PARUTIONS

CyclOpe 2023

 

LES MARCHES MONDIAUX

« Les cavaliers de l'Apocalypse"

Publication du Rapport Cyclope 2023

23 Mai 2023 - Paris

CyclOpe 2022

 

LES MARCHES MONDIAUX

« Le monde d'hier »

Publication du Rapport Cyclope 2022

8 Juin 2022 - Paris

CyclOpe 2021

 

LES MARCHES MONDIAUX

« Cette obscure clarté qui

tombe des étoiles »

Publication du Rapport Cyclope 2021

26 Mai 2021 - Paris

 

CyclOpe 2020

 

LES MARCHES MONDIAUX

« Allegoria ed effetti
del Cattivo Governo -Ambrogio Lorenzetti 
»

Publication du Rapport Cyclope 2020

09 juin 2020 - Paris

CyclOpe 2019

 

LES MARCHES MONDIAUX

« Les illusions perdues »

A l'occasion de la publication du Rapport Cyclope 2019

15 mai 2019- Paris

CyclOpe 2018

 

LES MARCHES MONDIAUX

« Le ciel rayonne, la terre jubile »

A l'occasion de la publication du Rapport Cyclope 2018

16 mai 2018 - Paris

CyclOpe 2017

 

LES MARCHES MONDIAUX

« Vent d'Est, Vent d'Ouest »

A l'occasion de la publication du Rapport Cyclope 2017

15 mai 2017 - Paris

CyclOpe 2016

 

LES MARCHES MONDIAUX

« A la recherche des sommets perdus »

A l'occasion de la publication du Rapport Cyclope 2016

24 mai 2016 - Paris

CyclOpe 2015

LES MARCHES MONDIAUX

Pour qui sonne le glas ?

A l'occasion de la publication du Rapport Cyclope 2015

20 mai 2015 - Paris

CyclOpe 2014

LES MARCHES MONDIAUX

Dans le rêve du Pavillon Rouge

A l'occasion de la publication du Rapport Cyclope 2014

14 mai 2014 - Paris

Les billets du jour - le blog de Philippe Chalmin

photo philippe Chalmin

Diplômé d’HEC, Agrégé d’histoire et Docteur es lettres, Philippe Chalmin est professeur d’histoire économique à l’Université Paris-Dauphine où il dirige le Master Affaires Internationales.

Il est le président fondateur de CyclOpe, le principal institut de recherches européen sur les marchés des matières premières qui publie chaque année le rapport CyclOpe sur l’économie et les marchés mondiaux.

Il a été nommé en Octobre 2010, Président de l’Observatoire de la Formation des prix et des Marges Alimentaires auprès du Ministre de l’Agriculture et du Ministre de l’Économie et des Finances. Il a été membre du Conseil d’Analyse Économique auprès du Premier Ministre, du Haut Conseil des Biotechnologies et du Conseil des Ventes Volontaires.

Il est l’auteur d’une quarantaine d’ouvrages dont parmi les plus récents « Le monde a faim » (2009), « le siècle de Jules » (2010), « demain, j’ai 60 ans, journal d’un économiste » (2011), « Crises, 1929, 1974, 2008 Histoire et espérances » (2013)

14 février 2024

 

Curieusement, en 2024, la Saint-Valentin correspond au mercredi des Cendres. En France, autant l’un est célébré autant l’autre est ignoré même s’ils partagent les mêmes origines chrétiennes.

Fêter un Saint peut aujourd’hui paraître bien anachronique. Il y a bien sûr les Saints du calendrier des pompiers qui s’effacent peu à peu dans un gentil folklore. La fête de tous les Saints (la Toussaint) a été éclipsée par Halloween et ne survit dans les mémoires que grâce à un jour férié. Alors, Saint-Valentin ?

Saint-Valentin serait un martyr romain du IIIe siècle dont on ne sait que peu de choses. En 495, le pape Gelase en fixa la fête de 14 février, mais c’est son lointain successeur Alexandre VI Borgia, de sulfureuse mémoire, qui décida d’en faire le saint patron des amoureux. C’est surtout à partir du XIXe siècle que la dimension commerciale de la Saint-Valentin prit le dessus notamment dans le monde anglo-saxon au point d’ailleurs que le pape Paul VI supprima le pauvre Valentin du calendrier liturgique en 1969. Qu’importe, Valentin est désormais universel.

Le mercredi des Cendres marque lui, le début du carême, les quarante jours qui séparent les chrétiens de Pâques. Il était autrefois un jour de pénitence et de jeûne marqué par l’imposition des cendres en signe d’humilité et de conversion. Sauf pour les catholiques les plus pratiquants (2 % de la population française… et encore) sa célébration en est oubliée tout comme d’ailleurs la notion de carême (à la différence du rite voisin, mais fort différent du point de vue spirituel, du ramadan).

« Convertissez-vous et croyez à la Bonne Nouvelle », dit le célébrant au moment de l’imposition des cendres. C’est aussi ce que se disent entre eux les amoureux de la Saint-Valentin. Pour eux, la bonne nouvelle est celle de leur amour !

 

12 février 2024

 

Quelques jours après les grandes manifestations agricoles (et alors que les organisations syndicales restent mobilisées et sont reçues à l’Élysée et à Matignon) et avant le Salon de l’Agriculture, le film de Gilles Perret, « La ferme des Bertrand » est une remarquable plongée dans la réalité agricole. Voisin de la ferme savoyarde, le cinéaste avait réalisé un premier reportage il y a vingt-cinq ans et disposait même d’images des années soixante-dix. Revenant en 2022, il suit donc trois générations sur la même ferme d’élevage laitier (pour le reblochon) en moyenne montagne sur un système largement à l’herbe : trois frères célibataires à peine sortis de la guerre d’Algérie, puis leur neveu et sa femme et enfin leurs enfants. Dès le départ, les frères avaient fait le choix du progrès technique et de l’investissement en matériel. Le film commence d’ailleurs par l’adoption par la dernière génération d’un robot de traite. Au-delà des paysages somptueux, ce qui frappe c’est l’insistance mise sur le travail – ce qui explique aussi le célibat – sur la volonté d’entretien de la nature de manière à ne pas laisser la place à la friche. L’histoire se poursuit de manière heureuse avec la succession des générations. Sur le plan économique, peu de détails, si ce n’est que le lait AOP est bien valorisé. Rien, par contre, sur le volet aides (qui doit être important) ni donc sur les paperasses à remplir. Un regret aussi : la dernière génération (un fils et un gendre) est présentée, mais sans leurs épouses dont on ne sait rien, en particulier de leur activité professionnelle et donc de leur contribution aux finances…

Mais ces remarques ne doivent pas assombrir l’enthousiasme pour ce film qui donne de l’agriculture en France la plus belle image qui soit.

