alors que LFI le menace d’une bien improbable procédure « d’impeachment » et que, malgré elle, Lucie Castets sert désormais de repoussoir, des noms plus « sérieux » continuent à circuler : à Xavier Bertrand et Bernard Cazeneuve sont venus s’ajouter Valérie Pécresse et puis aussi le maire de Saint-Ouen, Karim Bouamrane, un socialiste de terrain. La vérité est que nul ne sait. Certes, Emmanuel Macron a la « main », mais cette main est contrainte par l’arithmétique parlementaire. Si on peut estimer presque acquise la participation des LR à une coalition plus ou moins centriste, celle-ci n’a de chance de passer l’écueil d’une motion de censure que dans l’hypothèse où suffisamment de socialistes la soutiennent ou s’abstiennent. Le paradoxe est bien celui-là : certes moribond, le PS est la clef de toutes les combinaisons politiques à venir et plus exactement la capacité des sociodémocrates à s’affranchir du joug d’Olivier Faure.
Faites vos jeux…
16 août 2024
La bataille fait rage sur la route de Koursk, plus de quatre-vingts ans après ce qui fut la plus importante bataille de troupes blindées de l’histoire. Durant l’été 1943, l’Allemagne, après l’échec de Stalingrad, chercha à reprendre l’offensive en éliminant le « saillant » de Koursk par une manœuvre en pinces en attaquant à la fois par le nord et le sud. Trop tardive, sans effet de surprise, cette attaque fut un échec dans lequel l’Allemagne engloutit un armement précieux (d’un côté comme de l’autre, plus de 2 000 chars furent engagés).
C’est donc là, vers Koursk et Belgorod, que l’Ukraine a frappé, créant un front de diversion par rapport au Donbass et surtout portant la guerre sur le territoire russe. Il semble bien qu’à la différence de 1943, l’effet de surprise ait joué, illustrant aussi la faible capacité de réaction d’une armée russe toute concentrée sur le sud. On est là, bien entendu, dans le symbolique, mais l’Ukraine avance des pions dans la perspective d’une future négociation de paix dont pour l’instant on ne voit guère les contours.
À Koursk, l’Allemagne avait perdu toutes ses capacités d’offensive. Espérons que l’Ukraine n’ait pas surestimé ses propres capacités et surtout la volonté de ses alliés.
12 août 2024
Voilà… les derniers feux de la fête olympique se sont éteints. Le bilan est extraordinairement positif, bien au-delà des rêves les plus fous des organisateurs et surtout des prévisions des cassandres qui s’étaient accumulées ces derniers mois.
Aucun accroc sécuritaire, une organisation parfaite, une météo optimale, quoique peut-être un peu trop chaude, un public enthousiaste même pour les « petits » sports, Paris et sa région sous leurs plus beaux atours. Dans l’euphorie, certains n’hésitaient pas à proposer Matignon à Tony Estanguet, le grand organisateur de ces jeux et, au fond, l’idée est moins absurde qu’il n’y paraît tant il a su concilier presque toutes les tendances politiques en faveur d’un seul objectif : la réussite de ces Jeux.
L’effet « organisateur » et pays hôte a aussi joué au classement des médailles malgré de cruelles déceptions en athlétisme, aviron et cyclisme sur piste. La Marseillaise a retenti, on s’est passionné pour le ping-pong, l’escalade, le BMX ou le pentathlon moderne… On s’est tant passionné que l’on en a oublié la situation politique. La trêve olympique a tourné au miracle, mais il faut bien maintenant revenir sur terre.
Il y a encore le long week-end du 15 août propice à de nouvelles commémorations (le débarquement de Provence et une occasion de célébrer ce qui reste du précarré africain) et puis dans une semaine, il faudra bien trancher et envoyer à Matignon un volontaire à la recherche d’une improbable majorité de compromis.
C’est que, aussi ailleurs, la trêve olympique n’a pas existé : l’Ukraine vient de lancer une offensive de diversion sur la Russie ; à Gaza, la situation s’enlise et l’on attend aussi la riposte iranienne à la frappe israélienne sur le chef du Hamas à Téhéran ; la seule bonne nouvelle est la remontée de Kamala Harris dans les sondages américains sur fond de bonnes nouvelles économiques.
Les marchés d’ailleurs hésitent : les bourses viennent de connaître une correction majeure, mais au fond assez légitime ; la crainte e récession aux États-Unis n’est guère fondée, mais par contre, celle d’un ralentissement chinois est plus légitime. La plupart des marchés de matières premières, à commencer par le pétrole, sont orientés à la baisse…
Dormez en paix, bonnes gens… mais il serait temps d’organiser la relève de la garde…
6 août 2024
Le Bangladesh ? 170 millions d’habitants pour l’essentiel musulmans (mais d’un islam très souple) sur le quart de la France, un gigantesque delta du Gange, du Brahmapoutre et de la Meghna, quelques montagnes au nord vers Sylhet et des collines au sud vers la Birmanie. Au lendemain de la partition de l’Inde, ce fut d’abord le Pakistan oriental qui gagna son indépendance en 1971 avec le soutien de l’Inde. C’était alors le pays le plus pauvre du monde. Son père fondateur, Mujibur Rahman, se révéla incapable de limiter la corruption et fut assassiné en 1975. Par la suite, l’histoire du Bangladesh a été fertile en coups d’État et l’un des successeurs de Mujib, le général Ziaur Rahman fut assassiné en 1981. En 1991, on assista à un retour à la démocratie parlementaire et depuis, la scène a été dominée par deux femmes, Khaleda Zia (la veuve de Ziaur Rahman) à la tête du BNP (Bangladesh National Party) de 1991 à 1996 puis de 2001 à 2008, et Sheikh Hasina (la fille de Mujibur Rahman) à la tête du parti historique l’Awami League, de 1996 à 2001 et depuis 2009.
Au-delà de leur antagonisme, elles ont réussi à transformer le pays qui est probablement l’une des plus belles – et les plus méconnues – histoires de développement de ces cinquante dernières années : le Bangladesh a ainsi le revenu per capita le plus élevé de toute l’Asie du Sud. D’une économie essentiellement agricole (riz et jute), ne disposant de pratiquement aucune ressource naturelle, le Bangladesh est devenu l’un des principaux pôles de l’industrie textile mondiale. Le taux de pauvreté qui était de 80 % en 1971 n’était plus que de 13 % en 2021 et le contraste était grand avec le chaos qui régnait au Pakistan.
Peu à peu cependant, le régime se transforma et Sheikh Hasina se comporta de plus en plus comme une autocrate, n’hésitant pas à faire condamner sa rivale Khaleda Zia à de la prison. L’Awami League monopolisa les prébendes avec des systèmes de quotas de postes réservés aux familles des combattants de la guerre de 1971 (un peu comme se comporte le FLN en Algérie). Hasina poursuivit aussi de son animosité le bengali le plus célèbre au monde, le prix Nobel de la paix, Mohamed Yunus, celui qui avait développé le microcrédit et fondé la célèbre Gramecen Bank. Par contre, elle décida d’accueillir les réfugiés musulmans de Birmanie, les Rohingyas, persécutés par la majorité bouddhiste de ce pays.
C’est une révolte étudiante qui finalement a renversé Sheikh Hasina. Après plusieurs jours d’émeute et alors que l’armée – et même la police – commençait à l’abandonner, elle s’est enfuie vers l’Inde. L’armée s’apprêtait à confier le pouvoir à Mohamed Yunus qui apparaît un peu comme l’homme providentiel capable de sauver la démocratie, mais en même temps de prolonger et le miracle économique bengali et de conjurer une éventuelle menace islamique.
Cinquante ans à peine après son indépendance, le Bangladesh a donc eu une histoire politique chaotique comme nombre de pays issus de la décolonisation. Mais, à la différence de la plupart d’entre eux, il raconte aussi une histoire de développement économique réussi. Sa chance aujourd’hui est d’avoir un homme providentiel qui pourra peut-être enfin permettre de conjuguer démocratie et croissance économique. Il réalisera ainsi le rêve d’un autre prix Nobel bengali, Tagore (le premier prix Nobel de littérature non occidental) dont André Gide avait traduit « L’offrande lyrique ».
3 août 2024
« La France apaisée, premier miracle olympique ». La une, ce matin, du journal de Genève « Le Temps », résume bien l’espèce de béatitude dans laquelle se trouve plongé l’hexagone après une semaine de Jeux.
Les médailles s’accumulent et les Français se passionnent pour les exploits de Léon et de Teddy sans oublier ceux des frères Lebrun qui donnent une nouvelle jeunesse à notre vieux ping-pong. Et que dire du cyclisme et de la course dans Paris avec l’ascension de la célèbre rue Lepic et le passage devant la basilique de Montmartre (et là encore, deux médailles françaises) ? Pour l’instant, l’organisation est parfaite, les lieux choisis, de la Concorde au Champ-de-Mars, emblématiques et seule la qualité de l’eau de la Seine est venue gâcher un peu la fête. Nos amis suisses s’étonnent de la capacité des Français de passer aussi vite de l’autodénigrement à la ferveur (et il est exact que l’enthousiasme du public en est contagieux). Les hommes et femmes politiques ont presque disparu des ondes et des antennes. La France est heureuse, un peu comme à l’époque d’Amélie Poulain, le film qui avait lui aussi transformé Paris. Sachons profiter de ces instants, car il n’est pas sûr que les Jeux paralympiques suscitent la même ferveur. Et reviendront vite les sanglots de l’automne.
1er août 2024
Les Jeux olympiques et la canicule ont eu, comme anticipé par Emmanuel Macron, un effet anesthésiant sur la vie politique française. Léon Marchand et quelques autres ont contribué à redonner aux Français une certaine fierté et à faire oublier les problèmes de l’heure tant nationaux que mondiaux.
Si la France se gorge de médaille, la scène politique française affiche un calme presque plat. La tournée de Lucie Castets n’a pas rencontré le succès escompté. Quelques noms, celui de Xavier Bertrand, notamment, circulent pour essayer de composer à Matignon un gouvernement de coalition. Car les dossiers s’accumulent : on a oublié par exemple la Nouvelle-Calédonie où la fermeture désormais inéluctable de Koniambo, l’usine du nord, celle de la province indépendantiste, va accentuer un peu plus le marasme économique et les tensions politiques. Il va falloir aussi préparer les échéances budgétaires, mais qui va envoyer les lettres de cadrage préparées à Bercy ? La seule initiative a été celle d’Emmanuel Macron de reconnaître – de facto – la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental et de changer ainsi son fusil d’épaule entre Rabat et Alger.
Et à l’international, les tensions s’accumulent et la trêve olympique n’existe pas autour d’Israël dont les frappes à Beyrouth et Téhéran risquent d’avoir de lourdes conséquences dans toute la région. En Ukraine, la guerre se poursuit avec une lente, mais inexorable progression de l’offensive russe. Autour de quelques îlots, la Chine teste la résistance des Philippines et donc des États-Unis. La Chine et la Russie ont d’ailleurs reconnu la réélection de Maduro au Venezuela dans une véritable solidarité des autocraties (le Brésil a quand même pris ses distances).
Quel contraste entre ce monde-là et celui – presque de bisounours – des Jeux olympiques !
28 juillet 2024
Voilà ! Il y a cinquante jours au soir d’élections européennes calamiteuses pour les siens, Emmanuel Macron décidait de dissoudre l’Assemblée nationale. Rien ne l’y obligeait si ce n’est la forte probabilité d’une motion de censure qui renverserait le gouvernement Attal à l’automne au moment du débat budgétaire. Le pari était aussi de profiter du désarroi à gauche, du bon score, de Glucksmann au recul des Insoumis et des Verts. Rien ne s’est déroulé comme prévu : si la grand peur du RN ne s’est pas concrétisée, un inattendu Front populaire s’est constitué en quelques jours et a instrumentalisé à son profit le rejet suscité dans l’électorat modéré par la « droite nationale ». Mais surtout, Emmanuel Macron a perdu le contrôle de ses troupes, nombre de « marcheurs » des origines ne se reconnaissant plus dans les filets distendus de la macronie. De facto, la France s’est trouvée paralysée, fonctionnant seulement sur son élan, ce qui, du moins, aura pu sauver l’organisation des JO et là l’image de la France, qui pour le reste fait bien sourire le reste du monde qui avait tant subi son arrogance passée.
Oh, certes, si Emmanuel Macron est bien le responsable ultime de ce chaos, il n’est pas pour autant le seul coupable. Que dire, en effet, de Jean-Luc Mélenchon qui entraîne ses troupes dans une sorte de nihilisme économique irrespirable ? Mais, à la limite, il est dans son rôle, tout comme à l’autre extrême, le sont Marine Le Pen et Jordan Bardella. Dans cette tragi-comédie du pouvoir, ils sont bien les seuls – ou presque – à avoir tenu la place que l’on pouvait attendre d’eux.
Car pour tout le reste, que de petitesses, que de trahisons et de coups bas motivés par l’instinct de survie propre aux politiques, mais aussi par des ambitions en particulier pour la présidentielle de 2027… ou avant.
Emmanuel Macron, aidé quelque peu par la chance, avait réussi à éviscérer les deux partis de gouvernement qui avaient dominé la vie politique française depuis les années soixante. Mais il fut incapable de faire des Marcheurs puis d’Ensemble (la pauvreté des mots en dit long d’ailleurs sur le caractère secondaire du projet) un véritable mouvement politique. Sur ce champ déjà dévasté, la dissolution n’a fait que semer un peu plus le chaos. Les Jeux ont à peine commencé que dans les couloirs d’une Assemblée ouverte aux quatre vents, tractations et discussions reprennent pour trouver quelque improbable « minorité de compromis » en mesure de mener la discussion budgétaire de l’automne.
Le récit de ces tâtonnements et autres retournements devient quelque peu vain et la chronique quotidienne bien lasse. Ces cinquante journées ont effectivement bouleversé la France et, au-delà de la trêve olympique, l’horizon est bien bouché avec une chambre tirée à hue et à dia, au moins jusqu’en juin 2025.
Il y a quelques jours, Hervé Gaymard, le président de la fondation Charles de Gaulle, citait dans son éditorial un extrait de celui qui fut dans les années cinquante l’impitoyable observateur du marécage français. Dans son bloc-notes du 23 avril 1958, François Mauriac écrivait : « Comment ce peuple supporte-t-il encore l’espèce de ballet dansé autour de l’Élysée, sur le thème de la crise, et qui excite la risée du monde (…) suspendue à cette chorégraphie élyséenne, à ce quadrille dansé par des bourgeois de Labiche qui s’appellent “président”, se congratulent, se ménagent, se haïssent, à cette partie dont la règle comporte comme premier article qu’il faut prendre son temps pour gagner du temps : la crise est là comme une grosse citrouille pas mûre. L’univers doit attendre qu’elle ait mûri. D’où les tours de piste pour rien, les consultations, non, bien sûr en vue d’une politique, mais d’un accord sur une formule, la recherche de l’équivoque bénie qui permettra à des adversaires irréductibles de feindre de s’entendre dans les mots, et de former une équipe dont l’unique pensée commune sera qu’il est tout de même bel et bon d’être ministre, mais où dès le premier jour chacun tirera à hue et à dia ; et ce temps gagné pour la citrouille est perdu et peut-être à jamais perdu… »
Quelques semaines plus tard, la France sortait par le haut avec le général de Gaulle, mais hérita plus tard aussi d’une constitution dont nous subissons aujourd’hui toutes les ambiguïtés.
Alors que la chaleur et même la canicule s’abattent sur la France, c’est un été bien étrange qui se poursuit, à la recherche d’une espérance perdue.
27 juillet 2024
Les Jeux ont bien commencé et effectivement la politique est passée au second plan. Emmanuel Macron a quand même visité quelques athlètes, mais en de multiples endroits en Île-de-France et dans quelques stades du reste du pays, c’est le sport qui a repris le dessus. Et c’est surtout le moment de gloire des « petits » sports, ceux qui sont peu médiatiques et dont les champions sont presque de vrais amateurs. Certes, on peut se passionner pour le basket ou le tennis, mais comprendre le tir à l’arc, le badminton ou même l’escrime, c’est autre chose. Et pourtant, ce sont ces athlètes-là qui font l’essentiel des délégations qui ont « défilé » hier soir sur la scène.
Cette journée a apporté quatre médailles à la France puisqu’il est difficile de ne pas se prêter à ces comptes quelque peu chauvins. Il y eut surtout la médaille d’or du rugby à 7, une version « light », mais très rapide du rugby aux antipodes (au propre et au figuré puisqu’il est surtout pratiqué en Océanie) du rugby rugueux pratiqué en nos terres du Sud-Ouest. Tant mieux, mais on en était presque désolé pour ces Fidjiens qui ont vu s’envoler leur seule chance d’or olympique.
Mais en cette journée, on ne peut s’empêcher de penser à un pays qui se prépare demain pour une élection capitale : on va en effet, voter au Venezuela et il y a des chances que Maduro, un ami de Mélenchon, qui n’a apporté que ruines à son pays, soit battu. Mais acceptera-t-il le verdict des urnes ?
26 juillet 2024
Le grand jour est donc arrivé, celui de l’ouverture des Jeux et de la célébration de Paris en majesté. Mais commençons quand même par les mauvaises nouvelles : au petit matin, quatre attentats parfaitement orchestrés ont paralysé une grande partie du réseau TGV français. En des endroits clefs, à un moment où aucune victime ne serait déplorée, des fibres optiques indispensables à la signalisation ont été sabotées. Par qui ? On pense bien sûr à la Russie, à certains mouvements d’ultragauche…
Un peu plus tard, l’UE lançait formellement une procédure pour déficit excessif contre sept pays, dont la France.
Enfin, il y eut la pluie ! Un crachin d’abord, puis une pluie drue, mais qui ne parvint pas à gâcher le spectacle. Celui-ci fut à la hauteur des attentes. Certes, il y aura toujours des esprits chagrins pour critiquer, avec raison, certain choix : réduire la Conciergerie à la seule Marie-Antoinette tenant sa tête dans ses mains sur fond de « heavy metal » était tout aussi excessif que certaines sènes excessivement « genrées » : on débattra longtemps de savoir si l’inspiration de la scène dont les personnages étaient des « drag queens » était la Cène de Léonard de Vinci ou un banquet des dieux autour de Bacchus. Jean-Luc Mélenchon que l’on ne peut taxer de partialité a d’ailleurs regretté tant le choix de Marie-Antoinette que l’offense faite aux milliards de chrétiens de la planète. Il aurait pu fustiger aussi le passage dans les ateliers Vuitton, sponsors des Jeux ! Mais le final autour de la tour Eiffel fut grandiose et Céline Dion interprétant Piaf était poignante. Malgré quelques fautes de goût, paradoxalement oubliées grâce à la pluie, la mise en scène de Paris, devenu le personnage principal des Jeux fut une réussite et la politique enfin se trouva quelque instant relégué au second plan.
25 juillet 2024
Peu à peu, l’imbroglio politique français semble s’estomper au profit de l’agenda des J.O., ce qui n’est pas pour déplaire à un Emmanuel Macron qui préfère manifestement appeler par leur prénom organisateurs et athlètes que ses éventuels partenaires politiques.
Après les patrons des grandes entreprises partenaires des Jeux reçus à déjeuner, ce fut le dîner de gala offert aux chefs d’État et aux apparatchiks du CIO et des fédérations sportives internationales. La « trêve olympique » a bien commencé… Pour autant, les discussions se poursuivent en coulisse. Il semblerait que quelques fissures commencent à apparaître chez les sociodémocrates, notamment chez des proches de François Hollande. Par contre, Lucie Castets maintient une position que l’on peut qualifier de mélenchonienne… Quelques noms circulent aussi pour une coalition de centre un peu gauche : Xavier Bertrand, Bernard Cazeneuve, François Bayrou même… On a aussi parlé de Louis Gallois pour un profil « techno de gauche », mais son âge (80 ans) paraît disqualifiant. Certains vont jusqu’à imaginer un retour de François Hollande en citant le précédent de Raymond Poincaré, il y a un siècle…
Au même moment, des économistes du Conseil d’analyse économique (le CAE) viennent de publier une note évaluant les efforts que devrait faire la France pour ramener son déficit primaire à zéro voire pour dégager un léger surplus : il faudrait économiser 112 milliards d’euros (4 points de PIB) sur un horizon de sept ans et cela en privilégiant les baisses de dépenses aux hausses d’impôts. On est là bien loin du programme du NFP !
24 juillet 2024
Avant même que les Jeux ne soient officiellement ouverts, certaines compétitions ont déjà commencé dans les stades de province : en football, les « Bleuets » ont ainsi difficilement battu les États-Unis et en rugby à 7, les tricolores ont fait match nul avec ces mêmes Américains. Signe du destin ?
Sur le plan politique, Emmanuel Macron ne bouge donc pas et le NFP, fort de sa candidate, est à la manœuvre au moins en ce qui concerne les Insoumis. C’est la question des retraites qui est devenue l’objet d’une véritable course à l’échalote entre Insoumis et RN, les uns et les autres faisant assaut de démagogie en un moment pourtant où tant le COR que le Comité de suivi des retraites (CSR) insistent sur l’augmentation des risques de déficit du système à moyen terme. Qu’à cela ne tienne, tant nos populistes sont persuadés de tenir là un sujet qui balaie large dans leur électorat. L’important est de savoir qui va tirer le premier : les Insoumis ont déposé une proposition de loi portant sur l’abrogation de la réforme de 2023. Mais, en fait, c’est le RN qui pourrait en avoir la primeur en utilisant sa niche parlementaire prévue le 31 octobre. Manifestement, Marine Le Pen a enterré les doutes de Jordan Bardella lorsque celui-ci se préparait pour Matignon et commençait à remettre en cause ses promesses les plus dispendieuses. Et effectivement, la coalition NFP/RN pourrait l’emporter même si quelques socialistes « réalistes » s’en abstenaient. On comprend d’ailleurs là le choix de Lucie Castets dont les premières déclarations ont porté sur l’abrogation de cette malheureuse loi, accouchée aux forceps, insuffisante déjà et que des inconscients voudraient rayer d’une plume rageuse en faisant miroiter le retour à 60 ans, cet âge symbolique issu du Programme commun de 1981. Le problème est que sur ces quarante dernières années, l’espérance de vie à la naissance a gagné dix ans, atteignant désormais 80 ans pour les hommes (le rythme est d’ailleurs régulier depuis le début du XXe siècle : un trimestre de mieux chaque année !). En France aussi, malgré un taux de fécondité longtemps resté un des plus élevés d’Europe, la pyramide des âges ressemble de plus en plus à une toupie !
Tout ceci, on le sait et Madame Castets a dû aussi l’apprendre sur les bancs de l’ENA. Mais en ce domaine comme en bien d’autres, le temps n’est plus à la raison et l’environnement politique s’y prête moins que jamais.
23 juillet 2024
Emmanuel Macron avait programmé un entretien télévisé ce soir pour faire le point de la situation politique et surtout parler des Jeux olympiques, de leur cérémonie d’ouverture, de la flamme ultime peut-être portée par Marie-Josée Perec et même la présence signalée à Paris de Céline Dion. Pour quelques semaines, le président reprenait la main et pouvait même s’offrir le luxe de donner des conseils en matière de constitution de coalition : un satisfecit presque parfait de la part de notre apprenti sorcier qui put même le luxe de regretter l’absence de représentation du RN dans les instances de l’Assemblée, pourtant cautionnée par les « macronistes ».
Mais voilà, le NFP s’est enfin réveillé pour gâcher la fête, deux heures avant la prestation d’Emmanuel Macron : une fumée blanche est sortie de la cuisine de gauche ; Lucie Castets. C’est à vrai dire une parfaite inconnue et on peut soupçonner les Insoumis d’avoir accepté de mettre en avant cette énarque, haut fonctionnaire à la mairie de Paris (où elle est responsable de finances peu exemplaires…) et même professeur associée à Dauphine, pour mettre l’échec de la gauche au compte d’Emmanuel Macron. En écoutant un peu plus tard Marine Tondelier, on se dit que, puisque le NFP voulait absolument une femme, la représentante des Verts eut été beaucoup plus difficile à balayer d’un revers de la main par Emmanuel Macron.
Pour le reste, Macron a donc fait du Macron, intelligent, mais hors sol, ambigu et renvoyant à août, voire septembre, toute décision, mais en tendant quand même de manière assez appuyée la main à droite. Mais pour l’instant, place aux Jeux et Céline Dion éclipse Lucie Castets !
22 juillet 2024
La comparaison entre la France et les États-Unis trouve ses limites. En quelques heures, Kamala Harris a pris son destin en main. Elle est pratiquement assurée d’obtenir l’investiture démocrate et, signe qui ne trompe pas, les engagements financiers sont plus que jamais de retour. Il lui reste à choisir son colistier, probablement un gouverneur démocrate de l’un des « swing states » de l’Est qui permettra d’équilibrer ses racines californiennes. Pour l’instant, elle fait la course derrière Trump, mais en cent jours, bien des choses peuvent évoluer avec des questions brûlantes comme celle de l’avortement.
En France, par contre, c’est toujours le marécage. Laurence Tubiana a pris acte du refus des Insoumis de l’adouber et s’est retirée de la course à l’investiture. Malgré un appel à un vote des députés du NFP, il y a peu de chances que la gauche soit capable de sortir un nom de son chapeau. À droite, les choses ne sont guère plus claires. Les républicains (qui ont encore changé de nom) ont proposé les grandes lignes d’un pacte législatif, mais Laurent Wauquiez – qui a 2027 en point de mire – refuse de s’engager à quelque exercice gouvernemental que ce soit. Dans les faits, la France reste paralysée et ingouvernable avec aux manettes un « exécutif » qui ne peut rien exécuter. Au fond, les Jeux olympiques sont une chance et un prétexte pour passer l’été et remettre à l’automne des choix dont on peine aujourd’hui à imaginer les contours.
21 juillet 2024
Un dimanche de juillet presque calme. Les Insoumis, désormais déchaînés, reprennent leurs provocations gratuites cette fois à l’égard des athlètes israéliens qui, dans quelques jours, vont participer aux Jeux olympiques. Ce serait puéril si l’on n’avait pas en mémoire Septembre noir et les JO de Munich en 1972. Ce sont les mêmes qui, il y a deux jours, refusaient de serrer des mains…
Aux États-Unis, par contre, tout est en ébullition avec l’annonce du retrait de Joe Biden de la course à la présidence : une lettre sobre et puis dans un second temps le soutien à Kamala Harris, sa vice-présidente et colistière. Joe Biden a pris la bonne décision, certes un peu tard et sous la contrainte. Il restera en tout cas un grand président. Il avait mal commencé avec le catastrophique retrait d’Afghanistan, mais par la suite, il a bien géré la barque américaine en de nombreuses tempêtes. Il a contribué à la relance de l’économie et n’a pas hésité à tenir un langage de fermeté face à la Russie et à la Chine. À l’heure du bilan, Biden l’emporte paradoxalement sur Obama. Mais, comme Obama, il n’a pas su gérer sa succession, ouvrant lui aussi, la voie à Trump. Il faut maintenant attendre la convention démocrate de Chicago en août pour savoir si Kamala Harris sera confirmée. Quelques semaines difficiles pour les États-Unis, un peu au fond comme celles que traverse la France depuis la dissolution !
20 juillet 2024
La mise à l’écart du RN s’est donc poursuivie et finalement le plus important groupe parlementaire de l’Assemblée n’aura rien obtenu, pas le moindre strapontin, là où les Insoumis ont deux vice-présidences et conservent pour Eric Coquerel la présidence de la commission des Finances (les Insoumis et donc le NFP s’estimant donc dans l’opposition…). On voudrait faire des élus du RN des martyrs pour leur électorat que l’on ne s’y prendrait pas autrement. On pense bien sûr à la phrase apocryphe de Voltaire : « Je ne suis pas d’accord avec vous, mais je me battrai pour que vous ayez le droit de le dire ». L’inscrire aujourdhui au fronton de l’Assemblée serait une œuvre pie !
Pour le reste, à une semaine des Jeux, la fièvre monte et cela aura au moins le mérite de mettre une sourdine aux jeux politiciens. La France, selon toute probabilité, va passer l’été aux « affaires courantes » et Emmanuel Macron en son palais, aura tout loisir d’analyser la nouvelle donne qu’il a provoqué et dont il reste paradoxalement le « maître des horloges ».
Sous le soleil provençal, en tout cas, et devant des foules toujours aussi impressionnantes, Tadej Pogacar a continué à dominer le Tour de France en gagnant les deux dernières étapes de montagne et en écrasant toute concurrence, au point de semer dans son sillage bien des doutes… Un autre maître des chronos !
19 juillet 2024
L’Assemblée nationale – encore une fois – a été au centre de toutes les attentions, avec les élections aux différents postes (vice-présidents, questeurs, secrétaires) qui composent le bureau de l’Assemblée. La tradition – et aussi l’esprit du règlement interne de l’Assemblée – veut que tous les groupes politiques soient représentés. Mais, après leur échec de la veille, les Insoumis et dans leur sillage tout le NFP et donc même « l’eau tiède » des sociodémocrates ont fait barrage au Rassemblement national qui n’a obtenu aucun poste, pas même le moindre strapontin. On retrouve là la vieille stratégie léniniste que Jean-Luc Mélenchon applique à la lettre. Le NFP détient donc la moitié des sièges au bureau de l’Assemblée. Mais dans le même temps, il se réclame toujours de l’opposition pour garder la présidence de la Commission des Finances…
Après l’affaire lamentable des poignées de mains, le refus de donner au RN sa juste représentation est non seulement un déni de démocratie, mais aussi une erreur qui ne manquera pas de renforcer un peu plus l’électorat lepéniste à la prochaine présidentielle. Pour l’instant, restons dans l’ambiguïté constitutionnelle avec un ministre élu vice-président de l’Assemblée (Roland Lescure), ce qui est inédit, cocasse et absurde au sens de la séparation des pouvoirs, cardinale dans toute démocratie.
La suite – on l’a dit – est difficile à anticiper. Peut-il y avoir une fumée blanche du côté du NFP ? Cela paraît peu probable d’autant que les Insoumis ont relancé en Vendée le « front » des bassines. Le plus réaliste serait la poursuite des « affaires courantes » le temps des Jeux et peut-être même au-delà.
Pendant ce temps, un autre parlement tout aussi divisé, mais un peu plus mature a élu Ursula von der Leyen pour un deuxième mandat à la présidence de la Commission européenne. Là aussi, il a fallu discuter, concilier et maintenir à l’écart une extrême droite divisée entre Orban, Bardella, Meloni et l’AFD allemande. Mais au moins dans son curieux système, l’Europe va-t-elle avoir un gouvernement !
En France, enfin, une grande figure, un morceau d’histoire allant de la Résistance à l’Hiver 54, des compagnons d’Emmaüs aux jumelages avec le Bangladesh, est tombée de son piédestal post mortem. L’abbé Pierre, qui n’avait jamais caché qu’il n’était pas un saint, est donc accusé – avec preuves à l’appui, semble-t-il – de harcèlement sexuel. Il y a quelques années, une autre icône de la charité – Jean Vannier – avait connu le même sort, un peu plus sordide même. Mais l’Arche qu’il avait fondé a surmonté la crise et les Français en 2024 ont fait un triomphe au film « Un petit truc en plus » dont les héros véritables sont des pensionnaires de l’Arche ! Gageons qu’Emmaüs saura aussi surmonter cette crise.
18 juillet 2024
il y avait certes une belle étape de montagne sur le Tour de France, mais l’après-midi à l’Assemblée nationale avec ses trois « votes » de première catégorie, la stratégie de ses gruppettos et puis – in fine – le sprint final en vue du perchoir, tout cela a presque, pour la première fois depuis des lustres, remis le Palais Bourbon au centre de l’actualité nationale.
Six candidats, puis quatre, puis trois et in extremis, la victoire de la sortante Yaél Braun-Pivet à laquelle pourtant il y a quelques jours encore on n’accordait guère de chances de succès tant elle semblait être tombée en disgrâce auprès du Prince. Au premier tour, André Chassaigne est logiquement passé en tête avec le plein des voix du NFP. Au second tour, les LR se sont reportés sur Yaél Braun-Pivet, mais il restait 12 voix à Charles de Courson qui pouvaient faire la différence. Celles-ci se sont plutôt reportées au troisième tour sur Yaél Braun-Pivet qui a fait la différence sur André Chassaigne avec une dizaine de voix d’avance. Si la personnalité d’André Chassaigne pouvait faire consensus, il est clair que le comportement des Insoumis a encore une fois servi de repoussoir. Non seulement ceux-ci s’opposaient à ce que le Rassemblement national obtienne même un seul poste de vice-président, de questeur ou de président de commission, maintenant un strict front républicain au mépris tant du règlement que des traditions de l’Assemblée. Mais le comportement des élus insoumis a été encore une fois plus que discutable. La tradition veut que l’Assemblée en sa première séance de nouvelle législature soit présidée par le doyen d’âge et que le benjamin accueille tous les députés auprès de l’urne au moment du vote. Le hasard fit que l’un et l’autre soient du RN. Notre benjamin devait donc à chaque tour de vote serrer quelque six cents mains. Les Insoumis lui ont allégé cette peine en refusant la main tendue et pour certains, de manière insultante. Ce puéril déni de courtoisie vis-à-vis d’un élu de la nation, même s’il ne partage pas vos idées, en dit plus long que bien des discours sur le sectarisme qui règne en ces extrêmes (mais le sympathique François Ruffin refusa lui aussi la main tendue…).
Après le vote final, le NFP n’a pas manqué de s’indigner, parlant même de vol. Sans oublier la question ambiguë des ministres/députés, il y a bien eu une alliance – celle dont rêvait un peu Macron – entre macronistes et LR. En soi, cela n’a rien de choquant : en Allemagne, les socialistes et les verts gouvernent bien avec le petit parti libéral du FDP. Mais cela sentait un peu la manœuvre pour obtenir quelques postes au bureau de l’Assemblée…
L’Assemblée a donc une présidente. Il reste à se répartir les principales fonctions et puis à attendre…
17 juillet 2024
Le NFP s’est enfin décidé à désigner un candidat : pas pour Matignon, mais pour le perchoir. Et là, pour une fois, l’auteur de ces lignes, que l’on ne peut accuser de sympathies pour les excès tant des Insoumis que de nombreux verts et autres socialistes et qui estime que le programme mis en place à la va-vite en juin serait une catastrophe pour la France, ne peut que se réjouir d’un choix de bon sens avec André Chassaigne.
Comment, un communiste ? Et oui, et André Chassaigne, fils d’un ouvrier chez Michelin raconte combien il se passionna pour les conquêtes spatiales de l’URSS dans les années soixante. Il fut instituteur puis donc député d’une circonscription ruralo-industrielle du Puy-de-Dôme qui l’a réélu en juin alors que le RN y avait récolté 40 % des voix aux Européennes. À l’Assemblée, il présidait un groupe un peu hétéroclite composé de communistes et d’élus ultra-marins. Il est considéré comme l’un des meilleurs spécialistes des questions agricoles à l’Assemblée (il est vrai qu’ils sont de plus en plus rares) et il s’est battu sur la question des retraites agricoles qu’il a enfin permis de résoudre (non sans que le gouvernement de l’époque ne s’en attribue les lauriers).
Avoir un communiste à la présidence de l’Assemblée nationale en France en 2024 ! La perspective peut paraître incongrue, mais pas plus que ne le fut cette malheureuse dissolution. Avec André Chassaigne, on serait en tout cas, aux antipodes du comportement des Insoumis dans la législature précédente. Et avec un vote à bulletin secret…
16 juillet 2024
Si la mécanique politique en France a des ratés, tout se passe à peu près comme prévu au niveau européen : à Strasbourg, la Maltaise Roberta Metsola a été élue présidente du Parlement européen avec près de 90 % des votes provenant donc de tout le spectre politique à l’exception de la gauche extrême (une candidate espagnole issue de Podemos, des cousins des insoumis français…). Il reste maintenant à Ursula von der Leyen à obtenir l’investiture du Parlement ce qui aura lieu jeudi, le jour même où à Paris on se déchirera pour l’élection à la présidence de l’Assemblée.
La France, en tout cas, n’a plus de gouvernement. Par une curiosité constitutionnelle, Gabriel Attal et dix-sept ministres vont pouvoir siéger à l’Assemblée nationale tout en expédiant les affaires « courantes » de leurs ministères respectifs. C’est une situation qui risque de durer dans la mesure où la « trêve des Jeux » risque quand même de paralyser un peu la vie politique française. À partir d’aujourd’hui tourne un compteur dont – faut-il le rappeler – le record est détenu par la Belgique avec 541 jours ! À gauche, en tout cas, pas de fumée blanche. Attal de son côté aura bien du mal à tenir ses troupes écartelées entre la droite et la gauche comme c’est le destin de tous les centres. Et la situation est d’autant plus complexe que nombre de « premiers couteaux » songent en réalité à 2027 et ne veulent pas se brûler les ailes dans une mission suicidaire à Matignon en cet été 2024. Autant, comme Amélie Oudéa et bientôt Anne Hidalgo, aller se jeter dans la Seine.
15 juillet 2024
L’actualité continue d’être dominée par les suites de l’attentat contre Donald Trump aux États-Unis. Celui-ci a reçu un accueil triomphal à la Convention républicaine de Milwaukee. Mais déjà, circulent des théories conspirationnistes allant d’un attentat simulé par l’entourage même de Trump à une conspiration des démocrates… Rien de tout cela probablement, mais un acte individuel facilité par la libre disposition des armes aux États-Unis, un « droit » que Donald Trump a toujours défendu.
En France, il n’y a pas besoin de permis de port d’armes pour tirer en politique et les « snipers » sont légion ! À gauche les négociations sont rompues, les Insoumis préférant officiellement se concentrer sur les élections à la présidence et au bureau de l’Assemblée nationale. Leurs « partenaires » au sein du NFP ont sorti un nouveau nom de leur chapeau, celui de Laurence Tubiana. Contemporaine de l’auteur de ces lignes, elle a fait ses premières armes à l’INRA à Montpellier avant de monter à Paris, de s’attacher à la cause du climat auprès de Jospin, de Chirac, de Hollande pour la COP21, puis de Macron pour la Convention citoyenne pour le climat avec une capacité d’adaptation et de rebond qui a toujours fait l’admiration amusée. Manifestement, cela ne plaît guère aux Insoumis qui pour l’instant n’ont pas donné suite.
Ceci étant, l’idée se renforce, à droite comme à gauche, de trouver une personnalité « technique » peu marquée et moins susceptible de faire de l’ombre aux chapeaux à plume et bien sûr au premier d’entre eux, Emmanuel Macron, bien silencieux pour l’instant.
La question des trois jours à venir va donc être celle du « perchoir ». Un nom là aussi circule – et il est candidat : celui de Charles de Courson, un centriste dont l’indépendance est chevillée au corps et que l’on ne peut soupçonner de macronisme puisqu’avec le groupe parlementaire LIOT il avait été à deux doigts et quelques votes de renverser le gouvernement Borne. Ce grand travailleur dont par exemple la maîtrise des dossiers agricoles est remarquable pourrait effectivement réunir un court instant une majorité relative dans une Assemblée dont la première réunion, le 18 juillet, promet d’être bien houleuse.
14 juillet 2024
La tentative d’assassinat de Donald Trump a incontestablement dominé le « Bastille Day ». En soi, les tentatives d’assassinat de présidents américains ne sont pas une nouveauté : quatre présidents en exercice ont ainsi disparu, le dernier en date étant Kennedy sans compter les tentatives dont furent victimes Ford et Reagan (en 1981). Mais c’est moins l’attentat que le « fighting spirit » de Donald Trump, dont le poing levé restera dans l’histoire, qu’il faut saluer. C’est peut-être aujourd’hui qu’il a gagné sa réélection…
En France, on a assisté à un 14 juillet plutôt « light » sur l’avenue Foch à Paris, un défilé non mécanisé, déjà tourné vers les J.O, comme une sorte d’ultime message d’unité aux Français. Le gouvernement Attal y a fait sa dernière apparition publique autour du président et on peut imaginer toutes les rancœurs accumulées derrière les sourires.
À vrai dire, l’ambiance est à peu près identique à gauche. L’hypothèse Bello a été levée faute d’accord du PS. Manifestement, la candidature Faure ne plaît pas à ses partenaires ni à nombre de ses « camarades » socialistes. On a l’impression qu’en réalité la gauche ne veut pas vraiment de ce pouvoir, que Mélenchon, en s’acharnant à présenter un LFI, bloque toute discussion afin de préserver sa pureté révolutionnaire. La balle est au centre, mais il ne sait qu’en faire.
Les Espagnols ont en tout cas su la jouer en remportant Wimbledon et l’euro de football… et en marquant des buts !
13 juillet 2024
En cette veille de 14 juillet, Emmanuel Macron faisait en l’hôtel de Brienne son traditionnel discours aux forces armées. On doit lui reconnaître un incontestable talent oratoire même si ce soir, il sonnait un peu creux. Il y eut, en effet, quelques beaux passages et puis une comparaison appuyée avec l’Ukraine, un pays capable de se défendre et de s’unir face à l’ennemi. Sans le dire, il visait bien entendu, la France dont il souhaite ainsi le sursaut.
L’autre grand orateur du moment, Jean-Luc Mélenchon, s’est quelque peu fourvoyé. Saluant la candidature éventuelle d’Huguette Bello à Matignon, il a souligné que c’était une « femme racisée, féministe et anti raciste ». Racisée ? Comme beaucoup d’habitants de La Réunion, Madame Bello est l’héritière de lignages différents, mais il est peu probable qu’elle ait subi les discriminations et « l’alterisation », pour reprendre le jargon des sociologues, qui caractérise les personnes ou les communautés « racisées ». En tout cas, Jean-Luc Mélenchon semble en faire un argument positif en n’hésitant pas au passage à privilégier la dimension raciale sur toute autre considération. Il voudrait torpiller la candidature éventuelle de Madame Bello qu’il n’agirait pas autrement. À tout prendre, on le préfère quand il cite Jean Ferrat !
La campagne politique tombe là dans le sordide à gauche, mais aussi à droite et au centre où les couteaux sont aiguisés.
12 juillet 2024
À Washington, pendant qu’Emmanuel Macron s’efforçait de rassurer ses partenaires de l’OTAN sur la situation politique française, Joe Biden peinait à convaincre ses partisans de la pertinence de la poursuite de sa campagne présidentielle avec quelques lapsus – de Poutine à Trump – à la clef.
De retour à Paris, le président aura les mêmes difficultés à convaincre les éventuels partenaires de son front républicain. Il est clair qu’il cherche à gagner du temps et le NFP lui en offre un peu en tardant à se mettre d’accord sur un – ou des – noms. Rarement d’ailleurs, les textes fondateurs de la Constitution auront été autant consultés. Chacun cherche à comprendre toutes les subtilités d’un gouvernement démissionnaire dont les ministres peuvent siéger comme députés, mais qui continue à expédier les affaires courantes. Et que sont vraiment ces affaires courantes ? A priori, en tout cas, la démission du gouvernement devrait être acceptée le 16 ou le 17 juillet, au moins d’ailleurs pour permettre à Gabriel Attal de devenir président du groupe parlementaire « macroniste ». Du côté de la gauche un nouveau nom circule, celui d’Huguette Bello, la présidente du Conseil régional de La Réunion, qui semble avoir des attaches tant du côté de LFI que du PC : un choix quand même curieux qui illustre toutes les tensions au sein de cette improbable « majorité minoritaire ». C’est peut-être la raison pour laquelle les syndicats – CGT mais aussi CFDT – s’engagent de manière aussi marquée en appelant à manifester. Curieux week-end du 14 juillet en perspective : noir sur les routes et en politique !
11 juillet 2024
Que nous sommes-nous moqués du désarroi des Britanniques au lendemain du Brexit de 2016 ! Qu’avons-nous souri des bourdes de Boris Johnson, de la brièveté du mandat catastrophique de Liz Truss ! Mais voilà que les rôles sont renversés comme le remarque un éditorialiste du Financial Times. Jeudi, les Britanniques ont élu un gouvernement Labour que le FT lui-même qualifie de « pragmatic centrist » et Keir Starmer, le nouveau Premier ministre n’a manifestement pas la fibre jupitérienne ! Quant aux Français, ils ont élu un parlement dans l’impasse « a deadlocked parliament » au sein duquel les extrêmes se sont renforcés. Le Royaume-Uni peut espérer sortir du chaos (Écosse comprise). La France vient d’y entrer. Et de ce point de vue, les dernières heures n’ont apporté guère de clarté. On se demande quels seront les membres du gouvernement présents dans la tribune présidentielle le 14 juillet ! Chacun y va de sa petite déclaration, mais la répartition des postes et prébendes à l’Assemblée nationale sera dans huit jours un premier test. Mon Dieu, qu’une coalition, quelle soit de gauche ou du centre, c’est difficile. Nos voisins belges, dont l’expérience en la matière est immense avec 541 jours et une coalition arc-en-ciel à sept partis avec toutes les subtilités entre Wallons et Flamands, ne manquent pas de quelques conseils taquins.
L’arrogance française a ces dernières années suffisamment irrité nos partenaires européens pour que ceux-ci ne puissent résister à un peu de « Schadenfreude ».
10 juillet 2024
D’habitude, Emmanuel Macron aime les allocutions solennelles depuis sa table jupitérienne de l’Élysée. Mais là, c’est par une simple lettre publiée dans la PQR (un choix destiné probablement à tous ceux qui ne lisent pas la presse nationale et qui se contentent des nouvelles locales de journaux aux ambitions de plus en plus limitées). Il y résume sa vision du problème français, privilégiant comme on pouvait s’y attendre une solution « républicaine » et souhaitant donner du temps aux discussions politiques tout en confiant à Gabriel Attal la gestion des affaires courantes.
Le « nouveau » Front populaire ne l’entend pas de cette oreille. Il semble même qu’il veuille présenter son projet de gouvernement d’ici la fin de la semaine. Le nom d’Olivier Faure est de plus en plus mis en avant pour le diriger : à puiser dans la médiocrité, on touche là le fonds avec un des artisans de la NUPES et de l’effondrement du PS, sauvé par Glucksmann. Il se dit cependant que des macronistes « de gauche » ne seraient pas insensibles à une telle manœuvre. Faure/Kerenski manipulé par notre Lénine mélenchonien, voilà en tout cas une perspective qui a de quoi faire frémir.
Mais aussi l’élection de Laurent Wauquiez à la tête des députés LR n’a rien de bien réjouissant tant son silence de ces dernières années fut coupable. Cela n’augure rien de bon de ce bloc centre/droit dont manifestement rêve Emmanuel Macron dans son sommeil américain.
9 juillet 2024
Voilà donc la France qui perd face à l’Espagne en demi-finale de l’euro de football. Ce match clôt une série de prestations insipides, décevantes pour une équipe qui aligne quand même quelques-uns des plus gros « budgets » de la planète foot. Comme à l’habitude on s’interroge sur l’avenir du sélectionneur, Didier Deschamps dont le contrat ne vient pourtant à échéance qu’en 2026.
À l’Élysée, un autre sélectionneur est aussi contesté alors que son contrat va théoriquement jusqu’en 2027. Pour l’instant, il consulte — dit-on — d’anciens joueurs et entraîneurs, mais ses options en matière de sélection sont limitées. C’est incontestablement son côté gauche qui est le plus puissant, mais derrière la façade d’unité, que de lézardes et on peut craindre que le jeu peine à être collectif. Et puis, cette équipe-là restera loin de la majorité des supporters et sa proposition de ne fonctionner qu’aux tirs au but n’est guère dans les logiques des règles et des institutions.
Alors ? La balle au centre ? Mais lequel ? Sur le papier, on peut former une équipe avec Ensemble et les LR en grappillant peut-être quelques joueurs de gauche. Ce serait l’option la plus raisonnable, celle qui en tout cas a aujourd’hui le plus agité les vestiaires. Mais le danger là aussi, est que l’addition d’individualités ne forme pas une équipe d’autant plus que les virages de droite comme de gauche, frustrées de leur victoire risquent de s’agiter. Notre sélectionneur s’envole pour Washington. Là-bas, on joue au football américain, mais entre vieillards !
8 juillet 2024
Le jour d’après la tempête. La France est devenue donc un régime parlementaire. Les députés se sont succédé ce matin au Palais Bourbon pour ramasser cocarde et écharpe. Et puis surtout, dans tous les quartiers généraux on se réunit pour essayer d’anticiper les prochains coups. On aimerait bien être une petite souris au moins en deux endroits : au Front populaire et plus particulièrement chez les Insoumis. Là, le problème est celui du choix d’un candidat à Matignon (une candidate peut-être tant la secrétaire des Verts, Marine Tondellier, a percé les écrans ces derniers jours et permettrait de neutraliser l’antagonisme Insoumis/PS). Au centre, le terme désormais utilisé pour définir l’ensemble hétéroclite de feu la macronie, les soucis sont différents : on y parle moins d’hommes que de survie. Le paradoxe est que le centre compte en réalité à peine moins d’élus que le NFP surtout si on tient compte d’un certain nombre d’électrons libres. Mais le problème humain y est aggravé par le rejet presque unanime du président qui sera pourtant celui qui devra décider à la dernière heure du locataire de Matignon. Au fond, il n’y a qu’au RN qu’il n’y a aucun problème de leadership : mais le vote d’hier a été clair sur ce point.
Alors manœuvres, réunions, ambitions plus ou moins avouées, voilà le lot de cette journée avec quand même quelques focales sur des éléments de programme avec un retour en première ligne de l’éternelle question des retraites.
7 juillet 2024
Jour de vote avec, semble-t-il, une participation record en ce premier dimanche de vacances. Le Tour de France fait aujourd’hui une belle et originale étape sur les « chemins blancs » de Champagne, un clin d’œil local aux célèbres pavés de Paris-Roubaix. Sous le soleil, les coureurs dégagent un nuage de poussière et dans les rues de Troyes, c’est un Français qui l’emporte au sprint dans un groupe d’échappées (et en plus il appartient à l’équipe française Total Energies !). Est-ce un clin d’œil pour la fin de la journée alors que commencent à fermer les bureaux de vote.
Et puis, un peu avant 20 h, le coup de tonnerre et la confirmation de la dérive des sondages derniers jours poussée encore plus loin : le RN n’arrive plus qu’en troisième position et le bloc qui vire en tête est celui du Nouveau Front populaire. Au fil de la soirée, les résultats vont s’affiner. Le front républicain a fonctionné de manière beaucoup plus large qu’anticipée et toutes les autres tendances en ont profité. Finalement donc, le NFP compte 182 députés, le centre autrefois macroniste 168 et le RN avec ses alliés 143 (ces chiffres peuvent varier avec une trentaine d’élus plus difficiles à situer sans compter une cinquantaine de LR).
Dès 20 h 5, Jean-Luc Mélenchon était sur les écrans pour célébrer sa victoire. Le vieux trotskyste a trouvé alors des accents qui ne pouvaient que rappeler le Lénine de 1917, celui qui à la tête d’un parti minoritaire, les bolcheviks, réclamait « Tout le pouvoir aux soviets » afin de s’affranchir de la Douma. Ce soir J. L. Mélenchon a fait de même en scandant « tout notre programme, rien que notre programme ». Et le vieux tribun, au meilleur de sa forme, lui qui en 2022 célébrait le temps des cerises, de terminer avec les vers de Jean Ferrat dans « Ma France » : « Au grand soleil d’été qui courbe la Provence… et ce goût du bonheur qui rend ma lèvre sèche ». Jean-Luc Mélenchon est probablement le meilleur orateur de la scène politique française. Dans un genre différent, Olivier Faure, le secrétaire général du PS, n’a pas dit autre chose. Mais pour filer la comparaison avec 1917, il avait tout de Kerenski, qui voulut se maintenir au pouvoir en s’appuyant justement sur les bolchéviques.
Car la « victoire » du NFP est moins celle de l’adhésion à son programme qu’un rejet du Rassemblement national. Et c’est là toute l’ambiguïté qui a dominé les débats en cette soirée électorale. Le programme du LFP est-il gravé dans le marbre ou bien peut-il faire l’objet d’adaptations pour former une majorité de gouvernement ? C’est la question posée aux socialistes et manifestement, Glucksmann et Hollande ne sont pas sur la même ligne qu’Olivier Faure.
Dans la logique institutionnelle, le président de la République devrait faire appel à un représentant du bloc arrivé en tête pour essayer de former un gouvernement.
6 juillet 2024
À nouveau le silence politique à la veille du second tour de ces législatives… historiques ! Certes, dans les états-majors on continue à réfléchir, à imaginer, à bâtir d’improbables coalitions. Emmanuel Macron prépare ses valises pour le sommet de l’OTAN à Washington où l’accueillera un Joe Biden affaibli, mais qui pour l’instant résiste à la pression de ses « amis ». Quant aux Français, ils partent en vacances sous un temps d’automne. La victoire de la France sur le Portugal à l’Euro de football aux tirs au but ne les a pas rassurés : une équipe incapable de marquer un but et sans panache n’est-ce pas le reflet de la vie politique française.
Ailleurs dans le monde Vladimir Poutine marque des points. Au Kazakhstan s’est tenu cette semaine le sommet de l’Organisation de Coopération de Shanghai qui réunissait à l’origine la Russie, la Chine et les quatre républiques ex-soviétiques d’Asie Centrale. L’Inde, le Pakistan et plus récemment l’Iran s’y sont ajoutés. Et à Astana, en l’absence notable de Narendra Modi, Poutine a fait admettre son allié bélarusse. L’entente Chine-Russie semble pleine et entière. Un peu plus tard, Poutine a reçu la visite à Moscou de Viktor Orban : une visite bien ambiguë puisque la Hongrie a pris depuis quelques jours la présidence de l’UE. Orban a fait son coup tout seul sans prévenir ses petits camarades et malgré les protestations le mal est fait.
La seule presque bonne nouvelle serait l’élection en Iran du candidat « réformateur » à la présidence de la république. Mais la réalité du pouvoir est celle du Guide suprême et ses marges de manœuvre seront limitées. L’abstention a été de 50 % ce qui au moins ne sera pas le cas demain en France !
5 juillet 2024
Les Britanniques viennent de voter. Les élections tenues un jeudi n’auront duré qu’une journée et dès le lendemain – aujourd’hui - le roi Charles demandait au leader du Labour Sir Keistarmer (Sir Keir avait déjà été anobli dans la première partie de sa vie professionnelle) de prendre les clefs du 10 Downing Street. Quel contraste avec la France et ce qui nous attend dans les prochaines semaines.
Il est vrai que le système britannique (un seul tour et tout au gagnant) est impitoyable. Au final, le Labour n’a réussi que 34 % de voix, mais avec 412 sièges (sur 650), il dispose aux Communes d’une majorité absolue de 63 % ! Les conservateurs ont obtenu 23 % des suffrages et seulement 121 sièges (ils en ont perdu 251 !). Mais si l’on ajoute les 17 % de Reform UK, le parti de Nigel Farage qui fait d’ailleurs son entrée au Parlement pour la première fois avec quatre députés, la droite britannique réunit quand même 40 % des votes.
Avec un tel système appliqué aux législatives françaises, il y aurait eu près de 500 députés du Rassemblement national dimanche dernier… Mais revenons à la France. Les derniers sondages en termes de sièges semblent exclure la possibilité pour le Rassemblement national, même avec les LR dissidents, de réunir une majorité. Le microcosme s’agite donc pour un gouvernement d’union nationale allant des écologistes et des communistes au LR en passant par les macronistes (un label de moins en moins approprié) dont le résultat pourrait être moins catastrophique qu’imaginé il y a quelques jours. Mais même en balayant le plus large possible cet assemblage hétéroclite n’aurait probablement pas de majorité et serait à la merci d’une motion de censure partagée par le RN et les LFI !
Et puis comment imaginer même un plus petit dénominateur commun entre des programmes aussi différents sur des questions comme les retraites, le nucléaire, la fiscalité et tant d’autres. La seule discussion budgétaire promet d’être un calvaire et aucune réforme de fond n’est susceptible d’aboutir. Le temps d’ailleurs de former un tel attelage, Gabriel Attal risque d’administrer les affaires courantes pendant de longues semaines !
Si l’exemple britannique n’est guère extrapolable pour la France, on peut peut-être regarder vers la Suisse. Là aussi, on a quatre blocs : la droite et la gauche avec 28 % aux législatives de 2023, le centre avec 22 % et les libéraux avec 14 %. Mais en Suisse, on sait s’asseoir autour d’une table, faire des compromis pour gouverner quitte à redonner la parole aux Suisses par le biais d’innombrables votations.
Il reste enfin le cas belge et en partie aussi néerlandais où il faut des mois, voire plus d’un an pour former les gouvernements. À moins que l’on ne préfère l’Italie et son instabilité chronique digne de notre chère vieille IVe République.
La France en tout cas risque de rentrer en « Terra incognita » et nul ne sait de quoi sera fait cet été 2024.
3 juillet 2024
Le couperet est tombé et 218 candidats éligibles au second tour se sont finalement désistés parfois un peu contraints et forcés par la logique du « Front républicain » qui comporte quand même quelques trous. Il y aura donc plus de 400 duels avec, dans la quasi-totalité des cas, un candidat du Rassemblement national face au Front populaire (162) ou aux macronistes (137) et quand même quelques LR (52).
Tout ceci pourrait quelque peu enrayer la vague RN, mais il est bien difficile d’extrapoler sur le comportement des électeurs. Il n’est pas certain que les consignes des états-majors soient suivies tant la désaffection pour les partis politiques est grande au sein de l’électorat. Déjà, les scénarii d’après commencent à circuler. La probabilité d’une majorité NFP est très faible. Celle d’une majorité RN s’éloigne un peu. On en reviendrait donc à un gouvernement qui devra se former à l’Assemblée avec deux options possibles : d’un côté le RN et quelques alliés de circonstance signant au passage l’éclatement définitif de LR. L’autre scénario, dont on rêve manifestement à l’Élysée serait celui d’une large union des « démocrates » dont le pivot serait formé par les restes de la macronie, par les « raisonnables » du parti socialiste et par les derniers gaullistes. Pour l’instant, les comptes n’y sont pas et il faudrait un véritable sursaut dimanche prochain pour y parvenir.
À vrai dire, personne ne sait vraiment ce qui peut se passer, ce que sera l’Assemblée nationale et quel sera lundi matin le champ des possibles. Trois jours encore d’incertitudes, de supputations et certainement déjà de contacts et conciliabules.
4 juillet 2024
Il est toujours difficile de se faire l’historien du temps présent. On se trouve dans la position du grimpeur dans une façade de montagne. Il sait les difficultés qu’il vient de traverser, mais il connaît mal la suite surtout si quelque surplomb lui ôte toute perspective. Il en est de même aujourd’hui pour l’historien qui ne peut que se retourner sur les sept longueurs de corde qu’il vient de franchir. Mais au moins peut-il analyser les difficultés de la voie choisie.
Il paraît clair en effet que vient de se clore une période de l’histoire de France, celle du « septennat » d’Emmanuel Macron sur lequel, un peu « à chaud » certes, on peut essayer de porter un regard critique. Il y a sept ans, Emmanuel Macron faisait la conquête d’une maison un peu délabrée. Le « modèle français » était à bout de souffle. La France battait déjà en Europe des records tant de dépenses publiques que de prélèvements obligatoires. Pourtant, les fameux services publics, longtemps orgueil de notre pays, se dégradaient progressivement à l’image de la santé, de l’éducation, de la justice et même des transports. Au fil des années 2010, la croissance était restée bien morne autour de 1 % et la production industrielle avait stagné. Certes, le chômage avait commencé à baisser et l’État-providence permettait de gommer les inégalités malgré une nette augmentation de la précarité. C’est que la France restait marquée par une logique de la demande beaucoup plus que de l’offre.
Dans un premier temps, Emmanuel Macron s’est essayé à inverser les ordres de priorité de la société française et assez logiquement il s’est heurté aux pesanteurs et aux incompréhensions qui la caractérisent qu’illustra le désormais célèbre épisode des « gilets jaunes ». La situation politique lui était pourtant favorable avec l’effacement progressif des deux partis traditionnels de gouvernement. Mais la pédagogie eut du mal à suivre sans véritable relais de la part des corps intermédiaires de plus en plus bousculés. Là-dessus deux chocs majeurs, deux surplombs, pour reprendre l’image de l’escalade, vinrent mettre à mal ces efforts : le Covid, avec la mise à l’arrêt de l’économie puis la reprise et le choc inflationniste qui s’en suivit tout d’abord, la guerre en Ukraine et le choc énergétique qu’elle provoqua ensuite. La stratégie adoptée, celle du fameux « quoi qu’il en coûte », marqua un retour à la politique de la demande, mais permit d’éviter toute casse sociale majeure. Elle fut aussi un frein incontestable à toutes les réformes de structure comme celles des retraites, entreprises trop tard à contre conjoncture tant politique qu’économique.
Le bilan est pourtant loin d’être négatif. Par rapport à la période d’avant le Covid, la France a créé 1,3 million d’emplois, dont près d’un million de CDI. L’amélioration de l’environnement social et fiscal de la France en a fait la principale destination des investissements directs étrangers en Europe. On a même assisté à un léger rebond de l’activité industrielle après un déclin qui semblait irrémédiable depuis le début du siècle. Enfin, contrairement aux idées reçues, le pouvoir d’achat du revenu des ménages par habitant a poursuivi sa progression, malgré la montée de l’inflation à la notable exception toutefois des classes moyennes. Mais là encore, le ressenti par les Français fut tout différent persuadés qu’ils étaient que leur situation ne cessait de se dégrader dans la totale indifférence des élites. À la lecture des programmes présentés aujourd’hui par les deux blocs, désormais prépondérants sur la scène politique, on voit bien que c’est cette émotion qui domine encore.
Au-delà donc de quelques réussites incontestables, on touche bien là l’échec du septennat Macron, celui de ne pas être parvenu à « emballer » les Français faute probablement de relais efficaces. Devant nous maintenant, la roche est lisse sans beaucoup de prises ni d’assurance et il n’y a plus de chef de cordée.
2 juillet 2024
Pendant qu’en France, l’heure est aux désistements plus ou moins gracieux et qu’une certaine fébrilité commence à régner dans les rangs du RN dont le raz de marée électoral pourrait avoir passé son point d’étiage, la situation politique aux États-Unis semble tourner largement en faveur de Donald Trump. Dans un arrêt historique, la Cour suprême (dont Trump avait assuré la majorité conservatrice) a décidé que les présidents des États-Unis ne pouvaient être poursuivis en justice pour ce qu’ils ont fait dans le cadre de leurs fonctions. Dans les faits, ceci exonère Donald Trump de tout ce qu’il a pu faire avant la transmission de pouvoir à Biden en janvier 2021. Les poursuites engagées n’ont aucune chance d’aboutir avant les élections de novembre prochain. Pour Donald Trump, la voie est libre.
Pour Joe Biden, elle est de plus en plus bouchée. On commence à découvrir la forte influence de ses proches à commencer par son épouse. Pour l’instant, c’est Jill Biden qui pousse son mari à maintenir sa candidature alors qu’une bonne partie des dirigeants du parti démocrate cherchent à freiner, voire à trouver un autre candidat. Mais manifestement, les démocrates ont pour l’instant perdu la main alors même que leurs dépenses « publicitaires » s’élèvent déjà à $ 250 millions contre « seulement » $ 86 millions pour Trump (chaque candidat ayant dépensé plus de $ 50 millions dans la seule Pennsylvanie, le « swingstate » par excellence.
Alors que la vague porte moins le RN, elle continue à favoriser Trump : le populisme a de beaux jours encore devant lui.
30 juin 2024
On avait beau s’y attendre, mais le choc est quand même là. Le Rassemblement national vire en tête avec un tiers des scrutins exprimés devant le « Nouveau » Front populaire (28 %) et la « majorité » présidentielle (20 %). Certes, la droite nationale fait moins qu’aux européennes lorsque tout cumulé elle avait atteint les 40 %. Mais on savait que le RN, faute d’ancrages locaux en maint endroit, ferait moins bien aux législatives. Un peu partout, les candidats du RN (et des quelques LR « ciottiens ») sont largement qualifiés pour le second tour. Ce qui est encore plus frappant ce sont les élus dès le premier tour : une quarantaine de RN concentrés dans les Hauts-de-France et sur la Méditerranée et puis quand même une trentaine de NFP, pour l’essentiel des LFI, dans leurs fiefs de la région parisienne. Nombre de ministres ou d’anciens ministres sont tombés ou très mal placés. Tout comme – et c’est la grande surprise de ce premier tour – le secrétaire général du PCF, Fabien Roussel.
Mais le revers le plus marquant se trouve au centre avec la déroute des macronistes qui, partis à plus de 250, seront probablement moins d’une centaine dimanche prochain, avec d’ailleurs une meilleure résistance du Modem et d’Horizon.
Voilà donc une première page de tournée. La question majeure est de savoir si le RN peut transformer l’essai et obtenir la majorité absolue – ou au moins relative – avec quelques défections à droite. Tout dépendra donc des désistements, des consignes de vote et puis aussi de la manière dont celles-ci seront suivies.
Officiellement, les principaux leaders à gauche et au centre en tiennent pour le « front républicain ». Mais Jean-Luc Mélenchon, en prenant la parole avec à ses côtés la députée européenne franco-palestinienne, rima Hassan, n’a rien fait pour gommer les aspérités. Et puis, sur le terrain, tout dépendra des affinités des uns et des autres sachant que LFI – à l’exception de quelques individualités comme François Ruffin – fait figure d’épouvantail. Les triangulaires seront nombreuses (entre 200 et 300) et tout se jouera dans nombre de cas à quelques voix.
Une chose est certaine de toute manière. Ce soir Emmanuel Macron en a fini de son septennat. Son bilan est beaucoup moins négatif que l’on se comptait à le décrire. Il a traversé deux crises majeures, a contribué à relancer l’économie française et surtout l’attractivité de la France. Il laisse des dettes, certes, mais il aura été surtout victime de lui-même, de son manque d’empathie y compris pour ceux qui l’ont suivi, de son incapacité à créer un parti qui lui survive et encore plus d’imaginer quelque successeur que ce soit. Un brin cruel, les Français viennent de le dire : « Le roi est nu ».
29 juin 2024
Et soudain, le silence se fit ! La courte campagne électorale est terminée et les chaînes d’information doivent trouver d’autres sujets : le temps et les orages, le départ du Tour de France depuis Florence (et la superbe victoire à Rimini de Romain Border pour son dernier tour), le triomphe de Toulouse au Championnat de France de rugby… et puis quand même bien d’autres élections.
Au début de l’année, l’hebdomadaire anglais «The Economist» avait fait de 2024 «a time of ballots ands bullets», d’urnes et de balles. Du côté des urnes, il n’avait anticipé ni la France, ni l’Iran, ni même – aussi tôt – le Royaume-Uni. L’Iran a à peine fini de voter pour des présidentielles bien encadrées qui ne laissent guère d’espoir aux réformateurs. Dans quelques jours, les Britanniques vont selon toute vraisemblance mettre fin à près de quinze années de pouvoir conservateur et les travaillistes de Keir Starmer auront la lourde tâche de gérer l’après-Brexit (alors que l’économie britannique semble retrouver quelque couleur). Mais ce sont les élections américaines qui ces jours-ci préoccupent le plus. Après sa catastrophique prestation télévisée, Joe Biden s’est relancé dans sa campagne de collecte de fonds. Mais le quotidien plutôt démocrate, le New York Times, lui a demandé de se retirer, une opinion que partagent apparemment nombre de notables du parti démocrate. Mais est-il encore temps de mettre en place un contre-feu face à un Donald Trump que rien ne semble à battre.
Du côté des balles, les guerres se poursuivent : en Israël Benjamin Netanyahou s’accroche au pouvoir et entraîne son pays dans une impasse tant à Gaza que désormais en Cisjordanie et vers le Liban. En Ukraine, on attend avec angoisse les grandes manœuvres de l’été et rien ne semble pouvoir infléchir Vladimir Poutine. En Asie, la Chine accentue sa pression navale sur les Philippines. Et puis, en Afrique, tandis que les massacres se poursuivent au Soudan, au Sahel, l’influence russe se renforce.
À tout prendre, bien sûr, les urnes valent mieux que les balles et si nous revenons un peu en Occident, elles en sont le meilleur pare-feu. Silence donc ! Le vote va commencer.
28 juin 2024
En France, tous les yeux sont braqués sur les élections nationales, mais en Europe, avant les premières réunions du Parlement, l’heure est au partage des principaux postes. Comme on pouvait s’y attendre, Ursula von der Leyen a obtenu le renouvellement de son mandat à la présidence de la Commission. Le PPE est sorti vainqueur des élections et elle profite de l’affaiblissement de l’influence française : le LR lui était opposé, mais il ne pèse plus guère et Emmanuel Macron qui ne lui était plus très favorable a lui aussi perdu beaucoup d’obtenir un portefeuille large pour le commissaire français qui devrait être encore Thierry Breton qui au fond aura quitté Atos au bon moment… Madame von der Leyen reste ce qu’elle est, un plus petit dénominateur commun, bien incapable de donner à l’Europe le petit grain de folie dont elle a tant besoin. La future ministre des Affaires étrangères, la Première ministre estonienne, Kaja Kallas, est en première ligne face à la Russie et on peut espérer qu’elle tiendra haut le flambeau de l’Europe au moment où vont commencer les négociations d’adhésion de l’Ukraine et de la Moldavie. Quant au Portugais Antonio Costa, il hérite du poste éminemment ambigu de président du Conseil européen. Comme il ne l’occupera qu’à partir de décembre, il échappera aux six mois de la présidence hongroise qui va commencer dans quelques jours.
Il reste encore nombre de miettes à partager comme les présidences de commission au parlement européen et les portefeuilles des commissaires. En ces moments cruciaux, la France se trouve affaiblie et ce d’autant plus que la majorité de ses parlementaires va découvrir les méandres de Bruxelles et de Strasbourg alors que pour nombre d’entre eux, seule compte la scène nationale à commencer par un certain Jordan Bardella.
Pourtant, en ces temps quelque peu chaotiques pour la France, l’existence des garde-fous bruxellois a quelque chose de rassurant face à toutes les démagogies de droite comme de gauche.
27 juin 2024
Ce soir, le dernier débat de la campagne électorale française précédait de quelques minutes à peine le premier débat de la campagne électorale américaine. Quel contraste ! Côté français, ce fut encore une fois l’affrontement de deux jeunes coqs, l’un et l’autre assez maladroits dans leurs coups et réunissant à mettre le représentant du Front populaire, le terne Olivier Faure du Parti socialiste, en position d’arbitre ce qui ne manquait quand même pas de sel. Quelque peu gênée, la chaîne organisatrice (le « Service public » de la 2) avait ensuite invité Xavier Bertrand, représentant LR « canal historique », mais surtout grand élu de terrain, qui fut à la limite plus à l’aise pour défendre ce qui reste de la droite de gouvernement. Au total, tous ces débats et d’interventions qui se bousculent sur les chaînes de télévision ne changeront guère le résultat final tant les sondages semblent converger. La seule « erreur » du RN, son seul dérapage concerne le statut des binationaux, un faux pas qui révèle un peu de la réalité de fonds de commerce et qui pourrait lui coûter cher en termes de votes !
Du côté américain, on avait affaire à des octogénaires et le débat sur CNN était beaucoup plus encadré. Il fut tout aussi sordide, mais le plus « jeune » l’a emporté. Joe Biden a en effet plus que marqué son âge, ses difficultés à s’exprimer et même à suivre ses idées. À la sortie, les élus démocrates en étaient si catastrophés qu’ils commençaient à chercher un plan B. La convention démocrate d’investiture n’a pas encore eu lieu et il serait encore possible de désigner un autre candidat, si Biden accepte de se retirer. Mais personne ne fait l’unanimité et encore moins la vice-présidente Kamala Harris. À suivre…
26 juin 2024
Faut-il brandir la menace de « guerre civile » pour faire barrage aux extrêmes ? C’est en tout cas ce que vient de faire Emmanuel Macron, un peu comme un adolescent qui a allumé un feu pour faire place nette et qui soudain crie à l’incendie. Le mot est bien sûr excessif. La dernière « vraie » guerre civile en France remonte en fait à la Commune il y a un peu plus de cent cinquante ans. Il y eut ensuite des attentats (des anarchistes à Action directe), des émeutes, des manifestations dégénérant comme au temps des Gilets jaunes, des quartiers parfois hors de contrôle, mais jamais de guerre civile à proprement parler. Il y eut bien sûr le putsch d’Alger et les dérives de l’OAS, mais là encore, dans un contexte bien différent. Et en Europe occidentale la dernière guerre civile fut celle d’Espagne, peut-être la plus cruelle de toutes.
Pourquoi alors agiter pareil chiffon rouge ? Pourquoi supposer de la part des Français pareille manque de maturité pour leur faire prendre les armes si le résultat des urnes ne leur convient pas ? Pourquoi surtout employer une expression aussi forte de la part de celui même qui est à l’origine d’une telle situation ?
Certes, on ne peut exclure quelques agitations au lendemain des résultats dans la chaleur (?) de juillet. Mais il faut faire confiance aux fortes démocratiques (syndicats, partis) pour accepter le verdict des urnes, quel qu’il soit.
25 juin 2024
Les débats à rois demandent de la part des organisateurs une grande attention non seulement en termes de temps de parole, mais surtout de direction des échanges. Cela n’a pas été vraiment le cas ce soir pour le premier débat télévisé entre Jordan Bardella, Gabriel Attal et Manuel Bompard (LFI) qui était censé représenter le Nouveau Front populaire. Ce fut en réalité une aimable cacophonie au cours de laquelle les représentants des trois « blocs » se sont battus à coups d’âge de la retraite et de promesses – ou de menaces – fiscales. Le Premier ministre qui au fond faisait le moins de promesses des trois s’en est plutôt mieux tiré, mais sans pouvoir renverser la tendance des sondages qui continuent à favoriser ses adversaires.
Au même moment, deux tribunes dans Le Monde pointaient du doigt le véritable enjeu de l’entre-deux tours : celui des triangulaires (il pourrait y en avoir plus d’une centaine) et du comportement à avoir pour les candidats arrivés en troisième position, celui aussi du choix à faire en cas de duel entre le RN et le NFP, surtout lorsque celui-ci sera représenté par un LFI. les uns, surtout des personnalités de gauche, mais aussi de la gauche macroniste, défendent le principe du Front républicain, quitte à se « boucher le nez » en votant LFI comme l’a écrit Dominique Strauss Kahn depuis son exil fiscal marocain. Les autres menés par deux anciens Premiers ministres socialistes, Manuel Valls et Bernard Cazeneuve sont partisans du ni-ni. Ils représentent ce qui reste d’un centre gauche social-démocrate dont l’émergence est l’un des seuls signes d’espérance d’une scène politique française qui n’est plus qu’un champ de ruines.
24 juin 2024
On l’a oublié, mais il y a aussi des élections au Royaume-Uni. Outre-Manche, les jeux sont pratiquement faits d’autant plus que le système électoral y est impitoyable pour les perdants. Le Labour va l’emporter dans ce qui risque d’être un véritable raz de marée et probablement les trois quarts des députés aux Communes. Ainsi se paient les excès des conservateurs, de Boris Johnson à Liz Truss sans oublier David Cameron à l’origine du fatidique referendum sur le Brexit. Mais les électeurs y ont quelque responsabilité qui ont pensé que ce serait mieux sans l’Europe, qui ont voulu jouer la seule carte qui n’avait pas été essayée. Pris de court, les conservateurs n’ont rien su faire de leur « victoire » et les Anglais en sont réduits aujourd’hui à confier les clés du 10 Downing Street à un travailliste pragmatique qui a su exclure du Labour son prédécesseur Jeremy Corbyn, le pendant britannique de Jean-Luc Mélenchon.
Par lassitude, les Français sont sur le point de faire le même pari que les Britanniques avec le Brexit : tout a échoué (du moins ce qui est ressenti) alors pourquoi ne pas donner les rênes du pouvoir à ceux qui ne l’ont jamais exercé, la « nouvelle » droite nationale ? Qu’importe qu’eux aussi n’aient guère de programme au moins sur le plan économique et que la situation à la mi-juillet risque d’être tout aussi chaotique que celle du Royaume-Uni au lendemain du Brexit. David Cameron avait à l’époque choisi de tenir un referendum dans la certitude de l’emporter. Emmanuel Macron tente le même coup de poker, mais ils étaient bien peu nombreux à partager sa certitude. Les Britanniques regrettent en majorité leur décision de 2016. Combien de temps faudra-t-il aux Français pour regretter la leur ?
23 juin 2024
Le hasard du calendrier liturgique catholique donne en ce dimanche l’évangile dit de la tempête apaisée (Mc4, 35-41) : une tempête sur la mer de Galilée tandis que Jésus dort. Les disciples affolés, le réveillent « Maître, nous sommes perdus ». « Réveillé, il menaça le vent et dit à la mer “silence, tais-toi”… et il se fit un grand calme ».
La France est bien au cœur de la tempête et force est de constater qu’il n’y a personne pour imposer le silence. C’est au contraire le brouhaha le plus total en particulier à gauche et au centre. À gauche, on ne sait comment se débarrasser ou au moins mettre sur la touche Mélenchon. Au centre, il en est un peu de même avec Macron. Il n’y a qu’à droite (extrême ou populiste…) que le tandem Bardella-Le Pen (mais dans quel ordre) n’est pas contesté. L’ambiance la plus fétide règne au centre dans un climat de sauve-qui-peut général où les fleurets ne sont plus mouchetés. Edouard Philippe accuse Macron d’avoir « tué » sa majorité et Bruno Le Maire parle – avec raison, mais un peu d’excès – des « cloportes » qui hantent les couloirs de l’Élysée. Sur les affiches électorales, Emmanuel Macron a disparu tout comme d’ailleurs les emblèmes tant des républicains que la rose des socialistes. Il y a encore une semaine à passer, à se déchirer sur des programmes dont chacun sait dans son for intérieur qu’ils ne seront jamais mis en œuvre tant ils contiennent de promesses irréalisables, à enfoncer un peu plus les Français dans leur propension naturelle à la critique de toutes leurs institutions. La barque ne coulera pas, mais elle prend l’eau et plus personne n’en tient le gouvernail.
22 juin 2024
C’est maintenant sur le terrain que se jouent les législatives. Étant en convalescence au Pays basque, il est intéressant de se plonger dans les arcanes des trois circonscriptions basques (l’une est à cheval sur le Béarn). On y compte à chaque fois entre six et dix candidats. Il y a en effet partout des candidats de Lutte ouvrière ainsi que du Parti national basque. Les députés sortants étaient deux Modem et un socialiste. L’un des sortants Modem ne se représente pas. Comme ailleurs en France, le Rassemblement national a viré en tête le 9 juin dans les Pyrénées atlantiques, mais avec un score (25 %) inférieur à la moyenne nationale. Dans les trois circonscriptions, les candidats du RN sont relativement inconnus et ont peu de chances d’être élus (ce qui illustre bien la faiblesse du RN sur le terrain dans nombre de régions). Par contre, ils peuvent se qualifier pour le second tour et provoquer des triangulaires. La seule personnalité « nationale » est Jean Lassale qui est sur ses terres et qui au second tour pourrait l’emporter sur le député sortant socialiste. N’oublions pas aussi que nous sommes là sur le territoire de François Bayrou, certes béarnais, mais qui a son mot à dire dans les investitures basques.
Il est difficile à ce stade de faire des pronostics. Le RN devrait repartir bredouille. Les surprises pourraient venir d’un retour de Jean Lassale (qui battrait donc un socialiste), de la première élection d’un « abertzale » (nationaliste basque de gauche) investi par le Front populaire face à un Modem, maire de Cambo. Mais dans les trois circonscriptions, aucun résultat n’est assuré et les jeux ne sont pas faits d’autant plus que dans deux d’entre elles on peut s’attendre à des triangulaires.
Si les enjeux sont bien nationaux, sur le terrain c’est le local qui l’emporte, ce sont les alliances de circonstance (ici avec les partis basques), ce sont les hommes et les femmes pour la plupart déjà élus locaux et puis aussi pour certains issus de dynasties politiques locales. On est loin de Paris !
21 juin 2024
Qu’y a-t-il de commun entre les campagnes électorales françaises et américaines ? La réponse est simple et peut paraître surprenante : le prix de l’essence !
Surprenant, car la fiscalité sur le carburant est beaucoup plus douce aux États-Unis. Le gallon d’essence y coûte en moyenne actuellement $ 3.78 soit l’équivalent de 0,86 euro le litre, ce qui ferait rêver tous les Européens. Mais aux États-Unis, on a été longtemps habitué à une essence à $ 2 le gallon et aujourd’hui en Californie ou au Texas, on est au-dessus de $ 4. Joe Biden a peu de marges de manœuvre si ce n’est de puiser dans la réserve stratégique pour jouer sur les prix du pétrole sur le marché américain. Il l’a déjà fait en 2021 et 2022 dans d’autres circonstances, mais là les républicains l’accusent de manipulation électoraliste et Donald Trump a fait du prix de l’essence un de ses arguments de campagne.