 

10 février 2024

 

Rarement le thème astral d’une nouvelle année chinoise aura été aussi approprié qu’en 2024 avec le retour du dragon, l’animal mythique par excellence que les Chinois partagent avec les Occidentaux dans leurs contes de fées et jusqu’à la Bête de l’Apocalypse. Voilà donc le dragon chinois de retour.

À vrai dire il s’est quelque peu assagi depuis sa dernière apparition il y a douze ans suivant le calendrier chinois. Il a toujours quelques têtes qui poussent en particulier dans les véhicules électriques et les énergies renouvelables. Ses queues continuent à balayer, mais surtout ses voisins proches, Taïwan, Philippines et quelques autres. Plus loin, ses griffes sont moins profondes et il fait même parfois patte de velours, mais sans vraiment convaincre. Il crache certes des flammes, mais c’est un peu pour la galerie.

Mais c’est la santé même de notre dragon qui inquiète. Lui qui était habitué à dévorer 10 % de croissance par an doit se contenter d’une maigre pitance et sa diète est plus proche des 3 % que du menu officiel de 5 %. Certes, il a encore des réserves, mais c’est son niveau de consommation – celle des ménages – qui est insuffisant. Et il est vrai que notre dragon est assis sur une masse de dettes immobilières qu’il ne peut plus cacher au reste du monde. Et puis, il vieillit : il n’a plus le même allant ni la même foi en l’avenir. Il ressemble de plus en plus à son ancêtre japonais qui doucement – et paisiblement – vit de ses rentes accumulées au siècle dernier.

Que souhaiter donc à ce dragon chinois ? Il est presque le dernier de l’espèce communiste et c’est aussi là son problème. Pour l’instant, il refuse toute espèce de transition et s’enferme dans son modèle qui est une impasse même si quelques coups de queue lui donnent l’illusion de progresser encore.

 

4 février 2024

 

Les premières semaines de 2024 ont été bien moroses. En Ukraine comme à Gaza, les conflits s’enlisent et même « les hommes de bonne volonté » (ceux que citait Raymond Aron dans un texte célèbre de 1969) ne voient pas de solutions raisonnables à court terme. Au contraire même, la Russie – dont l’économie se porte mieux qu’escompté – marque des points que ce soit au Proche-Orient ou en Afrique où on peut imaginer son influence dans la décision du Burkina, du Mali et du Niger de quitter la CEDEAO. L’Iran ne cesse de mettre de l’huile sur le feu et entretient l’insécurité dans la région en contribuant – par Houtis interposés – à presque bloquer la mer Rouge, l’une des artères les plus sensibles du commerce mondial. En Israël même, les « durs » de la coalition au pouvoir rendent illusoires les espoirs mis dans une solution à deux États malgré les efforts des États-Unis. Les États-Unis justement ! Les premières primaires ont confirmé ce que l’on craignait : le 5 novembre 2024 verra bien un duel Trump-Biden et pour l’instant c’est le premier qui tient la corde. Les États-Unis qui, autrefois, étonnait le monde par leur capacité à faire émerger des « jeunes » présidents, de Kennedy à Clinton ou Obama, s’en révèlent aujourd’hui incapables. Ceci étant, le bilan de Biden est assez remarquable : en utilisant toutes les marges de manœuvre offertes par la position du dollar (et un déficit budgétaire de plus de 7 % du PIB) et en accélérant la mise en œuvre de l’IRA, il a présidé à un étonnant rebond de l’économie américaine qui « roulait » en fin d’année à plus de 3 % de rythme annuel de croissance, qui en janvier a créé encore 355 000 emplois (contre des prévisions de l’ordre de 180 000) et cela malgré une politique monétaire « dure » de la Fed. Et à l’international, malgré quelques maladresses, l’administration Biden a redonné quelques lustres à une diplomatie – et une présidence – américaine dans le monde, tombée au plus bas de l’isolationnisme sous Obama et Trump. La perspective d’un retour de Trump a de quoi faire frémir, mais réjouir aussi au sein du club des autocrates qui n’a jamais été aussi fourni qu’en cette année 2024 où pourtant la moitié de l’humanité va aux urnes…

Parmi les premières élections « libres » de l’année, celle de Taïwan est la plus importante, mais il reste à voir comment Xi Jinping assumera le « non » taïwanais alors que la mainmise sur Hong Kong est désormais totale. Que sera l’année du dragon (qui commence le 9 février) pour la Chine ? Sur le plan économique, la Chine présente le meilleur – des véhicules électriques aux énergies renouvelables – et le pire dans l’immobilier et la construction comme la mise en liquidation d’Evergrande (par un juge de Hong Kong…) l’a montré. Sur le plan international, la Chine semble se replier sur son pré carré, prendre acte du relatif échec des routes de la soie, des limites de ses investissements massifs dans nombre de pays, en Afrique en particulier.

Trump, la Chine… les incertitudes de 2024 nous ramènent quelques années en arrière et ceci pourrait avoir quelque chose de rassurant puisque le monde avait alors survécu aux tensions. Mais il n’est pas sûr que demain il puisse en être de même et dans ce contexte, le vide européen n’en est que plus inquiétant. Qu’il est loin le temps des « équilibres westphaliens » !

 

2 février 2024

 

L’athlétisme fut longtemps ce sport de référence par excellence, celui qui permettait le mieux de mesurer les performances humaines. Il est aujourd’hui dépassé en termes de notoriété et même de pratique (running et trail relèvent d’une démarche différente). Dans nombre de stades, les pistes autour des terrains de football ne sont plus guère entretenues et les sautoirs ont disparu depuis longtemps. L’athlétisme ne retrouve son heure de gloire qu’au moment des Jeux olympiques. Mais pour un jeune Français de l’après-guerre, l’athlétisme était encore une référence et les grands athlètes étaient plus célébrés que les joueurs de football, de rugby ou de tennis de l’époque.

Michel Jazy qui vient de disparaître fut l’un d’eux : il domina le demi-fond du début des années soixante, même s’il échoua à remporter une médaille d’or aux Jeux. Ce fils de mineur polonais fut probablement le sportif français le plus connu des années « De Gaulle ». Il prit sa retraite en battant un dernier record su monde en 1966.

Deux ans plus tard, à Mexico, un athlète noir qui venait d’être exclu de l’université du Texas à El Paso pour activisme au lendemain de l’assassinat de Martin Luther King, fit un bond prodigieux. Le 18 octobre 1968, Bob Beamon sauta 8,90 mètres, un record du monde qui tint pendant des décennies. Dans quelques jours, sa médaille d’or (celle que Jazy n’eut jamais) sera vendue aux enchères chez Christie’s à New York. Ultime témoignage d’un autre temps !

 

1er février 2024

 

En introduisant un débat aux Rencontres des Sablons à Neuilly sur un monde « incertain », Jean-Dominique Senard, le président de Renault cite Blaise Pascal : « on ne travaille jamais que pour l’incertain ». C’est là le cœur des défis auxquels est soumise aujourd’hui l’industrie automobile européenne. Longtemps, l’automobile — la grande industrie du XXe siècle — a été un produit relativement simple : quatre roues, un moteur, quelques transmissions… Depuis Henry Ford et son modèle T, il y a eu maintes améliorations, mais pas de changement profond de paradigme : toujours plus d’électronique, certes, au point de faire de la voiture un « téléphone sur roues », mais des moteurs utilisant toujours des carburants fossiles.

Mais voilà, trois chocs — climatiques, technologique, géopolitique — sont passés par là. Ajoutons à cela, au moins en Europe, un brin d’irrationnel politique et voilà notre industrie lancée dans l’aventure de l’électrique. Et là, on cumule dépendance (vis-à-vis des matières premières), retard (vis-à-vis de la Chine) et incertitudes quant à l’évolution des technologies : les batteries actuelles ne seront-elles pas vite dépassées ? Des carburants alternatifs ne donneront ils pas une seconde vie aux moteurs thermiques ? L’hydrogène dont on fait grand cas pourra-t-il devenir une solution viable ? Et puis concrètement,

la marée chinoise ne va-t-elle pas submerger un marché chinois peu protégé : en 2024, sur les 16,5 millions de véhicules électriques produits dans le monde, 70 % le seront en Chine et une partie sera exportée. Comme le dit J.D. Senard, le conflit est à « balles réelles »…

29 janvier 2024

 

Le monde agricole entre dans sa deuxième semaine de manifestations et de blocages de routes et même de villes. Manifestement, les réponses faites par le gouvernement, de l’abandon de la taxation des carburants à la fermeté affichée sur l’accord de libre-échange avec le Mercosur, n’ont pas satisfait ces nouveaux gilets ou bonnets verts et les syndicats se doivent de suivre la colère générale. Le problème des uns comme des autres est qu’il n’y a pas de solution immédiate à la plupart de ces revendications. Sur le volet simplification des normes, des règles et de leur application, le sujet n’est pas nouveau, mais outre les contradictions qu’il peut engendrer avec les impératifs (ou supposés tels) environnementaux, on sait bien que la vraie question est celle de l’évolution des mentalités administratives à tous les niveaux des hiérarchies. La question n’est pas nouvelle, mais il y a bien peu de chances qu’elle puisse être réglée rapidement tant on touche là au patrimoine bureaucratique français.

L’autre grande question est celle du revenu et là aussi, les marges de manœuvre gouvernementales sont faibles, voire inexistantes, si ce n’est au chapitre des taxes. Tout le monde pense en effet que c’est dans les couloirs ministériels que se décident les prix agricoles, qu’il suffit d’une loi (Egalim en l’occurrence) pour qu’industriels et distributeurs paient leurs produits au « juste » prix. Rien n’est plus faux et sur Egalim, on est même proche de l’escroquerie intellectuelle. Les agriculteurs sont des producteurs qui vendent leurs produits sur des marchés. Longtemps, ces marchés ont été organisés, encadrés, décidés même dans le cadre de la Politique agricole commune, la première, la « vraie » pourrait-on dire, celle qui fixait les prix chaque année dans le cadre des « marathons » agricoles bruxellois. Le soutien de l’agriculture passait pour l’essentiel par le soutien des prix, payés par la chaîne alimentaire jusqu’au consommateur : ces prix étaient stables et suffisamment rémunérateurs pour que le monde agricole connaisse dans la deuxième partie du XXe siècle, une véritable « révolution silencieuse ». Les prix des céréales, du lait, du sucre, de la viande bovine furent ainsi longtemps des prix administrés, voire politiques (il y avait plus d’incertitudes sur des productions comme les fruits et légumes, le porc ou le vin). En une vingtaine d’années, cette « première » PAC a été totalement démantelée, le soutien par les prix remplacé par des subventions qui de « compensatoires » sont devenues conditionnelles, de plus en plus liées aux émanations vertes bruxelloises (ce qui nous ramène au premier volet des revendications).

Aujourd’hui, les prix agricoles en France dépendent de marchés mondiaux ou au moins européens. Par nature, ils sont instables subissant les aléas climatiques, géopolitiques, monétaires propres aux marchés des matières premières. Il en est ainsi pour les céréales et les oléagineux, pour le sucre, pour les produits animaux aussi comme les viandes et même le lait par le biais des marchés du beurre et de la poudre. Les prix à la sortie des exploitations ne sont pas fixés par l’industrie ni par la grande distribution, mais sur des marchés dont les versions successives de la PAC ont démantelé toutes les barrières. Plus personne aujourd’hui ne peut garantir de « justes » prix. La situation actuelle n’est d’ailleurs pas la plus défavorable : ainsi, les prix du sucre (et donc de la betterave), ceux des viandes, notamment porcines, bénéficient d’une conjoncture favorable. Tel n’est pas le cas des céréales et des oléagineux (après les tensions liées à l’Ukraine), des produits laitiers, du vin… La solution mise en avant de sortir par le haut du marché des produits banalisés en jouant la carte de la « qualité » (bio, appellations…) a des limites qui sont aussi celles du portefeuille du consommateur. Malgré toutes ses bonnes intentions, la loi Egalim ne peut « faire » le revenu agricole et la promesse de prix justes et rémunérateurs tient de l’incantation. Il est grand temps de le comprendre, d’accepter aussi qu’il n’y aura pas de retour en arrière pour une PAC, longtemps honnie par ceux mêmes qui en ont aujourd’hui la nostalgie.

Retour donc sur la scène française où au lieu d’affrontements vains et de discours creux, il faudrait – face aux inévitables aléas des marchés – plus de solidarité entre les acteurs, de logique de contractualisation et quand même effectivement moins de paperasses en tout genre.

Il n’y a malheureusement aucune solution clef en main, mais un monde agricole qui souffre surtout de la somme de nos incompréhensions.