Rien de tel en France où, là aussi, les marges de manœuvre sont limitées par les affres budgétaires et les contraintes européennes. Néanmoins, le RN propose de réduire la TVA et le Front populaire de bloquer les prix des biens de première nécessité, dont les carburants. Dans l’un et l’autre cas, on ne se préoccupe guère des contingences budgétaires. Or, un centime d’euro de moins à la pompe prélevé sur la part fiscale, ce sont € 500 millions de recettes en moins en année pleine. Ainsi, supprimer la TVA sur la TICPE (l’aberration d’un impôt sur l’impôt) coûterait quelques € 6 milliards. Est-ce bien le moment ? À tout prendre, l’idée de « chèques carburants » identiques aux chèques-restaurant rejetée par la complexité de sa mise en œuvre serait plus raisonnable.
Mais qui parle de raison dans cette campagne ?
20 juin 2024
Une enfant de 12 ans, violée par deux « adolescents » de 13 ans ! Avant même de parler de la dimension antisémite de cet acte, comment imaginer que pareil drame ait pu arriver tout simplement ? 12 ou 13 ans, c’est à peine la sortie de l’enfance. Tous ceux d’entre nous qui ont des enfants ou des petits-enfants de cet âge peuvent comprendre l’horreur d’actes dont les intéressés eux-mêmes n’avaient probablement pas conscience baignés qu’ils étaient dans des univers virtuels qui les fascinent, sans repères familiaux et peut-être aussi à l’écoute de « grands frères » eux-mêmes à la dérive et suffisamment crédules pour s’imbiber de toutes les propagandes.
Et, si ce « fait divers » n’était pas assez monstrueux, il y a sa dimension antisémite : l’enfant était juive comme l’étaient d’autres femmes et d’autres enfants le 7 octobre aux portes de Gaza. Mais là nous sommes en banlieue parisienne, à deux pas de la Défense… L’antisémitisme a de multiples racines en France. On pensait en avoir arraché certaines ; mais les dernières sont les plus profondes, instrumentalisées par des partis politiques qui se sont plu à souffler sur les braises.
Devant pareille horreur, on eût aimé une pause politique, une journée au moins de silence dans la fournaise de la campagne électorale. Il n’en a rien été au-delà de quelques communiqués et autres tweets. Du silence et de la prière pour ceux qui le peuvent, quelle que soit leur confession.
19 juin 2024
C’est l’heure des comptes. Derrière les blocs, il y a des programmes et donc des promesses qu’il faut quand même chiffrer. Les marges de manœuvre sont faibles, voire inexistantes, et pourtant, un peu partout, l’imagination est au pouvoir. Le programme du Front populaire coûtera quelque part entre 100 et 250 milliards d’euros. Et en face, même en taxant d’importance les riches et les entreprises, le déficit budgétaire explose. Le Rassemblement national était parti sur les mêmes bases, mais l’éventualité de son arrivée au pouvoir l’a amené à reculer nombre de ses mesures à un audit des finances publiques bien inutile. Il reste quand même des deux côtés l’accent mis sur le prix de l’énergie et sur une partie de la TVA. En fait, aux deux extrêmes, on continue à raisonner en économie de la demande (augmenter le pouvoir d’achat pousserait à acheter…) quitte à handicaper la dynamique de l’offre. Remarquons que les modestes mesures présentées par le Premier ministre vont, elles aussi, dans le même sens.
On a l’impression d’une fête foraine où le chaland est interpellé de manèges en jeux par les promesses les plus mirobolantes alors que derrière, les décors de carton-pâte, il n’y a que du vide. Malheur à ceux qui croient encore en ces boniments. Mais on ne peut qu’être choqué de voir des économistes « sérieux », comme Duflot et Piketty à gauche, apporter leur caution à ces miroirs aux alouettes auxquels heureusement les Français eux-mêmes ne croient guère.
18 juin 2024
Encore un anniversaire ! Et Emmanuel Macron qui aime tant les célébrer a fait aujourd’hui le grand écart entre le Mont Valérien et l’île de Sein. On ne peut que se réjouir d’avoir un président autant attaché ainsi au culte de la et des mémoires.
Dans une bande dessinée qui rencontra un grand succès à la fin du siècle dernier, « Balade au bout du monde » (Makyo et Vicomte, ed. Glénat), le souverain d’un royaume perdu est réveillé chaque matin par ses trois mémoires, un office exercé par des conteurs dont il ne peut se débarrasser. Il en serait de même un peu aujourd’hui à l’Élysée où le conseiller « mémoire » aurait, disent certaines gazettes, joué un rôle important dans la décision de dissolution.
Un historien, comme l’auteur de ces lignes, ne peut que saluer la place donnée aux célébrations historiques. Mais nous sommes quelques-uns, sans nous concerter, à avoir convoqué un autre historien, l’un des maîtres de la « nouvelle histoire », pour analyser les jours que nous vivons. Certes, l’appel du 18 juin fut admirable tant il était isolé. Car le reste est bien contenu dans la conclusion que fait Marc Bloch du récit de « sa » campagne en France et de l’analyse de « l’étrange défaite » qui s’abattit sur le pays en 1940 : « la léthargie intellectuelle des classes dirigeantes et leurs rancœurs, les illogiques propagandes… » Tout est dit… et se répète.
17 juin 2024
Entre les deux « blocs », celui du Rassemblement national et celui du Front populaire, on retrouve désormais le terme quelque peu désuet de « Centre ». Longtemps, le centre fut une réalité politique française sous des étiquettes variées allant des radicaux (de toutes obédiences) aux démocrates-chrétiens (le MRP dans sa version de l’après-guerre). Avec la Ve République, on assista peu à peu à une bipolarisation de la scène politique française ne laissant aux « centristes » qu’un rôle d’appoint en général de la droite gaulliste et post-gaulliste. Jean Lecanuet en maintint le flambeau aux élections de 1965 avant que n’apparaisse l’UDF, fusion improbable de mouvements plutôt à droite opposés à l’hégémonie gaulliste. François Bayrou en fut l’héritier et il faut lui reconnaître le mérite d’en avoir entretenu la flamme parfois à la limite de l’extinction. La modernisation de la vie politique française ne passait-elle pas comme au Royaume-Uni ou en Allemagne par l’alternance de deux partis de gouvernement, l’un à droite, l’autre à gauche ? L’exemple britannique en particulier avec l’échec des Libéraux (Libdem) n’était-il pas la preuve des difficultés d’un système tripartite ? En sera-t-il de même demain en France ?
Voilà, en tout cas, pour quelques jours, le centre réhabilité : on y retrouverait les macronistes, les deux partis alliés (Horizon et Modem avec un Bayrou inoxydable) et puis les restes « raisonnables », tant des républicains que des socialistes. C’est là certes un centre imposant, mais qui risque d’être balayé dans la mécanique cruelle du second tour. La vieille malédiction du Centre !
16 juin 2024
Une semaine déjà ! Voilà donc le septième jour depuis la dissolution et ce soir les derniers candidats déposeront avec fébrilité leurs dossiers en préfecture. Devant nous, quinze jours de campagne.
Cette crise politique a renversé toutes les barrières et il n’est pas exagéré de la comparer à « l’étrange défaite » de 1940 analysée par Marc Bloch : incompétence des états-majors et lassitude des Français. Mais tout a été dit et commenté en ces quelques jours et pendant ce temps, le reste du monde continuait à vivre.
En Europe, Olaf Scholtz a subi un revers tout aussi cuisant que celui d’Emmanuel Macron, mais l’Allemagne, habituée aux cohabitations, n’a pas vacillé. Au Parlement européen, le PPE est même renforcé et Ursula von der Leyen a de fortes chances de poursuivre à la présidence de la Commission d’autant plus qu’elle est soutenue par Giorgia Meloni.
Giorgia Meloni est sans conteste la grande gagnante de ces élections européennes et elle a pu sans vergogne battre froid à Emmanuel Macron au sommet du G7. Le président français et le chancelier allemand n’étaient pas les seuls d’ailleurs à souffrir d’aléas électoraux : au Royaume-Uni, Rishi Sunak va vers une défaite historique et dans les derniers sondages, les conservateurs sont dépassés par les populistes de l’UKIP de Nigel Farage, un vieil ami de Marine Le Pen.
On a un peu oublié que se tenait à Bari la réunion du G7. Le choix de Bari dans les Pouilles n’est pas neutre : c’est là que sont vénérées les reliques de Saint-Nicolas, très populaire en Russie et sur le parvis de la cathédrale se trouve une statue du saint offerte par un certain Vladimir Poutine ! Cela n’a pas empêché les dirigeants du G7 de décider un emprunt de $ 50 milliards pour soutenir l’Ukraine. Mais Giorgia Meloni a aussi réussi à faire venir au G7, le pape François, tout comme son adversaire argentin, le président Javier Milei. Tout un symbole !
Après Bari, la plupart des dirigeants se sont retrouvés en Suisse pour un sommet de la Paix. Imaginez trois hôtels de la Belle Époque suspendus au-dessus du lac des Quatre Cantons. En l’absence de la Russie et de la Chine, le sommet du Bürgenstock n’a pas eu de résultats concrets, mais il au moins permis de clarifier les positions des uns et des autres.
Ailleurs en Suisse, s’ouvrait à Bâle la grand-messe de l’art contemporain, Art Basel. On parle là en millions de dollars tout comme à Paris où une nature morte de Chardin « Le melon entamé » a été vendue plus de 26 millions d’euros. Et quand on parle de « riches » comment ne pas mentionner Eon Musk dont le conseil d’administration de Tesla vient de confirmer la mirobolante rémunération de $ 56 milliards ! On est bien là dans un autre monde.
C’est bien un autre univers, celui des « manipulateurs de symboles », de ceux qui rêvent d’immortalité tandis qu’ailleurs on tente de survivre, qu’en France le débat politique majeur reste celui du pouvoir d’achat.
Une charmante vignette circule sur les réseaux, tirée du « Crabe aux pinces d’or » d’Hergé. On y voit le capitaine Haddock déprimé devant un verre d’eau. Tintin lui demande : « Enfin, capitaine, pourquoi avez-vous voté pour votre lave-linge ? ». Et le capitaine de répondre : « C’est le seul qui respecte le programme ».
Bricolés sur des coins de table dans la hâte, les programmes ne sont guère que des miroirs aux alouettes qui, pour l’instant, font la fortune des imprimeurs. Autour de nous, le monde impose son propre calendrier et le petit village gaulois n’en a jamais été aussi éloigné.
15 juin 2024
Passé le temps des grands discours, des embrassades et des serments solennels, voilà celui de la cuisine politique et c’est encore le Front populaire qui fait la une : chez les Insoumis, c’est donc la purge dans la plus pure tradition trotskyste (mais en cela Trotsky n’était guère différent de Staline). Le vieux chef tient ses troupes qui n’existent au fond que par lui. Chez les Socialistes, la grande nouvelle est celle du retour de François Hollande, candidat en Corrèze, et qui semble ainsi cautionner le programme du Front populaire, aux antipodes pourtant de la politique qui fut la sienne durant sa présidence. Pendant ce temps, le « peuple de gauche » manifestait dans le calme contre le Rassemblement national. La dynamique du Front populaire connaît en tout cas ses premiers ratés.
Du côté des Républicains, l’imbroglio autour de la présidence de Ciotti se poursuit et paralyse le gros du parti qui refuse le mouvement vers le RN. Mais en réalité, l’essentiel semble se passer sur le terrain par des accords de non-agression entre macronistes et républicains comme c’est déjà le cas dans un certain nombre de départements. La faiblesse tant de Renaissance que de LR est de ne pas avoir de dirigeants incontestables susceptibles de signer un accord national ; la force au moins de LR est de disposer encore d’un solide maillage d’élus locaux soucieux de « sauver les meubles ».
Encore quelques heures avant que les trois lignes se mettent en ordre de bataille. L’heure est aux ultimes flottements.
14 juin 2024
À la maison de la Chimie, à Paris, à deux pas de l’Assemblée nationale, avait lieu le lancement officiel du « nouveau » Front populaire. Toute polémiques et critiques mises à part, on ne peut que saluer la performance. Dans la décision de dissolution d’Emmanuel Macron, il y avait la quasi-certitude de l’incapacité de la gauche à reconstituer quelque unité que ce soit tant les divergences apparaissaient profondes et tant les noms d’oiseaux avaient volé de part et d’autre. Parvenir à un accord entre les Insoumis et l’aile réformiste des socialistes autour de Raphaël Glucksmann semblait impossible. Mais le réalisme l’a emporté sur les grands principes et les apparatchiks du PS n’ont pas dû trop se forcer à sacrifier Glucksmann sur l’autel de la Realpolitik.
En quatre jours donc, la gauche s’est unie comme elle ne l’avait jamais été presque depuis… 1981. Bien sûr, il ne faut pas trop regarder dans les détails : nombre de promesses ne sont pas réalistes au vu des contraintes économiques et on a souvent pratiqué le principe du « plus grand commun multiplicateur ». Sur des questions comme le nucléaire ou l’OTAN, un voile pudique est maintenu et les ambiguïtés demeurent tant sur le Hamas et Israël que sur l’Ukraine et la Russie. Enfin, la question du « leader » n’est pas tranchée, le nom de Mélenchon étant à peine prononcé. Et, au vu des premières investitures annoncées par LFI (et l’exclusion en particulier d’Alexis Corbière), on peut douter de l’ambiance de franche camaraderie affichée. Un observateur un peu cynique ne peut d’ailleurs qu’être frappé de la capacité de tant de donneurs de leçons à fermer les yeux et même à se renier. Quoiqu’il en soit, le Front populaire constitue désormais la deuxième force politique française. Qui l’eût imaginé il y a seulement une semaine ?
13 juin 2024
Au quatrième jour d’après la dissolution, les positions semblent se clarifier de la manière la plus inattendue qui soit y compris pour les apprentis sorciers qui ont déclenché ce séisme. À gauche s’est formé un Front populaire : les socio-démocrates y ont laissé leur âme et tout espoir de reconstituer un Parti socialiste quelque peu responsable. À droite, le Rassemblement national enregistre les ralliements d’Eric Ciotti et de Marion Maréchal et commence le grand toilettage de son programme de manière à faire espérer aux Français un scénario « à la Meloni ». Au centre, ce ne sont que ruines : celles des Républicains bien sûr dont une partie de la base est attirée par le RN ; celles des macronistes aussi confrontés au vide existentiel de leur parti et soucieux quand ils le peuvent de marquer leur différence sans que toutefois ni Horizon, ni le Modem ne puissent représenter une alternative crédible à court terme. Emmanuel Macron a imposé un calendrier que ses propres troupes ne peuvent suivre alors que la droite comme la gauche on réussi à se mettre en ordre de bataille.
Trois blocs, mais dans un système électoral qui au second tour ne peut en compter que deux et le risque de duels mortifères entre les extrêmes. À droite comme à gauche, les lignes sont désormais claires. Le seul espoir du troisième bloc serait de balayer large des déçus de la social-démocratie aux derniers gaullistes. Mais est-ce encore possible et Emmanuel Macron est-il capable d’un peu d’humilité ?
12 juin 2024
Conférence de presse de « combat » d’Emmanuel Macron : un long exposé programmatique sans vraiment rien de nouveau et un catalogue de chantiers en cours, mais un peu à la marge de la question du jour. Par contre, surtout en réponse aux questions des journalistes, il s’est révélé percutant et pertinent en soulignant toutes les contradictions des extrêmes tant de droite que de gauche. L’appel est clair pour la formation d’un centre allant des sociodémocrates aux gaullistes. La crise des Républicains et la probable éviction d’Eric Ciotti ont au moins le mérite de clarifier les choses de ce côté-là et un scénario d’un gouvernement de coalition mené par une personne « non-alignée » devient presque imaginable du moins si les électeurs suivent ce qui est loin d’être garanti. Car pour l’instant, l’heure fiévreuse est celle des investitures qui doivent être bouclées pour la fin de la semaine. À gauche, LFI a la part belle surtout en termes de circonscriptions gagnables. À droite et au centre (et chez les macronistes bien sûr), les choses sont moins claires : la stratégie des débauchages individuels qui a toujours été celle d’Emmanuel Macron montre bien ses limites d’autant plus qu’une bonne partie des électeurs de LR sont plutôt sur la ligne Ciotti.
À l’issue de cette conférence de presse, la situation n’apparaît pas plus claire. Le sursaut républicain souhaité par Emmanuel Macron peut-il se concrétiser ? Rien n’est moins sûr.
Ces élections sont en tout cas les plus importantes, mais aussi les plus incertaines que la France ait connues dans la mesure où aucun scénario n’apparaît vraiment crédible.
Qu’il est loin le temps où au cœur de la république gaullienne (dont la constitution est bien inadaptée aujourd’hui), Françoise Hardy décédée hier soir chantait « Tous les garçons et les filles ». C’était en 1962.
11 juin 2024
L’immense avantage d’avoir été opéré aujourd’hui aura été de suivre presque en continu sur toutes les chaînes d’information les péripéties politiques qui affectent la France depuis dimanche soir. En sortant de salle d’opération et à peine réveillé, je découvrais la décision d’Eric Ciotti de briser le tabou de l’alliance avec le RN. Drôle de réveil !
Emmanuel Macron vient en tout cas de parachever ce qui sera son « grand œuvre » : faire disparaître les deux grands partis de gouvernement en dispersant un peu plus les cendres de Charles de Gaulle et de François Mitterand.
À gauche d’abord, la seule « bonne » nouvelle du 9 décembre avait été le bon score de la liste menée par Raphaël Glucksmann et l’enterrement probable de la NUPES. On pouvait espérer la renaissance d’un pôle social-démocrate en France. Rien de tout cela avec le nouveau « Front populaire » (n’épiloguons pas sur l’escroquerie historique que représente l’utilisation de cette expression marquée en particulier par Léon Blum en un temps où l’antisémitisme était une réalité… en France aussi). À peine vainqueur, Glucksman, a été marginalisé et la NUPES reconstituée avec LFI en position de force et Olivier Faure prêt à nouveau à aller à Canossa. L’hypothèse évoquée par Glucksmann de faire appel à l’ancien dirigeant de la CFDT, Laurent Berger semble avoir fait flop. Il est resté à voir ce que feront les orphelins de la social-démocratie comme Bernard Cazeneuve ou Manuel Valls. Mais ils ne pèsent plus guère.
Et puis à droite, voilà donc Ciotti qui franchit le Rubicon, à titre personnel, mais aussi pour l’instant en tant que président des républicains. La décision est certes « niçoise », mais elle sonne le glas de ce qui restait du vieux parti gaulliste déjà largement dévoyé de Chirac à Sarkozy.
Le RN a logiquement préféré les républicains aux approches de Marion Maréchal estimant que de toute manière les votes de Reconquête lui étaient acquis.
Exit donc le rêve de la reconstitution des deux pôles qui ont marqué la vie politique française depuis un demi-siècle. La balle est à la « droite nationale » (plus ou moins extrême selon les goûts) et au centre. Les nouveaux (Horizon) et anciens (Modem) centres peuvent-ils avec un si bref délai assurer le relais d’un macronisme essoufflé sans véritable alternative à son fondateur.
La chambre qui sera élue le 7 juillet risque d’être « introuvable » sauf à ce que le RN trouve suffisamment de républicain pour atteindre la majorité. En tout état de cause, le président pourrait appeler un membre du RN (Bardella ?) pour former un gouvernement en espérant peut-être comme Mitterand et Chirac autrefois qu’il se brûle les ailes comme ce fut le cas en d’autres dissolutions de Balladur et de Juppé. Mais, cette fois, Macron ne peut se représenter et peut-on tout jouer sur l’échec du RN au gouvernement malgré la totale vacuité de son programme économique.
En 1933, l’entourage conservateur du président Hindenburg fit un pari identique et décida de confier un gouvernement de coalition au NSDAP et à Hitler. On connaît la suite, mais bien sûr, cette comparaison n’a guère de sens quatre-vingt-dix ans plus tard…
10 juin 2024
La surprise n’est pas venue de là où on l’attendait. Les résultats des élections européennes sont conformes aux attentes : une écrasante victoire du RN, la liste de Glucksmann qui talonne sans la dépasser la liste macroniste (dont le score est quand même plus bas qu’attendu), les Verts et Marion Maréchal passant de justesse le « cut » et les Insoumis faisant un peu mieux et le LR un peu moins qu’espéré. Grossièrement, la droite nationale – tout cumulé – compte pour 40 % et la gauche extrême un peu plus de 10 %, ce qui fait quand même au total la moitié de l’électorat (un Français sur deux s’est déplacé) pour le vote protestataire. Jusque-là; rien de malheureusement bien surprenant.
Mais comment interpréter la réaction d’Emmanuel Macron et sa décision de dissoudre l’Assemblée et de convoquer des élections à la fin du mois ? Coup de poker titrent ce matin la plupart des journaux. Le président joue manifestement la carte du sursaut républicain en espérant empêcher que puisse se reconstituer une union de la gauche, façon NUPES. Il espère que puisse se constituer une majorité parlementaire capable de gouverner en s’appuyant sur les trois partis de gouvernement de droite, du centre et de gauche « responsable ». Sur le papier, c’est jouable, mais dangereux : les électeurs français sont en général plus cohérents qu’on ne le pense dans leurs votes et le risque est grand qu’il en sorte une assemblée ingouvernable avec un RN certes peu susceptible de détenir une majorité absolue, mais capable de bloquer toute solution viable surtout si, à droite chez les républicains, les tentations de rapprochement avec le RN se concrétisent.
D’une manière ou d’une autre, la France va entrer dans une période de cohabitation, mais Emmanuel Macron affaibli et peu crédible aura bien du mal à en faire une transition ordonnée pour les trois années à venir. Il est bien difficile d’imaginer quoi que ce soit de positif pour la France dans les semaines et les mois à venir.
Au niveau européen, la poussée des droites populistes est incontestable, mais les grands équilibres sont à peu près respectés et l’éclatement des groupes d’extrême droite permettra probablement à Madame von der Leyen de poursuivre à la tête de la Commission. La France est cependant la grande perdante de ces élections. Emmanuel Macron sera de moins en moins écouté ce qui est grave quand on pense au dossier ukrainien. Elle perd nombre de députés sortants expérimentés (tous ses spécialistes des questions agricoles par exemple).
Comme au poker, Emmanuel Macron vient de faire « Tapis ». Mais, il n’y aura pas de poker magique qui permettrait de sortir la France de son désarroi et de son marasme tant politique qu’économique.
9 juin 2024
En ce dimanche d’élections européennes, il fait beau sur la France. La perspective du vote a probablement un peu retenu les Français et les marchés parisiens fourmillaient ce matin plus qu’à l’ordinaire (il semble pourtant que le taux de participation soit faible. La préparation des J.O. et ces jours derniers, la venue à Paris de Joe Biden ont perturbé la vie des Parisiens.
L’actualité est sportive : les Bretons fêtent la montée du RC Vannes dans le TOP 14 en rugby, une première pour la Bretagne. En cyclisme, c’est le Slovène Primoz Roglic qui a remporté le Dauphiné Libéré, mais l’absence des grands favoris du moment, l’autre Slovène Tadej Pogacar qui vient de survoler le Giro et le Danois Jonas Vingegaard que l’on retrouvera pour le Tour de France. À Rome ont lieu les championnats d’Europe d’athlétisme et à paris, à Roland Garros, un Allemand et un Espagnol se disputent la finale. Un beau dimanche de printemps donc. Dans les bureaux de vote, on comptait une bonne vingtaine de bulletins possibles sur les 38 listes en compétition. Retenons le superbe chat du parti animaliste et dans un genre différent la prose des communistes révolutionnaires du NPA qui veulent « renverser le capitalisme pour sauver la planète et en finir avec les oppressions ». La liste est conduite par une conductrice d’autobus et un postier licencié sur le thème « Urgence révolution ». Un peu de fraîcheur face au cynisme qui a prévalu à la composition des « grandes listes ».
7 juin 2024
C’est après-demain que vont se dérouler les élections au Parlement européen. Pour beaucoup, il s’agit d’une étape – presque secondaire – dans un parcours électoral national quelque peu chaotique qui culminera en 2027.
Et pourtant, comment ne pas apprécier à sa juste valeur le fait de tenir ainsi des élections à l’échelle de – presque – tout le continent européen. En son temps, Victor Hugo l’avait rêvé, mais c’était avant que l’Europe ne se déchire par deux fois au siècle dernier. Qui aurait cru, dans les ruines laissées par la Seconde Guerre mondiale, que l’initiative de Robert Schuman et de Jean Monnet en 1950 de placer charbon et acier sous une même « Haute Autorité » porterait de tels fruits (à l’époque, les États-Unis du Plan Marshall en furent un fervent soutien). Au fil des ans, des élargissements, des avancées et des reculades, l’Europe est devenue une réalité, complexe certes, mais qui, de l’euro à Schengen, a profondément marqué la vie quotidienne de ses citoyens. C’est sans nul doute le plus grand apport que les deux générations d’après-guerre ont fait aux générations suivantes, celles du XXIe siècle.
Comment expliquer alors que ce scrutin européen ne suscite que de maigres passions nationales ? Il est vrai que, faute de constitution véritable, la gouvernance européenne peine à convaincre. Comment expliquer ainsi la subtilité des « trilogues » entre la Commission (non élue), le Conseil des chefs d’État et le Parlement ? Trop souvent, l’exigence de la subsidiarité a cédé le pas aux tentations bureaucratiques inhérentes à tout exécutif qui n’est pas directement responsable devant des électeurs. D’autres États-Unis, ceux d’Amérique, rencontrent les mêmes problèmes et on y fustige tout autant Washington qu’en Europe, Bruxelles. Mais au moins, tous les quatre ans, y a-t-il place pour un vote. Ce devrait être le cas en Europe avec les élections du 9 juin, mais celles-ci tournent à un affrontement stérile où les enjeux nationaux prennent la pas sur toute autre considération dans un vote presque « secondaire » qui laisse la place libre aux protestataires par principe.
La France ne fait pas exception à ce constat. Il est vrai qu’en France, les parlementaires européens ont presque un statut de « seconds couteaux ». La composition des listes des candidats a toujours favorisé le repêchage des échecs des scrutins nationaux et cette année encore les parlementaires sortants sérieusement impliqués dans leur travail à Bruxelles et Strasbourg n’ont pas été les plus favorisés, toutes tendances politiques confondues. Comment se passionner pour un scrutin dans lequel les « vedettes » – sauf exception – ne s’engagent guère si ce n’est pour préparer leur atterrissage national ?
L’Europe vaut mieux que tout cela tant elle est une chance immense que par négligence nous commençons à laisser filer entre nos doigts. Dans les années cinquante, les Britanniques avaient préféré à la CEE leur propre association de libre-échange. On connaît la suite avec l’adhésion puis le Brexit. Le danger de la dilution de l’Europe, il est aussi dans les votes du 9 juin et Victor Hugo ne comprendrait guère notre mal européen, lui qui le 21 août 1849 s’exprimait ainsi :
« Un jour viendra où les boulets et les bombes seront remplacés par les votes par le suffrage universel des peuples, par le vénérable arbitrage d’un grand Sénat souverain qui sera à l’Europe… ce que l’Assemblée législative est à la France ».
Ce jour est venu, mais le méritons-nous ?
6 juin 2024
Quatre-vingtième anniversaire du débarquement du 6 juin 1944, le « D Day ». La France – et son président actuel – ne sont pas avares de commémorations, certaines anecdotiques, mais celle-là est légitime, même s’il faudra encore presque une année pour mettre l’Allemagne à genou, et cela grâce surtout à la pression soviétique.
Cette année, l’anniversaire prend une dimension particulière. Il y a dix ans, Vladimir Poutine était presque présent tout comme son homologue ukrainien Petro Porochanko. La Russie venait d’annexer la Crimée. Ce fut l’occasion de négociations en « format Normandie », l’Allemagne et la France jouant les bons offices sans grand succès. Il est vrai qu’à l’époque, Angela Merkel pensait encore possible d’attacher un peu plus la Russie à l’Europe (cela passant aussi par l’achat de gaz russe et la construction de Nordstream).
Cette année, Vladimir Poutine n’a pas été invité et les réunions qui se tiennent autour de la Normandie n’ont plus le même « format ». C’est l’occasion de renforcer entre Européens et Américains le soutien à l’Ukraine en franchissant de nouveaux interdits comme l’utilisation des armes occidentales pour frapper la Russie. Joe Biden est là et Emmanuel Macron s’entend à bousculer un Olaf Scholz toujours aussi timoré.
Il reste le souvenir, les derniers vétérans, l’hommage dans les cimetières, la mémoire de la dernière guerre sur le sol français : quatre-vingts ans de paix ensuite grâce à l’Europe !
4 juin 2024
Deux pays membres des BRICS viennent de tenir leurs élections générales. Dans les deux cas, il s’agit de démocraties et malgré quelques doutes en termes de moyens utilisés par les partis au pouvoir, les résultats en sont éloquents : en Inde, le BJP de Narendra Modi a perdu sa majorité au Parlement tout comme en Afrique du Sud, l’ANC de Cyril Ramaphosa. Dans l’un et l’autre cas, ils ne pourront rester au pouvoir qu’en s’alliant, en Inde avec des partis régionaux, en Afrique du Sud peut-être avec des dissidents de l’ANC.
La relative défaite de l’ANC était attendue en Afrique du Sud tant l’échec économique et social y est patent, tant la corruption y est endémique. Ce qui est inquiétant, c’est que le seul parti à vraiment progresser est celui de l’ancien président Jacob Zuma dont le bilan fut pourtant accablant. La transition post-ANC sera difficile.
Le recul du BJP est beaucoup plus surprenant et c’est le premier revers de Narendra Modi qui jusque-là régnait sans partage en poussant un agenda de plus en plus hindouiste et xénophobe. Certes, l’opposition est émiettée et le Congrès n’est plus l’ombre de ce qu’il fut au temps de Nehru et d’Indira Gandhi. Mais l’alliance probable du BJP avec des partis régionaux va probablement mettre un frein à la dérive hindouisante de Modi.
En Inde et en Afrique du Sud, en tout cas, le réflexe démocratique a joué. Il n’est pas sûr que cela incite Poutine et Xi à faire de même.
2 juin 2024
Après le cacao autour de Pâques, le mois de mai – bien frais et humide en Europe – a été marqué par quelques folies sur le marché du cuivre, par un record pour le jus d’orange et un autre pour l’or et par un frémissement des prix du blé. On pourrait y ajouter l’antimoine tiré par la demande de l’industrie de l’armement, mais aussi des panneaux solaires. À chaque fois, on retrouve les mêmes ingrédients : la météo et le climat (cacao, jus d’orange), la géopolitique et bien sûr la spéculation nourrie par un intérêt accru des investisseurs et des fonds pour nos chères matières premières. Ce dernier point n’est pas nouveau : une légende des hedge funds américains, Jim Simons, le fondateur de Renaissance technologies, qui vient de disparaître à 86 ans, n’avait-il pas fait ses premiers pas de mathématicien sur les marchés dans les années soixante-dix sur le soja et le sucre !
Alors que les marchés de l’énergie sont plutôt calmes et raisonnables (ce qui pourrait être trompeur pour le gaz naturel), l’intérêt se focalise sur les métaux, tout particulièrement ceux liés de près ou de loin à la transition énergétique (et au premier chef le cuivre), et sur les produits agricoles. Le climat et les guerres en sont les principaux vecteurs.
Pour les métaux, après l’excitation provoquée par le squeeze sur le marché de New York, le cuivre devrait revenir à la logique de ses fondamentaux, rester probablement jusqu’à la fin de l’année au-dessus de $ 10 000 la tonne au LME en « en gardant sous le pied » pour les années suivantes. Pour les autres métaux, les perspectives restent marquées par des excédents. Quant aux métaux précieux, ils montent en ligne « au bruit du canon ». Remarquons que la mise sous le boisseau de l’OPA de BHP sur Anglo ne règle pas le sort de cette dernière, le « maillon faible » des géants de la mine.
Dans le domaine agricole, la principale inquiétude concerne la Russie avec les gelées tardives qui devraient réduire un peu plus la production de blé. Les perspectives chinoises sont par contre bonnes, ce qui pose le problème du niveau des importations de grains sur la prochaine campagne. Il reste enfin notre petit déjeuner quotidien : outre le jus d’orange, café, cacao et même sucre demeurent tendus.
L’un des « investisseurs-spéculateur » les plus connus de la planète, le Français Pierre Andurand qui a fait sa fortune et sa renommée sur le pétrole, prévoit depuis son exil fiscal à Malte que le cacao pourrait atteindre $ 20 000 la tonne et le cuivre $ 40 000. Tous deux étaient à
$ 10 000 il y a quelques semaines ! On peut rêver.
1er juin 2024
Au petit matin, dans le cœur de la monstrueuse caserne construite à Bercy pour abriter le ministère français des Finances, le général Standard et le colonel Poors s’approchent du capitaine Macron et du lieutenant Le Maire. Un roulement de tambour et ils leur arrachent leurs épaulettes…
Voilà donc la France « dégradée » par S and P ! À vrai dire, on reste dans le champ du symbole et, déjà, sous Sarkozy, elle avait perdu son AAA, puis sous Hollande son AA+. La voilà maintenant reléguée en AA-. Parallèlement, la dette de la France n’a cessé d’augmenter alors que les déficits budgétaires dérapaient de plus en plus. Ce qui était tolérable au temps du Covid et du « quoi qu’il en coûte » ne l’est plus aujourd’hui et il faut convenir que la France est retombée dans ses vieilles ornières dépensières. Certes, le gouvernement cherche à faire des efforts, mais dans le mille-feuille administratif français, chacun attend de l’autre qu’il fasse le premier des économies. À ce petit jeu, les collectivités locales – tenues pour l’essentiel par des partis d’opposition – ne sont pas les dernières. À les entendre, presque tous les budgets devraient être sanctuarisés alors qu’il n’est pas question d’augmenter encore les impôts.
S and P a probablement raison et il n’est même pas sûr que, à droite comme à gauche, la leçon soit entendue et comprise.
28 mai 2023
En cette fin du joli mois de mai (frais et pluvieux en Europe), la scène géopolitique mondiale aura été rarement aussi tendue : mort – apparemment accidentelle – du président iranien Ebrahim Raisi et incertitudes quant à la succession du Guide suprême ; élections en Afrique du Sud et possible perte de la majorité détenue par l’ANC ; dissolution du Parlement et élections au Royaume-Uni et probable victoire des travaillistes ; visite de Vladimir Poutine en Chine alors que les armées russes progressent en Ukraine ; poursuite des frappes e actions israéliennes dans la bande de Gaza alors que de nouveaux pays européens reconnaissent l’État palestinien ; procès de Trump à New York ; et puis quand même des élections européennes qui, dans la plupart des pays, font le lit des droites populistes…
Nous sommes loin – très loin – de cette fin de l’histoire dont nous rêvions au début du siècle, en un temps que l’on aurait presque pu qualifier de « Belle époque ». En réalité, tous les craquements actuels sont l’héritage des plaies mal cicatrisées du siècle dernier. Même l’Europe, la seule réussite incontestable de la deuxième partie du XXe siècle, s’essouffle faute de projets. Partout ou presque, les démocraties souffrent et les totalitarismes obtus, qui s’appuient sur les extrémistes de tous bords, prospèrent.
Pessimiste ? Non, malheureusement réaliste.
24 mai 2023
Après le cacao, ce sont maintenant les métaux qui font preuve d’agitation avec des records historiques pour l’or (près de $ 2 500 l’once), le cuivre (à plus de $ 11 000 la tonne à New York), mais aussi des tensions pour l’argent, l’étain et même le nickel (en partie « grâce » à la Nouvelle-Calédonie).
Chaque marché a bien sûr sa propre histoire. Pour l’or, c’est l’accumulation des bruits de bottes et puis aussi la perspective de baisses des taux d’intérêt. Pour le cuivre, la demande est là et le marché est déjà déficitaire. Mais le dernier accès de fièvre à New York est lié à une banale affaire de spéculation dans laquelle quelques « shorts » se sont fait piéger. Le rebond du nickel (modeste en réalité) est lié aux événements en Nouvelle-Calédonie tandis que l’étain dépend de la guerre dans les provinces du nord de la Birmanie. À cette liste, on pourrait ajouter le jus d’orange qui, à l’image de l’or, a battu un record de prix victime tant de maladies que de la météo.
À nouveau, les matières premières attirent les « investisseurs », au même titre d’ailleurs que le bitcoin dont la cotation sur le marché de Chicago (le CME) vaut lettre de noblesse. Mais les matières premières, au moins, c’est du concret, ce sont des histoires et derrière les « charts » il y a des hommes.
22 mai 2023
La décision de la CPI de La Haye de s’attaquer tant aux dirigeants du Hamas qu’au Premier ministre israélien est une première dont on ne peut que saluer le rare équilibre. Alors que certains, à l’ONU en particulier, s’enflammaient en parlant de génocide (ce qui dans ce contexte n’a guère de sens), la CPI a su raison garder en mettant au même niveau les principaux « coupables » : les dirigeants du Hamas en premier lieu, eux qui ont tout déclenché en cherchant à relancer leur cause en se fabriquant à bon compte des « martyrs » ; B. Netanyahou ensuite dont la politique de provocation a éloigné toute chance de solution à deux états et qui a cautionné une riposte disproportionnée, faisant d’ailleurs en réalité le jeu du Hamas.
Bien entendu, la décision de la CPI reste du champ du symbolique (Poutine en sait quelque chose). Mais elle ne peut que renforcer, d’un côté comme de l’autre, les hommes et les femmes de bonne volonté. En Israël, tous ceux qui, il y a un an encore, manifestaient contre la mainmise de Netanyahou et de ses soutiens sur une politique de confrontation et d’exclusion. En Palestine, tous ceux – inaudibles pour l’instant – qui ne cautionnent ni la violence du Hamas ni la corruption de l’Autorité palestinienne. Quelques colombes bien isolées, assourdies par le fracas des armes et les vociférations des uns et des autres. Que dire, que faire de plus ?
21 mai 2023
De toutes les métropoles italiennes, Gênes est la moins connue alors même que son histoire l’a longtemps placée au premier rang. Gênes fut en effet la grande adversaire de Venise, présente à Byzance, mais aussi par ses comptoirs en mer Noire. C’est par l’un d’eux à Caffa en Crimée qu’arriva à Gênes la Peste noire en 1348. Gênes avait perdu la première manche face à Venise, mais dès le XVIe siècle, elle prit sa revanche. Alors que Venise voyait la route de la soie et du poivre coupée par les conquêtes mongoles, Gênes finançait au contraire les grandes découvertes portugaises et espagnoles. Les banquiers génois – plus encore que les Fugger d’Augsbourg – assurèrent les arrières financiers de Charles Quint puis de Philippe II. Ce fut l’âge d’or de Gênes, le moment où se construisirent ses plus beaux palais (Doria, Spinola…) avec les plus grands artistes (Rubens…). Mais à la différence de Venise, Gênes ne put conserver son indépendance et tomba sous le joug autrichien.
C’est aujourd’hui le premier port italien qui dame le pion à Marseille et Barcelone. Mais de sa splendeur passée, la ville n’a conservé que quelques lambeaux, un dédale de rues étroites accrochées à la montagne, un port qui continue à grouiller au vent de toutes les migrations et des palais donc où l’on peut trouver des portraits de négociants génois peints à Anvers au XVIe siècle au temps d’une autre mondialisation dont Gènes fut un temps un des centres.
19 mai 2023
Il y a exactement cinquante ans, Valéry Giscard d’Estaing battait François Mitterand et devenait le plus jeune président élu de la république (depuis, Emmanuel Macron a fait mieux). À l’époque, Raymond Depardon avait suivi la campagne de VGE et le film qu’il en a fait est une plongée dans un océan de souvenirs pour la génération de septuagénaire auquel appartient l’auteur de ces lignes. On l’oublie, mais ce furent alors les premiers pas de « l’union de la gauche » qui devait l’emporter en 1981. Mais on n’en était pas là à l’époque et à la porte de Versailles on chantait encore l’Internationale le poing levé avec les camarades François (Mitterand), Georges (Marchais) et Robert (Fabre).
Jacques Chaban Delmas était alors le candidat naturel des gaullistes et il pouvait séduire aussi une partie de la gauche : n’avait-il pas été l’homme de l’ouverture, de la « nouvelle société » au lendemain de Mai 68, s’entourant de collaborateurs comme Jacques Delors. Mais Chaban accumula les maladresses et fut aussi trahi par un jeune loup nommé Jacques Chirac. VGE donna une impression de jeunesse face à ces hommes de la IVe qu’étaient Chaban et Mitterand.
La malchance de Giscard fut d’arriver en pleine crise économique, de n’avoir guère de marges de manœuvre et de ne laisser de son septennat que bien peu de choses (la loi Veil sur l’avortement) alors qu’il aurait pu faire infiniment mieux et plus. La haute estime (souvent justifiée) qu’il avait de lui-même le coupa rapidement des Français et ce même Mitterand l’élimina sept ans plus tard.
15 mai 2023
Émeutes en Nouvelle-Calédonie. Un projet de réforme et d’élargissement du corps électoral a mis le feu aux poudres. La situation est la plus grave qu’ait connue le « caillou » depuis quarante ans. Il est vrai que depuis la situation politique et surtout économique ne s’est guère améliorée. À l’époque, tous les espoirs avaient été placés dans le nickel avec une « doctrine nickel » privilégiant la transformation du minerai sur place. Deux nouvelles usines – Goro et Koniambo – avaient vu le jour, appuyées par deux des principaux groupes miniers mondiaux, Vale et Glencore. Mais la scène du nickel a changé avec l’émergence d’un pays – l’Indonésie qui pèse aujourd’hui plus de la moitié de l’offre minière et métallurgique mondiale. Les cours erratiques se sont effondrés depuis deux ans et le nickel calédonien (au stade du métal) n’est plus rentable. L’usine du nord est à l’arrêt, celle du sud accumule les pertes et l’exportation du nickel reste entravée par les contraintes aveugles d’une « doctrine nickel » qui tourne à l’absurde.
L’erreur de tous, indépendantistes comme loyalistes, a été de croire que le nickel était l’avenir et la chance de la Nouvelle-Calédonie. Il en a été au contraire une malédiction comme d’ailleurs tant de matières premières pour les pays producteurs. Le nickel a éteint toutes les velléités de diversification de l’économie. Personne, à la dangereuse exception de la Chine, n’imagine y investir et l’ironie est grande d’entendre fustiger le colonialisme d’une France dont le soutien financier se perd dans ce tonneau des Danaïdes.
14 mai 2023
Présentation du rapport CyclOpe 2024. C’est donc notre trente-huitième édition, d’une aventure qui a commencé en un autre monde, en plein contre-choc pétrolier et alors que le premier importateur mondial de céréales était l’URSS et que la Chine était pratiquement absente de tous les marchés.
En 2024, c’est la Russie qui est le premier exportateur mondial de blé, l’OPEP+ se bat pour maintenir les cours du blé et la Chine est partout des métaux critiques aux viandes ou au sucre. Mais le plus important aujourd’hui, c’est la place occupée par les incertitudes géopolitiques.
Ce qui a marqué en effet ces quarante années, c’est la montée de l’instabilité et de la volatilité des marchés qui réagissent au moindre aléa climatique, mais surtout politique et géopolitique. Il suffit de citer la guerre en Ukraine (pétrole, gaz, grains, engrais), les conflits du Moyen-Orient (pétrole, gaz, fret maritime), les tensions avec la Chine (métaux électriques et bien d’autres), mais aussi les élections en Inde (riz, sucre), la crise du Sahel (uranium). Le monde tangue de partout au gré d’improbables fragmentations et les marchés de commodités en sont le témoin.
Le sous-titre de CyclOpe cette année est emprunté à Alexandre Dumas : « Attendre et espérer », ce qui résume bien nos impuissances. L’attente semble bien longue tant les conflits actuels paraissent inextricables (sans oublier l’interrogation majeure de l’élection américaine). Il reste l’espérance : « Sans espérance, tout ça ne serait que cimetière » écrivait Charles Péguy.
13 mai 2023
Alors qu’en France de plus en plus de concessionnaires automobiles jouent la carte chinoise en distribuant des véhicules électriques à des prix imbattables, aux États-Unis on agit. Utilisant l’article 301 de la loi commerciale, l’administration américaine a décidé de quadrupler les droits de douane sur les automobiles chinoises et de les faire passer de 25 % à 100 %. Les droits sur les batteries sont aussi augmentés.
Alors qu’en Europe on est encore au stade de l’enquête (ce qui avait suscité une violente réaction chinoise et une contre-enquête sur le dumping du cognac), les États-Unis agissent de manière brutale, parlant en réalité la seule langue que peuvent aujourd’hui comprendre les Chinois, celle de la force. Et en fait, la menace chinoise sur le dossier automobile est beaucoup plus grande pour l’Europe que pour les États-Unis. Le passage aux véhicules électriques y sera beaucoup plus rapide et les modèles chinois sur le marché sont de qualité égale ou supérieure aux modèles européens, avec un incontestable avantage sur les prix liés à une meilleure intégration de la chaîne autour des batteries et de leurs composants et aussi grâce à du dumping pour prendre des parts de marché. L’Europe est-elle capable de parler aussi durement à la Chine ? On peut le souhaiter, mais en douter.
10 mai 2023
L’Allemagne est bien l’homme malade de l’Europe. Non seulement sa croissance est à peu près nulle, son industrie – y compris l’automobile – est en crise et même le célèbre « Mittelstand » (les grosses PME) souffre, ses dirigeants politiques à commencer par le fade Olaf Scholz n’inspirent aucune confiance, mais – preuve ultime du malaise – la démographie allemande est en berne comme jamais. En 2023, les naissances en Allemagne ont diminué de 6,2 % par rapport à 2022, au plus bas depuis 2013. Quant aux mariages, ils s’affichent en baisse de 7,6 %, un niveau qui nous ramène à 1950. Longtemps, la démographie allemande avait souffert d’une vision traditionnelle de la femme. Les jeunes Allemandes ne se reconnaissaient pas dans le modèle des trois K de leurs mères : « Kinder, Küche, Kirche » (enfants, cuisine, église). Et il est vrai que l’Allemagne est très en retard sur la France dans la prise en charge de l’enfance, des crèches par exemple.
Mais là, le mal est plus profond et l’Allemagne est aux prises avec un sentiment « d’ungemütlichkeit » (malaise ou mal-être) probablement accentué par sa proximité de l’Ukraine et son impuissance militaire. À la différence d’autres pays européens comme la France, cela ne profite pas trop politiquement aux extrêmes, mais la réalité est celle d’un pessimisme allemand que confirme la chute des naissances. Et cette paralysie allemande est un peu aussi celle de l’Europe.
8 mai 2023
La France se met au vert ! Le hasard du calendrier fait se cumuler la célébration de la « victoire » de la Seconde Guerre mondiale puis le jeudi de l’Ascension et enfin un petit pont pour cinq jours de vacances. Est-ce bien raisonnable pour un pays qui peine à sortir de la croissance zéro ? Mais en France, on ne badine pas avec les jours fériés même si ceux-ci n’ont plus guère de signification.
La France a-t-elle gagné la Seconde Guerre mondiale ? Rendons grâce au général de Gaulle d’avoir réussi à faire un peu oublier l’ignominieuse défaite de Juin 1940 tout comme le comportement veule d’une bonne partie des Français au moins jusqu’au début de 1944. Remercions aussi Churchill de l’avoir soutenu contre Roosevelt (qui ne mérite guère une station de métro et une avenue à Paris…). Mais, comme les Britanniques, on aurait pu se contenter du 11 novembre.
Quant au jeudi de l’Ascension, s’il reste important pour les catholiques, il faut admettre ce paradoxe d’une France laïque et de plus en plus déchristianisée qui continue à « fêter » toutes les fêtes chrétiennes même si le vocabulaire du politiquement correct prohibe de plus en plus Noël (fête de fin d’année) et Pâques (vacances de Printemps). Il nous reste bien la Pentecôte, le 15 août (l’Assomption) et la Toussaint, concurrencée, il est vrai, par Halloween. Mais foin de scepticisme et vivent les vacances !
5 mai 2023
Emmanuel Macron a eu une drôle d’idée. Pour amadouer Xi Jinping, il a eu l’initiative de le convier là où cet homme d’Amiens considère avoir ses racines à la Mongie dans les Pyrénées. La Mongie est en fait une création récente, une station de ski qui remonte aux années soixante sur le flanc du col du Tourmalet de cycliste mémoire. De l’autre côté du col se trouve Barèges où fut installé le premier téléski pyrénéen ainsi qu’un tremplin, mais qui, bien avant, avait accueilli Madame de Maintenon, venue faire prendre les eaux au petit duc du Maine.
Les deux chefs d’État ont été déjeuner à l’auberge du Col du Tourmalet, malheureusement dans la neige et le brouillard, ce qui n’a pas réchauffé des relations qui restent fraîches même si Xi Jinping semble avoir lâché un peu de lest symbolique sur le cognac et quelques morceaux de viande. À vrai dire, la visite européenne de Xi avait bien d’autres motivations et son passage en France était une simple étape entre la Serbie et la Hongrie, deux pays qui ne cachent pas leur soutien à Vladimir Poutine (que Xi va recevoir à Pékin dans quelques jours). En matière internationale, que ce soit vis-à-vis de la guerre en Ukraine ou du conflit entre Israël et l’Iran, la Chine demeure d’une totale ambiguïté, soucieuse seulement d’avancer ses pions et profitant du brouhaha pour traiter à sa manière ses propres problèmes de Hong Kong aux Ouïghours. L’Europe pèse bien peu dans les préoccupations chinoises et il est si facile de jouer de ses divisions.
4 mai 2023
Le 14 mai sera publié le trente-huitième rapport CyclOpe. Jean-Louis Gombeaud et moi avions en fait commencé cette aventure en 1985 avec un premier livre sur les Marchés mondiaux en 1984/1985, issu de nos chroniques hebdomadaires sur Radio France Internationale. À l’époque, celle du contre-choc pétrolier, de la chute des accords internationaux du café et de l’étain, des guerres commerciales céréalières entre les États-Unis et l’Europe (l’URSS était le plus important importateur mondial de céréales…), les matières premières n’étaient pas vraiment le sujet à la mode et bientôt on allait se passionner pour la « nouvelle économie », celle en particulier de l’immatériel et des technologies de l’information.
En ces presque quatre décennies, CyclOpe a traversé bien des cycles et des chocs : les trente glorieuses de la « mondialisation heureuse », les crises asiatique et celle d’internet, le choc financier de 2008, l’envolée des marchés mondiaux de 2008 à 2012, l’émergence de la Chine et puis ces dernières années avec le Covid puis la guerre en Ukraine, l’entrée dans une nouvelle « époque » de l’histoire de notre planète.. Les perspectives sur les matières premières ont évolué de l’abondance de la fin du XXe siècle, aux craintes actuelles de pénuries liées aux contraintes de la transition énergétique. De manière symbolique, deux produits bien différents ont franchi la barre des $ 10 000 la tonne ces derniers jours : le cacao et le cuivre, les deux vedettes de ce début de printemps 2024.
CyclOpe a connu les derniers feux de la guerre froide et en 2024, son sous-titre « Attendre et espérer » illustre bien les craintes suscitées par de nouvelles guerres et par une nouvelle guerre froide au moins sur le plan économique avec la Chine.
Sur cette période, le monde a aussi connu la généralisation de « l’instable ». Avec le recul de l’historien, on peut estimer que le passage du « stable à l’instable » aura été la grande mutation de ces années. Après les devises et les produits financiers, toutes les matières premières sont devenues des « commodités » et bien au-delà, à l’image du fret maritime (et surtout les conteneurs), de l’électricité et de la plupart des produits de la première transformation industrielle. Les marchés des commodités mesurent ainsi à tout moment la température de la planète, ils sont, au fond, la partie émergée de toutes les tensions géopolitiques et, plutôt que de fustiger la spéculation (réelle avec parfois ses égarements « d’exubérance irrationnelle » comme c’est le cas actuellement pour le cacao), il faut savoir aussi en écouter les messages, attendre, espérer, mais aussi agir ! Il ne sert à rien de casser le thermomètre pour avoir plus chaud ou plus froid. Et force est de constater – aujourd’hui beaucoup plus qu’hier – l’intervention des États est souvent bien maladroite et que la gestion internationale des crises, politiques et économiques, est d’une cruelle inefficacité.
CyclOpe raconte l’histoire des marchés. Un jour, peut-être, les hommes connaîtront la « fin de l’histoire ». Mais pour l’instant, ce vieux rêve tant d’Hegel que des contes de fées est bien oublié.
29 avril 2023
Les chiffres tombent et ne cessent de nourrir les argumentaires politiques dans la perspective des élections européennes. L’Europe en général – et la France même un peu plus – voient augmenter leur retard tant économique qu’industriel et technologique par rapport aux États-Unis. Et certains emploient à nouveau le titre d’un « bestseller » de 1967, « Le défi américain ».
Signé par Jean-Jacques Servan Schreiber et en grande partir rédigé par Michel Albert, « Le défi américain » fut un livre prémonitoire tant ses prévisions se concrétisèrent deux décennies plus tard avec la troisième révolution industrielle en grande partie née aux États-Unis, des garages de la Silicon Valley aux laboratoires de la région de Boston. Et c’est au fond cette vague que les États-Unis continuent à chevaucher dans l’approfondissement continu des technologies de la communication (les Magnificent Seven et bien d’autres) et des biotechnologies.
Depuis le Covid, le rebond américain impressionne alors que l’Europe stagne, plombée notamment par un véritable problème existentiel allemand. Et force est de constater que le fonctionnement de l’UE avec ses lourdeurs institutionnelles et politiques est devenu un véritable handicap. Même la guerre en Ukraine peine à relancer l’industrie de défense européenne alors que l’essentiel des crédits votés par le Congrès américain en faveur de l’Ukraine va soutenir un peu plus l’industrie américaine ! Le défi américain indeed !
28 avril 2023
Médée de Marc Antoine Charpentier était donné aujourd’hui à l’opéra Garnier. Curieux destin que celui de cet opéra oublié pendant plusieurs siècles : Charpentier avait longtemps existé dans l’ombre de Lulli et son librettiste Thomas Corneille ne parvint jamais à se faire un prénom à côté de son frère Pierre auquel il emprunta une bonne partie de la trame de cet opéra. Ce n’est que depuis une vingtaine d’années que, dans le grand mouvement de renaissance du baroque, la partition a été tirée de l’oubli par quelques pionniers comme William Christie qui dirigeait ce soir les Arts florissants.
Mais le génie est venu de la mise en scène de David Mc Vicar. Il a fait le choix d’abandonner la mythologie et de nous plonger quelque part vers 1940. Corinthe – la France – est confrontée à l’envahisseur. Son roi, Créon, a de faux airs de De Gaulle qui cherche à jouer ses alliés les uns contre les autres. Jason est un officier de la Navy (Mers el Kebir n’est pas loin) qui trompe son monde. Quant à Oronte, c’est un aviateur américain, un brave lourdaud qui se fait berner par l’anglais. Bien sûr, il y a un peu de fantastique avec la magicienne Médée. Les voix – en français – sont superbes et le tout réconcilie avec une musique baroque qui eut donc son heure de gloire en France, avant d’être oubliée pendant plusieurs siècles, l’opéra français disparaissant presque avant de renaître au XIXe siècle.
27 avril 2023
On l’a un peu oublié, mais avant que parte de Nanterre en mars 1968, la mèche qui devait exploser deux mois plus tard en ce « Mai 68 » qui continue à hanter les mémoires de nombre d’« anciens combattants », l’agitation avait débuté sur les campus américains et en particulier à New York à Columbia. 1968, c’est, après l’assassinat de Martin Luther King, le début de la grande contestation d’une communauté afro-américaine dont les enfants étaient en première ligne au Vietnam. C’est effectivement la lutte contre la guerre du Vietnam qui fédérera des tendances aussi diverses que les hippies et autres « flower people », les admirateurs de la révolution culturelle chinoise, les situationnistes et tant d’autres.
À la différence de la France, où les universités ont perdu beaucoup de leur prestige face aux grandes écoles ou à des « ovnis » comme Sciences Po, les grandes universités américaines (Ivy League et autres) ont conservé toutes leur aura, adossées à une puissance financière sans équivalent. La dérive d’une partie des facultés, gangrénées par un wokisme borné, n’est que plus symptomatique et le contraste est d’autant plus frappant avec des États-Unis en passe de réélire Donald Trump. C’est un peu la même distance que l’on retrouvait dans «The Graduate» de Mike Nichols sorti en France en septembre 1968 !
26 avril 2023
On aurait pu imaginer que le discours prononcé hier par Emmanuel Macron sur l’Europe (la Sorbonne 2) aurait fait ce matin la une de tous les médias. Il n’en a rien été : un obscur procureur de Mont-de-Marsan lui a volé la vedette par sa conférence de presse à propos de « l’accident » dont a été victime le chanteur gitan Kendji Girac à Biscarosse. Ainsi vont les médias.
C’est là bien injuste tant le discours d’Emmanuel Macron sur l’état de l’Europe fut pertinent. Le constat est sévère sur les limites et les blocages de la construction européenne et il a eu raison de souligner que rien n’était acquis, que l’Europe pouvait se détricoter si rien n’était fait pour aller plus loin notamment dans le champ industriel et énergétique. La comparaison est en effet cruelle avec les États-Unis, avec la mise en place rapide de l’IRA, avec les protections accordées aux entreprises américaines. Plus « fou du roi » que jamais, Emmanuel Macron a dit et proposé tout haut la nécessité d’aller de l’avant afin que l’Europe puisse rester le plus bel héritage que nous allons léguer aux générations futures. Sera-t-il entendu ? Rien n’est moins sûr tant auprès des partenaires de la France (à commencer par le toujours aussi fade Olaf Scholz) que des Français eux-mêmes. C’était peut-être là une sorte de testament macronien. On le relira plus tard en se demandant pourquoi on ne l’a pas écouté !
22 avril 2023
Les étudiants candidats au Master Affaires internationales (le 212 !) de l’université Paris-Dauphine se souviennent avec émotion d’une question traditionnelle de « géographie » qui leur était souvent posée par l’auteur de ces lignes et baptisé les 3K : « Où se trouve Kaliningrad ? ». À l’époque, avant le conflit avec la Russie, bien peu étaient capables de situer l’enclave russe ente la Pologne et la Lituanie. Il fallait ensuite qu’ils donnent le nom allemand de cette ville de Prusse orientale, fondée par les chevaliers teutoniques en 1255. Aux biens rares qui répondaient Könisgsberg, il était demandé le nom du philosophe qui y avait passé l’intégralité de son existence : Kant !
Emmanuel Kant est né à Königsberg le 22 avril 1724, il y a donc trois siècles. Il y a passé toute son existence jusqu’à sa mort en 1804. Il serait futile de revenir en ces quelques lignes de revenir sur l’apport de la philosophie kantienne à la pensée de ces trois siècles. Sa postérité va du romantisme allemand du XIXe siècle à une bonne partie de la philosophie politique actuelle. Mais à l’occasion de cet anniversaire, il est intéressant de voir combien Kant peut être « récupéré » actuellement par tous les bords, à commencer – paradoxe – par Vladimir Poutine !
Détruite en 1945 (mais la tombe de Kant a survécu…), Königsberg est donc devenue Kaliningrad, une enclave isolée où stationne encore une partie de la flotte russe de la Baltique. Au cœur de toutes les tensions.
15 avril 2023
La fin du XIXe siècle fut en France une grande époque de duels. Chacun souhaitait venger son honneur, mais en général celui-ci pouvait être satisfait « au premier sang ». Il en est un peu ainsi aujourd’hui entre Israël et l’Iran et surtout de la part de l’Iran. Par Houthis et Hezbollah interposés, l’Iran n’a cessé de souffleter Israël en proférant aussi les plus folles menaces. Pour la première fois, Israël a décidé de gifler directement l’Iran en s’en prenant à son consulat à Damas et y en tuant quelques généraux. L’honneur obligeait l’Iran à réagir, mais il restait le choix des armes. Les dirigeants iraniens ont opté pour des fleurets mouchetés dont ils savaient qu’ils ne transperceraient pas le plastron adverse dont, par ailleurs, la défense est redoutable. Mais l’assaut a eu lieu et l’honneur est sauf. Il nous faut maintenant attendre la réaction israélienne. La raison voudrait que l’on en reste au premier sang et c’est ce que les témoins d’Israël – États-Unis et Europe, mais aussi discrètement les pays arabes sunnites – lui ont conseillé. Israël ne gagnerait rien à punir encore l’agresseur.
C’est ce que pensent les marchés du pétrole qui s’inscrivaient en baisse aujourd’hui, spectateur silencieux d’un duel dont ils craignaient le pire et que le premier sang semble satisfaire.
12 avril 2023
Avec le temps des vacances dites de printemps revient celui des devoirs des petits enfants qu’un grand-père attentionné se doit d’accompagner. Mais il faut s’adapter au nouveau vocabulaire des pédagogues. Autrefois, on faisait ainsi des « rédactions » (et plus tard des dissertations). La rédaction s’est transformée en « production d’écrits ». Qu’en termes choisis, cela est mal dit ! L’enfant est donc un producteur et l’alignement des mots donne un écrit. Cet écrit-là s’exprimera probablement sur un écran avec tous les raccourcis que l’on peut imaginer.
Ce n’est pas la première fois que les cuistres qui se prétendent pédagogues cherchent à se distinguer par leur jargon prétentieux digne des Précieuses ridicules. Mais là, même Molière ne se reconnaîtrait pas en producteur d’écrits. Dans rédaction, il y avait l’idée de rédiger par son intelligence et son imagination. La rédaction ouvrait la porte de la poésie que la production d’écrits referme brutalement. Bientôt, la lecture ne sera plus autre chose que le stockage de données que l’on trouvera aussi bien au fil de nos écrans. La production d’écrits sera aussi bien vite dépassée par l’intelligence artificielle. Lire et écrire, à quoi bon !
10 avril 2023
$ 2 300 l’once ! L’or a franchi la barre et semble même se diriger vers les $ 2 400, une appréciation de 15 % depuis le début de l’année. La perspective d’une baisse des taux d’intérêt (qui semble pourtant quelque peu s’éloigner avec l’insolente santé de l’économie américaine), les achats des banques centrales désireuses de diversifier leurs réserves, la bonne santé de l’économie indienne à l’aube de la « saison des mariages », l’appétit des épargnants chinois, tout cela joue bien sûr. Mais il y a surtout les bruits de bottes autour de l’Ukraine, de l’Iran, d’Israël et de Gaza bien sûr. L’or se nourrit de toutes ces peurs et de ces craintes.
Quel gâchis pourtant. En dehors de la bijouterie et de quelques usages industriels, l’or est en effet par essence un placement stérile. Les ressources qui lui sont consacrées échappent au circuit de l’économie. L’or ne rapporte rien, ne sert à rien ; il ne crée rien et au fond des coffres des banques, il détruit même de la valeur. Mais on doit lui reconnaître une incontestable capacité de survie et les pièces qui s’échangent sur les marchés, le souverain anglais ou les 5 roubles de Nicolas II nous ramènent en des temps oubliés.
Une nouvelle monnaie vient d’ailleurs d’apparaître dont l’or est une partie de l’étalon : il s’agit du Zig, la nouvelle monnaie du Zimbabwe dont la crédibilité à l’aune de la gouvernance de ce malheureux pays apparaît bien faible.
5 avril 2023
75 ans ! c’est l’âge où commencent en général les problèmes de santé : cancers, problèmes cardiaques, articulations… La médecine fait des prodiges, mais dans certains cas la « mort clinique » est proche. Ce fut le diagnostic que porta, il y a quelques années déjà, le Dr Macron à propos de l’OTAN qui fête justement son soixante-quinzième anniversaire.
Et voilà qu’il aura suffi que Vladimir Poutine montre ses griffes pour réveiller la belle endormie qui a même complété son glacis avec l’adhésion de la Finlande et de la Suède. Certes, tous les membres de l’OTAN ne jouent pas le même jeu et au sud-est, la position turque est pour le moins ambiguë. Mais le problème majeur est, paradoxalement, celui des États-Unis. Longtemps, l’OTAN se reposa sur le parapluie américain, sur le déploiement de troupes en Europe, sur un quartier général d’abord à Paris (l’actuelle université Dauphine…) puis à Bruxelles. L’Allemagne en particulier en profita au point d’entretenir un véritable désarmement. Mais voilà, les États-Unis changent et ce que Donald Trump a dit tout haut, nombre de responsables politiques américains plus « raisonnables » le pensent tout bas. En toute logique, l’Europe devrait prendre le relais. Mais quelle Europe ? Dans l’état actuel des institutions européennes, nommer un commissaire européen à la Défense n’aurait guère de sens. Après la monnaie, la défense est l’autre prérogative régalienne qu’il faudra partager. Mais quel chantier !
4 avril 2023
En 1944, l’écrivain brésilien Jorge Amado, originaire de l’état de Bahia, publia un livre « Sao Jorge dos Ilheus » qui fut traduit en français en 1951 sous le titre de « La Terre aux fruits d’or ». Dans l’entre-deux-guerres, le Brésil était le premier producteur mondial de cacao et dans l’état de Bahia, la production en était concentrée autour de la ville d’Ilheus. Mais la dépression des années trente balaya les fruits d’or et après-guerre la production brésilienne de cacao ne cessa de reculer, touchée de plein fouet par une maladie au nom poétique (le « balai de sorcières »), mais redoutable pour les arbres. Le cacao devint africain, au Ghana d’abord puis en Côte d’Ivoire. Les cabosses de cacao furent parfois qualifiées d’or brun, mais ces dernières années on était bien loin du compte et le cacao avait même été la seule des matières premières à voir ses prix stagner alors que bien d’autres flambaient.
Et voilà que soudain, en ces temps de Pâques, propices à la consommation de chocolat, les fruits d’or redeviennent de saison. À vrai dire, l’or lui-même, ce métal absurde indicateur de toutes les peurs, bat de nouveaux records (presque $ 2 300 l’once). Mais le cacao est dans une autre dimension et il vient de dépasser à plus de $ 10 000 la tonne un autre or, rouge celui-là, le cuivre. Qui eût imaginé il y a quelques semaines encore que le cacao passe avant le cuivre la barre des $ 10 000 la tonne ? Le cuivre, en effet, avait de sérieux atouts : c’est le métal par excellence de la transition énergétique dont la consommation ne va cesser d’augmenter sans que la production minière puisse suivre ; certaines prévisions le voient proche de $ 15 000 avant la fin de la décennie même si pour l’instant il piétine autour de $ 9 000. De tous les métaux, c’est le cuivre qui a les plus brillantes promesses et il sera sans nul doute la matière première stratégique du XXIe siècle. Mais le cacao ?
Depuis toujours, le cacao a suivi les chemins de la mondialisation. Ce sont les infantes d’Espagne qui ont apporté en Europe le goût de ce cacao que les conquistadors avaient ramené du Mexique. Ce sont les Hollandais qui en développèrent la culture au Brésil. Et aujourd’hui, avec la mondialisation des goûts, la consommation s’en développe en Asie. La production est par contre restée africaine, concentrée même sur la Côte d’Ivoire et le Ghana qui se plaignaient l’année dernière encore de la faiblesse des prix. Trois mauvaises campagnes climatiques ont suffi à transformer les excédents en déficits mettant aussi en évidence l’impact du vieillissement des plantations. En trois ans, le prix du cacao a quadruplé. Et pour quelques jours, la fève est devenue l’attraction des marchés financiers.
Tout cela, bien sûr, ne durera guère et les marchés de matières premières sont fertiles en retournements spectaculaires. Sur un produit comme le chocolat, l’élasticité prix de la consommation est forte. Et puis le voyage du cacao n’est pas terminé et à ce prix, il pourrait revenir vers l’Amérique du Sud : l’équateur déjà, mais aussi le Brésil où paradoxalement il pourrait s’inscrire dans des programmes de reforestation, lui permettant d’échapper aux fourches caudines moralisatrices que l’Union européenne cherche à imposer. À ce jeu, les petits planteurs familiaux ivoiriens et ghanéens seront perdants à coup sûr.
L’histoire de la Terre aux fruits d’or que contait Jorge Amado était cruelle. Celle d’aujourd’hui, en Afrique surtout, le sera tout autant.
28 mars 2024
Qui y a-t-il de commun entre la Zambie et Patrick Drahi ? Leur dette, bien sûr ! Soyons honnêtes, le milliardaire franco-israélien (mais résident en Suisse…) a une ardoise beaucoup plus salée (25 milliards d’euros) que l’ancienne Rhodésie du Nord ($ 13 milliards au moment du défaut en 2020). La Zambie vient de trouver un accord avec ses créanciers privés pour $ 4 milliards. Ceux-ci ont accepté de diminuer de 22 % leur ardoise, ce qui reste au fond assez raisonnable étant donné la stabilité politique du pays et le potentiel de ses ressources naturelles et en particulier du cuivre. La dimension politique est bien sûr très présente puisque ce sont des entreprises chinoises et derrière l’état chinois qui sont les principaux créanciers. La Chine a donné son feu vert… pour l’instant.
Patrick Drahi n’a pas ses problèmes. Sans vergogne, il a proposé à ses créanciers obligataires de diminuer leurs notes de quelques 30 %, sans pour autant d’ailleurs leur donner de véritables garanties tant son « empire » ressemble à un château de cartes. On dira, bien sûr, que ceux qui lui ont prêté, qui ont acheté son papier, n’étaient pas des naïfs et connaissaient leurs risques. Drahi n’est pas le premier à avoir ainsi fait illusion, à avoir bâti sur du sable en tordant le cou à ses fournisseurs et maintenant à ses créanciers.
La Zambie devrait rebondir. Quant à Drahi, il peut jouer de l’énormité de sa dette pour échapper au pire. En tout cas, il n’y a pas de morale à cette histoire.
27 mars 2024
$ 10 000 la tonne ! Non, ce n’est pas le cuivre qui a déjà dépassé deux fois cette barre symbolique et qui pour l’instant piétine autour de $ 9 000. Voilà l’or rouge dépassé par l’or brun, le cacao !
À la veille de Pâques qui, soyons honnêtes, marque plus les Français par ses œufs en chocolat et autres lapins que par sa dimension spirituelle, voilà donc le cacao qui flambe au-delà de toute raison. Pendant longtemps, en effet, la tonne de fèves se traitait entre $ 2 000 et $ 2 500, ce qui était un prix largement insuffisant pour permettre aux producteurs de survivre et surtout d’entretenir leurs plantations : en Afrique, en effet, la production de cacao est une affaire de petites exploitations familiales. Le résultat en a été une plus grande fragilité de la Côte d’Ivoire et du Ghana (les deux pèsent deux tiers de la production mondiale) aux aléas climatiques et cette année tout particulièrement au phénomène d’El Niño. Là-dessus est venue se greffer une psychose de pénurie qui a enflammé la spéculation sur les marchés à terme de New York et de Londres. Les niveaux actuels ne sont en effet pas « raisonnables » et ne correspondent pas à la logique des fondamentaux (offre/demande). Il y a de fortes chances que le marché se retourne de manière violente dans les semaines à venir. Ceci étant, la situation restera tendue au moins sur les deux campagnes à venir. Ensuite, il faut s’attendre à une remontée de la production mondiale en particulier en Amérique du Sud, en Équateur et au Brésil, là même où le cacao domina la région de Bahia, lorsqu’il était l’arbre aux fruits d’or conté par Jorge Amado.
26 mars 2024
Quel bel exemple de démocratie que vient de donner le Sénégal ! L’affaire était pourtant mal partie. Macky Sall, le président sortant, avait dans un premier temps décidé de repousser les élections en raison de problèmes rencontrés dans le choix des candidats par le Conseil constitutionnel. Il se disait déjà que le candidat « officiel », le Premier ministre en poste, était en butte à de fortes oppositions, y compris au sein du parti présidentiel. Après quelques péripéties et suivant l’avis du Conseil constitutionnel, les élections se sont tenues le 25 mars avec seulement quinze jours de campagne. Pour calmer le jeu, Macky Sall avait par ailleurs décrété une amnistie qui a permis à son principal opposant de sortir de prison tout comme son bras droit. C’est celui-ci, Bassirou Diawaye Faye, qui était sur la liste des candidats et qui l’a emporté dès le premier tour, dix jours seulement après avoir été libéré. Tous ses adversaires ont reconnu leur défaite et une nouvelle fois le Sénégal devrait connaître une alternance démocratique.
C’est là un beau symbole que l’on s’en voudrait de gâcher par quelques inquiétudes. Ceux qui arrivent ainsi au pouvoir n’ont, en effet, guère de programme au-delà de quelques effets de manche autour du néocolonialisme. Et puis la nouvelle équipe va être confrontée à un défi majeur, celui de la gestion de la rente du pétrole et du gaz dont le Sénégal va commencer à bénéficier dans les mois à venir. C’est bien de chercher à en obtenir plus de la part des compagnies pétrolières (BP et Woodside), mais encore faudra-t-il savoir l’utiliser et échapper à cette malédiction des matières premières qui touche tant de pays africains.
24 mars 2024
Un attentat islamique à Moscou ? C’est franchement un des événements auquel on pouvait le moins s’attendre et dont on peine à saisir les méandres. Vladimir Poutine vient à peine d’être réélu avec un score que l’on peut qualifier de « soviétique » et il a montré avec des opposants aussi différents que Prigojine et Navalny qu’il tient le pays avec une main de fer. Par ailleurs, il entretient des relations plutôt correctes – voire exceptionnelles – avec la plupart des pays musulmans. Certes, il a soutenu Assad en Syrie et s’est donc opposé à l’État islamique. Certes, les Russes n’ont pas que des amis en Afghanistan et l’Asie centrale est un véritable chaudron. Enfin, vu du côté de l’État islamique qui a revendiqué l’attentat, il est probablement plus facile de frapper en Russie que dans des pays occidentaux. Il semblerait même que les services de renseignement américains avaient prévenu les Russes des risques d’attentat et que ces derniers y avaient vu de la propagande… Tout cela, Poutine l’a dénié et au contraire, il n’y a vu que la main – fort improbable – de l’Ukraine.
Cet attentat nous renvoie aussi sur un autre front, celui de l’Asie centrale et des ex-républiques soviétiques devenues pour la plupart des autocraties postcommunistes, prises entre la Russie et la Chine dont on sait la manière musclée qu’elle a de traiter ses propres musulmans ouïghours. Dans cette région, l’alignement russe sur la Chine s’affaiblit. C’est un nouveau « grand jeu » que l’État islamique, avec ses bases en Afghanistan, peut perturber. Dont acte !
21 mars 2024
Absurde ! Le vote au Sénat du rejet de l’accord de libre-échange UE/Canada (le CETA), au-delà de contorsions politiques à quelques semaines des européennes, confine à la bêtise et les dirigeants agricoles qui ont poussé les sénateurs sont franchement des irresponsables !
L’accord du CETA était une vieille histoire. Son principal problème était d’avoir été négocié avant le Brexit et d’avoir dû être adapté en catastrophe : nombre des quotas d’exportations agricoles canadiennes visaient en effet spécifiquement le Royaume-Uni. C’était notamment le cas des viandes. À l’expérience, puisque le CETA fonctionne maintenant depuis plus de cinq ans, le résultat en a été favorable pour l’agriculture européenne en général et française en particulier. Avec le Canada, on parle, en effet, de systèmes agricoles comparables, d’agricultures familiales où les normes diffèrent, certes, mais où les contraintes restent de même ordre. La chose est totalement différente avec le Mercosur et l’Ukraine : là, le monde agricole a raison de refuser d’être l’éternelle variable d’ajustement de considérations géopolitiques.
Rien de tout cela avec le CETA et les organisations agricoles françaises se sont fourvoyées dans leur hostilité aveugle au CETA sans prendre conscience au fond qu’elles jouaient le jeu d’autres forces de politique française cette fois-ci qui les manipulent sans vergogne.
17 mars 2024
Il y a quelque chose de fascinant dans la relation que les « grands patrons » en France entretiennent avec la presse et les médias et le rachat d’Altice Media (BFM et RMC notamment), jusque à la contrôlée par Patrick Drahi, par Rodolphe Saade (CMA CGM) en est une parfaite illustration. À vrai dire, longtemps en France, la presse a été l’objet de l’attention du patronat. Dans l’après-guerre, les Prouvost (textiles) et autres Beghin (sucre) puis Dassault, Lagardère, avaient leurs journaux, mais ces dernières années, le mouvement a pris une ampleur considérable et tous les nouveaux « oligarques » qui dominent la scène française des affaires ont ainsi leurs « danseuses » : Arnault, Pinault, Drahi remplacé donc par Saade, les Dassault (par héritage), Bolloré, Niel, Pigasse… Certains respectent l’indépendance des rédactions. D’autres à l’image de Bolloré n’ont pas ces scrupules.
Tout ceci est à la fois rassurant et inquiétant. Rassurant, car, au fond, dans un secteur systématiquement déficitaire et menacé (la presse écrite) de disparition, il n’est pas mauvais d’avoir des mécènes à fonds perdu ; rassurant aussi de voir que ces capitaines d’industrie sont capables de choix irrationnels qui, un peu à l’image de l’art, leur offrent un statut social. Mais inquiétant aussi lorsqu’ils imaginent qu’une rédaction peut se manipuler comme une vulgaire entreprise et qu’ils se rêvent en véritables patrons de presse et de médias, ce qui est une autre affaire. L’audition ces derniers jours de Vincent Bolloré par une Commission inquisitoriale de l’Assemblée nationale a frisé le ridicule. Mais le mélange des genres peut susciter sinon l’inquiétude, au moins la perplexité.
16 mars 2024
L’engrenage de la violence à Gaza est proche de l’emballement. Sauf à tout détruire – et encore –, Tsahal ne parviendra pas à éradiquer le Hamas qui pourra pour survivre se draper un peu plus dans le manteau des persécutions. Mais, après le 7 octobre, comment justement ne pas condamner le Hamas, rester confondu devant l’irresponsabilité de ses dirigeants qui ont sacrifié leurs concitoyens en jouant le jeu des fanatiques israéliens. Sur ce dernier point, mieux vaut être soi-même juif pour en parler.
C’est ce que vient de faire le chef de file des démocrates au sénat des Etats-Unis Chuck Schumer. Il a directement attaqué Benjamin Netanyahou et son gouvernement en estimant qu’il ne correspondait plus aux besoins d’Israël et que les États-Unis ne pouvaient plus lui donner un blanc-seing à Gaza et surtout pour la suite. Juif libéral, comme la majorité du judaïsme américain, Schumer est aux antipodes du judaïsme orthodoxe qui contrôle les équilibres politiques en Israël (soutenu paradoxalement par les chrétiens évangéliques américains).
L’historien Yuval Noah Hariri, dans un article du Financial Times, va plus loin, expliquant combien Palestiniens et juifs ont au fond des histoires comparables et rêvent de la même chose ; se débarrasser de l’autre, l’expulser pour occuper tout le territoire du Jourdain à la Méditerranée. L’exemple pourtant des Arabes israéliens montre que la coexistence est possible. Malheureusement, Hariri ne va guère au-delà en matière de pistes. Mais comme l’a dit brutalement Schumer, se débarrasser de Netanyahou (et aussi d’Abbas) serait un pas dans la bonne direction.
14 mars 2024
Dans un exercice bienvenu de clarification, Emmanuel Macron vient de préciser sa position sur la guerre en Ukraine. Et pour une fois, il l’a fait de manière claire et tranchante en évitant ses éternels « en même temps ». Après avoir longuement hésité et avoir ménagé Poutine plus que de raison, il a tranché en allant même au-delà de ce que l’on pouvait espérer en provocant au passage une belle polémique en Europe : oui, au-delà de l’Ukraine, l’Europe est menacée ; oui, la Russie représente une menace vitale ; oui Poutine est prêt à tout pour l’emporter, mais il regarde déjà probablement au-delà de l’Ukraine, vers les pays baltes d’abord, mais ensuite ? Son pari a toujours été celui de la faiblesse de l’Europe, de l’absence de toute ardeur combative : une Europe qui se coucherait comme autrefois pour Dantzig. Il fallait donc qu’une voix se fasse entendre pour dire quelques vérités, pour affirmer que l’envoi d’armes, de munitions et d’argent avait ses limites et que peut-être un jour il faudrait aller sur le terrain. Prisonniers de leur passé et en pleine crise tant morale que politique, l’Allemagne, par la voix du pitoyable Olaf Scholz, a protesté. Mais de Vilnius à Tallinn, on a applaudi. La guerre en Ukraine dépasse l’Ukraine : face à la folie dictatoriale, à l’irrationnel du pouvoir au Kremlin, le sursaut des démocraties est nécessaire. Et c’est l’honneur de la France que de l’avoir rappelé.
12 mars 2024
L’acier vient de faire irruption dans la campagne électorale américaine. Joe Biden a fait part de ses réticences (et même plus !) à autoriser le rachat d’US Steel par Nippon Steel.