 

26 janvier 2024

 

Une loi censurée pour 40 % de son contenu par le Conseil constitutionnel, non pas sur le fond, mais pour des raisons de procédure (les désormais célèbres « cavaliers ») et un gouvernement, porteur de cette loi, qui s’en réjouit et va se hâter de promulguer les articles rescapés ! Le feuilleton de la loi « immigration » trouve ainsi un curieux épilogue. Il s’agit pourtant là d’un sujet que la plupart des Français placent au sommet de leurs listes de soucis : les uns parce qu’ils veulent pratiquement l’interdire, les autres parce qu’ils la jugent indigne tant pour le pays d’accueil que pour ceux qui rêvent encore de la France. Le débat qui eut été nécessaire a été tronqué pour des raisons politiques par tous les partis, de droite comme de gauche, et leurs larmes de crocodile à propos d’une décision qui ne pouvait surprendre ont de quoi faire sourire. Convenons d’ailleurs que l’arsenal réglementaire pourrait presque suffire si, au moins il été appliqué. En 2023, il a été accordé en France 323 000 titres de séjour (dont 10 % de régularisations de sans-papiers) et 17 000 expulsions ont été réalisées. Il manque les chiffres de l’immigration illégale, ceux aussi des obligations de quitter le territoire restées sans effet. Le temps n’est pas le même pour la justice, pour les services préfectoraux, pour la police, pour les relations diplomatiques. Censurée ou non, la loi n’eût probablement pas changé grand-chose.

Et personne au fond ne sort vainqueur de ce coup de billard à trois bandes dont la droite parlementaire, victime de son incompétence et de sa naïveté est, du point de vue politique, la grande perdante.

 

25 janvier 2024

 

Vue d’Europe, la victoire de Donald Trump dans le New Hampshire a quelque chose de fascinant. Nous ne sommes plus là dans les campagnes de l’Iowa, mais en Nouvelle-Angleterre loin de la Bible Belt en des endroits peu marqués par l’idéologie républicaine agressive devenue la marque de Donald Trump et du MAGA (make America great again). Et pourtant, Donald Trump l’a emporté haut la main et rien ne semble devoir l’arrêter dans sa marche vers l’investiture républicaine et peut-être vers la Maison-Blanche puisque pour l’instant, il mène assez largement devant Joe Biden, lui aussi pratiquement assuré de l’investiture démocrate.

Une chose est presque certaine : dans exactement un an, ce sera un ancien président qui prêtera serment devant le Capitole. La perspective d’une présidence Trump II a de quoi inquiéter tant les Américains raisonnables que le reste du monde. Certes, il n’aura pas les mains totalement libres (le Sénat pourrait rester à majorité démocrate), mais au niveau international ce serait un retour à l’isolationnisme américain couplé à l’attirance de Trump pour les régimes totalitaires et on peut craindre le pire. Vladimir Poutine en tout cas ne peut rêver meilleur scénario et l’Europe – pour laquelle Trump n’a jamais caché son mépris – en serait une des principales victimes.

S’il y a peu de chances que Trump soit empêché de se présenter, il reste à espérer la victoire de Biden : en l’état actuel, c’est le vote des femmes qui fera la différence.

 

24 janvier 2024

 

L’obscurantisme religieux demeure une triste réalité en ce XXIe siècle. On le sait pour les religions du Livre et bien sûr pour l’islam. On ne l’imaginait pas à ce point pour l’hindouisme qui il y a quelques décennies encore attirait en Inde les hippies de la planète (et les Beatles…) à la recherche de sagesse dans quelques ashrams de l’Himalaya.

Cette vision angélique de l’hindouisme n’a plus guère de sens à en juger par l’inauguration solennelle d’un temple hindou à Ayodhya par Narendra Modi et toute l’élite politique du BJP, le parti qui devrait sortir grand vainqueur des élections qui se tiendront au printemps. Un temple au dieu Ram pourquoi pas, mais il a été construit sur les ruines d’une mosquée du XVIe siècle en un lieu qui effectivement aurait été le lieu de naissance quelque peu mythique de Ram. La mosquée avait été détruite par des manifestants hindous en 1992 à l’époque où le BJP était un petit parti d’opposition : fanatisme religieux et nationalisme font là bon ménage. En Turquie, Erdogan a fait pareil en rendant Sainte-Sophie au culte musulman (mais au moins, les Ottomans ne l’avaient pas détruite…).

De l’Inde toutefois, qui aura la plus forte croissance des grands pays en 2024 (probablement 7 %) et dont on célèbre le miracle économique, cette dérive sectaire inquiète. Le rêve de Gandhi est bien oublié, l’intolérance religieuse y est devenue la règle et on est bien loin des enseignements de la Bhagavad Gita qui ont nourri tant de voyages en Orient.

 

22 janvier 2024

 

Les agriculteurs manifestent, bloquent des autoroutes autour de Toulouse, exigent de rencontrer le Premier ministre. On commence à parler de « gilets verts ».

L’étincelle qui aurait déclenché la colère paysanne serait liée aux lenteurs prises pour les indemnités dues en particulier aux éleveurs pour la MHE (maladie hémorragique épizootique) pour les bovins et la grippe aviaire pour les volailles. Mais en réalité et si le mouvement prend de l’ampleur, c’est qu’il est le signe d’un « ras le bol » général. Les paysans en ont assez d’être en première ligne lorsqu’il s’agit d’environnement et de biodiversité, assez d’être montrés du doigt par des citadins plus verts en paroles qu’en actions (et peu disposés à en payer le prix comme le montre la débâcle du bio). Ils en ont surtout assez de l’empilement des normes et des règles, là où le génie bureaucratique français fait son miel de l’obscurité bruxelloise. Au-delà des problèmes de prix et même de revenu, c’est cela qui explique le mieux nos gilets verts : l’impression de ne pas être compris, d’être la variable d’ajustement des politiques vertes (le célèbre Pacte Vert européen), d’être les victimes d’un « agribashing » permanent avec, cerise sur le gâteau, l’hypocrisie des politiques qui dans quelques semaines viendront flatter le cul des vaches au Salon de l’Agriculture dans la perspective des Européennes. La colère paysanne est la même en Allemagne ou aux Pays-Bas. Le ras-le-bol des damnés de la Terre.

 

21 janvier 2024

 

Un jour d’anniversaires et de fête. En France, c’est « la mort du Roi », l’exécution de Louis XVI, la page qui se tourne de la monarchie, une exécution votée par l’Assemblée avec la contribution de nombre d’aristocrates à commencer par le propre cousin du roi, Philippe Égalité. Louis XVI ne méritait pas ce destin tant au fond il était un « brave » homme, intelligent, mais indécis, soucieux du bonheur de ses sujets, mais incapable d’imposer ses idées à un entourage aveuglé par les derniers feux d’un siècle décadent. C’est en tout cas à lui que les États-Unis doivent leur indépendance, mais le coût de cette guerre entraîna la dérive financière qui mena à la convocation des États généraux.

Il y a un siècle, exactement mourait Lénine : l’opposé exact de Louis XVI ! Lui était décidé, la vie humaine n’avait pour lui aucune valeur et c’est par la terreur qu’il fit de la petite secte communiste qu’il dirigeait un instrument de conquête du pouvoir, quel qu’en soit le prix. Un siècle plus tard, le bilan de Lénine est accablant. Comme durant la Révolution française, la Terreur qu’il institua balaya tout sur son passage et il n’y eut personne pour lui faire connaître le destin de Robespierre. Dans les soubresauts actuels de la Russie, nous vivons toujours l’héritage de Lénine dont au fond Poutine est le cynique héritier.