US Steel ! Longtemps, ce fut le joyau du complexe industriel américain : le « Trust » de l’acier avait été constitué au XIXe siècle par l’un des principaux barons de Wall Street, Andrew Carnegie (celui-là même qui par la suite devint l’archétype de la philanthropie américaine en disant qu’il ne servait à rien d’être « le plus riche du cimetière »). US Steel resta longtemps le principal acteur de la sidérurgie américaine et en a connu le lent et irrémédiable déclin alors que la capitale de l’acier, Pittsburgh, devenait peu à peu une ville fantôme. Il en fut de même en Europe et les dynasties de l’acier, Wendel, Krupp, Thyssen, Schneider et bien d’autres ont été aussi balayées en passant souvent par l’étape de la mondialisation. British Steel appartient aujourd’hui à l’indien Tata et c’est un autre indien, Mittal, qui a acheté Arcelor, à la fois français, luxembourgeois et belge, et espagnol. Alors pourquoi pas US Steel acheté par un japonais ? À l’aune de la high tech, les montants en jeu sont ridicules, à peine une quinzaine de milliards de dollars. Et même aux États-Unis qui voudrait de hauts fourneaux et de leurs nuages de carbone ? Mais nous sommes là dans le domaine du symbole, du destin aussi de vieilles communautés industrielles dont déjà le charbon est condamné. Et puis Trump est à l’affût avec son MAGA (Make America Great Again). Alors, Biden hésite. Faut-il sauver l’acier américain ?
8 mars 2024
L’OMC est-elle menacée du même sort que sa voisine genevoise, la CNUCED ? La CNUCED avait connu son heure de gloire dans les années soixante-dix : en 1976, la quatrième CNUCED s’était tenue à Nairobi et avait lancé le Programme intégré sur les Produits de Base. Ce fut un échec total : déjà à la fin du siècle, plus aucun accord de stabilisation des prix des matières premières ne fonctionnait. La CNUCED sombra dans l’oubli et la quinzième CNUCED qui s’est tenue en octobre 2021 est passée totalement inaperçue même pour les spécialistes de commerce et de développement.
C’est que, pensait-on, au bord du lac, l’OMC avait pris le relais en lançant même, tout en accueillant la Chine, le cycle de « développement de Doha » en 2001, quelques semaines après les attentats du 11 septembre. Mais, voilà que l’OMC est prise de la même langueur que la CNUCED, langueur qui, à vrai dire, a toujours saisi les institutions internationales des bords du Léman, à commencer par la SDN de l’Entre-deux-guerres. L’OMC vient de tenir à Abu Dhabi sa treizième conférence ministérielle. Nul n’en a parlé et c’est au fond logique puisqu’il ne s’est rien passé. Tout y est bloqué à commencer par l’Organe de règlement des différends faute de juges que les États-Unis refusent de valider avec une admirable constance d’Obama à Biden en passant par Trump.
Il n’y a donc plus de gendarmes ni de tribunal. Les barrières douanières – et plus subtilement tous les obstacles possibles – ne cessent de se dresser. Récemment, quelques attaques de navires en mer Rouge ont révélé l’enchevêtrement de paradis fiscaux et de pavillons de complaisance qui est la règle dans le transport maritime. Le contournement des sanctions à l’encontre de la Russie a sollicité un peu plus l’imagination des uns et des autres.
À Genève, au fond, les négociants font plus pour les marchés que des institutions internationales qui n’ont même plus de légitimité.
Les marchés fonctionnent, nous dira-t-on ! Ils restent, quoique l’on pense de la spéculation, le fidèle écho des tensions de la planète : en forte baisse pour les vedettes de 2022, le blé (à moins de $ 200 la tonne), le nickel (à moins de $ 17 000 la tonne) et le gaz (à € 25 le MWh sur le TTF européen), presque stable pour le pétrole (autour de $ 80 le baril), en légère hausse déjà pour le cuivre ($ 8 500 la tonne) et puis à des niveaux record pour le cacao (bien au-delà de $ 6 000 la tonne) et le café Robusta ($ 3 300). Il y a eu, bien sûr, en ces dernières semaines, bien d’autres records à commencer par ceux des bourses de valeur (le CAC à plus de 8 000 !), mais aussi ceux de l’or ($ 2 141 l’once) et du bitcoin (proche de $ 70 000). Mais préférons le cacao et le café tant ils sont importants pour l’Afrique qui reste pour l’essentiel à l’écart des marchés et qui du Tigray au Kivu, du Soudan au Sahel subit de plein fouet la folie des hommes.
6 mars 2024
Un navire vient d’être coulé par les Houthis yéménites dans le golfe d’Aden, à l’entrée de la mer Rouge. Il s’agit d’un bateau qui transportait des engrais (21 000 tonnes de sulfate de phosphate d’ammonium) du golfe Arabo-Persique vers la Bulgarie. Les Houthis ont choisi de s’attaquer aux navires des « alliés » d’Israël, les États-Unis et la Grande-Bretagne au premier chef. Mais comment déterminer la nationalité d’un navire ? Le « Rubymar » battait pavillon du Bélize. L’adresse du propriétaire du navire était effectivement celle d’une société du nom de Golden Adventure, localisée dans un appartement de Southampton, mais enregistrée aux îles Marshall. Le navire était géré par une société libanaise et une autre société libanaise qui avait servi d’intermédiaire pour cet affrètement. Ajoutons, par ailleurs, que l’équipage était syrien… Il y a de quoi effectivement s’y perdre et les Houthis se demandent à juste raison quel est ce « maréchal » américain qui protège ainsi les navires…
Dans le transport maritime, ce n’est pas là quelque chose de nouveau : mais de pavillons de complaisance en paradis fiscaux, avec des équipages trop souvent exploités, c’est une situation qui se prête à tous les trafics et, comme on le sait, le contournement des sanctions russes a poussé très loin l’imagination des commerçants.
Les Houthis se sont donc un peu trompés de cible et il y a fort à craindre que la cargaison qui s’échappe maintenant du navire ne pollue les rives du Yémen et ne se retourne contre les pêcheurs yéménites.
4 mars 2024
« Autrefois », c’est-à-dire il y a une bonne trentaine d’années, les réunions portant sur le commerce international organisées dans le cadre du GATT étaient des événements marquants sur la scène mondiale. À Seattle, à Hong Kong ou à Genève, les débats étaient certes dans la salle, mais surtout dans les rues : c’était l’époque où les « altermondialistes » fustigeaient l’Uruguay Round qui se négociait alors. Les manifestations étaient souvent violentes comme d’ailleurs à l’occasion des sommets du G7. La « société civile » y gagna ses premiers galons. Nostalgiques du « nouvel ordre économique international » des années soixante-dix, celui qui avait été dominé par la conférence des Nations Unies sur le Commerce et le Développement (CNUCED) et dont l’échec avait été patent, les contestataires s’opposaient à la « mondialisation libérale » dont le GATT puis l’OMC semblaient être le nom.
En 1995, l’Uruguay Round parvint à se conclure après une longue décennie de gestation (dont le point de blocage – bien oublié – avait été le conflit agricole entre les États-Unis et l’Europe) et l’accord donna naissance à une Organisation Mondiale du Commerce (signée en 1948, mais jamais ratifiée en pleine guerre froide, la charte de La Havane avait déjà prévu une telle institution). L’OMC porta à l’origine de grandes ambitions : celles d’organiser le commerce mondial, d’en être l’arbitre des conflits, d’étendre aussi tout un corpus de règles aux services, à la propriété intellectuelle, aux échanges électroniques. En 2001, à Doha, la Chine intégra l’OMC et un nouveau Round de négociations, plus ambitieux encore, fut lancé, le « Doha Development Round », le commerce au service du développement économique… Jamais conclu : le « cycle » de Doha est aujourd’hui bien oublié.
Fin février se tenait à Abu Dhabi la treizième conférence ministérielle de l’OMC. En d’autres temps, tous les activistes de la planète auraient convergé sur Abu Dhabi comme, quelques semaines plus tôt, ils l’ont fait à Dubaï pour la COP28. À Dubaï, ils étaient – dit-on – près de 100 000. À Abu Dhabi, ils furent à peine 4 000 pour un nouvel échec.
Depuis 2019, en effet, l’OMC est paralysée. La grande innovation des accords de Marrakech de 1995 avait été la création d’un Organe de Règlements des Différends (ORD) qui devait pouvoir juger en appel les conflits commerciaux entre les membres de l’OMC : depuis 1995, plus de 600 plaintes ont été déposées et près de 300 panels ont pu être constitués et leurs décisions entendues (avec quelques « causes célèbres » autour d’Airbus et de Boeing, des bananes et du sucre…). Mais, pour juger, il faut des juges… Dans une admirable continuité, les administrations américaines (Obama, Trump, Biden) ont refusé la nomination de nouveaux juges et au fil des retraites, cela fait cinq ans que nul jugement n’a pu être rendu, faute de juges. Inutile de dire qu’en année électorale américaine, aucun progrès n’a été fait sur ce sujet à Abu Dhabi.
Mais il en fut de même pour les autres sujets comme l’agriculture pour laquelle les fronts sont désormais renversés, l’Inde, notamment, estimant de son droit de constituer des stocks subventionnés, comme la pêche aussi pour laquelle en sous-main la Chine bloque toute tentative de limiter la surpêche. Seul résultat concret à Abu Dhabi, la prolongation de deux ans d’un moratoire sur le commerce électronique et sur l’économie numérique et puis quand même l’adhésion de deux nouveaux membres, les Comores et Timor (seule la Russie demeure absente…).
Il est loin donc le temps des grands affrontements et des débats idéologiques sans fin et on en serait presque nostalgique. Le commerce « bien tempéré » est un facteur de progrès économique et social. La loi de la jungle, celle du plus fort qui s’impose dans les négociations bilatérales (celles des accords de libre-échange) est une régression qui ne profite au fond qu’aux grands « fauves » que sont les États-Unis et la Chine.
Après cette conférence d’Abu Dhabi dont il ne restera presque rien, l’OMC va reprendre ses réunions à Genève dans l’indifférence générale, un siècle presque après la malheureuse Société des Nations qui ne se releva jamais – elle aussi – de l’absence américaine. Mais la SDN, elle, au moins, nous a légué « Belle du Seigneur » d’Albert Cohen !
29 février 2024
Il y a d’étranges coïncidences et un 29 février les rend un peu plus originales. Ce sont deux chiffres que rien ne réunit en ce jour si ce n’est le hasard des marchés : 55 euros et 60 000 dollars.
55 euros, c’est le prix d’une tonne de carbone sur le marché européen. Il y a quelques mois, on se réjouissait de voir cette tonne dépasser pour la première fois les 100 euros. C’était là le signe nécessaire pour mettre un coût à la pollution et inciter un peu plus à la transition énergétique. Bien sûr, l’Europe était une exception et sur le marché chinois encore balbutiant la même tonne de carbone valait à peine cinq dollars ! Mais, l’Europe montrait la voie. Malheureusement, le mécanisme du marché est ainsi fait que si la demande faiblit, le prix baisse. La crise industrielle européenne est passée par là et il y a eu moins de nuages de fumée de carbone à compenser sans que pour autant il y ait eu quelque effort. Un mauvais signal en tout cas.
De la demande pour le bitcoin, puisque c’est cet étrange produit qui coûte $ 60 000, se rapprochant de son record de $ 69 000 de la fin 2021, il y en a !. La spéculation est désormais autorisée aux États-Unis et le bitcoin a vu son prix presque doubler. Au vrai, ce prix n’a guère de sens puisqu’il est celui de l’inutile, d’une illusoire rareté trop souvent frelatée par les côtés les plus obscurs de la finance internationale.
Heureusement, il n’y a de 29 février que tous les quatre ans, car ces deux chiffres ne rendent guère optimistes.
28 février 2024
Dans une conférence à propos de son dernier ouvrage, le géopolitiste et aussi démographe, Bruno Tertrais, nous dit au hasard d’un graphique sur l’évolution de la population mondiale que l’endroit du monde où la fécondité est la plus forte est le district de Maradi au Niger. Peu de gens connaissent Maradi, mais l’auteur de ces lignes eut le plaisir d’y passer quelques jours il y a une trentaine d’années.
Maradi se situe au sud du Niger à proximité de la frontière avec le Nigeria. Kano, la grande ville du nord du Nigeria est juste de l’autre côté et profitant de cette position favorable, Maradi est devenue une ville de commerce et de contrebande. Les marchandises remontent en effet par voie ferrée jusqu’à Parakou au Bénin, puis des camions chargent les conteneurs, contournent le Nigeria pour arriver à Maradi où ils sont « dépotés ». Il s’agit souvent de fripes, de vieux vêtements en provenance d’Europe ou d’Amérique. Le commerce local est tenu par des Haoussas que l’on surnomme les « el hadjs de Maradi ». C’est un islam sunnite qui à l’époque n’était pas encore pénétré par la prédiction wahhabite. Depuis, la région est devenue plus instable avec l’émergence de Boko Haram.
Comment donc expliquer la performance démographique de Maradi ? L’islam, certainement, et puis aussi des réfugiés et une certaine sécurité dans une région de relative prospérité : commerce et natalité, voilà une corrélation rare. Maradi aujourd’hui est au cœur d’un chaudron et il n’est pas sûr que son exception démographique se perpétue longtemps.
24 février 2024
L’inauguration du Salon de l’Agriculture n’a pas été une partie de plaisir pour Emmanuel Macron confronté à la colère des agriculteurs qui ont transformé le pavillon des animaux de la porte de Versailles en un véritable champ clos d’affrontement avec les CRS. On doit saluer la pugnacité et la résilience du président qui a dû en plus assumer une « erreur » – qui en dit long – de son cabinet qui avait imaginé inviter à un débat des représentants du « Soulèvement de la terre », un véritable chiffon rouge pour le monde agricole.
Durant cette journée, Emmanuel Macron a fait tout son possible pour déminer la situation et s’est donc prononcé en faveur de quelques nouvelles mesures : des aides immédiates aux trésoreries des exploitations en difficulté et… des prix plancher.
Des prix plancher ? On ne sait qui est à l’origine de cette idée qui n’a rien de nouveau puisqu’elle fut le principe de base du fonctionnement de la PAC entre 1962 et le début de ce siècle. Le prix plancher s’appelait alors prix d’intervention : c’était le prix minimum garanti pour tout agriculteur européen (avec de subtiles différences suivant les régions et les époques). Le producteur pouvait, s’il ne trouvait pas preneur sur le marché, livrer sa marchandise à « l’intervention ». À l’origine, ce prix était garanti sans limitation de quantité. Il était fixé une fois par an lors des célèbres « marathons agricoles » qui réunissaient les ministres de l’Agriculture de ce qui était alors la CEE. Ajoutons que lors de la fixation des premiers prix agricoles européens, la facilité politique avait poussé à s’aligner sur les prix les plus élevés, ceux des Allemands. Dans ce système, les consommateurs finançaient donc les producteurs. Les principales productions concernées étaient les céréales, le lait, le sucre, la viande bovine… Le problème est que rapidement, l’Europe devint excédentaire. Les stocks d’intervention explosèrent et les subventions (appelées restitutions) à l’exportation irritèrent de manière assez légitime nos partenaires commerciaux. Dans un premier temps, on chercha à limiter les quantités garanties : ce furent ainsi les quotas laitiers, mais le système peu à peu devint trop complexe et ingérable dans une Europe qui acceptait de moins en moins les coûts de la PAC. On connaît la suite : l’intervention a disparu et Bruxelles ne dispose quasiment plus d’outils de gestion des marchés.
Alors aujourd’hui des prix plancher ? Peut-on vraiment faire croire qu’il est possible de remettre en selle la PAC des années soixante ? Le faire au seul niveau français est irréalisable. Et au niveau européen, il s’agirait de revenir sur des mécanismes oubliés qui buteraient rapidement sur les mêmes problèmes qu’autrefois : comment garantir des prix sans limiter les quantités, faudrait-il attacher des quotas de production à la terre ? Ces débats, nous les avons eus à la fin du siècle dernier et il n’est pas réaliste de chercher à revenir en arrière. L’idée de prix plancher peut séduire, elle n’est malheureusement qu’un miroir aux alouettes.
23 février 2024
En Indonésie, les élections présidentielles ont acté une certaine continuité. Le président Widodo ne pouvant se représenter après deux mandats, il avait choisi son successeur, Prabowo Subianto, qui a eu le bon goût de prendre le fils de Widodo comme colistier. Le problème est que Prabowo, un ancien général, a les mains tachées de sang depuis le temps où il menait la répression contre les insurgés du Timor oriental. Tout ceci semble bien oublié et les Indonésiens ont voté pour la continuité, celle de la prospérité de « l’ère Widodo ».
La réussite du pari de Widodo fut celle du nickel indonésien. L’Indonésie en est devenue le premier producteur mondial tant au niveau minier que métallurgique. Certes, il a dû laisser entrer beaucoup de capitaux chinois, mais Widodo – un peu comme Modi – a su maintenir un subtil équilibre entre la Chine et les États-Unis. Depuis dix ans, l’Indonésie a connu une croissance supérieure à 5 % (sauf pendant le covid) et pour 2023 et 2024, elle est plus proche de 7 %. Le PIB per capita dépasse maintenant les $ 5 000, ce qui n’est pas mal pour la première nation musulmane de la planète.
La percée indonésienne dans le nickel n’a toutefois pas fait que des heureux. Les autres producteurs souffrent à l’image de l’Australie et surtout de la Nouvelle-Calédonie presque voisines. Glencore vient d’annoncer qu’il allait sortir de l’usine du Nord (Koniambo) ; Trafigura se refuse de remettre au pot au sud (Goro). Les prix mondiaux sont inférieurs aux coûts de production, même en Indonésie et les excédents risquent de durer. Le miracle indonésien a quelques épines.
22 février 2024
Deux ans de guerre en Ukraine ! Le bilan humain est difficile à estimer, mais si l’on tient compte des deux côtés des morts, des blessés, des traumatisés, la réalité est probablement proche de 500 000 personnes. Après la Seconde Guerre mondiale, il y a eu certes d’immenses catastrophes humanitaires : le grand bond en avant et la révolution culturelle en Chine, les génocides du Cambodge et du Rwanda, les guerres d’Indochine puis du Vietnam, maintes guerres d’indépendances se transformant souvent en guerres civiles qui se poursuivent encore au Soudan. On a oublié le carnage que fut la guerre entre l’Irak et l’Iran. Mais tout cela était bien loin. En Europe, il y avait eu l’explosion de la Yougoslavie et puis les terrorismes irlandais ou basques. Mais de ce côté-là, on pouvait rêver de la fin de l’histoire, le vieux mythe hégélien.
Depuis deux ans, les perspectives ont changé. En Europe, le temps des dictatures est revenu, celui aussi de la force brutale et Poutine suscite suffisamment de soutiens pour que l’on puisse penser qu’il n’est pas une exception : au moins de plus en plus d’Européens – d’Américains aussi – refusent de « mourir pour Kiev ou Kharkov ». Cette guerre, dont on ne peut imaginer la fin, mène à un enlisement mortifère. Si les pays en première ligne sont exemplaires dans leur soutien à l’Ukraine, la France ne brille pas sinon par quelques bonnes paroles. C’est maintenant bien insuffisant.
19 février 2024
L’armée ukrainienne vient de subir un incontestable revers officiellement présenté comme un « repli stratégique » par le nouveau général en chef. La guerre est manifestement entrée dans une nouvelle phase : d’un côté le pouvoir russe semble avoir mis un terme à la crise de confiance qu’il a traversé en 2023. Avec le même cynisme, Poutine a éliminé Prigojine et Navalny. Grâce au pétrole et au gaz (et au soutien ambigu des alliés du Golfe) l’économie russe se porte mieux qu’anticipé. Le complexe militaro-industriel semble capable de fournir l’effort de guerre et l’armée donne l’impression d’être mieux commandée (quoiqu’il reste beaucoup de… chair à canon).
Du côté ukrainien, la lassitude est incontestable d’autant que l’effort de guerre est inégalement réparti entre le front et l’arrière où règne encore un certain niveau de corruption et où des profiteurs s’enrichissent. On parle ainsi d’un oligarque du poulet qui profite de la porte ouverte vers l’Europe. Les soutiens à l’Ukraine s’essoufflent aussi : aux États-Unis certes, mais aussi en Europe et malheureusement les milieux nationalistes ne sont pas les seuls ; les agriculteurs protestent ainsi avec une certaine légitimité. Mais surtout, les capacités de l’industrie de l’armement européenne touchent leurs limites. Le soutien à l’Ukraine est presque unanime, mais que faire sans les États-Unis ? Avec raison, Dominique Moisi a comparé la situation actuelle à celle de la Première Guerre mondiale vers 1916 lorsque les combattants s’épuisent lorsque les commandants en chef sont remerciés, lorsque le doute s’installe quant à la position des États-Unis. Deux ans et bien des bouleversements – en particulier la révolution russe – furent nécessaires pour « mal » terminer la Première Guerre mondiale.
Qu’espérer, qu’anticiper à propos du conflit actuel ? Du sang et des larmes certainement pour les Ukrainiens, mais aussi pour les Russes, mais de grâce pas d’indifférence en Europe !
14 février 2024
Curieusement, en 2024, la Saint-Valentin correspond au mercredi des Cendres. En France, autant l’un est célébré autant l’autre est ignoré même s’ils partagent les mêmes origines chrétiennes.
Fêter un Saint peut aujourd’hui paraître bien anachronique. Il y a bien sûr les Saints du calendrier des pompiers qui s’effacent peu à peu dans un gentil folklore. La fête de tous les Saints (la Toussaint) a été éclipsée par Halloween et ne survit dans les mémoires que grâce à un jour férié. Alors, Saint-Valentin ?
Saint-Valentin serait un martyr romain du IIIe siècle dont on ne sait que peu de choses. En 495, le pape Gelase en fixa la fête de 14 février, mais c’est son lointain successeur Alexandre VI Borgia, de sulfureuse mémoire, qui décida d’en faire le saint patron des amoureux. C’est surtout à partir du XIXe siècle que la dimension commerciale de la Saint-Valentin prit le dessus notamment dans le monde anglo-saxon au point d’ailleurs que le pape Paul VI supprima le pauvre Valentin du calendrier liturgique en 1969. Qu’importe, Valentin est désormais universel.
Le mercredi des Cendres marque lui, le début du carême, les quarante jours qui séparent les chrétiens de Pâques. Il était autrefois un jour de pénitence et de jeûne marqué par l’imposition des cendres en signe d’humilité et de conversion. Sauf pour les catholiques les plus pratiquants (2 % de la population française… et encore) sa célébration en est oubliée tout comme d’ailleurs la notion de carême (à la différence du rite voisin, mais fort différent du point de vue spirituel, du ramadan).
« Convertissez-vous et croyez à la Bonne Nouvelle », dit le célébrant au moment de l’imposition des cendres. C’est aussi ce que se disent entre eux les amoureux de la Saint-Valentin. Pour eux, la bonne nouvelle est celle de leur amour !
12 février 2024
Quelques jours après les grandes manifestations agricoles (et alors que les organisations syndicales restent mobilisées et sont reçues à l’Élysée et à Matignon) et avant le Salon de l’Agriculture, le film de Gilles Perret, « La ferme des Bertrand » est une remarquable plongée dans la réalité agricole. Voisin de la ferme savoyarde, le cinéaste avait réalisé un premier reportage il y a vingt-cinq ans et disposait même d’images des années soixante-dix. Revenant en 2022, il suit donc trois générations sur la même ferme d’élevage laitier (pour le reblochon) en moyenne montagne sur un système largement à l’herbe : trois frères célibataires à peine sortis de la guerre d’Algérie, puis leur neveu et sa femme et enfin leurs enfants. Dès le départ, les frères avaient fait le choix du progrès technique et de l’investissement en matériel. Le film commence d’ailleurs par l’adoption par la dernière génération d’un robot de traite. Au-delà des paysages somptueux, ce qui frappe c’est l’insistance mise sur le travail – ce qui explique aussi le célibat – sur la volonté d’entretien de la nature de manière à ne pas laisser la place à la friche. L’histoire se poursuit de manière heureuse avec la succession des générations. Sur le plan économique, peu de détails, si ce n’est que le lait AOP est bien valorisé. Rien, par contre, sur le volet aides (qui doit être important) ni donc sur les paperasses à remplir. Un regret aussi : la dernière génération (un fils et un gendre) est présentée, mais sans leurs épouses dont on ne sait rien, en particulier de leur activité professionnelle et donc de leur contribution aux finances…
Mais ces remarques ne doivent pas assombrir l’enthousiasme pour ce film qui donne de l’agriculture en France la plus belle image qui soit.
10 février 2024
Rarement le thème astral d’une nouvelle année chinoise aura été aussi approprié qu’en 2024 avec le retour du dragon, l’animal mythique par excellence que les Chinois partagent avec les Occidentaux dans leurs contes de fées et jusqu’à la Bête de l’Apocalypse. Voilà donc le dragon chinois de retour.
À vrai dire il s’est quelque peu assagi depuis sa dernière apparition il y a douze ans suivant le calendrier chinois. Il a toujours quelques têtes qui poussent en particulier dans les véhicules électriques et les énergies renouvelables. Ses queues continuent à balayer, mais surtout ses voisins proches, Taïwan, Philippines et quelques autres. Plus loin, ses griffes sont moins profondes et il fait même parfois patte de velours, mais sans vraiment convaincre. Il crache certes des flammes, mais c’est un peu pour la galerie.
Mais c’est la santé même de notre dragon qui inquiète. Lui qui était habitué à dévorer 10 % de croissance par an doit se contenter d’une maigre pitance et sa diète est plus proche des 3 % que du menu officiel de 5 %. Certes, il a encore des réserves, mais c’est son niveau de consommation – celle des ménages – qui est insuffisant. Et il est vrai que notre dragon est assis sur une masse de dettes immobilières qu’il ne peut plus cacher au reste du monde. Et puis, il vieillit : il n’a plus le même allant ni la même foi en l’avenir. Il ressemble de plus en plus à son ancêtre japonais qui doucement – et paisiblement – vit de ses rentes accumulées au siècle dernier.
Que souhaiter donc à ce dragon chinois ? Il est presque le dernier de l’espèce communiste et c’est aussi là son problème. Pour l’instant, il refuse toute espèce de transition et s’enferme dans son modèle qui est une impasse même si quelques coups de queue lui donnent l’illusion de progresser encore.
4 février 2024
Les premières semaines de 2024 ont été bien moroses. En Ukraine comme à Gaza, les conflits s’enlisent et même « les hommes de bonne volonté » (ceux que citait Raymond Aron dans un texte célèbre de 1969) ne voient pas de solutions raisonnables à court terme. Au contraire même, la Russie – dont l’économie se porte mieux qu’escompté – marque des points que ce soit au Proche-Orient ou en Afrique où on peut imaginer son influence dans la décision du Burkina, du Mali et du Niger de quitter la CEDEAO. L’Iran ne cesse de mettre de l’huile sur le feu et entretient l’insécurité dans la région en contribuant – par Houtis interposés – à presque bloquer la mer Rouge, l’une des artères les plus sensibles du commerce mondial. En Israël même, les « durs » de la coalition au pouvoir rendent illusoires les espoirs mis dans une solution à deux États malgré les efforts des États-Unis. Les États-Unis justement ! Les premières primaires ont confirmé ce que l’on craignait : le 5 novembre 2024 verra bien un duel Trump-Biden et pour l’instant c’est le premier qui tient la corde. Les États-Unis qui, autrefois, étonnait le monde par leur capacité à faire émerger des « jeunes » présidents, de Kennedy à Clinton ou Obama, s’en révèlent aujourd’hui incapables. Ceci étant, le bilan de Biden est assez remarquable : en utilisant toutes les marges de manœuvre offertes par la position du dollar (et un déficit budgétaire de plus de 7 % du PIB) et en accélérant la mise en œuvre de l’IRA, il a présidé à un étonnant rebond de l’économie américaine qui « roulait » en fin d’année à plus de 3 % de rythme annuel de croissance, qui en janvier a créé encore 355 000 emplois (contre des prévisions de l’ordre de 180 000) et cela malgré une politique monétaire « dure » de la Fed. Et à l’international, malgré quelques maladresses, l’administration Biden a redonné quelques lustres à une diplomatie – et une présidence – américaine dans le monde, tombée au plus bas de l’isolationnisme sous Obama et Trump. La perspective d’un retour de Trump a de quoi faire frémir, mais réjouir aussi au sein du club des autocrates qui n’a jamais été aussi fourni qu’en cette année 2024 où pourtant la moitié de l’humanité va aux urnes…
Parmi les premières élections « libres » de l’année, celle de Taïwan est la plus importante, mais il reste à voir comment Xi Jinping assumera le « non » taïwanais alors que la mainmise sur Hong Kong est désormais totale. Que sera l’année du dragon (qui commence le 9 février) pour la Chine ? Sur le plan économique, la Chine présente le meilleur – des véhicules électriques aux énergies renouvelables – et le pire dans l’immobilier et la construction comme la mise en liquidation d’Evergrande (par un juge de Hong Kong…) l’a montré. Sur le plan international, la Chine semble se replier sur son pré carré, prendre acte du relatif échec des routes de la soie, des limites de ses investissements massifs dans nombre de pays, en Afrique en particulier.
Trump, la Chine… les incertitudes de 2024 nous ramènent quelques années en arrière et ceci pourrait avoir quelque chose de rassurant puisque le monde avait alors survécu aux tensions. Mais il n’est pas sûr que demain il puisse en être de même et dans ce contexte, le vide européen n’en est que plus inquiétant. Qu’il est loin le temps des « équilibres westphaliens » !
2 février 2024
L’athlétisme fut longtemps ce sport de référence par excellence, celui qui permettait le mieux de mesurer les performances humaines. Il est aujourd’hui dépassé en termes de notoriété et même de pratique (running et trail relèvent d’une démarche différente). Dans nombre de stades, les pistes autour des terrains de football ne sont plus guère entretenues et les sautoirs ont disparu depuis longtemps. L’athlétisme ne retrouve son heure de gloire qu’au moment des Jeux olympiques. Mais pour un jeune Français de l’après-guerre, l’athlétisme était encore une référence et les grands athlètes étaient plus célébrés que les joueurs de football, de rugby ou de tennis de l’époque.
Michel Jazy qui vient de disparaître fut l’un d’eux : il domina le demi-fond du début des années soixante, même s’il échoua à remporter une médaille d’or aux Jeux. Ce fils de mineur polonais fut probablement le sportif français le plus connu des années « De Gaulle ». Il prit sa retraite en battant un dernier record su monde en 1966.
Deux ans plus tard, à Mexico, un athlète noir qui venait d’être exclu de l’université du Texas à El Paso pour activisme au lendemain de l’assassinat de Martin Luther King, fit un bond prodigieux. Le 18 octobre 1968, Bob Beamon sauta 8,90 mètres, un record du monde qui tint pendant des décennies. Dans quelques jours, sa médaille d’or (celle que Jazy n’eut jamais) sera vendue aux enchères chez Christie’s à New York. Ultime témoignage d’un autre temps !
1er février 2024
En introduisant un débat aux Rencontres des Sablons à Neuilly sur un monde « incertain », Jean-Dominique Senard, le président de Renault cite Blaise Pascal : « on ne travaille jamais que pour l’incertain ». C’est là le cœur des défis auxquels est soumise aujourd’hui l’industrie automobile européenne. Longtemps, l’automobile — la grande industrie du XXe siècle — a été un produit relativement simple : quatre roues, un moteur, quelques transmissions… Depuis Henry Ford et son modèle T, il y a eu maintes améliorations, mais pas de changement profond de paradigme : toujours plus d’électronique, certes, au point de faire de la voiture un « téléphone sur roues », mais des moteurs utilisant toujours des carburants fossiles.
Mais voilà, trois chocs — climatiques, technologique, géopolitique — sont passés par là. Ajoutons à cela, au moins en Europe, un brin d’irrationnel politique et voilà notre industrie lancée dans l’aventure de l’électrique. Et là, on cumule dépendance (vis-à-vis des matières premières), retard (vis-à-vis de la Chine) et incertitudes quant à l’évolution des technologies : les batteries actuelles ne seront-elles pas vite dépassées ? Des carburants alternatifs ne donneront ils pas une seconde vie aux moteurs thermiques ? L’hydrogène dont on fait grand cas pourra-t-il devenir une solution viable ? Et puis concrètement,
la marée chinoise ne va-t-elle pas submerger un marché chinois peu protégé : en 2024, sur les 16,5 millions de véhicules électriques produits dans le monde, 70 % le seront en Chine et une partie sera exportée. Comme le dit J.D. Senard, le conflit est à « balles réelles »…
29 janvier 2024
Le monde agricole entre dans sa deuxième semaine de manifestations et de blocages de routes et même de villes. Manifestement, les réponses faites par le gouvernement, de l’abandon de la taxation des carburants à la fermeté affichée sur l’accord de libre-échange avec le Mercosur, n’ont pas satisfait ces nouveaux gilets ou bonnets verts et les syndicats se doivent de suivre la colère générale. Le problème des uns comme des autres est qu’il n’y a pas de solution immédiate à la plupart de ces revendications. Sur le volet simplification des normes, des règles et de leur application, le sujet n’est pas nouveau, mais outre les contradictions qu’il peut engendrer avec les impératifs (ou supposés tels) environnementaux, on sait bien que la vraie question est celle de l’évolution des mentalités administratives à tous les niveaux des hiérarchies. La question n’est pas nouvelle, mais il y a bien peu de chances qu’elle puisse être réglée rapidement tant on touche là au patrimoine bureaucratique français.
L’autre grande question est celle du revenu et là aussi, les marges de manœuvre gouvernementales sont faibles, voire inexistantes, si ce n’est au chapitre des taxes. Tout le monde pense en effet que c’est dans les couloirs ministériels que se décident les prix agricoles, qu’il suffit d’une loi (Egalim en l’occurrence) pour qu’industriels et distributeurs paient leurs produits au « juste » prix. Rien n’est plus faux et sur Egalim, on est même proche de l’escroquerie intellectuelle. Les agriculteurs sont des producteurs qui vendent leurs produits sur des marchés. Longtemps, ces marchés ont été organisés, encadrés, décidés même dans le cadre de la Politique agricole commune, la première, la « vraie » pourrait-on dire, celle qui fixait les prix chaque année dans le cadre des « marathons » agricoles bruxellois. Le soutien de l’agriculture passait pour l’essentiel par le soutien des prix, payés par la chaîne alimentaire jusqu’au consommateur : ces prix étaient stables et suffisamment rémunérateurs pour que le monde agricole connaisse dans la deuxième partie du XXe siècle, une véritable « révolution silencieuse ». Les prix des céréales, du lait, du sucre, de la viande bovine furent ainsi longtemps des prix administrés, voire politiques (il y avait plus d’incertitudes sur des productions comme les fruits et légumes, le porc ou le vin). En une vingtaine d’années, cette « première » PAC a été totalement démantelée, le soutien par les prix remplacé par des subventions qui de « compensatoires » sont devenues conditionnelles, de plus en plus liées aux émanations vertes bruxelloises (ce qui nous ramène au premier volet des revendications).
Aujourd’hui, les prix agricoles en France dépendent de marchés mondiaux ou au moins européens. Par nature, ils sont instables subissant les aléas climatiques, géopolitiques, monétaires propres aux marchés des matières premières. Il en est ainsi pour les céréales et les oléagineux, pour le sucre, pour les produits animaux aussi comme les viandes et même le lait par le biais des marchés du beurre et de la poudre. Les prix à la sortie des exploitations ne sont pas fixés par l’industrie ni par la grande distribution, mais sur des marchés dont les versions successives de la PAC ont démantelé toutes les barrières. Plus personne aujourd’hui ne peut garantir de « justes » prix. La situation actuelle n’est d’ailleurs pas la plus défavorable : ainsi, les prix du sucre (et donc de la betterave), ceux des viandes, notamment porcines, bénéficient d’une conjoncture favorable. Tel n’est pas le cas des céréales et des oléagineux (après les tensions liées à l’Ukraine), des produits laitiers, du vin… La solution mise en avant de sortir par le haut du marché des produits banalisés en jouant la carte de la « qualité » (bio, appellations…) a des limites qui sont aussi celles du portefeuille du consommateur. Malgré toutes ses bonnes intentions, la loi Egalim ne peut « faire » le revenu agricole et la promesse de prix justes et rémunérateurs tient de l’incantation. Il est grand temps de le comprendre, d’accepter aussi qu’il n’y aura pas de retour en arrière pour une PAC, longtemps honnie par ceux mêmes qui en ont aujourd’hui la nostalgie.
Retour donc sur la scène française où au lieu d’affrontements vains et de discours creux, il faudrait – face aux inévitables aléas des marchés – plus de solidarité entre les acteurs, de logique de contractualisation et quand même effectivement moins de paperasses en tout genre.
Il n’y a malheureusement aucune solution clef en main, mais un monde agricole qui souffre surtout de la somme de nos incompréhensions.
26 janvier 2024
Une loi censurée pour 40 % de son contenu par le Conseil constitutionnel, non pas sur le fond, mais pour des raisons de procédure (les désormais célèbres « cavaliers ») et un gouvernement, porteur de cette loi, qui s’en réjouit et va se hâter de promulguer les articles rescapés ! Le feuilleton de la loi « immigration » trouve ainsi un curieux épilogue. Il s’agit pourtant là d’un sujet que la plupart des Français placent au sommet de leurs listes de soucis : les uns parce qu’ils veulent pratiquement l’interdire, les autres parce qu’ils la jugent indigne tant pour le pays d’accueil que pour ceux qui rêvent encore de la France. Le débat qui eut été nécessaire a été tronqué pour des raisons politiques par tous les partis, de droite comme de gauche, et leurs larmes de crocodile à propos d’une décision qui ne pouvait surprendre ont de quoi faire sourire. Convenons d’ailleurs que l’arsenal réglementaire pourrait presque suffire si, au moins il été appliqué. En 2023, il a été accordé en France 323 000 titres de séjour (dont 10 % de régularisations de sans-papiers) et 17 000 expulsions ont été réalisées. Il manque les chiffres de l’immigration illégale, ceux aussi des obligations de quitter le territoire restées sans effet. Le temps n’est pas le même pour la justice, pour les services préfectoraux, pour la police, pour les relations diplomatiques. Censurée ou non, la loi n’eût probablement pas changé grand-chose.
Et personne au fond ne sort vainqueur de ce coup de billard à trois bandes dont la droite parlementaire, victime de son incompétence et de sa naïveté est, du point de vue politique, la grande perdante.
25 janvier 2024
Vue d’Europe, la victoire de Donald Trump dans le New Hampshire a quelque chose de fascinant. Nous ne sommes plus là dans les campagnes de l’Iowa, mais en Nouvelle-Angleterre loin de la Bible Belt en des endroits peu marqués par l’idéologie républicaine agressive devenue la marque de Donald Trump et du MAGA (make America great again). Et pourtant, Donald Trump l’a emporté haut la main et rien ne semble devoir l’arrêter dans sa marche vers l’investiture républicaine et peut-être vers la Maison-Blanche puisque pour l’instant, il mène assez largement devant Joe Biden, lui aussi pratiquement assuré de l’investiture démocrate.
Une chose est presque certaine : dans exactement un an, ce sera un ancien président qui prêtera serment devant le Capitole. La perspective d’une présidence Trump II a de quoi inquiéter tant les Américains raisonnables que le reste du monde. Certes, il n’aura pas les mains totalement libres (le Sénat pourrait rester à majorité démocrate), mais au niveau international ce serait un retour à l’isolationnisme américain couplé à l’attirance de Trump pour les régimes totalitaires et on peut craindre le pire. Vladimir Poutine en tout cas ne peut rêver meilleur scénario et l’Europe – pour laquelle Trump n’a jamais caché son mépris – en serait une des principales victimes.
S’il y a peu de chances que Trump soit empêché de se présenter, il reste à espérer la victoire de Biden : en l’état actuel, c’est le vote des femmes qui fera la différence.
24 janvier 2024
L’obscurantisme religieux demeure une triste réalité en ce XXIe siècle. On le sait pour les religions du Livre et bien sûr pour l’islam. On ne l’imaginait pas à ce point pour l’hindouisme qui il y a quelques décennies encore attirait en Inde les hippies de la planète (et les Beatles…) à la recherche de sagesse dans quelques ashrams de l’Himalaya.
Cette vision angélique de l’hindouisme n’a plus guère de sens à en juger par l’inauguration solennelle d’un temple hindou à Ayodhya par Narendra Modi et toute l’élite politique du BJP, le parti qui devrait sortir grand vainqueur des élections qui se tiendront au printemps. Un temple au dieu Ram pourquoi pas, mais il a été construit sur les ruines d’une mosquée du XVIe siècle en un lieu qui effectivement aurait été le lieu de naissance quelque peu mythique de Ram. La mosquée avait été détruite par des manifestants hindous en 1992 à l’époque où le BJP était un petit parti d’opposition : fanatisme religieux et nationalisme font là bon ménage. En Turquie, Erdogan a fait pareil en rendant Sainte-Sophie au culte musulman (mais au moins, les Ottomans ne l’avaient pas détruite…).
De l’Inde toutefois, qui aura la plus forte croissance des grands pays en 2024 (probablement 7 %) et dont on célèbre le miracle économique, cette dérive sectaire inquiète. Le rêve de Gandhi est bien oublié, l’intolérance religieuse y est devenue la règle et on est bien loin des enseignements de la Bhagavad Gita qui ont nourri tant de voyages en Orient.
22 janvier 2024
Les agriculteurs manifestent, bloquent des autoroutes autour de Toulouse, exigent de rencontrer le Premier ministre. On commence à parler de « gilets verts ».
L’étincelle qui aurait déclenché la colère paysanne serait liée aux lenteurs prises pour les indemnités dues en particulier aux éleveurs pour la MHE (maladie hémorragique épizootique) pour les bovins et la grippe aviaire pour les volailles. Mais en réalité et si le mouvement prend de l’ampleur, c’est qu’il est le signe d’un « ras le bol » général. Les paysans en ont assez d’être en première ligne lorsqu’il s’agit d’environnement et de biodiversité, assez d’être montrés du doigt par des citadins plus verts en paroles qu’en actions (et peu disposés à en payer le prix comme le montre la débâcle du bio). Ils en ont surtout assez de l’empilement des normes et des règles, là où le génie bureaucratique français fait son miel de l’obscurité bruxelloise. Au-delà des problèmes de prix et même de revenu, c’est cela qui explique le mieux nos gilets verts : l’impression de ne pas être compris, d’être la variable d’ajustement des politiques vertes (le célèbre Pacte Vert européen), d’être les victimes d’un « agribashing » permanent avec, cerise sur le gâteau, l’hypocrisie des politiques qui dans quelques semaines viendront flatter le cul des vaches au Salon de l’Agriculture dans la perspective des Européennes. La colère paysanne est la même en Allemagne ou aux Pays-Bas. Le ras-le-bol des damnés de la Terre.
21 janvier 2024
Un jour d’anniversaires et de fête. En France, c’est « la mort du Roi », l’exécution de Louis XVI, la page qui se tourne de la monarchie, une exécution votée par l’Assemblée avec la contribution de nombre d’aristocrates à commencer par le propre cousin du roi, Philippe Égalité. Louis XVI ne méritait pas ce destin tant au fond il était un « brave » homme, intelligent, mais indécis, soucieux du bonheur de ses sujets, mais incapable d’imposer ses idées à un entourage aveuglé par les derniers feux d’un siècle décadent. C’est en tout cas à lui que les États-Unis doivent leur indépendance, mais le coût de cette guerre entraîna la dérive financière qui mena à la convocation des États généraux.
Il y a un siècle, exactement mourait Lénine : l’opposé exact de Louis XVI ! Lui était décidé, la vie humaine n’avait pour lui aucune valeur et c’est par la terreur qu’il fit de la petite secte communiste qu’il dirigeait un instrument de conquête du pouvoir, quel qu’en soit le prix. Un siècle plus tard, le bilan de Lénine est accablant. Comme durant la Révolution française, la Terreur qu’il institua balaya tout sur son passage et il n’y eut personne pour lui faire connaître le destin de Robespierre. Dans les soubresauts actuels de la Russie, nous vivons toujours l’héritage de Lénine dont au fond Poutine est le cynique héritier.
Et puis le 21 janvier, c’est la Sainte Agnès, une jeune martyre romaine, symbole de douceur et le prénom porté par l’épouse de l’auteur de ces lignes.
18 janvier 2024
Dans ce que l’on peut désormais qualifier « d’affaire Stan », il est frappant de constater le niveau d’hypocrisie des principaux protagonistes.
De la part de la ministre tout d’abord. Elle est tout à fait libre de mettre ses enfants dans le « privé » (privé sous contrat faut-il le rappeler, car le vrai privé, celui des publics schools à l’anglaise n’existe presque plus en France). Stanislas est un établissement catholique. La ministre a dit publiquement qu’elle ne l’était pas ce qui prouve bien que ses motivations étaient purement scolaires (un de ses prédécesseurs avait ses enfants à l’école alsacienne, pépinière de l’élite de gauche, autrefois protestante). On peut d’ailleurs s’étonner de ces choix, car dans le quartier de Paris en question (le VIe), l’enseignement public est de qualité avec certains des meilleurs lycées de France encore plus élitistes que Stanislas et autres.
Hypocrisie de l’autre bord, celui de la mairie de Paris, avec une Anne Hidalgo trop heureuse de montrer les dents en visant au passage une autre ministre… L’enquête diligentée sur Stan a certes conclu à quelques dérives dans l’enseignement du catéchisme (dont le principe reste légitime dans une école catholique) qui ont depuis été corrigées. Dans son immense majorité, l’enseignement catholique en France est symbole d’ouverture bien au-delà de sa dimension religieuse. Il est une chance là où l’enseignement public, prisonnier d’un modèle quasi soviétique, peine à relever les véritables défis. Une polémique inutile et bien hypocrite.
16 janvier 2024
Après un remaniement ministériel peu marquant si ce n’est par le choix du premier des ministres, de la ministre de la Culture et par le quasi-abandon du portefeuille pourtant essentiel de l’Éducation, Emmanuel Macron vient de se livrer à un curieux exercice : une conférence de presse – ce qui n’a rien de bien nouveau si on se souvient de celles du général de Gaulle –, mais en soirée et donc moins destinée aux journalistes – éternels faire-valoir – qu’au grand public en « prime time ». Une bonne partie du gouvernement était là, spectateurs silencieux et un peu ridicules dans l’attente des jugements du Prince.
Sur la forme, Emmanuel Macron a été brillant dans cet éternel « grand oral » où il excelle, trop long peut-être, mais maîtrisant parfaitement ses sujets. Mais en rentrant dans tant de détails, on pouvait s’interroger sur le rôle exact d’un président de la République : l’histoire de l’art ou le théâtre au collège, l’infertilité des Français, la Marseillaise même en primaire, voilà des sujets importants, certes, mais bien loin du champ régalien qui devrait être son précarré et dont il a d’ailleurs fait une brillante démonstration sur les questions internationales. Mais ce soir, ce n’était pas le sujet principal tant il s’agissait de donner à la France un nouvel élan, par le biais d’un retour à des valeurs fleurant bon la IIIe République et le temps des hussards noirs.
Deux heures et demie plus tard, il est légitime de s’interroger sur le sens de cet exercice alors que le gouvernement n’est pas totalement composé et que les échéances électorales se rapprochent.
13 janvier 2024
Il y a des chiffres qui donnent froid dans le dos. En 2023, 6 618 migrants sont morts dans leur tentative de rejoindre l’Espagne, presque trois fois plus qu’en 2022. La plupart avaient tenté le « voyage » depuis les côtes sénégalaises vers les Canaries. En 2023, 84 pirogues, les « pateras » ont fait naufrage. Il y a quelques années, alors que la guerre faisait rage en Syrie, le monde s’était ému de la photographie du corps d’un enfant battu par les vagues sur une plage de Turquie. À l’époque, cela avait probablement même poussé à la décision d’Angela Merkel d’ouvrir les portes de l’Allemagne aux réfugiés du Proche-Orient. Mais là, seules les vagues de l’Atlantique garderont la mémoire de tous ces jeunes – Sénégalais pour la plupart – dont le voyage s’est ainsi terminé.
Dans un film récent, le réalisateur italien Matteo Garrone a raconté un autre voyage, celui de deux jeunes Sénégalais de 16 ou 17 ans qui tentent de passer par le Mali et le Niger, de traverser le désert. En Libye, ils sont l’objet de tous les trafics, de l’esclavage même, ultime résurgence d’une traite arabe qui n’a jamais vraiment cessé. Ils arriveront finalement à prendre place sur un chalutier pourri dont l’un d’entre eux deviendra capitaine (« Io Capitano », le titre du film). Et le film se termine presque bien au moment où apparaissent les côtes de Sicile. La suite malheureusement on peut l’imaginer : du côté italien des camps de « transit » bientôt en Albanie ; au Royaume-Uni ce serait peut-être le Rwanda ; dans tous les cas, ce sera la plongée dans la clandestinité, dans l’exploitation des marchands de travail.
Au départ, il y a donc l’Afrique et dans ces cas précis le Sénégal. Cela peut apparaître quelque peu paradoxal tant le Sénégal est, dans une Afrique souvent déchirée, un îlot de stabilité démocratique et de relative prospérité économique. Depuis son indépendance, le Sénégal est – avec la Zambie – le seul pays d’Afrique à n’avoir connu ni coup d’État ni guerre civile (à l’exception de quelques troubles en Casamance). Sans matières premières, le Sénégal a échappé à la malédiction du pétrole et du gaz qui a nourri tant de dictatures africaines et sa croissance économique, sans en faire un pays émergent, a été, à l’aune africaine relativement satisfaisante. Et pourtant, même au Sénégal, les jeunes rêvent d’autres avenirs et ce sont les meilleurs, les plus courageux qui tentent le « voyage ». Mais au fond, n’en était-il pas de même lorsqu’Irlandais, Polonais, Italiens s’entassaient dans les cales de navires en rêvant – il y a un siècle – du Nouveau Monde ! Le Titanic pouvait faire naufrage, mais la statue de la Liberté les attendait.
Ces chiffres, ce film, sont l’autre versant, celui que l’on ne peut ni ne doit oublier du bien médiocre débat que la France vient de connaître à propos de la loi sur l’immigration. Nul ne peut nier le problème, celui des clandestins, celui de la faiblesse des structures d’accueil, rien au fond qui prenne en compte le courage de ceux qui viennent. La France, d’ailleurs, ne les attire guère si ce n’est comme une terre de passage. Car eux aussi, peut-être, savent que le vrai problème en France est moins celui de l’immigration que celui des deuxièmes, voire troisièmes générations, issues en général de l’immigration légale, mais toujours en mal d’intégration et qui forment l’essentiel du contingent des oubliés de l’école et qui en sortent en situation d’échec.
Que des enfants là-bas à Dakar puissent encore rêver du voyage peut au fond surprendre. Aucune statue de la Liberté n’est là pour les accueillir. Et il est vrai que le vrai défi est celui d’une Afrique dont la croissance démographique et ces incertitudes politiques et économiques sont un des enjeux majeurs de ce siècle.
Cela dit, il reste notre conscience : « j’étais étranger et vous m’avez accueilli » (Mathieu 25-43).
11 janvier 2024
Il y a déjà quatre ans qu’une rumeur commençait à se diffuser à propos d’un étrange virus aux capacités foudroyantes tant de diffusion que de mortalité. Le Covid a provoqué presque autant de morts que la grippe espagnole un siècle plus tôt et a plongé l’économie mondiale dans sa première pleine récession depuis les années trente. Deux ans plus tard, Vladimir Poutine en envahissant l’Ukraine déclenchait une guerre, la première d’une telle ampleur en Europe depuis 1945, qui a accentué clivages et fractures internationales.
Deux étincelles, deux explosions mettant un terme brutal au rêve que nous fûmes nombreux à partager sans même avoir lu Hegel, celui de la fin de l’Histoire qu’avait popularisé à la fin du siècle dernier Francis Fukuyama. Les hommes avaient enfin trouvé la martingale idéale, celle de la social-démocratie de marché à l’occidentale (le modèle rhénan que célébraient Michel Albert et Jacques Delors). Le « vieux » monde pouvait se reposer sur ses lauriers. Quant au monde en développement, il devenait « émergent » grâce à la magie des échanges, son rattrapage n’était qu’une affaire de temps. Grâce à la troisième révolution industrielle de la fin du XXe siècle (les nano-bio-info technologies), les hommes ne maîtrisaient-ils pas l’espace et le temps ? Il n’y avait plus de place pour les idéologies, le communisme chinois lui-même ne manquerait pas de se dissoudre dans la croissance. Il y eut ainsi trente glorieuses années, celles de la « mondialisation heureuse ». Même les crises, de l’Asie aux subprimes, ne parvinrent à entamer notre optimisme. Au début du XXIe siècle, la croissance mondiale dépassa les 5 % ; la plupart des clignotants économiques étaient au vert. Tout ceci s’est brisé ces quatre dernières années.
Oh certes, a posteriori, on peut discerner quelques fractures dont il aurait fallu anticiper les conséquences : l’exubérance irrationnelle des marchés financiers souffrait de l’absence de gouvernance internationale en la matière ; le dynamisme schumpétérien était incontestable, mais il exacerbait aussi les inégalités alors que les États se révélaient impuissants à les corriger ; l’instabilité était plus que jamais la règle sur les marchés mondiaux, là aussi sans aucun « pilote dans l’avion » ; la scène mondiale se fracturait ; enfin, les acquis technologiques étaient remis en cause et critiqués.
Un peu comme, lorsqu’en 1973, le premier choc pétrolier avait été l’étincelle d’un embrasement qui avait mis un terme aux « Trente glorieuses » de l’après-guerre, le Covid et l’Ukraine ont été, à leur manière, le révélateur de la fin des Trente glorieuses de la mondialisation heureuse, commencées avec la chute du communisme soviétique en 1990. Cette mondialisation s’était articulée autour de trois dimensions : le globe, le marché, la puce et le gène. Que constatons-nous en ce début de 2024 ? Le globe est marqué d’une cassure de plus en plus profonde entre l’Occident d’une part, la Chine et ses alliés de l’autre. Certes, la lecture de la situation géopolitique mondiale doit être plus subtile en y intégrant aussi les clivages religieux. Si les réseaux continuent à pénétrer les frontières (pas toutes !), tel est de moins en moins le cas des biens et encore moins des hommes. Le marché, quant à lui, a montré ses limites : sa main invisible est certes efficace, mais elle est aveugle ; face aux crises, le recours à l’intervention de l’État a été partout nécessaire « quoiqu’il en coûte ». Keynes avait dominé la scène des premières « Trente glorieuses », Hayek et Friedman avaient été au cœur des suivantes. Les voilà quelque peu dépassés. La puce et le gène (c’est à dire plus largement la révolution industrielle) continuent à prospérer, mais ne commence-t-on pas aussi à en percevoir les limites éthiques, morales et même économiques à l’image du débat actuel sur l’intelligence artificielle.
Le Covid semble vaincu, la guerre en Ukraine s’enfonce dans la banalité de la barbarie quotidienne. Mais au-delà, il n’y a plus de rêve, plus de projet. En réalité, au lendemain de la crise des années soixante-dix – en tout point comparable à celle que nous vivons aujourd’hui – il avait fallu une bonne décennie pour retrouver une nouvelle histoire. C’est bien ce qu’il faut imaginer en ce début de 2024 alors que les nuages tant géopolitiques qu’économiques ne sont pas prêts de se dissiper. Au cœur de la Première Guerre mondiale – un tout autre choc –, Guillaume Apollinaire ne disait pas autre chose : « Jamais, les crépuscules ne vaincront les aurores ».
7 janvier 2024
La France est dans l’attente en ce premier dimanche de janvier. Ce n’est plus celle des rois mages même si dans la plupart des foyers aujourd’hui, quelle que soit leur confession – ou son absence – on va tirer les rois et chercher la fève au cœur de la frangipane ou de la couronne bordelaise. Non, dans les cercles du pouvoir, c’est la parole du Prince que l’on attend. Paris bruisse de la rumeur d’un remaniement et chacun suppute des chances de tel ou tel ; le monarque reçoit en son cabinet, mais le palais reste silencieux. Rien au fond n’a changé depuis le XVIIIe siècle lorsque le roi nommait ses ministres, lorsque la cote de Choiseul tenait grâce à l’influence de la Pompadour, lorsque Louis XVI, indécis, passait de Turgot à Necker, lorsque plus tard Charles X s’accrochait à Polignac ou Louis-Philippe à Guizot. De président du conseil, la constitution gaullienne a ravalé le locataire de Matignon au rang de premier des ministres, rien de plus. Sa légitimité, il ne la doit pas au vote d’une assemblée sauf en période exceptionnelle et « anormale » de cohabitation. Il la tient du prince et en cela Emmanuel Macron est retourné aux racines de la Ve République voulue par Charles de Gaulle, celles au fond de la « démocratie monarchique ».
Alors, le pays et la ville attendent et le palais reste silencieux. Car – et c’est la seule limite de cette monarchie – déjà chacun s’observe pour une autre échéance, celle de 2027, et on sait que la fonction du premier des ministres est une cage dont on s’échappe rarement pour aller plus haut. Et là-haut, justement à l’Élysée, le prince regarde les grains s’écouler inexorablement dans le sablier du pouvoir.
4 janvier 2024
Pour tous ceux auxquels les sordides débats sur la loi « immigration » auront laissé un goût amer, un film récent est une salutaire plongée dans la réalité des migrations, mais vue cette fois-ci du côté des migrants. « Io capitano » (Moi, capitaine) est un film italien de Matteo Garrone (le réalisateur de Gomorra) qui raconte l’odyssée de deux jeunes mineurs sénégalais, Seydou et Moussa, qui tentent le voyage vers l’Europe. On les suit chez eux à Dakar, n’écoutant pas leurs aînés et rêvant de fortune. Leur voyage au travers du Mali puis du Niger se transforme en odyssée en Libye, là où tout n’est que trafic et où l’esclavage est redevenu une réalité. Au bout, il y a la traversée sur un chalutier pourri et bondé dont les trafiquants ont confié la barre à Seydou, qui devient un adulte en prenant en charge ses compagnons. Le film se termine alors qu’apparaissent les côtes de la Sicile. Leur histoire n’est pas finie pour autant : dans la situation actuelle, ils pourraient être relégués dans des camps de transit en Albanie et pour la plupart d’entre eux l’Europe resterait un rêve.
Le Sénégal est pourtant une démocratie, sa croissance est correcte, mais cette année les départs n’ont jamais été aussi importants en particulier par les Canaries. Ce sont les plus courageux qui partent et l’immense mérite de ce film est de montrer l’atrocité de leur itinérance dans toutes ces zones de non-droit allant du Sahel à la Méditerranée. C’est un pavé dans la mare de notre bonne conscience tout en sachant que notre impuissance est à peu près totale. Un cri… et le silence du désert et de la mer.
3 janvier 2024
En 2023, les prix mondiaux des matières premières mesurés par l’indice CyclOpe (en dollars) se sont inscrits en recul de 14 % par rapport à la moyenne de 2022. Si l’on ne tient compte ni du pétrole ni des métaux précieux, la baisse n’est plus que de 11 %. Les prévisions de CyclOpe faites il y a un an étaient respectivement de 15 % et 8 %, ce qui est un assez bon résultat ! Il s’agit là de moyennes et dans nombre de cas la chute tout au long de l’année a été beaucoup plus spectaculaire à l’image de métaux comme le lithium, le cobalt ou le nickel, du gaz naturel et de l’électricité (en Europe), des taux de fret maritime (pour les conteneurs en particulier), du coton et du blé. Les hausses de prix ont été limitées à quelques produits de nos petits déjeuners comme le cacao (+ 37 %, la hausse la plus forte parmi les « grandes » matières premières), le sucre (+ 27 %) et puis aussi le jus d’orange, le riz et l’huile d’olive. Enfin l’or (+ 8 %) – et dans son sillage, l’argent – a profité des bruits de bottes et des achats des banques centrales.
Deux facteurs majeurs ont joué pour expliquer ce réajustement souvent violent des prix mondiaux : le ralentissement de la croissance mondiale et donc de la demande, sensible de la Chine à l’Europe, et puis l’éclatement parfois spectaculaire de bulles de prix face à la réalité des bilans mondiaux. Ainsi, les marchés des métaux ont été pour la plupart excédentaires en 2023 et se sont repliés en moyenne de 15 % en 2023, le cuivre (– 4 %) étant le seul à tirer son épingle du jeu. Mais à cela, il faut ajouter la débâcle des métaux « électriques » comme le lithium dont la baisse des prix dépasse les 80 % du fait des retards et des hésitations de la transition énergétique. Dans le champ de l’énergie, c’est un retour presque à la normale pour le gaz naturel avec la montée en puissance du GNL américain. Les États-Unis ont aussi pesé sur un marché du pétrole presque raisonnable malgré les efforts de l’OPEP+ ($ 83 en moyenne pour le baril de Brent). Quant aux produits agricoles, d’excellentes récoltes ont compensé les problèmes de la mer Noire, et aux extrêmes, le prix du blé a diminué de moitié. Des problèmes politico-climatiques en Inde ont par contre contribué aux bonnes performances du sucre et du riz.
La page tournée pour 2023, qu’attendre pour 2024 ? Dans un contexte de croissance mondiale plutôt molle (moins de 3 % ?), nombre de marchés des métaux et de l’énergie resteront excédentaires : une prévision raisonnable pour le pétrole se situe entre $ 70 et $ 80 le baril (de Brent). Grâce à la montée en puissance de nouvelles capacités de liquéfaction (y compris en Russie), les prix du gaz naturel devraient pouvoir continuer à baisser quelque peu. Parmi les métaux, la seule perspective haussière à court terme concerne le cuivre, incontournable dans la transition énergétique, en panne de nouvelles capacités de production et à la merci d’accidents politiques ou sociaux comme aujourd’hui au Panama. Quant aux produits agricoles, 2024 devrait être marquée par l’impact du phénomène El Niño dont les conséquences se feront sentir de l’Amérique latine à l’Océanie.
Mais au-delà de tous les aléas géopolitiques, climatiques, sanitaires même (pour les produits animaux), il reste l’inconnue chinoise, le premier consommateur et souvent importateur de presque toutes les matières premières. Si la Chine éternue… !
1er janvier 2024
« Ballots and bullets », des urnes et des balles, voilà un bon résumé de ce qui attend le monde en 2024.
Des urnes puisqu’en 2024, la moitié des habitants de la planète seront appelés à voter. Certaines de ces élections n’auront de démocratiques que le nom à l’image de la Russie où Vladimir Poutine sera certainement réélu (il l’aurait peut-être même été dans des conditions « libres »). En Inde, il en sera de même pour le BJP de Narendra Modi là aussi dans un contexte de « démocratie dirigée ». En Europe – un autre gros bloc –, il s’agira d’élections au Parlement européen trop souvent vécues à tort comme des élections secondaires propices aux défoulements populistes. En novembre, ce sera le tour des États-Unis et peut-être d’un affrontement délétère (pour la planète entière) entre Trump et Biden. Mais il faudra aussi surveiller d’autres démocraties comme le Sénégal avec la succession de Macky Sall et bien sûr Taïwan face à la Chine dès la semaine prochaine.
Car des urnes aux balles et autres missiles, il n’y a qu’un pas. Il n’est pas sûr que celui-ci soit franchi en mer de Chine. Il l’est depuis longtemps sur le front ukrainien, mais l’inconnue principale concerne l’avenir de Gaza et plus largement de la Palestine et d’Israël, deux pays où des élections seraient bien nécessaires pour remplacer des dirigeants qui font beaucoup plus partie des problèmes que des solutions éventuelles. Il n’y a malheureusement pas d’élections programmées là ni d’ailleurs dans un Moyen-Orient où fleurissent des dictatures bien peu éclairées (il y aura quand même des législatives en Iran, mais seulement entre candidats autorisés par les autorités religieuses).
Au long des siècles, bien des hommes se sont battus pour le droit de voter. Mais des élections libres, vraiment démocratiques, restent un privilège qu’en France peut-être nous ne savons pas apprécier à sa juste valeur.
31 décembre 2023
Une année se termine et – sauf peut-être pour les boursicoteurs – il faudra bien vite l’oublier. Elle avait commencé avec – déjà – une guerre, mais à l’époque, on espérait que l’offensive anticipée de l’Ukraine porterait quelque fruit. Il n’en a rien été et le conflit s’est embourbé dans une horreur quotidienne qui a peu à peu lassé les soutiens de Kiev. De son côté, Poutine qui a réglé avec sa douceur habituelle ses problèmes wagnériens, semble avoir remis un peu d’ordre dans son armée et continue à s’appuyer sur ses soutiens, de la Chine… à l’Arabie saoudite. La guerre en Ukraine ne fait même plus la une tant il est vrai que d’autres conflits ont prospéré. La faiblesse russe a fait le jeu de l’Azerbaïdjan qui a pu mettre la main sans coup férir sur le Haut Karabagh provoquant un exode de masse de sa population arménienne. Quelques jours plus tard, ce fut le 7 octobre, le massacre de près de 1 500 Israéliens et la riposte – légitime, mais aveugle – d’Israël sur la bande de Gaza. Une autre horreur quotidienne et comme pour l’Ukraine, bien peu d’espoir de solutions raisonnables pour 2024. Ajoutons à cela une guerre civile d’une rare cruauté au Soudan, la main de fer chinoise à Hong Kong ou sur les Ouïghours, les menaces sur Taïwan…
À cette aune, la croissance mondiale autour de 3 %, la récession de fin d’année en Europe, les doutes sur le rebond chinois, la stagnation du commerce mondial, tout cela paraît bien secondaire. Les débats, par contre, autour de l’émergence d’une nouvelle révolution, celle de l’intelligence artificielle, sont moins dérisoires. Autant le monde est lent à réagir face aux défis climatiques, autant on ne peut qu’être saisi de la rapidité de la diffusion d’une technologie dont personne aujourd’hui ne semble être capable de mesurer les conséquences.
28 décembre 2023
Avec la disparition de Jacques Delors, c’est une page de l’histoire de l’Europe qui se tourne, celle du temps des conquêtes et de la construction, du grand marché unique à Maastricht. Il y avait encore en ce temps-là des murs à pousser, des portes à enfoncer. Jacques Delors était encore à la manœuvre au moment de l’intégration de la RDA, il accepta l’ouverture aux PECO sans présider à la dilution qui suivit. Il reste incontestablement la personnalité la plus marquante de tous ceux qui se sont succédé à la présidence de la Commission.
En France, il laisse moins de souvenirs et surtout des regrets. Il fut un des artisans de la « nouvelle société » de Chaban Delmas et plus tard l’homme de la rigueur des premières années mitterrandiennes. Nous sommes nombreux à lui avoir rêvé en 1995 un autre destin qu’il refusa. En novembre 1994, nous fûmes quelques-uns de sensibilité démocrate chrétienne (le CDS de l’époque) à lui demander d’être candidat à la présidentielle. C’était à Vienne à l’occasion du Sommet des Dirigeants de l’Expansion organisé par un autre chrétien social, Jean Boissonnat. Dans une salle du musée de la Hofburg où nous le pressions, il nous répondit : « mes pauvres amis, que représentez-vous ? Je ne disposerai pas d’une majorité cohérente, ne pourrai gouverner que par compromis et cela je ne le veux pas ». Quelques jours plus tard, un dimanche soir, face à Anne Sinclair, il rendait officiel son renoncement. L’histoire de France en eut été différente et l’on aurait évité – pour un temps au moins – la calamiteuse présidence Chirac. Mais en réalité, Jacques Delors n’appartenait pas à leur monde. Il restait un « catho de gauche » dans le sillage de Vatican II. Il était d’ailleurs le D des ABCD (Michel Albert, Jean Boissonnat, Michel Camdessus). Là aussi, la page en est tournée.
25 décembre 2023
C’était à Marrakech, la veille de Noël, en l’église des Saints Martyrs (cinq franciscains qui furent condamnés en 1220 pour avoir proclamé leur foi là où se tient aujourd’hui la place Jemaa el Fna). Des franciscains y sont revenus en une paroisse qui est pour l’essentiel d’Afrique subsaharienne, étudiants et migrants qui se sont arrêtés au Maroc. C’est un mélange extraordinaire de cultures comme le peut l’offrir un catholicisme libéré de préjugés et d’œillères. La liturgie est en français, en espagnol, en italien, un peu même en arabe. Les chants de la chorale africaine sont parfois en Wolof et un chat américain (« frère chat ») parcourt la crèche, huit cents ans exactement après que François d’Assise ait « inventé » la première crèche vivante à Greccio.
Ce soir, à Bethléem, là où tout a commencé, l’heure n’est guère à l’Espérance, la haine a submergé la fraternité et il n’y a plus de bergers pour entonner quelque Gloria. Mais, en ce Maroc submergé de touristes (ce sont les vacances dites de Noël !), cette modeste église, sise en face d’une mosquée à quelques encablures du « mellah », l’ancien quartier juif entretenu précieusement par les autorités marocaines, reste un symbole de ce que peut être la tolérance en terre d’islam.
Le message de Noël est universel. Il est celui de l’enfant qui porte un message d’Amour pour des hommes qui ce soir en ont besoin tant la folie règne en un monde qui se déchire. C’est cela que nous écoutions au milieu des cantiques et des danses africaines, huit cents ans après François d’Assise. Laudato Si Signore.
22 décembre 2023
Pour faire oublier aux Français la déconfiture de la « loi immigration » (on n’ose en effet l’appeler Loi Darmanin), Emmanuel Macron n’a rien trouvé de mieux que de relancer la polémique à propos de Gérard Depardieu.
Il est triste de voir quelqu’un sombrer dans l’abjection. On a tant aimé le jeune Depardieu, celui du Café de la Gare, des Valseuses, le grand acteur aussi lisant des textes sacrés sous les voûtes de Notre-Dame, interprétant Cyrano ou Obélix. Depuis déjà de nombreuses années, sa dérive était pourtant inquiétante. On se souvient de son départ pour une obscure république russe provoqué surtout par ses démêlés avec le fisc. Ses excès étaient de moins en moins sympathiques et voilà qu’au fil d’un reportage (à charge) il se découvre au-delà du supportable à la limite même de la pédophilie. Les temps ont certes changé et il n’est pas certain qu’aujourd’hui on oserait filmer les Valseuses… Mais dans ses propos, de manière probablement consciente dans un ultime pied de nez, Gérard Depardieu a franchi trop de limites.
Que faire alors : aboyer avec la meute, le condamner sans appel ou bien tolérer comme autrefois on le faisait des fous du roi ? Malgré tout son talent, Gérard Depardieu n’est au fond pas autre chose. Il n’existe que par ses excès, il n’est que par ses dépassements. Il ne mérite ni nos éloges – malgré son indéniable talent – ni notre compassion, encore moins peut-être celle d’un président de la République en mal de reconnaissance.
19 décembre 2023
Il peut paraître un peu solennel de dire que ce soir en France une page s’est tournée. Pour la première fois de l’histoire de la Ve république, le modèle présidentiel s’est heurté à un parlement découvrant presque avec stupéfaction qu’il pouvait dicter lui-même ses lois.
En discussion, il y avait donc une loi « immigration » plus symbolique qu’efficace et dont l’essentiel des mesures proposées pourra être contourné (une caution pour les étudiants étrangers, mais son montant sera-t-il de € 10 ou de € 10 000 ?). Mais au théâtre, on ne s’embarrasse pas de ces détails : la droite triomphante et la droite nationale (autrefois extrême dr…) exultante ; la gauche indignée avec bien de larmes de crocodile ; le gouvernement embarrassé espérant que le Conseil constitutionnel le tirera de ce mauvais pas.
À ce petit jeu, le « en même temps » présidentiel a perdu toute crédibilité au point même que quelques ministres ont préféré quitter la barque. La France a aussi administré la preuve – s’il en était besoin – qu’elle n’est pas un pays de consensus. La plus autoritaire des démocraties libérales ne va plus pouvoir se gouverner qu’au prix d’une litanie de « 49/3 ». Les vieux partis de gouvernement (les LR puisque le PS est en état de mort clinique) ne sortent pas grandis de cette pantalonnade dont les malheureuses victimes sont les immigrés tenus en otages en ce grand moment de démagogie française.
15 décembre 2023
Décidément, l’Europe avance comme un crabe ! Le Sommet européen qui vient de se terminer en est la malheureuse illustration. Les décisions devant être prises à l’unanimité, il suffit d’un seul mauvais coucheur pour tout bloquer. Après la victoire de Donald Tusk en Pologne, ce rôle est désormais tenu par Viktor Orban qui est même à la limite de ressusciter la politique de la « chaise vide » chère au général de Gaulle (mais à l’époque, la CEE ne comptait que six membres). Le Conseil a donc entériné le principe de l’ouverture des négociations pour l’adhésion de l’Ukraine et de la Moldavie : Viktor Orban s’est en effet absenté de la salle au moment du vote, certain que cette absence providentielle lui rapporterait quelques paiements en retard de la part de Bruxelles. Par contre, il était bien là au moment où se décidait la poursuite de l’aide financière à l’Ukraine est celle-ci n’a pu passer la rampe et devra être rediscutée début 2024 (sous présidence belge).
Au-delà de ces questions politiques, la moindre décision doit faire l’objet d’interminables « trilogues » rendant toujours plus complexe le fonctionnement de l’Europe au quotidien, à l’image de l’accord récent sur le marché de l’électricité.
On ne peut bien sûr que se réjouir de la décision concernant le processus d’adhésion de l’Ukraine. Mais on ne peut s’empêcher de frémir aux conséquences de ce nouvel élargissement sur le fonctionnement d’une Europe dont les aveuglements récents expliquent en grande partie le renforcement d’un vote populiste par essence anti-européen. Plus d’Europe, oui… mais mieux !
13 décembre 2023
« Transitionning away from fossil fuels in energy systems in a just, orderly and equitable manner, accelerating action in this critical decade so as to achieve net zero by 2050 in keeping with the science ».
Traduisez ce merveilleux passage de prose anglaise en français intelligible ! Voilà une épreuve de version bien subtile.
Il faut tout d’abord saluer l’inventivité de la langue anglaise, sa plasticité qui a permis aux négociateurs de sortir du dilemme « phasing out » ou « down ». Le premier texte proposé par la présidence émiratie probablement sous influence saoudienne avait été à juste raison jugé insuffisant. La COP28 devait marquer l’histoire en s’attaquant aux énergies fossiles. Mais comment le faire sans provoquer un blocage des producteurs de pétrole (qui s’était un peu décrédibilisé avec la prise de position agressive de l’OPEP). Voilà où la subtilité de la langue de Shakespeare prend tout son sel : « to transition away », à la fois l’idée de transition, mais qui s’écarte de manière équitable. Tout est dit et la COP28 pouvait se conclure sur ce triomphe sémantique.
Il reste bien sûr, un petit problème, celui de la traduction en un français moins souple : accélérer la transition en s’éloignant des énergies fossiles reste l’idée de base, mais la traduction est un peu lourde. Autant, peut-être, en rester au franglais et proposer de conjuguer le verbe « transitionner » avec la subtilité des adverbes « away » ou même « out » : transitionner en s’éloignant ? Tout est dit, il reste à le faire !
12 décembre 2023
En France, le projet de loi immigration, porté par Gérald Darmanin, vient d’être « retoqué » par l’Assemblée nationale dans un vote de rejet quelque peu surréaliste dans lequel, pendant quelques minutes, les extrêmes ont convergé pour rappeler au gouvernement qu’il ne dispose pas de majorité.
De l’autre côté de la Manche, Rishi Sunak (qui lui dispose d’une confortable majorité héritée de Boris Johnson) a des soucis identiques avec son projet « Rwanda », cette fois-ci de la part des sceptiques de son propre parti. Il est vrai que l’idée de diriger les migrants illégaux vers ce havre de paix et de démocratie qu’est le Rwanda de Paul Kagame a de quoi surprendre et de rappeler de mauvais souvenirs, ceux par exemple de l’Allemagne hitlérienne et de son projet de foyer juif à Madagascar !
Enfin, en Italie, Madame Meloni a aussi des problèmes avec le refus de la Cour constitutionnelle d’Albanie de ratifier l’accord qui autoriserait que les migrants sauvés dans la Méditerranée soient confinés dans des centres d’accueil en Albanie dans l’attente du traitement de leurs dossiers.
Ainsi, de quelque manière que l’on s’y prenne, le dossier de l’immigration illégale est devenu le souci majeur des gouvernements européens et notamment de ceux qui sont en première ligne (plus au nord, il est plus facile d’être plus ferme… ou plus hypocrite). Il n’y a malheureusement pas de solution idéale entre l’urgence de l’aide face à la détresse et les abus qui peuvent en découler. Une chose est sûre en tout cas. Ni le Rwanda ni l’Albanie ne sont des solutions honorables.
8 décembre 2023
À Dubaï, c’est la dernière ligne droite. La première semaine a permis à chacun de se montrer, de faire les couloirs, de s’agiter avec quand même déjà quelques résultats comme le fonds « loss and damages » et un peu en marge, la déclaration sur le nucléaire. Maintenant arrive le temps des diplomates, ceux qui vont négocier jusqu’à la dernière heure de la dernière nuit, mot à mot, la déclaration de la COP28.
Curieusement, ce qui était jusque-là un des objectifs majeurs des COP, le prix du carbone, est passé au second plan. Le rêve d’un prix mondial du carbone autour de $ 100 la tonne ne se réalisera pas. Peut-être parce que la COP28 est à Dubaï, présidée par un pétrolier, le patron d’ADNOC, l’accent majeur est celui des énergies fossiles. Il faut en réduire l’usage, mais à quel rythme ? C’est là que les mots deviennent essentiels, en anglais puisque c’est la langue universelle. Le premier choix sera entre « phase out » (sortir) et « phase down » (réduire). Le phase out, soutenu par une centaine de pays et poussé en particulier par l’UE, peut l’emporter, mais si c’est le cas il serait assorti de corollaires : les pays en développement producteurs veulent « first in, first out » (les pays riches d’abord). Les producteurs veulent tenir compte des captures de carbone (captured, ou « abated »). Il y a de fortes chances que pour obtenir un consensus et éviter un refus de pays comme la Chine, l’Inde, l’Arabie saoudite ou la Russie (les BRICS au fond), le texte final soit une eau trop tiède pour provoquer le sursaut dont la planète a tant besoin.
6 décembre 2023
Les cultures se croisent, se mélangent et les hommes peuvent aussi parfois se rapprocher. Hier soir, à l’Alliance française de Lusaka (l’un des rares lieux culturels d’une ville qui en est largement privée) se donnait un concert mêlant Europe et Afrique : un pianiste allemand partageait l’affiche avec une artiste du Zimbabwe et deux musiciens du Congo et de Zambie. Hope Masike joue du « mbira », une sorte de tambour qui intègre un petit clavier composé de languettes d’acier. Avec Andreas Kern au piano, ils sont allés des musiques classiques (Bach, Beethoven et le jeune Mozart) aux improvisations africaines. Le résultat en fut particulièrement séduisant, les accords et les cultures se complétant.
Nul ne prétend guère plus à la fusion des cultures, mais ne peut-on se faire l’avocat de leur complémentarité ? Entendre ainsi la petite rengaine de Mozart sur le vieux thème français « Ah vous dirais-je maman ! » interprété par des artistes jouant aussi bien du piano que des percussions allait bien au-delà de tous les discours plus ou moins moralisateurs.
En fermant les yeux ce soir-là, on pouvait se prêter à rêver loin des fracas du monde, oubliant un moment Gaza et ses horreurs, à ce que pourrait une planète dont la seule vérité serait la recherche de l’harmonie entre les hommes et leurs cultures.
Un rêve peut-être un soir, au fond de l’Afrique !
5 décembre 2023
À Dubaï, la dernière ligne droite est proche, celle de la déclaration finale. Sur les énergies fossiles, la grande question est de savoir si l’on prône un « phase out » ou un « phase down ». Dubaï risque de passer à la postérité sur cette seule subtilité sémantique.
Loin de Dubaï, parlons concret ! La Zambie est pour l’instant un pays dont le mix énergétique est au-dessus de tout soupçon : certes, le pays est totalement dépendant de ses approvisionnements en produits pétroliers, mais la totalité de son électricité est d’origine hydroélectrique : le potentiel de production maximal est presque atteint et on peut craindre même une diminution des ressources en eau liées au changement climatique.
L’ambition de la Zambie est d’augmenter sa production de cuivre de 700 000 tonnes à 3 millions de tonnes. Ceci implique des besoins importants en énergie que l’hydroélectricité ne pourra satisfaire. Pour des besoins industriels, l’énergie solaire demeure insuffisante. Il se trouve que la Zambie dispose de gisements de charbon. La logique serait de les exploiter. Mais dans le contexte actuel, pratiquement aucun financement (normes RSE) n’en est possible. Pour des raisons environnementales, la Zambie ne peut utiliser son charbon (ce que l’on peut comprendre), mais personne ne se presse pour lui en offrir une compensation même si le monde dans le cadre de la transition énergétique aura besoin du cuivre zambien. La seule solution est au fond celle du chantage vis-à-vis des donneurs de leçons : payez-moi sinon j’exploite mon charbon ! Cynique, mais peut-être efficace !