Et puis le 21 janvier, c’est la Sainte Agnès, une jeune martyre romaine, symbole de douceur et le prénom porté par l’épouse de l’auteur de ces lignes.

 

18 janvier 2024

 

Dans ce que l’on peut désormais qualifier « d’affaire Stan », il est frappant de constater le niveau d’hypocrisie des principaux protagonistes.

De la part de la ministre tout d’abord. Elle est tout à fait libre de mettre ses enfants dans le « privé » (privé sous contrat faut-il le rappeler, car le vrai privé, celui des publics schools à l’anglaise n’existe presque plus en France). Stanislas est un établissement catholique. La ministre a dit publiquement qu’elle ne l’était pas ce qui prouve bien que ses motivations étaient purement scolaires (un de ses prédécesseurs avait ses enfants à l’école alsacienne, pépinière de l’élite de gauche, autrefois protestante). On peut d’ailleurs s’étonner de ces choix, car dans le quartier de Paris en question (le VIe), l’enseignement public est de qualité avec certains des meilleurs lycées de France encore plus élitistes que Stanislas et autres.

Hypocrisie de l’autre bord, celui de la mairie de Paris, avec une Anne Hidalgo trop heureuse de montrer les dents en visant au passage une autre ministre… L’enquête diligentée sur Stan a certes conclu à quelques dérives dans l’enseignement du catéchisme (dont le principe reste légitime dans une école catholique) qui ont depuis été corrigées. Dans son immense majorité, l’enseignement catholique en France est symbole d’ouverture bien au-delà de sa dimension religieuse. Il est une chance là où l’enseignement public, prisonnier d’un modèle quasi soviétique, peine à relever les véritables défis. Une polémique inutile et bien hypocrite.

 

16 janvier 2024

 

Après un remaniement ministériel peu marquant si ce n’est par le choix du premier des ministres, de la ministre de la Culture et par le quasi-abandon du portefeuille pourtant essentiel de l’Éducation, Emmanuel Macron vient de se livrer à un curieux exercice : une conférence de presse – ce qui n’a rien de bien nouveau si on se souvient de celles du général de Gaulle –, mais en soirée et donc moins destinée aux journalistes – éternels faire-valoir – qu’au grand public en « prime time ». Une bonne partie du gouvernement était là, spectateurs silencieux et un peu ridicules dans l’attente des jugements du Prince.

Sur la forme, Emmanuel Macron a été brillant dans cet éternel « grand oral » où il excelle, trop long peut-être, mais maîtrisant parfaitement ses sujets. Mais en rentrant dans tant de détails, on pouvait s’interroger sur le rôle exact d’un président de la République : l’histoire de l’art ou le théâtre au collège, l’infertilité des Français, la Marseillaise même en primaire, voilà des sujets importants, certes, mais bien loin du champ régalien qui devrait être son précarré et dont il a d’ailleurs fait une brillante démonstration sur les questions internationales. Mais ce soir, ce n’était pas le sujet principal tant il s’agissait de donner à la France un nouvel élan, par le biais d’un retour à des valeurs fleurant bon la IIIe République et le temps des hussards noirs.

Deux heures et demie plus tard, il est légitime de s’interroger sur le sens de cet exercice alors que le gouvernement n’est pas totalement composé et que les échéances électorales se rapprochent.

 

13 janvier 2024

 

Il y a des chiffres qui donnent froid dans le dos. En 2023, 6 618 migrants sont morts dans leur tentative de rejoindre l’Espagne, presque trois fois plus qu’en 2022. La plupart avaient tenté le « voyage » depuis les côtes sénégalaises vers les Canaries. En 2023, 84 pirogues, les « pateras » ont fait naufrage. Il y a quelques années, alors que la guerre faisait rage en Syrie, le monde s’était ému de la photographie du corps d’un enfant battu par les vagues sur une plage de Turquie. À l’époque, cela avait probablement même poussé à la décision d’Angela Merkel d’ouvrir les portes de l’Allemagne aux réfugiés du Proche-Orient. Mais là, seules les vagues de l’Atlantique garderont la mémoire de tous ces jeunes – Sénégalais pour la plupart – dont le voyage s’est ainsi terminé.

Dans un film récent, le réalisateur italien Matteo Garrone a raconté un autre voyage, celui de deux jeunes Sénégalais de 16 ou 17 ans qui tentent de passer par le Mali et le Niger, de traverser le désert. En Libye, ils sont l’objet de tous les trafics, de l’esclavage même, ultime résurgence d’une traite arabe qui n’a jamais vraiment cessé. Ils arriveront finalement à prendre place sur un chalutier pourri dont l’un d’entre eux deviendra capitaine (« Io Capitano », le titre du film). Et le film se termine presque bien au moment où apparaissent les côtes de Sicile. La suite malheureusement on peut l’imaginer : du côté italien des camps de « transit » bientôt en Albanie ; au Royaume-Uni ce serait peut-être le Rwanda ; dans tous les cas, ce sera la plongée dans la clandestinité, dans l’exploitation des marchands de travail.

Au départ, il y a donc l’Afrique et dans ces cas précis le Sénégal. Cela peut apparaître quelque peu paradoxal tant le Sénégal est, dans une Afrique souvent déchirée, un îlot de stabilité démocratique et de relative prospérité économique. Depuis son indépendance, le Sénégal est – avec la Zambie – le seul pays d’Afrique à n’avoir connu ni coup d’État ni guerre civile (à l’exception de quelques troubles en Casamance). Sans matières premières, le Sénégal a échappé à la malédiction du pétrole et du gaz qui a nourri tant de dictatures africaines et sa croissance économique, sans en faire un pays émergent, a été, à l’aune africaine relativement satisfaisante. Et pourtant, même au Sénégal, les jeunes rêvent d’autres avenirs et ce sont les meilleurs, les plus courageux qui tentent le « voyage ». Mais au fond, n’en était-il pas de même lorsqu’Irlandais, Polonais, Italiens s’entassaient dans les cales de navires en rêvant – il y a un siècle – du Nouveau Monde ! Le Titanic pouvait faire naufrage, mais la statue de la Liberté les attendait.

Ces chiffres, ce film, sont l’autre versant, celui que l’on ne peut ni ne doit oublier du bien médiocre débat que la France vient de connaître à propos de la loi sur l’immigration. Nul ne peut nier le problème, celui des clandestins, celui de la faiblesse des structures d’accueil, rien au fond qui prenne en compte le courage de ceux qui viennent. La France, d’ailleurs, ne les attire guère si ce n’est comme une terre de passage. Car eux aussi, peut-être, savent que le vrai problème en France est moins celui de l’immigration que celui des deuxièmes, voire troisièmes générations, issues en général de l’immigration légale, mais toujours en mal d’intégration et qui forment l’essentiel du contingent des oubliés de l’école et qui en sortent en situation d’échec.

Que des enfants là-bas à Dakar puissent encore rêver du voyage peut au fond surprendre. Aucune statue de la Liberté n’est là pour les accueillir. Et il est vrai que le vrai défi est celui d’une Afrique dont la croissance démographique et ces incertitudes politiques et économiques sont un des enjeux majeurs de ce siècle.

Cela dit, il reste notre conscience : « j’étais étranger et vous m’avez accueilli » (Mathieu 25-43).

 

11 janvier 2024

 

Il y a déjà quatre ans qu’une rumeur commençait à se diffuser à propos d’un étrange virus aux capacités foudroyantes tant de diffusion que de mortalité. Le Covid a provoqué presque autant de morts que la grippe espagnole un siècle plus tôt et a plongé l’économie mondiale dans sa première pleine récession depuis les années trente. Deux ans plus tard, Vladimir Poutine en envahissant l’Ukraine déclenchait une guerre, la première d’une telle ampleur en Europe depuis 1945, qui a accentué clivages et fractures internationales.

Deux étincelles, deux explosions mettant un terme brutal au rêve que nous fûmes nombreux à partager sans même avoir lu Hegel, celui de la fin de l’Histoire qu’avait popularisé à la fin du siècle dernier Francis Fukuyama. Les hommes avaient enfin trouvé la martingale idéale, celle de la social-démocratie de marché à l’occidentale (le modèle rhénan que célébraient Michel Albert et Jacques Delors). Le « vieux » monde pouvait se reposer sur ses lauriers. Quant au monde en développement, il devenait « émergent » grâce à la magie des échanges, son rattrapage n’était qu’une affaire de temps. Grâce à la troisième révolution industrielle de la fin du XXe siècle (les nano-bio-info technologies), les hommes ne maîtrisaient-ils pas l’espace et le temps ? Il n’y avait plus de place pour les idéologies, le communisme chinois lui-même ne manquerait pas de se dissoudre dans la croissance. Il y eut ainsi trente glorieuses années, celles de la « mondialisation heureuse ». Même les crises, de l’Asie aux subprimes, ne parvinrent à entamer notre optimisme. Au début du XXIe siècle, la croissance mondiale dépassa les 5 % ; la plupart des clignotants économiques étaient au vert. Tout ceci s’est brisé ces quatre dernières années.

Oh certes, a posteriori, on peut discerner quelques fractures dont il aurait fallu anticiper les conséquences : l’exubérance irrationnelle des marchés financiers souffrait de l’absence de gouvernance internationale en la matière ; le dynamisme schumpétérien était incontestable, mais il exacerbait aussi les inégalités alors que les États se révélaient impuissants à les corriger ; l’instabilité était plus que jamais la règle sur les marchés mondiaux, là aussi sans aucun « pilote dans l’avion » ; la scène mondiale se fracturait ; enfin, les acquis technologiques étaient remis en cause et critiqués.

Un peu comme, lorsqu’en 1973, le premier choc pétrolier avait été l’étincelle d’un embrasement qui avait mis un terme aux « Trente glorieuses » de l’après-guerre, le Covid et l’Ukraine ont été, à leur manière, le révélateur de la fin des Trente glorieuses de la mondialisation heureuse, commencées avec la chute du communisme soviétique en 1990. Cette mondialisation s’était articulée autour de trois dimensions : le globe, le marché, la puce et le gène. Que constatons-nous en ce début de 2024 ? Le globe est marqué d’une cassure de plus en plus profonde entre l’Occident d’une part, la Chine et ses alliés de l’autre. Certes, la lecture de la situation géopolitique mondiale doit être plus subtile en y intégrant aussi les clivages religieux. Si les réseaux continuent à pénétrer les frontières (pas toutes !), tel est de moins en moins le cas des biens et encore moins des hommes. Le marché, quant à lui, a montré ses limites : sa main invisible est certes efficace, mais elle est aveugle ; face aux crises, le recours à l’intervention de l’État a été partout nécessaire « quoiqu’il en coûte ». Keynes avait dominé la scène des premières « Trente glorieuses », Hayek et Friedman avaient été au cœur des suivantes. Les voilà quelque peu dépassés. La puce et le gène (c’est à dire plus largement la révolution industrielle) continuent à prospérer, mais ne commence-t-on pas aussi à en percevoir les limites éthiques, morales et même économiques à l’image du débat actuel sur l’intelligence artificielle.

Le Covid semble vaincu, la guerre en Ukraine s’enfonce dans la banalité de la barbarie quotidienne. Mais au-delà, il n’y a plus de rêve, plus de projet. En réalité, au lendemain de la crise des années soixante-dix – en tout point comparable à celle que nous vivons aujourd’hui – il avait fallu une bonne décennie pour retrouver une nouvelle histoire. C’est bien ce qu’il faut imaginer en ce début de 2024 alors que les nuages tant géopolitiques qu’économiques ne sont pas prêts de se dissiper. Au cœur de la Première Guerre mondiale – un tout autre choc –, Guillaume Apollinaire ne disait pas autre chose : « Jamais, les crépuscules ne vaincront les aurores ».

 

7 janvier 2024

 

La France est dans l’attente en ce premier dimanche de janvier. Ce n’est plus celle des rois mages même si dans la plupart des foyers aujourd’hui, quelle que soit leur confession – ou son absence – on va tirer les rois et chercher la fève au cœur de la frangipane ou de la couronne bordelaise. Non, dans les cercles du pouvoir, c’est la parole du Prince que l’on attend. Paris bruisse de la rumeur d’un remaniement et chacun suppute des chances de tel ou tel ; le monarque reçoit en son cabinet, mais le palais reste silencieux. Rien au fond n’a changé depuis le XVIIIe siècle lorsque le roi nommait ses ministres, lorsque la cote de Choiseul tenait grâce à l’influence de la Pompadour, lorsque Louis XVI, indécis, passait de Turgot à Necker, lorsque plus tard Charles X s’accrochait à Polignac ou Louis-Philippe à Guizot. De président du conseil, la constitution gaullienne a ravalé le locataire de Matignon au rang de premier des ministres, rien de plus. Sa légitimité, il ne la doit pas au vote d’une assemblée sauf en période exceptionnelle et « anormale » de cohabitation. Il la tient du prince et en cela Emmanuel Macron est retourné aux racines de la Ve République voulue par Charles de Gaulle, celles au fond de la « démocratie monarchique ».