4 décembre 2023
Situer Lusaka sur une carte du monde est un exercice bien difficile pour la plupart d’entre nous. La capitale de la Zambie est bien peu connue et le pays lui-même a rarement fait la une de l’actualité. L’ancienne Rhodésie du Nord fut colonisée à partir de 1890 par la British South Africa Company avant de connaître à partir de 1927 un véritable « boom » du cuivre. Le nord de la Zambie est en effet la « copperbelt » qui jouxte le Katanga. Une partie d’ailleurs de la population zambienne a des liens éthniques avec le Congo. La Zambie accéda à l’indépendance en 1964 sous la houlette d’une des figures majeures du tiers-monde qui se constituait alors, Kenneth Kaunda. C’était l’époque du « socialisme démocratique » à la sauce tiers-mondiste inspiré par des hommes comme Nyerere en Tanzanie, Nkrumah au Ghana, Ben Bella en Algérie, Nasser en Égypte… Kaunda nationalisa les mines de cuivre en 1969 et Lusaka accueillit en 1970 le IIIe sommet des non-alignés. La Zambie fait toutefois exception à la tradition africaine des coups d’État. Battu aux élections après avoir dû renoncer au régime du parti unique, Kaunda se retira (il est décédé en 2021) et depuis la Zambie partage avec le Sénégal en Afrique (et l’Inde dans le reste du monde) le privilège d’être un des rares pays à n’avoir connu que des transitions démocratiques au point de pouvoir presque être qualifiée de « petite Suisse » de l’Afrique.
Si le cuivre continue de représenter la principale source de devises du pays, la Zambie, qui compte un peu moins de 20 millions d’habitants, a le privilège d’être largement autonome du point de vue alimentaire (et même exportatrice). Certes, le pays est pauvre avec 60 % de la population vivant avec moins de $ 2 par jour, mais le voyageur de passage à Lusaka ne peut qu’être frappé par la propreté des rues, le calme de ses habitants, l’absence presque totale de mendicité.
Tout n’est pas rose bien sûr et la gouvernance a longtemps laissé à désirer. La valse des nationalisations puis des privatisations de l’industrie minière a été catastrophique et la production a stagné puis même diminué par rapport à ses niveaux des années soixante. Comme beaucoup de pays africains souhaitant rejeter le fardeau du colonialisme, la Zambie a écouté les sirènes chinoises. À Lusaka, la plupart des bâtiments publics, stades et hôpitaux ont été construits par les Chinois. Mais rien en ce bas monde n’est gratuit ! La Zambie est aujourd’hui en défaut de paiements. Au printemps, on avait cru qu’un accord avait pu être trouvé sous l’égide du FMI. Mais récemment, les créanciers publics, pour l’essentiel chinois, en ont refusé les termes.
La Zambie n’est pas dénuée d’atouts. Elle peut être l’un des greniers alimentaires de l’Afrique australe ; elle fait preuve d’une incontestable stabilité politique et puis surtout elle dispose d’un potentiel cuprifère qui a peu d’équivalents en un moment où le cuivre promet d’être la grande matière première stratégique du XXIe siècle.
Les mécanismes du développement économique sont impénétrables (même pour les économistes…). Dans une Afrique où les conflits sont légion, où la malgouvernance est la norme, où la malédiction des matières premières est une triste réalité, le visiteur se prend à rêver d’une exception zambienne… à transformer !
2 décembre 2023
Il se donne ces jours-ci à l’Opéra de Paris, la dernière œuvre (posthume en fait) de Puccini, Turandot. Passons sur la mise en scène statique et franchement peu inspirée de Robert Wilson. C’est le livret qui prend par les temps actuels une dimension particulière.
Turandot est la fille de l’empereur de Chine. Elle n’accepte de se marier que si le candidat est capable de répondre à trois énigmes. Sinon, le malheureux est mis à mort. Des princes du monde entier tentent leur chance et au début de l’opéra, c’est un prince de Perse qui perd ainsi la vie.
Finalement Calaf, un prince mongol, résout les énigmes et emporte l’amour de Turandot. Comment ne pas penser là à l’empereur actuel Xi Jinping dont les routes de la soie tissent leurs fils tout au long de l’Asie, de l’Afrique et même de l’Europe. Nombre de princes viennent à Pékin lui rendre hommage, certains d’ailleurs s’y brûlant les doigts. Xi ne leur propose plus d’énigmes, mais les asservit un peu plus et s’ils en reviennent c’est en ayant aliéné quelque peu de leur liberté.
Comme Turandot, Xi est impitoyable et le prince venu de Russie en sait bien les conséquences. Tout doit se payer. Les trois ministres qui égaient l’opéra ne disent pas autre chose, mais la Chine continue de fasciner ceux qui tombent dans ses rets en rêvant de partenariats plus équilibrés qu’avec l’Occident. La Chine de Turandot, comme celle de Xi, est un État policier où la liberté de conscience n’existe guère.
La fin de l’opéra est heureuse. Il n’est pas sûr qu’il en sera de même pour la scène actuelle.
30 novembre 2023
Ouverture de la COP28 à Dubaï. 28 ans déjà que se tiennent ces réunions devenues au fil du temps d’immenses jamborees réunissant cette année plus de 70 000 personnes, officiels, ONG, lobbyistes… 28 ans et au moins une prise de conscience sinon des résultats. De ce point de vue, le bilan reste bien maigre : des objectifs rarement respectés, des fonds insuffisants, des promesses solennelles non tenues.
Le président de la COP28 est en même temps celui d’ADNOC, la major pétrolière d’Abu Dhabi, ce qui n’est pas le moindre des paradoxes. F. D. Roosevelt disait qu’il n’y avait rien de mieux qu’un renard pour garder un poulailler. Peut-être aura-t-il là encore raison ! Car l’un des objets majeurs de la COP28 est de s’attaquer aux énergies fossiles. Ni à Glasgow ni à Charm El Sheikh, un consensus n’avait pu être trouvé. La Chine et l’Inde continuent à investir dans des centrales thermiques au charbon et la consommation de pétrole va encore augmenter en 2024 et au-delà. Bien sûr, on ne peut tout arrêter d’un claquement de doigts. Le monde aura demain encore besoin de pétrole (moins) et surtout de gaz naturel qui apparaît un moindre mal si au moins on parvient à juguler les émissions de méthane de son exploitation.
Pour le reste, au-delà de déclarations finales qui ne manqueront pas de décevoir (un prix mondial du carbone relève encore de l’utopie) cette grande kermesse de Dubaï permettra des échanges entre les grands de l’énergie, les scientifiques et les ONG. C’est dans les couloirs que commencera à se bâtir l’avenir climatique de la planète.
28 novembre 2023
L’éternelle malédiction des matières premières
S’il est une constante dans l’histoire économique et politique du monde, c’est bien celle de la malédiction des matières premières. On pourrait penser pourtant qu’un peuple ou un pays doté de ressources naturelles a plus de chances de se développer économiquement qu’un pays qui n’en dispose pas. Le problème est malheureusement celui de la gestion de la rente ; les richesses ainsi exploitées sont en général mal utilisées, provoquent des déséquilibres économiques et trop souvent sont facteurs de corruption tant des hommes que de leurs gouvernements. Pour la période récente, les économistes connaissent bien le phénomène baptisé « Dutch disease » à partir de l’étude de cas des Pays-Bas au lendemain du début de l’exploitation du gaz de Groningue dans les années soixante. Mais il ne s’agissait là que de l’impact macro-économique sur l’économie néerlandaise. La malédiction des matières premières va beaucoup plus loin au cœur même des sociétés qu’elle affecte.
L’exemple le plus classique en est l’Espagne du grand siècle. Malgré les flottes de l’or et de l’argent des Amériques, Philippe II ne put éviter la banqueroute, mais plus profondément cette manne figea la société espagnole et l’Espagne connut presque deux siècles de retard sur le développement économique du reste de l’Europe. Plus près de nous que dire de pays comme le Venezuela, l’Algérie et même des pays du Golfe. Dans le domaine minier, il en est de même de la RDC (Congo), du Pérou…
À cette liste, on peut ajouter un territoire français qui vit aujourd’hui au quotidien la malédiction du nickel. Après avoir été, comme l’Australie, un lieu de bagne et de relégation. La Nouvelle-Calédonie devint, au siècle dernier, grâce à son minerai latéritique de grande qualité, un des acteurs majeurs d’une filière mondiale du nickel alors dominée par le Canada et ses grands groupes miniers. L’utilisation du nickel se développa pour les aciers inoxydables et beaucoup plus récemment pour les batteries électriques.
En Nouvelle-Calédonie, le nickel en vint à polariser toutes les perspectives qu’elles soient économiques, mais aussi politiques. Le nickel devint aussi l’enjeu de débats passionnés entre indépendantistes et loyalistes, les uns et les autres adhérents à l’idée que le développement économique du « caillou » ne pouvait se faire que par le nickel dont il fallait en particulier intégrer la première transformation, passer du minerai au métal. Dans l’euphorie, deux investissements majeurs furent décidés dans un subtil équilibre politique, l’usine « du Nord » (Koniambo) pour les indépendantistes, l’usine « du Sud » (Goro) pour les loyalistes. Mais la rentabilité ne fut au rendez-vous ni d’un côté ni de l’autre : la métallurgie du nickel est énergivore et la Nouvelle-Calédonie ne dispose d’aucune ressource énergétique (et l’essentiel de son électricité est produit par des centrales thermiques alimentées par du charbon importé…) ; le coût de la main-d’œuvre est aux normes françaises sans parler d’un climat social détestable. Au fil du temps, les pertes se sont accumulées et ce, d’autant plus que la géographie du nickel mondial évoluait avec la montée en puissance de l’Indonésie qui représente aujourd’hui la moitié de la production mondiale (avec une forte présence chinoise, la Chine étant le premier acteur mondial tant de l’inox que des batteries).
Le marché du nickel est réputé pour son extrême instabilité : en 2022, une manœuvre spéculative orchestrée par un industriel chinois avait poussé pendant quelques instants les prix à $ 100 000 la tonne. En 2023, les cours se traînent en dessous de $ 20 000 dans un contexte de surproduction qui risque de durer étant donné la mise en production de nouvelles capacités en Indonésie. Les pertes s’accumulent chez les industriels calédoniens et en plus l’exportation du minerai est interdite par la « doctrine nickel ».
Le marché tousse, la Nouvelle-Calédonie se meurt. Le nickel en a été une véritable drogue et il a empêché tous les exercices de diversification qui auraient été possibles (tourisme, agriculture…). Les investisseurs extérieurs s’en vont, à l’image du brésilien Vale (Goro) et bientôt du suisse Glencore (Koniambo). Les missions venant de « Paris » se succèdent. La dernière menée par Bruno Le Maire vient de se terminer. Ses remarques sont frappées au coin du bon sens : exporter du minerai, investir dans l’énergie, se tourne vers le marché des batteries. À ce prix, l’État est encore une fois prêt à mettre la main à la poche. Mais est-ce que cela sera possible ? Le nickel est un immense atout gâché, mais surtout qui a perverti les schémas de pensée. Certains ne pensent-ils pas que la bonne solution serait de nationaliser le nickel !
La malédiction du nickel pèse sur la Nouvelle-Calédonie comme celle du cuivre et du cobalt le fait sur le Congo, l’ex-Zaïre. Le « caillou » en est prisonnier et malheureusement dans l’histoire, il y a peu de pays qui aient su s’en libérer.
Sur les deux ou trois années à venir, étant donné l’importance des investissements indonésiens et chinois, la conjoncture sera difficile, les prix déprimés et la Nouvelle-Calédonie continuera à souffrir : une occasion peut-être de remettre en cause toutes les doctrines nickel qui ont fait son malheur.
27 novembre 2023
Pour un béotien, la révolution de palais qui vient d’embraser l’une des entreprises les plus avancées au monde dans le domaine de l’intelligence artificielle a eu quelque chose de fascinant. Alors que le succès remporté cet été par le film Oppenheimer rappelait les doutes et les dilemmes moraux qui avaient pu être ceux des pères de la bombe atomique, il est manifeste que les scientifiques au cœur de la révolution que semble devoir être l’intelligence artificielle se posent les mêmes questions, entretiennent les mêmes doutes, cherchent à édifier les mêmes barrières.
On connaît le cas de conscience de ceux qui furent les pères de la bombe, dépassés par leur invention même si – a posteriori – on peut estimer que son utilisation permit de mettre fin plus rapidement au conflit avec le Japon et que par la suite elle contribua à l’équilibre des forces, évitant même dans une certaine mesure un troisième conflit mondial. Mais la menace nucléaire continue de peser sur l’humanité au fil de sa prolifération.
À première vue, le problème posé par l’intelligence artificielle est d’une autre nature, mais poussé au bout de sa logique, il est tout aussi existentiel pour l’humanité. Certes, l’intelligence artificielle peut suppléer l’homme dans nombre de tâches secondaires et répétitives. Elle peut être destructrice d’emplois, mais aussi en susciter d’autres, plus épanouissants. Le problème est au-delà, celui du moment où la « machine » (appelons-là ainsi) prendrait le pas sans plus avoir besoin de l’intelligence humaine : le vieux mythe de Frankenstein revu par Stanley Kubrick. Il semble bien qu’à l’image d’Oppenheimer et de ses collègues, quelques scientifiques de la Silicon Valley commencent à avoir des doutes sur leur création. C’est en tout cas l’une des clefs de lecture de « l’affaire Open AI ».
À l’origine Open AI est une structure hybride contrôlée par une association à but non lucratif dont l’objet est de rendre l’intelligence artificielle accessible et de la mettre au service du bonheur de l’humanité (on est là d’ailleurs dans la mouvance du courant de l’altruisme effectif très présent dans les milieux de la Silicon Valley). Mais en même temps, Open AI est une société commerciale, valorisée $ 90 milliards, qui a développé le célèbre Chat GPT. À la tête d’Open AI, on trouve un remarquable entrepreneur, Sam Altman. C’est lui qui va polariser les passions. Dans la course lancée à l’innovation, il a manifestement voulu aller plus vite que les scientifiques de son équipe sans respecter le temps nécessaire aux études d’impact. C’est ce qui explique la décision brutale du conseil de s’en séparer (avec la voix décisive du directeur scientifique, le véritable « savant » d’Open AI). On connaît la suite : en quelques heures investisseurs et financiers de la « vallée », Microsoft (actionnaire de la partie commerciale à 49 %), employés aussi qui risquaient d’y perdre leurs options, tous se sont mobilisés et en quarante-huit heures ont renversé la situation. Sam Altman est à nouveau aux commandes et le conseil a été purgé de ses membres contestataires.
On retrouve-là au fond, non pas le conflit entre science et conscience, mais celui poussé à l’extrême entre science et finance. Les quelques garde-fous mis en place autour de l’intelligence artificielle ont été insuffisants. L’hubris des cavaliers de la Silicon Valley les a fait exploser. Et la question demeure lancinante : que peut vraiment attendre l’humanité de l’intelligence artificielle ? Une nouvelle arme atomique ?
23 novembre 2023
Les journaux économiques et financiers ont cette semaine fait leur miel du feuilleton qui a agité le petit monde de l’intelligence artificielle du nord de la Californie. Open AI, l’inventeur du Chat GPT, a connu en quelques jours une double révolution de palais qui, in fine, a renforcé le pouvoir de l’un de ses fondateurs, le très charismatique, Sam Altam. Il y a dans cette histoire bien des similitudes avec les doutes entretenus autour du nucléaire par Oppenheimer.
Les initiateurs de l’intelligence artificielle n’ont en effet jamais caché la peur que leur inspirait leur créature dans sa capacité à potentiellement prendre le pas sur l’intelligence humaine. Nombre des têtes pensantes de la Silicon Valley sont des adeptes de « l’altruisme effectif » qui vise à maximiser le bonheur de l’humanité. Open AI était en même temps une start up valorisée $ 90 milliards et une structure à but non lucratif dont les administrateurs ont décidé de se séparer brutalement de Sam Altman qui voulait aller trop vite dans la mise sur le marché de nouveaux produits. À cette nouvelle, les investisseurs (et au premier rang Microsoft), mais aussi les employés qui comptaient bien valoriser leurs options ont réagi avec une telle violence qu’au bout de quarante-huit heures Sam Altman a été réintégré et les administrateurs garants théoriquement du bien commun ont été exclus du conseil.
Nul ne sait quelles peuvent être les conséquences du développement de l’intelligence artificielle (pour le nucléaire, on savait…). Mais, il est manifeste que là l’appât du gain l’a emporté sur toutes les précautions altruistes.
19 novembre 2023
Il y a plus d’un siècle, le monde comptait quatre pays que l’on qualifierait aujourd’hui d’émergents : les États-Unis, le Japon, la Russie et… l’Argentine. Les deux premiers ont transformé l’essai, le troisième est passé par la malheureuse case du communisme dans sa version stalinienne. Quant à l’Argentine… Au fil des décennies, elle n’a cessé de décevoir allant du radicalisme du début du siècle au péronisme qui survit encore aujourd’hui sans compter nombre de coups d’État militaires et de règnes des généraux. Le péronisme en particulier a marqué la société argentine et est en grande partie responsable du chaos économique actuel.
Les électeurs argentins sont allés aux urnes aujourd’hui. Au premier tour des présidentielles, ils avaient éliminé la seule représentante de l’opposition raisonnable. Il leur restait un choix bien peu engageant : d’un côté le ministre des Finances néo-péronistes en grande partie responsable de l’effondrement argentin et de l’autre, un « économiste » venu à la télévision puis à la politique, au discours populiste parfois aux limites de la cohérence. Entre deux maux, lequel choisir ?
Javier Milei, qui ne cache son admiration ni pour Trump ni pour Bolsonaro, a finalement remporté l’élection. C’est un saut dans l’inconnu le plus total, mais on peut comprendre les Argentins au bord de la désespérance d’avoir risqué le tout pour le tout. Dollarisation de l’économie, sortie du Mercosur, suppression de la banque centrale, le programme de Javier Milei a de quoi inquiéter. Mais à l’épreuve des faits peut-être saura-t-il faire preuve de pragmatisme. En tout cas, pour paraphraser la comédie musicale Evita « It’s time to cry for Argentina ».
18 novembre 2023
Voilà le glyphosate à nouveau autorisé pour dix ans dans l’Union européenne. La Commission a dû assumer une décision que les États, bien hypocrites, ne voulaient pas prendre, mais ne sont pas mécontents qu’elle soit prise afin de ne pas trop heurter leurs électeurs agricoles.
La question fondamentale est bien sûr de savoir si le glyphosate est utile, mais aussi dangereux. Utile, il l’est certainement comme le plus efficace des désherbants. C’est utile pour les allées des jardins ou les voies de chemin de fer, mais surtout pour éradiquer les adventistes et autres mauvaises herbes dans les cultures. Pour des raisons environnementales, on a privilégié ces dernières années le labour léger, voire le non-labour dans les champs. La trace carbone de l’agriculture s’en est trouvée diminuée. Si on interdit le glyphosate, il faudra revenir au labour profond. Aucune autre solution n’est pour l’instant satisfaisante. Mais le glyphosate est-il dangereux ? Toute l’accusation repose sur une étude d’un centre de recherche commandité par l’OMS. Celle-ci en fait un cancérigène «probable» à l’image d’autres produits comme la viande bovine. La plupart des autres études ont conclu à l’innocuité du glyphosate, mais sont-elles vraiment neutres ? Il est légitime d’entretenir le doute scientifique.
En fait, avec le glyphosate, on sort du rationnel. Un peu comme les OGM ou les bassines, il est devenu un symbole permettant de toucher le grand public par des raccourcis spectaculaires. En réalité, autoriser le glyphosate est plutôt une bonne décision. Mais encore faut-il l’expliquer.
17 novembre 2023
Que ferait-on pour rester ou revenir au pouvoir ? La vie politique est une drogue qu’il est bien difficile d’abandonner. On le sait bien en France, un pays où la longévité politique bat tous les records (quoique le duel Trump-Biden aux États-Unis…), mais deux pays européens nous offrent aujourd’hui de nouveaux exemples : l’Espagne et le Royaume-Uni.
En Espagne, Pedro Sanchez est parvenu à réunir une courte majorité en sa faveur aux Cortes en offrant aux indépendantistes catalans une amnistie qu’il y a encore quelques mois il s’était engagé à ne jamais accorder. Mais Carlos Puigdemont, réfugié à Bruxelles, détenait avec ses sept députés la clef du pouvoir. On peut saluer le pragmatisme de Sanchez, mais y voir aussi un signe de faiblesse vis-à-vis des puissantes « autonomies » provinciales et au premier chef la Catalogne et Euskadi (même si sur ce dossier les Basques sont restés presque neutres). Sous d’autres lieux, une grande coalition entre le PP et le PSOE aurait permis de sortir de la crise. Ce ne fut pas le choix espagnol.
Au Royaume-Uni, Rishi Sunak a les élections devant lui et a priori devrait les perdre. Alors pour récupérer un peu de terrain vers le centre il a rappelé l’un des pires premiers ministres de l’histoire britannique, celui du Brexit, David Cameron qui avait été pris quelque temps plus tard les doigts dans le pot de confiture du scandale financier Greensill.
Jusqu’où donc peut aller le « pragmatisme » en politique ?
13 novembre 2023
Hier soir, juste après la manifestation, avait lieu sur la façade de l’Opéra de Paris (le Palais Garnier en pleine restauration) un étonnant spectacle. L’initiateur en était JR, un des artistes français les plus reconnus au niveau mondial, qui s’est illustré par des photographies en trompe-l’œil de monuments comme la pyramide du Louvre ou la tour Eiffel. Cette fois-ci, il avait recouvert la façade du palais Garnier de l’immense photographie d’une caverne, en référence au mythe de la caverne de Platon : les hommes en sont prisonniers, n’en regardent que le côté sombre sans songer à se retourner. L’allégorie, en ces temps de guerre et d’intolérance, tombe juste tant le monde trébuche aujourd’hui au bord des pires catastrophes comme les somnambules à la veille de la Grande Guerre.
Sur une musique prenante créée par l’un des fondateurs des « Daft Punk », le rideau s’est levé sur les échafaudages animés par près de cent cinquante danseurs jouant du contraste entre le blanc et le noir dans une chorégraphie fascinante. Des images se créaient, des messages apparaissaient (la grâce, la lumière…), la musique montant en puissance et les quelques 15 000 personnes réunies sur la place de l’Opéra se sont laissées emporter par cette vague illuminée par les milliers de lampes frontales portées par les spectateurs.
Le tout aura à peine duré une demi-heure ; la caverne s’est refermée, la bruine est revenue, il était temps de se retourner.
12 novembre 2023
Ils sont venus, ils étaient presque tous là ! En ce dimanche pluvieux de novembre, la France a retrouvé sa colonne vertébrale au long de la manifestation contre l’antisémitisme. Il y avait bien sûr quelques absents : on ne regrettera pas trop les Insoumis dont les contorsions en la matière font rire ou pleurer selon l’humeur. Par contre, l’absence en tête de cortège à Paris, à côté du grand rabbin de France et de l’évêque de Nanterre, d’un représentant du culte musulman était bien regrettable. Si l’antisémitisme se concentre sur les juifs, il ne faut pas oublier que les Arabes sont historiquement des Sémites et qu’eux aussi en France ont pu souffrir du racisme.
L’antisémitisme est une vieille histoire française qui connut ses temps forts au moment de l’affaire Dreyfus puis de manière bien plus sinistre sous l’Occupation. On croyait avec raison en avoir fini avec cet antisémitisme latent et le voilà qui refait surface, instrumentalisé par le conflit israélo-palestinien, mais retrouvant aussi des racines politiques oubliées aux extrêmes de la droite, mais surtout de la gauche. Entre Israël et la Palestine, le conflit n’est ni de religion ni de race : il touche le droit de vivre si possible ensemble. L’antisémitisme n’y a pas sa place et rien ne peut le justifier, en France moins qu’ailleurs, là où cohabitent tous les judaïsmes et notamment les plus libéraux.
Ce fut une belle marche, un bel élan, un essai aussi à transformer dans bien des territoires perdus de la République.
9 novembre 2023
La vie est faite de rencontres, d’échanges et puis aussi d’éloignements. On se « perd de vue » en particulier au moment où sonne l’âge de la retraite, de l’abandon progressif des engagements qu’ils soient professionnels ou personnels. Et puis soudain, un message, une notice nécrologique nous apprend le départ d’un nom autrefois familier et reviennent alors tous les souvenirs des rencontres du passé. Il en est ainsi cette semaine pour Sam Mesrahi et Henri de Benoist.
Sam fut probablement l’un des traders les plus flamboyants du monde du cacao à la fin du siècle dernier. Son entreprise, Tardivat, accompagna la croissance cacaoyère de la Côte d’Ivoire, mais ne parvint pas à survivre durant les mauvaises années qui suivirent. Mais Sam n’était pas qu’un simple trader. Homme de culture, il était un humaniste qui participait à l’époque aux débats sur la stabilisation des prix. Sam était aussi un ami fidèle des bons et des mauvais jours. Il y a une vingtaine d’années, les étudiants du « 212 », le master d’Affaires internationales de Dauphine, l’avaient élu parrain de leur promotion.
Henri de Benoist était un céréalier de Champagne, président de l’AGPB (les producteurs de blé). Au moment des premières évolutions de la Politique agricole commune, il s’était opposé au développement des marchés à terme et il fustigeait les « libéraux » dont, à ses yeux, faisait partie l’auteur de ses lignes. Il avait la qualité de défendre avec passion son métier, mais de reconnaître aussi la nécessité du changement. Deux hommes de bien…
7 novembre 2023
La guerre à nouveau : le pire qui a commencé le 7 octobre par un massacre digne de la Shoah et qui se poursuit à l’aveugle dans les rues de Gaza alors que refont surface les parfums nauséabonds de l’antisémitisme. Une nouvelle guerre qui fait oublier l’Ukraine (et ses difficultés militaires), le Haut-Karabagh, le Sahel et tant d’autres conflits. La planète est un chaudron et comme à l’habitude, le cours de l’or à plus de $ 2 000 l’once pendant quelques jours reflète ces angoisses.
Face à de tels drames, il peut paraître déplacé de parler des marchés même s’il s’agit là au fond d’un bon baromètre. La guerre entre Israël et le Hamas ne devrait pas avoir d’impact comparable aux événements de 1973 qui avaient mené au premier choc pétrolier : le scénario catastrophe présenté par la Banque mondiale (qui pousse le prix du baril jusqu’à $ 157) n’apparaît pas crédible. Dans les premiers jours qui ont suivi le 7 octobre, le baril de pétrole a pris $ 4 ou $ 5 vite reperdus par la suite. En réalité, les principaux producteurs arabes n’ont guère envie d’utiliser « l’arme » du pétrole. L’Arabie saoudite a déjà diminué sa production d’un million de barils par jour et ne souhaite manifestement pas aller au-delà. L’Iran risque de souffrir de sanctions américaines appliquées de manière plus stricte que ces derniers mois, mais ceci sera compensé en partie par la levée de l’embargo américain sur le pétrole vénézuélien. Les équilibres du marché mondial du pétrole ne devraient guère évoluer et le marché rester dans la zone des $ 80.
C’est en fait le gaz naturel qui a le plus réagi au lendemain du 7 octobre. Israël a fermé son principal champ gazier, a limité ses livraisons à l’Égypte qui a dû réduire ses expéditions de GNL. Cela a suffi au TTF européen pour repasser au-dessus de 50 euros. Ceci étant, avec un niveau de stockage de gaz en Europe qui dépasse 99 % des capacités (et même des excédents stockés en Ukraine), les craintes, même avec un hiver rigoureux, sont limitées et c’est au contraire une surcapacité de GNL qui s’annonce pour 2024 avec la mise en route de nouvelles capacités de liquéfaction aux États-Unis.
Le conflit intervient au moment où va s’ouvrir aux Émirats la COP28. L’ambiance risque d’y être tendue avec des États-Unis en porte à faux et une situation politique déjà concentrée sur l’échéance électorale de 2024 et l’improbable duel Biden-Trump. Quant à la Chine, sa situation économique continue à inquiéter et le niveau record de ses importations de pétrole, de gaz et de charbon n’augure rien de bon en matière de transition énergétique.
Le contraste est immense entre l’ampleur des défis auxquels est confrontée la planète et qui nécessiteraient des réponses globales et la fragmentation d’un monde qui se déchire. Raymond Aron avait cruellement raison lorsqu’en 1969, il déclarait : « je crois que tout est toujours en question, que tout est toujours à sauver, que rien n’est définitivement acquis et qu’il n’y aura jamais de repos sur Terre pour les hommes de bonne volonté. »
5 novembre 2023
Il y a à Abu Dhabi un lieu unique, presque sans équivalent au monde. Il s’agit de la Maison d’Abraham qui réunit les trois religions du Livre. Sa première pierre fut posée par le pape François et le recteur de la mosquée d’Al Azhar en 2018, huit cents ans exactement après la rencontre entre François d’Assise et le sultan qui régnait alors au Caire. On trouve-là réunies sur une même dalle, une mosquée, une église et une synagogue. Chacune s’élève sur une surface identique, un carré de trente mètres de côté, et à la même hauteur. Chacune respecte sa tradition et même si l’église est catholique, desservie par des franciscains, elle est ouverte aux autres confessions chrétiennes.
Être en ce lieu alors que s’affrontent des peuples qui brandissent l’étendard déformé de leurs religions est aussi un acte de foi dans la capacité des religions d’être des ponts entre les hommes. Religion vient du latin « religere », relier, certes, les hommes avec Dieu, mais surtout les hommes entre eux. Par le passé, on a brûlé des synagogues, on a transformé des églises en mosquées et vice-versa. Là, tout est harmonie et tolérance. Que cette initiative soit celle des autorités émiraties, en pleine terre de l’islam sunnite, est bien un symbole d’espérance.
Les religions du Livre, héritières d’Abraham, représentent plus de la moitié de la planète. Elles portent le temps long, celui de la réparation et du pardon.
4 novembre 2023
La question palestinienne agite bien sûr l’opinion aux Émirats. L’horreur du massacre perpétré par le Hamas (probablement débordé d’ailleurs par des « irréguliers ») est presque oubliée au profit de la situation humanitaire à Gaza. Les diplomates émiratis parlent d’une réponse israélienne « disproportionnée » qui a retourné la rue arabe contre Israël, ce qui était au fond l’objectif du Hamas et de son parrain iranien. Avec un peu de recul, on ne peut que partager l’analyse de l’échec de la politique de Netanyahou qui a consisté à contenir la Palestine en l’affaiblissant, en jouant même la carte du Hamas contre le Fatah. L’Iran, un temps isolé, s’est engouffré dans la brèche et pour l’instant, il est le grand gagnant de cette triste histoire.
Les martyrs israéliens sont oubliés au profit de ceux de Gaza transformés en boucliers humains. Vu d’Abu Dhabi, on n’imagine guère de solution raisonnable au-delà de l’aide humanitaire et de quelques bonnes paroles. Sans le dire trop haut, la position américaine est critiquée (et manifestement la tournée arabe du secrétaire d’État Blinken n’a pas porté ses fruits).
En Israël, le temps est au deuil, à Gaza c’est celui des bombes. Les voix de sagesse sont inaudibles et le chancre de l’antisémitisme refait surface un peu partout. Que dire ? Que faire ?
3 novembre 2023
À Abu Dhabi se tient la seizième édition de la World Policy Conference organisée par Thierry de Montbrial, un formidable désormais octogénaire à l’écoute de toutes les tensions de la planète.
Ces conférences sont faites de rencontres, de tables rondes et surtout d’impressions, d’un florilège d’analyses et aussi de simples phrases glanées au fil des séances.
Il en a été ainsi de Leung Chun-Ying, l’ancien chef de l’exécutif de Hong Kong qui fut l’exécuteur des basses œuvres chinoises dans la mise au pas de Hong Kong au lendemain de la « révolution des parapluies ». Il est maintenant la voix de la Chine et ce qu’il dit est glaçant. Tout va bien à Hong Kong ! La Chine – et Xi – est bien dans ses bottes et le discours sur Taïwan, sur les îles de la mer de Chine contestées aux Philippines est glaçant.
Quel contraste avec l’ancien président de Mongolie, une petite démocratie coincée entre la Russie et la Chine : « vivre libre est un désir universel ». Cette petite phrase, presque désespérée, prend à cet instant une immense profondeur tant au fond elle correspond aux aspirations de l’humanité. Dans un monde marqué par la cassure de plus en plus béante entre démocraties et autocraties, la simple liberté est un droit de moins en moins partagé. En Chine, désormais, on courbe l’échine et la prospérité économique en est presque un carcan. Vivre libre ! Mesurons-nous combien est grand ce privilège dans un monde qui saigne de l’Ukraine à Gaza, bientôt peut-être à Taïwan.
30 octobre 2023
Au moment où l’on voit sur les routes se développer les flottes de véhicules électriques (y compris chinoises), les craintes sur l’approvisionnement en métaux stratégiques (ou critiques) sont au centre des préoccupations politiques tant en Europe qu’aux États-Unis. Alors que la Chine décide de quotas d’exportation sur le gallium, le germanium et depuis quelques jours sur le graphite, alors qu’elle domine sinon l’extraction, mais surtout la métallurgie de la plupart des métaux sensibles et que ses entreprises minières sont en position dominante dans des pays comme la RDC ou l’Indonésie, les soucis convergent sur des métaux comme le lithium et le cobalt, pierres angulaires de la première génération de batteries pour les véhicules électriques.
Mais les discours tenus dans les enceintes internationales sur les pénuries à venir contrastent avec la réalité de marchés qui ne voient dans les fondamentaux de court terme que des excédents. Ainsi, de toutes les matières premières, c’est le lithium qui, en 2023, a connu la pire des dégringolades en perdant les deux tiers de sa valeur (sur un marché – il est vrai – fort peu transparent). Le cobalt n’est pas dans une situation plus favorable. Quant au nickel, sous le poids des nouvelles capacités indonésiennes, il se traite à des niveaux bien inférieurs aux folies qu’il avait connues en 2022. Certes, sur des marchés étroits et souvent opaques, on avait assisté en 2020/2022 à la constitution de véritables bulles spéculatives fondées sur la croyance en la dynamique de la demande en provenance de l’industrie des batteries. Celle-ci devrait se concrétiser, mais – on le sait – les projets industriels sont toujours plus longs à se concrétiser qu’on ne le croit.
Chaque marché a bien entendu sa propre histoire, mais il faut tenir compte d’un facteur que nul exercice de prospective ne peut complètement prendre en compte : il s’agit bien entendu des évolutions technologiques permettant par exemple de remplacer un métal par un autre. Le lithium, le cobalt ou le nickel seront-ils encore stratégiques dans quinze ans ? Quinze ans, le temps moyen estimé pour qu’un projet minier passe des premières estimations géologiques à sa pleine capacité de production (et cela pour plusieurs centaines, voire milliards de dollars). Ajoutons à cela, les risques géopolitiques liés à cette « malédiction » des matières premières dont la RDC est un triste exemple.
En réalité, le seul métal pour lequel on peut légitimement entretenir des inquiétudes, celui qui risque d’être « le » métal stratégique du XXIe siècle est presque le plus ancien de tous : le cuivre. De ce cuivre en alliage, on fit le bronze des glaives puis des premiers fûts des canons. En Espagne, au sud de l’Extramadure, on exploite depuis l’époque romaine les mines de Rio Tinto (la rivière rouge) qui a donné son nom à l’une des plus importantes compagnies minières au monde dont la mine d’Oyu Tolgoi en Mongolie est la dernière exploitation majeure à être entrée en production. Le cuivre est en effet incontournable dans une transition énergétique donnant une place centrale à l’électricité.
Comme celui des autres métaux, le marché du cuivre est excédentaire en 2023 et les prix se sont quelque peu affaissés autour de $ 8 000 la tonne, contre plus de $ 10 000 encore en 2022 : une baisse faible qui anticipe en fait déjà des déficits qui ne feront que s’accentuer à partir de 2025. Certes, le recyclage peut se développer, mais il ne compensera qu’en partie l’absence de projets nouveaux et le déclin programmé des mines existantes. Partout, sur terre et dans les océans, les obstacles environnementaux – souvent légitimes – se multiplient et les investisseurs sont frileux sur des dossiers aléatoires qui se mesurent en milliards de dollars.
Les conjoncturistes avaient autrefois l’habitude de suivre le marché de « Dr Copper » pour anticiper l’évolution de l’économie. Trois millénaires après l’âge de bronze, nous voilà revenus au temps du cuivre.
28 octobre 2023
Au château d’Arcangues, un peu au large de Biarritz, on célébrait ce soir le cent cinquantième anniversaire de la naissance de Fedor Chaliapine (1873-1938) qui en son temps fut reconnu comme « le roi des basses », ces voix profondes que l’on retrouve notamment dans les opéras russes, de Boris Godounov à Ivan le Terrible, mais aussi chez Wagner, Verdi ou Mozart (la voix du Commandeur du Don Giovanni). Né en 1873, Chaliapine émigra en France en 1922 et s’installa quelques années plus tard à Saint-Jean-de-Luz. Il fit partie de ces célébrités qui à l’image du prince de Galles (le futur Edouard VIII), de Charlie Chaplin, de Coco Chanel et de nombres de princes russes (qui avaient connu des jours meilleurs) illustrèrent la Côte basque de l’entre-deux-guerres. Émigré, Chaliapine était cependant aussi un ami de Gorki, l’écrivain auquel Staline passa nombre de ses caprices « bourgeois » pour prix de son silence sur la chape de plomb qui tomba sur la vieille Russie.
Contemporain de Caruso, le « roi des ténors », Chaliapine donna à la voix de basse, trop souvent négligée, ses lettres de noblesse. Ce soir, à Arcangues, un jeune basse, originaire de Cambo (la terre de Rostand) nous enchanta au fil d’airs d’opéra, mais aussi de lieder (« J’aime le son du cor le soir au fond des bois »).
Il y a encore à Biarritz une église orthodoxe, souvenir du temps des grands ducs. L’ex-épouse de Vladimir Poutine y possède aussi une maison. En ces temps de guerre, ce moment était aussi un rappel mélancolique de temps disparus et il faut féliciter la jeune association Kultur Alianza pour l’avoir organisé.
25 octobre 2023
Depuis quelques semaines, la Chine alterne signaux positifs et négatifs dans un contexte de flottement politique pour le moins inquiétant. On ne compte, en effet, plus les disparitions brutales de ministres et de généraux. Au cœur de la Cité Interdite, l’impression est celle d’un Xi Jinping qui se referme sur sa garde rapprochée, dont les apparitions internationales se font plus rares (comme son absence au sommet du G20 à Dehli), qui compte ses alliés au long des routes de la soie (Poutine et Orban étaient à Pékin la semaine dernière pour le « Belt and Road Forum »), mais qui se garde bien de toute prise de position claire sur le conflit entre Hamas et Israël. Navires et avions chinois continuent leur ronde autour de Taïwan, ce qui a l’avantage pour Xi de détourner l’attention de la politique intérieure et de la situation économique.
Si les chiffres officiels de croissance pour le troisième trimestre (4,9 % en rythme annuel) semblent à peu près corrects, cela ne peut cacher la situation catastrophique du secteur de l’immobilier et de la construction : après Evergrande, c’est Country Garden qui est au bord du défaut de paiements. Sur l’année, la croissance chinoise ne devrait guère dépasser les 4 %, c’est-à-dire peu ou prou l’équivalent de la croissance zéro pour les pays occidentaux. À la différence de la Fed et de la BCE, la Banque Centrale chinoise baisse ses taux et n’hésite pas à donner de la liquidité par ce que l’on peut qualifier de « quantitative easing ». Mais en Chine aujourd’hui, l’interrogation est moins conjoncturelle que structurelle. Xi peut-il faire évoluer un modèle qui n’a tenu que par sa croissance effrénée. Faire du surplace est toujours difficile… C’est ce qu’avait compris l’ancien premier ministre Li Keqiang qui vient de disparaître brutalement. Il s’était fait l’avocat d’une autre politique et son opposition de moine en moins voilée à Xi avait entraîné sa « retraite » au printemps dernier.
17 octobre 2023
Faut-il qu’à nouveau un professeur soit assassiné pour qu’enfin la scène politique et médiatique épanche quelques larmes de crocodile sur le « beau » métier d’enseignant, si essentiel nous dit-on pour l’éducation et l’éveil républicain de nos enfants. Mais, entre-temps, que s’est-il passé ? La condition enseignante n’a guère évolué ; la gestion bureaucratique du ministère de l’Éducation nationale a même empiré malgré les sourires des ministres successifs ; les concours de recrutement attirent toujours aussi peu de candidats et la main-d’œuvre intérimaire est plus essentielle que jamais pour faire tourner les établissements les plus démunis, ceux justement pour lesquels l’apport des enseignants-éducateurs est le plus fondamental. Mais aujourd’hui, sauf pour quelques rares exceptions, le choix du métier d’enseignant est un signe d’échec tant social qu’économique. Qu’il est loin le plus beau métier du monde, un métier d’éveil et de passion surtout dans les situations les plus difficiles. Les vrais héros sont ceux qui au quotidien dans les lycées techniques et professionnels sont confrontés à l’échec, aux difficultés familiales, à la violence parfois. Faudra-t-il d’autres assassinats pour leur reconnaître enfin quelque mérite ?