Alors, le pays et la ville attendent et le palais reste silencieux. Car – et c’est la seule limite de cette monarchie – déjà chacun s’observe pour une autre échéance, celle de 2027, et on sait que la fonction du premier des ministres est une cage dont on s’échappe rarement pour aller plus haut. Et là-haut, justement à l’Élysée, le prince regarde les grains s’écouler inexorablement dans le sablier du pouvoir.

 

4 janvier 2024

 

Pour tous ceux auxquels les sordides débats sur la loi « immigration » auront laissé un goût amer, un film récent est une salutaire plongée dans la réalité des migrations, mais vue cette fois-ci du côté des migrants. « Io capitano » (Moi, capitaine) est un film italien de Matteo Garrone (le réalisateur de Gomorra) qui raconte l’odyssée de deux jeunes mineurs sénégalais, Seydou et Moussa, qui tentent le voyage vers l’Europe. On les suit chez eux à Dakar, n’écoutant pas leurs aînés et rêvant de fortune. Leur voyage au travers du Mali puis du Niger se transforme en odyssée en Libye, là où tout n’est que trafic et où l’esclavage est redevenu une réalité. Au bout, il y a la traversée sur un chalutier pourri et bondé dont les trafiquants ont confié la barre à Seydou, qui devient un adulte en prenant en charge ses compagnons. Le film se termine alors qu’apparaissent les côtes de la Sicile. Leur histoire n’est pas finie pour autant : dans la situation actuelle, ils pourraient être relégués dans des camps de transit en Albanie et pour la plupart d’entre eux l’Europe resterait un rêve.

Le Sénégal est pourtant une démocratie, sa croissance est correcte, mais cette année les départs n’ont jamais été aussi importants en particulier par les Canaries. Ce sont les plus courageux qui partent et l’immense mérite de ce film est de montrer l’atrocité de leur itinérance dans toutes ces zones de non-droit allant du Sahel à la Méditerranée. C’est un pavé dans la mare de notre bonne conscience tout en sachant que notre impuissance est à peu près totale. Un cri… et le silence du désert et de la mer.

 

3 janvier 2024

 

En 2023, les prix mondiaux des matières premières mesurés par l’indice CyclOpe (en dollars) se sont inscrits en recul de 14 % par rapport à la moyenne de 2022. Si l’on ne tient compte ni du pétrole ni des métaux précieux, la baisse n’est plus que de 11 %. Les prévisions de CyclOpe faites il y a un an étaient respectivement de 15 % et 8 %, ce qui est un assez bon résultat ! Il s’agit là de moyennes et dans nombre de cas la chute tout au long de l’année a été beaucoup plus spectaculaire à l’image de métaux comme le lithium, le cobalt ou le nickel, du gaz naturel et de l’électricité (en Europe), des taux de fret maritime (pour les conteneurs en particulier), du coton et du blé. Les hausses de prix ont été limitées à quelques produits de nos petits déjeuners comme le cacao (+ 37 %, la hausse la plus forte parmi les « grandes » matières premières), le sucre (+ 27 %) et puis aussi le jus d’orange, le riz et l’huile d’olive. Enfin l’or (+ 8 %) – et dans son sillage, l’argent – a profité des bruits de bottes et des achats des banques centrales.

Deux facteurs majeurs ont joué pour expliquer ce réajustement souvent violent des prix mondiaux : le ralentissement de la croissance mondiale et donc de la demande, sensible de la Chine à l’Europe, et puis l’éclatement parfois spectaculaire de bulles de prix face à la réalité des bilans mondiaux. Ainsi, les marchés des métaux ont été pour la plupart excédentaires en 2023 et se sont repliés en moyenne de 15 % en 2023, le cuivre (– 4 %) étant le seul à tirer son épingle du jeu. Mais à cela, il faut ajouter la débâcle des métaux « électriques » comme le lithium dont la baisse des prix dépasse les 80 % du fait des retards et des hésitations de la transition énergétique. Dans le champ de l’énergie, c’est un retour presque à la normale pour le gaz naturel avec la montée en puissance du GNL américain. Les États-Unis ont aussi pesé sur un marché du pétrole presque raisonnable malgré les efforts de l’OPEP+ ($ 83 en moyenne pour le baril de Brent). Quant aux produits agricoles, d’excellentes récoltes ont compensé les problèmes de la mer Noire, et aux extrêmes, le prix du blé a diminué de moitié. Des problèmes politico-climatiques en Inde ont par contre contribué aux bonnes performances du sucre et du riz.

La page tournée pour 2023, qu’attendre pour 2024 ? Dans un contexte de croissance mondiale plutôt molle (moins de 3 % ?), nombre de marchés des métaux et de l’énergie resteront excédentaires : une prévision raisonnable pour le pétrole se situe entre $ 70 et $ 80 le baril (de Brent). Grâce à la montée en puissance de nouvelles capacités de liquéfaction (y compris en Russie), les prix du gaz naturel devraient pouvoir continuer à baisser quelque peu. Parmi les métaux, la seule perspective haussière à court terme concerne le cuivre, incontournable dans la transition énergétique, en panne de nouvelles capacités de production et à la merci d’accidents politiques ou sociaux comme aujourd’hui au Panama. Quant aux produits agricoles, 2024 devrait être marquée par l’impact du phénomène El Niño dont les conséquences se feront sentir de l’Amérique latine à l’Océanie.

Mais au-delà de tous les aléas géopolitiques, climatiques, sanitaires même (pour les produits animaux), il reste l’inconnue chinoise, le premier consommateur et souvent importateur de presque toutes les matières premières. Si la Chine éternue… !

 

1er janvier 2024

 

« Ballots and bullets », des urnes et des balles, voilà un bon résumé de ce qui attend le monde en 2024.

Des urnes puisqu’en 2024, la moitié des habitants de la planète seront appelés à voter. Certaines de ces élections n’auront de démocratiques que le nom à l’image de la Russie où Vladimir Poutine sera certainement réélu (il l’aurait peut-être même été dans des conditions « libres »). En Inde, il en sera de même pour le BJP de Narendra Modi là aussi dans un contexte de « démocratie dirigée ». En Europe – un autre gros bloc –, il s’agira d’élections au Parlement européen trop souvent vécues à tort comme des élections secondaires propices aux défoulements populistes. En novembre, ce sera le tour des États-Unis et peut-être d’un affrontement délétère (pour la planète entière) entre Trump et Biden. Mais il faudra aussi surveiller d’autres démocraties comme le Sénégal avec la succession de Macky Sall et bien sûr Taïwan face à la Chine dès la semaine prochaine.