16 octobre 2023
Huit jours à traverser la Navarre, de Saint-Jean-Pied-de-Port à Logroño (en passant notamment par Roncevaux et Pampelune), sur les chemins de Saint-Jacques (le « camiño »), ont le mérite de marquer pour l’individu une rupture avec l’agitation du monde dont les bruits ne parviennent qu’assourdis à l’étape. Même en groupe, on marche seul et parfois sur de longues lignes droites au milieu des champs, l’esprit peut vagabonder et même contempler.
Cette semaine, l’actualité aura donc été celle du Hamas (même vu d’Espagne où pourtant le débat essentiel est celui de la majorité introuvable de Pedro Sanchez, sauf à amnistier les indépendantistes catalans). Au fil de la marche, une seule idée qui revient de mille manières : quelle issue raisonnable à cet écheveau de haine, d’incompréhension, d’hubris accumulé pratiquement depuis un siècle et l’effondrement de l’Empire ottoman ? D’un côté comme de l’autre, la violence des uns crée les martyrs des autres et il n’y a plus guère de place pour un juste milieu désormais dépassé.
Sur le chemin se croisent toutes les nationalités et les motivations des « pélerins » sont multiples. Les mots échangés de « buen camino » sont sincères et montrent bien que la tolérance peut être une réalité. Peut-être un jour les religions du Livre pourront-elles faire converger des chemins nouveaux vers Jérusalem. C’est en tout cas le rêve d’une après-midi de marche sous le soleil de Navarre.
13 octobre 2023
Depuis le chemin de Saint-Jacques, au bout de la Navarre, les bruits du monde arrivent bien assourdis. La guerre entre la Palestine et Israël prend pourtant ici une signification toute particulière. Il y a un millénaire, maures et chrétiens s’affrontaient ici et dans toutes les villes, il y avait un quartier juif. Les enfants d’Abraham cohabitaient parfois, mais la tolérance avait ses limites comme quelques siècles plus tard avec l’expulsion des juifs puis des morisques et le règne presque sans partage de l’Inquisition.
Un millénaire plus tard, donc, en une terre qui devrait être sainte, tout recommence dans un engrenage de violences dont aucun côté n’a malheureusement pas le monopole. Hamas a frappé, mais de manière odieuse que rien ne peut justifier. Israël réagit en provoquant une crise humanitaire dans ce qui est devenu un véritable ghetto. D’un côté comme de l’autre, les paroles de raison et de tolérance sont étouffées. Le conflit est avant tout un conflit de terres et de pouvoir, un pouvoir souvent corrompu d’ailleurs que ce soit en Palestine ou en Israël. La dimension religieuse en serait presque secondaire si extrémistes et intégristes ne s’en étaient emparés : ils veulent des martyrs pour justifier leur vengeance !
Nul, dans la communauté internationale, ne conteste plus sérieusement la légitimité de l’existence d’Israël, la seule exception restant l’Iran. Mais Israël ne peut exister sans trouver une solution à la coexistence avec une Palestine, elle aussi légitime, et qui ne peut se laisser grignoter en toute impunité. Ces réflexions n’ont de toute manière aucun sens aujourd’hui. La parole est à la violence et au fanatisme, un « fanatisme admirable quand il est persécuté, odieux quand il persécute ».
Et puis n’oublions pas que ce conflit en fait oublier bien d’autres : les Arméniens du Haut Karabagh ont disparu tout comme tous ceux qui se battent sur le front de l’Ukraine. Et que dire du Soudan et de la Somalie ! Israël et Gaza ont tout balayé. Au fond, en un millénaire, rien n’a guère changé si ce n’est que la mort y est encore plus présente.
9 octobre 2023
Le sursaut du Hamas face à Israël a surpris tant Israël que le reste du monde. Nul n’aurait imaginé le Hamas, même avec le soutien de l’Iran, capable d’une pareille opération brisant la barrière de sécurité qui entoure Gaza. Jusque-là, l’actualité en Israël était de pure politique intérieure autour des tentatives du gouvernement de Netanyaou de s’affranchir du contrôle de l’appareil judiciaire (et au passage de s’affranchir des « affaires » le concernant). Il n’y avait côté israélien guère de crainte de réactions palestiniennes tant les autorités y semblaient discréditées. Les faucons israéliens n’avaient aucune retenue à réclamer toujours de nouvelles colonies et à imaginer même l’éradication de la Palestine.
L’action du Hamas, un demi-siècle après la guerre du Kippour, intervient à un moment où Israël commençait à normaliser sa relation avec les pays arabes à commencer par l’Arabie saoudite en oubliant le sort de la Palestine.
La violence de retour dans ce chaudron proche-oriental risque malheureusement de perdurer tant d’un côté comme de l’autre, tant on y manque de responsables politiques responsables : le système électoral israélien renforce les minorités les plus dangereuses sur lesquelles s’appuie Netanyaou pour conserver envers et contre tout son poste. Du côté palestinien, le Fatah au pouvoir en Cisjordanie est incapable, corrompu, dirigé par quelques vieillards qui s’accrochent au pouvoir. Pour nombre de Palestiniens, le Hamas, surtout de Gaza, est la seule planche de salut.
L’armée israélienne va réagir, va frapper. Envahir Gaza n’aurait guère de sens. Il restera dans les jours à venir le problème des otages que le Hamas a capturés. Quel peut être leur sort ? Quel sursaut attendre sur la scène politique israélienne ? Cinquante ans après le Kippour, trente ans après les Accords d’Oslo, la situation n’a jamais été aussi dramatique. Et franchement, il n’a jamais été aussi difficile d’imaginer quelque retour à un processus de paix tant d’un côté comme de l’autre, la parole est aux extrémistes et à leurs armes.
7 octobre 2023
En ce début d’automne, les marchés mondiaux font preuve d’une certaine sérénité. La seule agitation vient de notre table du petit déjeuner avec des tensions pour le sucre, le cacao, le jus d’orange et dans une moindre mesure pour le café Robusta. Par contre, les céréales (si les prix mondiaux avaient quelque influence sur les corn flakes et consorts) et le beurre s’affichent en recul. Le riz fait toutefois exception et la décision de l’Inde d’interdire toute exportation (hors riz basmati) a certainement un impact plus important sur la situation alimentaire de quelques-uns des pays les plus pauvres de la planète que la fermeture du corridor céréalier de la mer Noire. Malgré un léger rebond des prix en septembre, lié à un repli des récoltes chez certains exportateurs comme l’Australie, les prix du blé tendre (autour de $ 270 la tonne, le prix plancher russe) sont à peine supérieurs à la moitié de ce qu’ils furent, au plus haut de la crise du printemps 2022. Si les céréales – et leur exportation – restent essentielles pour l’Ukraine force est de constater que les marchés des grains ne font plus de l’Ukraine un de leur souci majeur alors que la Russie est sur un rythme d’exportation de 5 millions de tonnes par mois.
Dans le champ de l’énergie, la situation est un peu identique et les marchés se sont au fond assez bien accommodés des embargos à l’encontre de la Russie. Le prix du gaz naturel (et donc aussi celui de l’électricité en Europe) est dix fois moins élevé qu’il y a un an, mais quand même deux fois plus élevé que dans les années 2010. L’Europe a simplement changé de dépendance et vit à l’heure des tensions sociales dans le secteur gazier australien ! Mais sauf catastrophe, on passera l’hiver. Pour le pétrole, la mayonnaise est aussi un peu retombée même si certains analystes continuent à rêver des $ 100 le baril et au-delà. La « sucette saoudienne » (le retrait depuis le 1er juillet d’un million de barils/jour de production) a provoqué une hausse estivale qui à certains moments a dépassé les $ 20 d’un baril de Brent, un Brent qui contient maintenant du WTI, mais c’est là une autre histoire. La probable récession européenne, le ralentissement américain et les doutes sur la Chine ont toutefois limité les perspectives de déficit pétrolier mondial anticipé par l’AIE en cette fin d’année. Le cours du baril devrait continuer à osciller entre $ 80 et $ 90 avec par contre un pétrole russe vendu à peine quelques dollars de moins. Les vraies tensions se situent au niveau des marges de raffinage à des plus hauts historiques, car ce sont les flux de produits raffinés (et notamment le diesel) qui sont les plus affectés et les raffineurs chinois et indiens en profitent. Tout ceci pour dire que les automobilistes continueront, surtout en Europe, à payer leurs carburants à des prix élevés et qu’en France par exemple la barre des € 2 pour le litre de SP95 restera menaçante (tout comme les $ 4 le gallon aux Etats-Unis).
Sur les marchés des métaux par contre, le contraste est grand entre les soucis exprimés un peu partout en matière de souveraineté d’approvisionnement et des situations à court terme marquées par des excédents qu’il s’agisse des six grands métaux non ferreux (Cu, Ni, Zn, Sn, Al, Pb), mais aussi des nouveaux métaux électriques comme le cobalt ou le lithium. Le cuivre est un remarquable exemple de cette situation : sur les sept premiers mois de l’année, le marché a été excédentaire de 215 000 tonnes et sur le LME la tonne est passée en dessous de $ 8 000, certains anticipent même qu’elle puisse chuter à $ 7 000 avant la fin de l’année. Pourtant, tout le monde est d’accord pour estimer qu’à partir de 2025 le marché du cuivre sera structurellement déficitaire avec une demande qui passerait de 25 à 32 Mt en 2035 alors que le seul grand projet minier dans les cartons (aux États-Unis) est pour l’instant bloqué. Pour le nickel, la situation est différente : après les folies de 2022 (un corner à $ 100 000 !), la tonne est retombée bien en dessous de $ 20 000 et des coûts de production de nombre de producteurs à l’exception manifeste de l’Indonésie qui représente la moitié de l’offre mondiale et où les Chinois continuent à investir tant dans la mine que dans la métallurgie. On comprend dès lors que Glencore, après Vale, ait décidé de se retirer de Nouvelle-Calédonie : la situation sur le « caillou » risque d’être tendue dans les mois à venir…
On le voit, à l’image du blé, du gaz et de l’électricité, des engrais et du nickel, nombre de « bulles » de 2022 ont éclaté. La plus spectaculaire est celle du fret maritime pour les conteneurs. En un an, la chute des prix a été de 69 %, de 84 % même sur deux ans. Les vaches grasses des armateurs sont bien finies au moins en ce qui concerne les porte-conteneurs alors que tant de navires neufs sortent des chantiers navals.
Pour conclure enfin, avec quelques morceaux de sucre (qui restera la « commodité » majeure de l’été 2023) ajoutons une fiole d’huile d’olive (dont le prix a doublé à la suite de la sécheresse en Espagne), une once de gallium (+ 50 % avec les mesures de restriction chinoise) et une pincée d’uranium (entre le Kazakhstan et le Niger). Entre El Niño, l’Ukraine et la Chine, instabilité et volatilité restent au fond les seules prévisions quelque peu honnêtes !
6 octobre 2023
La guerre en Ukraine, la catastrophe humanitaire que devient le Haut-Karabagh, les projets de réforme constitutionnelle d’Emmanuel Macron, la crise des migrants à Lampedusa et ailleurs, plus prosaïquement la coupe du monde de rugby, les sujets d’actualité ne manquent pas pour alimenter les chaînes d’information en continu et les conversations au comptoir des cafés du commerce. Mais voilà, un sujet essentiel, d’une implacable urgence, est venu s’imposer au point non seulement de faire la une, mais d’être saisi par les politiques de tout bord jusqu’à la tribune de l’Assemblée nationale. Les punaises de lit – ou au moins leur éradication – sont la grande cause nationale de cet automne et comme à l’habitude en France, on se retourne vers l’État dont l’inaction en la matière serait la raison principale de ce fléau. Très sérieusement, la Première ministre a promis une commission d’enquête et des mesures à la hauteur de cet enjeu de sécurité nationale. Les punaises de lit sont devenues le symbole du mal français !
On est là, bien sûr, dans le ridicule le plus total. Bien sûr, le problème existe, mais il est du champ de l’entretien des habitations et il n’y a là nulle épidémie comme certains l’exagèrent en parlant d’un nouveau Covid. S’il est une chose dont les punaises de lit sont le malheureux symbole, c’est bien celui de la bêtise que peuvent véhiculer tant les médias que les politiques. Mieux vaut en rire.
5 octobre 2023
Si l’Afrique subsaharienne a connu ces derniers mois son lot de coups d’État (Niger, Mali), de révolutions de palais (Gabon), de guerres civiles (Soudan), l’actualité est faite aussi d’échéances électorales au Sénégal, en RDC et en Côte d’Ivoire. Au Sénégal et en Côte d’Ivoire, il s’agit de remplacer des chefs d’État en place depuis plusieurs mandatures. Macky Sall a préféré ne pas se représenter (sa légitimité eut été douteuse) et Alassane Ouattara ne le fera probablement pas non plus. Dans l’un et l’autre cas, l’absence d’héritier désigné et la pléthore de partis en lice rendent l’issue du scrutin (en 2024 et 2025) pour le moins aléatoire sans exclure même la possibilité sinon de coups d’État au moins de troubles.
En RDC, le chef d’État sortant Felix Tshisekedi va se représenter, mais en plus des opposants habituels comme l’ancien gouverneur du Katanga Moïse Katumbi, il devrait affronter le prix Nobel de la Paix, le médecin « réparateur des femmes » Denis Mukwege. Celui-ci jouit d’une notoriété certaine dans sa province du Kivu, bien moindre dans les autres régions et à Kinshasa. La candidature de Mukwege, qui se veut hors parti, risque d’émietter un peu plus l’électorat d’opposition, mais elle est aussi un signe de l’État de déliquescence avancé dans lequel se trouve la RDC malgré – ou à cause de – ses richesses minières. Une candidature de la dernière chance, sans beaucoup de chances de succès.
4 octobre 2023
À Rome, au Vatican s’ouvre aujourd’hui un « synode sur la synodalité ». Derrière cette expression quelque peu ampoulée, il y a ce qui est probablement l’ultime effort du pape François pour réformer le fonctionnement intérieur de l’Église catholique, pour aborder aussi quelques sujets tabous comme le célibat des prêtres et – rêvons un peu – l’ordination des femmes (une cinquantaine de femmes participe à cet exercice, ce qui est une première dans l’univers quelque peu machiste de l’Église).
L’Église catholique est la plus ancienne « multinationale » de la planète. Elle a connu nombre de crises, mais si elle a survécu, c’est en partie grâce à son autocratie, à son centralisme, à sa capacité aussi d’adapter son « management ». Or, il est manifeste que le modèle actuel n’est plus adapté aux aspirations des fidèles, que la bureaucratie, inhérente à toute organisation de ce type, a pris le pas sur la mission. Dans des entreprises classiques, on parlerait de conflit entre « staff » et « line » et lorsque le premier l’emporte, c’est toute la dynamique de l’ensemble qui souffre. Mais pour l’Église catholique, le problème est rendu encore plus complexe par des visions culturelles différentes entre – aux extrêmes – les propositions progressistes du synode allemand et la position conservatrice des églises africaines. La barque de Saint-Pierre traverse des eaux agitées. C’est fin 2024 que l’on devrait entrevoir une rive nouvelle.
3 octobre 2023
On célébrait aujourd’hui à Abidjan le cinquantième anniversaire de l’Organisation internationale du Cacao (ICCO). Le cacao est un produit dont l’histoire est fascinante : parti d’Amazone il y a quelques millénaires, il eut un statut presque sacré et en tout cas monétaire en Amérique centrale, passa au Venezuela où l’abbé Raynal le décrit en 1780, puis au Brésil, la « terre aux fruits d’or » dont parle Jorge Amado. Au XXe siècle, il traversa l’Atlantique pour faire la richesse de la « Côte de l’or » (le Ghana) d’abord puis de la Côte d’Ivoire. L’Afrique pèse aujourd’hui les trois quarts d’une production mondiale qui dépasse les cinq millions de tonnes (contre un million de tonnes au début des années soixante). Le cacao, c’est bien sûr le chocolat arrivé en France dans les bagages des juifs espagnols puis des infantes et popularisé par plusieurs « inventions » suisses.
Comme toute matière première, le marché du cacao est instable : les prix actuels sont à des niveaux record, mais ils font suite à de longues années de cours médiocres. Or la production de cacao est le fait de millions de petits planteurs. À la différence de l’hévéa ou de la canne à sucre, le cacao provient de petites exploitations familiales et il joue un rôle fondamental dans la fabrique sociale de pays comme la Côte d’Ivoire et le Ghana.
Face à l’instabilité des prix, les autorités coloniales mirent en place dès les années cinquante des offices, « boards » et autres caisses de stabilisation. Au Ghana, le Cocobod continue d’ailleurs à réguler la filière cacao et il en est de même en Côte d’Ivoire avec un prix minimum garanti au planteur (1 100 FCFA le kg aujourd’hui, soit à peu près € 1,70).
Au niveau international, c’est dans les années soixante-dix que fut négocié le premier accord international qui fut doté d’un outil de stabilisation, un stock régulateur, quelques années plus tard. Comme pour d’autres matières premières (le caoutchouc), l’accord du cacao perdit toute dimension économique à la fin du siècle et l’organisation internationale du cacao est aujourd’hui avant tout un forum d’échanges entre producteurs et consommateurs (pas tous et pour l’essentiel les Européens). Souvent accusé par nombre de « bienpensants » occidentaux de déforestation ou de travail des enfants, le cacao doit s’affranchir de ces clichés tout en subissant les conséquences de l’instabilité des prix mondiaux.
Jorge Amado parlait des « fruits d’or ». L’or, on le sait, peut-être la meilleure, mais aussi la pire des choses et on en voit les excès dans l’exploitation sauvage des ressources aurifères du Sahel. Pour le cacao, cet or doit rester un atout. Mais encore, faut-il en partager les fruits.
1er octobre 2023
Une page se tourne : depuis hier, l’exploitation du gaz naturel à Groningue dans le nord des Pays-Bas est arrêtée après plus de soixante ans de bons et loyaux services. Le gisement de Groningue était le plus important d’Europe occidentale et il a accompagné les Trente Glorieuses.
En réalité, il y a encore du gaz à Groningue, mais la décision d’arrêt a été motivée par les conséquences géologiques de l’exploitation et par de nombreux tremblements de terre de faible ampleur qui ont affecté la région. Malgré la situation gazière internationale et la nécessité de se passer du gaz russe, les autorités néerlandaises ont refusé de revenir sur leur décision (en continuant par contre à importer du GNL russe…).
Les économistes perdent là une référence célèbre, celle de la « Dutch disease », le mal néerlandais. En effet, lorsque le gaz naturel commença à être produit au début des années soixante, cela se traduisit assez rapidement par des difficultés économiques et en une récession. Ce résultat paradoxal fut étudié et expliqué par l’un des premiers prix Nobel d’économie, le néerlandais Jan Timmermans qui en analysa les mécanismes passant par le déséquilibre du commerce extérieur et l’inflation. La « Dutch disease » est devenue une référence pour tous les pays exportateurs de matières premières. Souvent, alliée à la corruption, elle est devenue la « malédiction des matières premières », une triste réalité si répandue de l’Algérie à la RDC. Les Pays-Bas ne produiront plus de gaz, mais la « Dutch disease » demeure !
28 septembre 2023
Vente à perte, prix coûtant, marges nulles… Dans la recherche effrénée de la maîtrise de l’inflation, qu’il s’agisse des carburants ou des produits alimentaires, le gouvernement aura, en quelques jours, tout essayé, sautant d’une idée à l’autre dans le désordre le plus total et faisant preuve au passage d’une ignorance crasse des mécanismes des marchés.
Premier épisode donc, la vente à perte des carburants qui, aux dires d’un ministre, se serait soldée par des baisses de prix à la pompe de plus de quarante centimes le litre. Fort logiquement, les distributeurs ont refusé ce cadeau empoisonné. Exit donc la vente à perte et le projet de loi qui devait l’autoriser à compter du 1er décembre a été abandonné. Faute de vente à perte, on s’est alors retourné vers le prix coûtant, une notion encore plus floue quand on sait la volatilité des prix sur le marché des produits raffinés européens à Rotterdam. Les distributeurs ont vu là une opportunité de faire de la « communication solidaire » à moindres frais, au plus quelques centimes par litres (l’engagement pris par Total Energies de limiter ses prix – sur toutes les stations y compris les autoroutes – à € 1,99 est autrement plus contraignant). Au passage, ils en ont profité pour pousser le bouchon sur les marges de raffinage, laissant supposer qu’il y aurait là un gisement de profits à exploiter. Là encore, la méconnaissance des réalités économiques est abyssale. L’activité du raffinage pétrolier est éminemment aléatoire entre le prix du pétrole brut et celui des produits raffinés. Pendant de nombreuses années la rentabilité du raffinage en Europe fut si faible que l’on assista à la sortie de certains groupes pétroliers, à la fermeture de raffineries alors que des capacités nouvelles étaient développées, aux normes européennes, en Ukraine et en Russie, mais aussi au Moyen-Orient et en Asie. Depuis le début de la guerre en Ukraine, la situation a changé avec le développement de nouveaux flux de produits raffinés et effectivement les marges de raffinage se sont appréciées. Mais il faut bien comprendre que le marché du raffinage est mondial et au moins continental. Faire pression sur les seules raffineries françaises n’aurait guère de sens si ce n’est éventuellement d’accélérer leur fermeture. La volatilité des marges de raffinage fait partie des contraintes d’un marché des carburants qui s’imposent à tous les acteurs et même le volontarisme public n’y peut rien changer.
Beaucoup de bruit pour rien donc et un prix des carburants qui restera tendu au gré des prix du pétrole, du dollar et donc aussi de la marge de raffinage, l’État refusant – à juste raison cette fois – de toucher au volet fiscal (qui représente la moitié du prix à la pompe).
Autres marges à écraser, celles des produits alimentaires. Là, le problème est différent, car si le pétrole brut pèse 70 % du prix des carburants avant impôts, la part des produits agricoles dans les prix alimentaires varie entre 10 % (le pain) et 30 % (les pâtes, les viandes). Il faut donc distinguer, que ce soit pour l’industrie ou la distribution entre marge brute et marge nette. Tout comme les prix du pétrole, les prix agricoles sont instables et volatils. Mais à la différence des carburants, cette instabilité ne se reflète pas dans les prix alimentaires, industrie et distribution jouant un rôle d’amortisseur. C’est ce qui explique les tensions qui accompagnent chaque année l’exercice de négociations des prix codifié – trop probablement – par le législateur. Là aussi, on peut légitimement s’interroger sur la pertinence de l’intervention de l’État, rappeler que la France est le seul pays en Europe à s’encombrer de pareilles réglementations, celui aussi où les relations commerciales sont les plus difficiles.
Il est frappant de constater que près d’un demi-siècle après la disparition du contrôle des prix, les mentalités y restent, au fond, profondément attachées en une éternelle illustration du « mythe de la caverne » !
26 septembre 2023
Il est des peuples maudits, ceux dont l’histoire est faite d’invasions et de destructions parce que leur implantation géographique en des lignes de fracture les condamne face à tous les impérialismes. Il en fut ainsi de la Pologne et de l’Ukraine, des Kurdes et des Libanais et puis aujourd’hui encore un peu plus de l’Arménie. L’histoire n’a pas été tendre pour ce qui fut le premier royaume chrétien, qui lutta pour son indépendance avant de céder entre Russes, Perses et Ottomans. On sait ce que fut, il y a plus d’un siècle, le génocide dont furent victimes les Arméniens de l’Empire ottoman. Au lendemain de l’éclatement de l’URSS, les frontières héritées de l’Empire soviétique entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan ne pouvaient manquer d’être source de conflits tant, en ces lignes de fractures, les communautés y étaient imbriquées et les vieilles rancunes tenaces. Dictature familiale postcommuniste, l’Azerbaïdjan avait la chance de détenir du pétrole (Bakou !) et surtout du gaz dont l’Europe est devenue friande. La Turquie, celle même qui n’a jamais reconnu le génocide arménien, cherche maintenant à y réaliser le rêve de « grande Turquie », de reconstitution de l’Empire ottoman cher à RT Erdogan. Privée du soutien russe, non dénué lui aussi d’ambiguïtés, l’Arménie est devenue un maillon faible handicapé par ailleurs par la médiocrité de ses dirigeants. L’Azerbaïdjan vient donc de « conquérir » le Haut-Karabakh et 100 000 réfugiés au moins vont rejoindre l’Arménie avant peut-être de reprendre le chemin d’exils que leurs ancêtres ont parcouru déjà il y a plus d’un siècle.
24 septembre 2023
Le feuilleton de la vente à perte des carburants semble se terminer alors que le baril de Brent a touché cette semaine les $ 95, que le dollar s’est renforcé et que la barre de € 2 le litre pour le SP95 se rapproche inexorablement.
On se demande qui a eu cette idée géniale. Prenant pour hypothèse, pour certitude même, qu’il est exclu de refaire un cadeau fiscal aux Français comme en 2022 (trop cher, inefficace et même injuste), on avait pensé dans quelques cabinets ministériels qu’il suffirait de lâcher la bride aux distributeurs qui se feraient un plaisir de se lancer dans des guerres de prix. Tout content de cette manœuvre, le porte-parole du gouvernement annonça même une baisse possible de près de cinquante centimes du litre ce qui était au-delà du rêve le plus fou : hors impôts, le litre de carburant vaut à peu près un euro, le prix de marché à Rotterdam en représentant à peu près les trois quarts et la grande distribution vendant déjà presque à prix coûtant. Prévenus au dernier moment de cette opportunité de vente à perte, les distributeurs sont sortis de Bercy en en refusant le principe, leur marge de manœuvre n’étant en réalité que de quelques centimes.
En fait, nul ne commande aux prix des carburants et le moindre coup de pouce fiscal coûterait € 500 millions par centime en année pleine. Le budget n’en a pas les moyens. On pourrait par contre ressortir la vieille idée des chèques carburant. Mais c’est une autre histoire.
23 septembre 2023
Le pape François était donc à Marseille en clôture des journées méditerranéennes qui réunissaient des catholiques des pays limitrophes du Mare Nostrum. À l’origine, son déplacement était limité et n’était en aucune manière une visite pastorale et jusque-là il avait toujours évité la France avec laquelle, à la différence de Benoit XVI, il n’entretient aucune proximité intellectuelle.
Et pourtant, cette journée marseillaise fut en tout point remarquable avec pour point d’orgue la messe dans un stade vélodrome qui n’avait jamais autant vibré. L’évangile choisi, celui de la visite de Marie à Elisabeth avec le psaume du Magnificat était un appel à l’engagement, à l’accueil aussi. Et dans son homélie, François a conclu en citant Claudel, l’éternel converti.
Décidément, le catholicisme français est surprenant : bien des églises peinent à attirer les jeunes, mais ceux-ci – et pas seulement les tradis – répondent avec enthousiasme pour les grands événements, des JMJ aux moindres pèlerinages et à des événements comme celui-ci. Malgré les crises, malgré le manque de prêtres, malgré aussi la rigidité de la bureaucratie vaticane, l’Esprit souffle comme en cet après-midi à Marseille où pendant quelques heures tous les problèmes de la ville ont été oubliés. Une belle image d’une France ouverte sur les autres.
21 septembre 2023
Il fut le souverain européen le plus puissant de son siècle, empereur romain germanique, roi d’Espagne, mais aussi de Naples, duc de Bourgogne, maître des Flandres. Il tint le roi de France en captivité, affronta Luther et les protestants. Charles Quint abdiqua au faîte de sa gloire pour se retirer dans un modeste monastère de la vallée de la Vera au plus profond de l’Estrémadure. Il n’y a dans l’histoire rien de comparable et aucun monarque, ni encore moins de dictateurs ou de présidents plus ou moins démocratiquement élus, n’a jamais franchi ainsi le pas, ne s’est dépouillé de sa puissance. À l’époque de Charles Quint, ses contemporains, François I et Henry VIII furent d’aimables jouisseurs. Charles Quint aux prises avec un empire éclaté dut aussi bien affronter Luther et le vent de la Réforme en Allemagne, que Las Casas et ses soucis de conversion des Indiens.
Il choisit donc de se retirer auprès du monastère de Yuste et se fit construire une petite annexe, quatre pièces pour l’essentiel avec de son lit la possibilité de suivre la messe et d’entendre la liturgie des Heures. Il ne passa que vingt mois à Yuste et y mourut à moins de soixante ans, précocement usé par une vie faite de voyages et de batailles. Yuste tomba à l’abandon avec la sécularisation des monastères espagnols au XIXe siècle, mais ces dernières années un effort a été entrepris pour reconstituer ce lieu presque à l’identique de ces mois de 1558, lorsque Charles Quint préparait son ultime voyage. Sic transit gloria mundi.
20 septembre 2023
L’Estrémadure est la plus profonde des provinces espagnoles, entre Madrid et la frontière portugaise. Elle fut longtemps aussi la plus pauvre et la moins peuplée. C’est ce qui explique que ses cadets furent parmi les premiers à s’embarquer pour le Nouveau Monde. De Trujillo, de Cáceres partirent quelques aventuriers comme Orellana, le compagnon de Balboa qui découvrit le Pacifique puis qui s’enfonça au long de l’Amazone. Il y eut surtout les frères Pizarre qui se saisirent de l’Empire inca et en revinrent couverts d’or pour se bâtir des palais dans leurs bourgades d’origine. Sur la « plaza major » de Trujillo, Pizarre galope encore. Mais bien avant l’Estrémadure avait été romaine, wisigothe et surtout mauresque. On est là en des terres marquées par la Reconquista. Un peu plus loin, les conquistadors se sont certainement inclinés devant la statue de la vierge de la Guadalupe (qui a donné son nom à l’île de la Guadeloupe). L’or des Indes brille là de mille feux et dans la sacristie des moines jéronimites, on trouve la plus belle « série » de peintures de Zurbaran que l’on puisse imaginer, mariant l’ascétisme des moines à la pompe et à l’or. L’Estrémadure, ce sont ces contrastes de villages assommés par le soleil et de châteaux et de palais que hantent encore les souvenirs de ce grand « vol de gerfauts hors du charnier natal » qui conquit le monde.
15 septembre 2023
Il y a quinze ans, le 15 septembre tombait un lundi. La journée avait bien commencé à Londres par la vente d’une partie de « l’atelier » de Damien Hirst : c’était l’époque « formol » de cet artiste britannique qui avait su séduire quelques grands mécènes avec ses provocations et dans ce cas des animaux conservés dans le formol. Ce jour-là, la vente battit des records avec notamment un « veau d’or » (un veau dans du formol avec un disque doré entre les oreilles) parti à un peu moins de $ 15 millions. Mais voilà, c’est en début d’après-midi en Europe que tomba la nouvelle matinale des États-Unis. Après un long week-end de tentatives infructueuses, les autorités américaines renonçaient au sauvetage de Lehman Brothers. Jusqu’au dernier moment, le vieil axiome « too big to fail » avait conforté les optimistes : quelques mois plus tôt, Bear Stearns avait été ainsi sauvé par les cheveux. Mais pour Lehman, la plus arrogante des entreprises de Wall Street, le Trésor et la Fed reculèrent malgré les conséquences que pouvait représenter le défaut de Lehman sur les marchés financiers internationaux : l’onde de choc saisit alors la planète bancaire et au-delà, le monde financier. Aux États-Unis, il fallut sauver l’assureur AIG (autrement plus important pour les Américains) et un peu plus tard, General Motors… Le veau d’or s’effondrait.
12 septembre 2023
Le tremblement de terre au Maroc dans la région de Marrakech a fait probablement plus de 3 000 victimes. Des villages entiers dans la montagne ont été détruits. À l’international, le retentissement de ce séisme est d’autant plus grand que Marrakech est l’épicentre touristique du Maroc et que la ville abrite une importante communauté expatriée, en particulier française.
Mais c’est bien avec la France que les relations sont pour le moins difficiles. Les autorités marocaines n’ont pas répondu aux propositions d’aides émanant de la France alors qu’elles ont accepté celles de l’Espagne, du Royaume-Uni et plus loin, du Qatar et des Émirats. Le froid est total comme en témoignent les longues périodes d’intérim aux ambassades respectives de Paris et de Rabat. Au niveau simplement humain, il est clair que le « courant » ne passe pas entre Mohamed VI et Emmanuel Macron. Mais c’est aussi la politique française qui est critiquée vis-à-vis de l’Algérie. Tout pas vers Alger est un recul à Rabat. Et soyons honnêtes, la politique algérienne de la France, au fil des repentances et du silence sur la dictature désastreuse des généraux au pouvoir, n’est guère payée en retour.
Le Maroc au contraire est un vrai pays émergent qui progresse vers la démocratie. Lorsque Hassan II parlait de son adhésion à l’UE, il était bien dans cette logique. Quel gâchis du côté français !
11 septembre 2023
Il y a cinquante ans un coup d’État militaire mettait un terme à la démocratie chilienne de la manière la plus violente qui soit avec la mort du président Salvador Allende et une répression sans équivalent depuis l’Espagne franquiste, les dictatures européennes et la main de fer du communisme. L’auteur de ces lignes a un souvenir très précis de ces moments : l’abbé Pierre s’était désolidarisé des condamnations du coup d’État en France pour mieux sauver au Chili les membres des communautés Emmaüs menacés par la police du nouveau régime.
Comment juger ce « golpe » un demi-siècle plus tard ? Il est clair que Salvador Allende, en marxiste convaincu, souhaitait des changements radicaux bien au-delà des réformes de ses prédécesseurs démocrates-chrétiens. L’économie chilienne allait dans le mur, aidée en cela par un incontestable activisme américain. Ni Cuba, ni surtout l’URSS ne souhaitaient aller plus loin que quelques bonnes paroles. Rien ne peut justifier cependant la violence de la répression. Il y a chez Pinochet des traits proches de Franco et notamment le même mépris pour la vie humaine. Par contre, la politique économique adoptée par la suite (les Chicago boys) a permis au Chili, quelques années plus tard, d’être le premier pays latino-américain à rejoindre l’OCDE, cela quand même au prix d’une exacerbation des inégalités.
Reconnaissons enfin que Pinochet, comme Franco, sut accepter (un peu contraint quand même) une transition démocratique, ce qui n’a toujours pas été le cas à Cuba ni aujourd’hui au Venezuela.
8 septembre 2023
La France a réussi son entrée dans la Coupe du monde de rugby en battant de belle manière – en particulier en seconde mi-temps – une Nouvelle-Zélande moins acérée qu’on ne l’imaginait.
Peut-on dire qu’il en a été de même pour la cérémonie d’ouverture ? Les organisateurs ont manifestement choisi de célébrer une image passée de la France des terroirs (un véritable chromo) dont, à leurs yeux, la France est héritière et dont le rugby serait le digne représentant. Ce triste « remake » du « Bonheur est dans le pré » fut une lamentable expression du mythe franchouillard des années cinquante avec pour principal « héros » un Jean Dujardin en marcel, garçon boulanger, livrant son pain sur un tricycle. Tous les clichés les plus éculés y sont passés jusqu’à la caricature. Est-ce bien cette image de la France que l’on veut transmettre, celle de Gaulois ne jurant que par la baguette et le coup de rouge ? Même la tour Eiffel était de la partie : mais à l’époque, elle célébrait l’excellence industrielle française ! Là, il n’en fut rien et l’image donnée ce soir de la France était à mille lieues de celle d’un pays qui ambitionne de faire le pari du XXIe siècle. Une mauvaise carte postale à oublier bien vite…
6 septembre 2023
À l’approche de l’automne, l’actualité des marchés internationaux est toujours occupée par la Russie et cela sur les deux fronts traditionnels : l’énergie et les céréales. Dans les deux cas, la Russie est paradoxalement en position de force.
Sur le front pétrolier, l’alliance entre la Russie et l’Arabie saoudite porte ses fruits avec le baril de pétrole Brent qui, au début septembre a passé pour la première fois depuis novembre 2022 la barre des $ 90. La « sucette saoudienne » (une réduction de production de 1 mbj) a bien fonctionné. La Russie s’y est associée à hauteur de 300 000 bj dont la réalité reste quand même à vérifier. Résultat, le pétrole russe (l’Oural départ port russe) se négocie autour $ 70 bien au-delà du plafond bas des $ 60 décrétés en décembre 2022 dans le cadre des sanctions des pays occidentaux. La balle est dans le camp du G7 qui… ne fait rien. La Russie a de toute manière réussi à éviter les contraintes occidentales pour une bonne partie de ses exportations : des sociétés de négoce apparues ex nihilo et utilisant souvent le « paradis » de Dubaï, des navires de seconde ou de troisième main certifiés par un registre indien particulièrement laxiste, des assureurs russes, chinois ou indiens peu regardant…
En ce qui concerne le gaz naturel, l’essentiel des « tuyaux » dirigés vers l’Europe est fermé ou détruit (Nordstream). La Russie exporte vers la Chine, mais les capacités de « l’orgueil de Sibérie » restent limitées. Par contre, le GNL échappe aux sanctions et l’Europe ne se prive pas en 2023 d’importer du GNL russe, une curieuse lacune dans l’arsenal des sanctions. Dans un autre domaine, remarquons que le LME continue à accepter dans ses entrepôts de l’aluminium russe.
Il y a enfin les céréales. L’accord sur le corridor céréalier n’a pas été renouvelé à la mi-juillet et depuis, les ports ukrainiens du Danube ont été copieusement bombardés. De ce fait, les exportations ukrainiennes ont diminué (3,4 Mt en juillet contre 4,8 Mt en juin), mais même sans le corridor, l’Ukraine devrait pouvoir exporter un disponible en forte baisse du fait des contraintes de la guerre sur la production agricole. L’Ukraine par ailleurs pèse peu sur le marché du blé et reste avant tout un exportateur de maïs. Pour le blé, et donc pour la situation alimentaire mondiale, c’est la Russie qui compte et cela d’autant plus qu’avec le retour d’El Niño, des pays comme l’Australie, l’Inde, la Chine sont à la peine en termes de production. Vladimir Poutine a beau jeu d’utiliser « l’arme alimentaire » et à durcir sa position sur une éventuelle réouverture du corridor céréalier dont le président turc, RT Erdogan, a fait, un enjeu personnel. Le prix plancher institué par les autorités russes (autour de $ 260 la tonne fob) est presque devenu un prix minimum mondial.
Tout ceci peut expliquer que l’élargissement des BRICS largement décidé par la Chine inclue nombre d’alliés objectifs de la Russie : l’Arabie saoudite et l’Iran bien sûr, l’Égypte qui dépend de son blé, les Émirats avec le rôle de Dubaï devenu la plaque tournante du commerce russe…
Plus que jamais, en cet automne 2023, la géopolitique est au cœur des tensions sur les marchés. Ajoutons-y les incertitudes sur la croissance chinoise et les menaces que fait peser El Niño sur les productions agricoles (avec en vedette le sucre et le cacao) et on a là les ingrédients d’une rentrée chargée de nuages bien menaçants.
4 septembre 2023
L’été 2023 aura été fort différent de celui de l’année précédente sur le plan énergétique. En 2022, la vedette avait été le gaz naturel avec la cruelle prise de conscience de la dépendance européenne vis-à-vis du gaz russe. Les prix avaient flambé, entraînant dans leur sillage ceux de l’électricité. Par contre, le pétrole avait amorcé une phase de repli (après son record du 7 mars à $ 139 le baril). Dans le courant du mois d’août, il était repassé au-dessous des $ 100 le baril). Dans nombre de pays, la cherté des carburants avait été d’ailleurs compensée par des mesures « d’aides à la pompe ».
Un an plus tard, la situation a bien changé : calme apparent sur le front gazier et tensions pétrolières nouvelles, mais cette fois sans cadeaux ni protections fiscales. La première bonne nouvelle concerne le gaz naturel. La reconstitution des stocks européens (l’objectif de remplissage de 90 % des capacités européennes fixé au 1er novembre a été atteint dès le 15 août) n’a pas provoqué les tensions attendues. Les prix sur le marché de référence européen (le TTF néerlandais) sont restés dans une fourchette que l’on peut qualifier de « raisonnable » (20 à 40 euros le MWh) surtout si on les compare aux folies de 2022 (plus de 300 euros).
L’Europe peut se passer du gaz russe, au moins sous sa forme gazeuse, car elle a fortement augmenté ses achats de GNL (y compris du GNL russe qui jusqu’à présent n’a pas été affecté par les sanctions). On