Car des urnes aux balles et autres missiles, il n’y a qu’un pas. Il n’est pas sûr que celui-ci soit franchi en mer de Chine. Il l’est depuis longtemps sur le front ukrainien, mais l’inconnue principale concerne l’avenir de Gaza et plus largement de la Palestine et d’Israël, deux pays où des élections seraient bien nécessaires pour remplacer des dirigeants qui font beaucoup plus partie des problèmes que des solutions éventuelles. Il n’y a malheureusement pas d’élections programmées là ni d’ailleurs dans un Moyen-Orient où fleurissent des dictatures bien peu éclairées (il y aura quand même des législatives en Iran, mais seulement entre candidats autorisés par les autorités religieuses).

Au long des siècles, bien des hommes se sont battus pour le droit de voter. Mais des élections libres, vraiment démocratiques, restent un privilège qu’en France peut-être nous ne savons pas apprécier à sa juste valeur.

 

31 décembre 2023

 

Une année se termine et – sauf peut-être pour les boursicoteurs – il faudra bien vite l’oublier. Elle avait commencé avec – déjà – une guerre, mais à l’époque, on espérait que l’offensive anticipée de l’Ukraine porterait quelque fruit. Il n’en a rien été et le conflit s’est embourbé dans une horreur quotidienne qui a peu à peu lassé les soutiens de Kiev. De son côté, Poutine qui a réglé avec sa douceur habituelle ses problèmes wagnériens, semble avoir remis un peu d’ordre dans son armée et continue à s’appuyer sur ses soutiens, de la Chine… à l’Arabie saoudite. La guerre en Ukraine ne fait même plus la une tant il est vrai que d’autres conflits ont prospéré. La faiblesse russe a fait le jeu de l’Azerbaïdjan qui a pu mettre la main sans coup férir sur le Haut Karabagh provoquant un exode de masse de sa population arménienne. Quelques jours plus tard, ce fut le 7 octobre, le massacre de près de 1 500 Israéliens et la riposte – légitime, mais aveugle – d’Israël sur la bande de Gaza. Une autre horreur quotidienne et comme pour l’Ukraine, bien peu d’espoir de solutions raisonnables pour 2024. Ajoutons à cela une guerre civile d’une rare cruauté au Soudan, la main de fer chinoise à Hong Kong ou sur les Ouïghours, les menaces sur Taïwan…

À cette aune, la croissance mondiale autour de 3 %, la récession de fin d’année en Europe, les doutes sur le rebond chinois, la stagnation du commerce mondial, tout cela paraît bien secondaire. Les débats, par contre, autour de l’émergence d’une nouvelle révolution, celle de l’intelligence artificielle, sont moins dérisoires. Autant le monde est lent à réagir face aux défis climatiques, autant on ne peut qu’être saisi de la rapidité de la diffusion d’une technologie dont personne aujourd’hui ne semble être capable de mesurer les conséquences.

 

28 décembre 2023

 

Avec la disparition de Jacques Delors, c’est une page de l’histoire de l’Europe qui se tourne, celle du temps des conquêtes et de la construction, du grand marché unique à Maastricht. Il y avait encore en ce temps-là des murs à pousser, des portes à enfoncer. Jacques Delors était encore à la manœuvre au moment de l’intégration de la RDA, il accepta l’ouverture aux PECO sans présider à la dilution qui suivit. Il reste incontestablement la personnalité la plus marquante de tous ceux qui se sont succédé à la présidence de la Commission.

En France, il laisse moins de souvenirs et surtout des regrets. Il fut un des artisans de la « nouvelle société » de Chaban Delmas et plus tard l’homme de la rigueur des premières années mitterrandiennes. Nous sommes nombreux à lui avoir rêvé en 1995 un autre destin qu’il refusa. En novembre 1994, nous fûmes quelques-uns de sensibilité démocrate chrétienne (le CDS de l’époque) à lui demander d’être candidat à la présidentielle. C’était à Vienne à l’occasion du Sommet des Dirigeants de l’Expansion organisé par un autre chrétien social, Jean Boissonnat. Dans une salle du musée de la Hofburg où nous le pressions, il nous répondit : « mes pauvres amis, que représentez-vous ? Je ne disposerai pas d’une majorité cohérente, ne pourrai gouverner que par compromis et cela je ne le veux pas ». Quelques jours plus tard, un dimanche soir, face à Anne Sinclair, il rendait officiel son renoncement. L’histoire de France en eut été différente et l’on aurait évité – pour un temps au moins – la calamiteuse présidence Chirac. Mais en réalité, Jacques Delors n’appartenait pas à leur monde. Il restait un « catho de gauche » dans le sillage de Vatican II. Il était d’ailleurs le D des ABCD (Michel Albert, Jean Boissonnat, Michel Camdessus). Là aussi, la page en est tournée.

 

25 décembre 2023

 

C’était à Marrakech, la veille de Noël, en l’église des Saints Martyrs (cinq franciscains qui furent condamnés en 1220 pour avoir proclamé leur foi là où se tient aujourd’hui la place Jemaa el Fna). Des franciscains y sont revenus en une paroisse qui est pour l’essentiel d’Afrique subsaharienne, étudiants et migrants qui se sont arrêtés au Maroc. C’est un mélange extraordinaire de cultures comme le peut l’offrir un catholicisme libéré de préjugés et d’œillères. La liturgie est en français, en espagnol, en italien, un peu même en arabe. Les chants de la chorale africaine sont parfois en Wolof et un chat américain (« frère chat ») parcourt la crèche, huit cents ans exactement après que François d’Assise ait « inventé » la première crèche vivante à Greccio.

Ce soir, à Bethléem, là où tout a commencé, l’heure n’est guère à l’Espérance, la haine a submergé la fraternité et il n’y a plus de bergers pour entonner quelque Gloria. Mais, en ce Maroc submergé de touristes (ce sont les vacances dites de Noël !), cette modeste église, sise en face d’une mosquée à quelques encablures du « mellah », l’ancien quartier juif entretenu précieusement par les autorités marocaines, reste un symbole de ce que peut être la tolérance en terre d’islam.

Le message de Noël est universel. Il est celui de l’enfant qui porte un message d’Amour pour des hommes qui ce soir en ont besoin tant la folie règne en un monde qui se déchire. C’est cela que nous écoutions au milieu des cantiques et des danses africaines, huit cents ans après François d’Assise. Laudato Si Signore.

 

22 décembre 2023

 

Pour faire oublier aux Français la déconfiture de la « loi immigration » (on n’ose en effet l’appeler Loi Darmanin), Emmanuel Macron n’a rien trouvé de mieux que de relancer la polémique à propos de Gérard Depardieu.

Il est triste de voir quelqu’un sombrer dans l’abjection. On a tant aimé le jeune Depardieu, celui du Café de la Gare, des Valseuses, le grand acteur aussi lisant des textes sacrés sous les voûtes de Notre-Dame, interprétant Cyrano ou Obélix. Depuis déjà de nombreuses années, sa dérive était pourtant inquiétante. On se souvient de son départ pour une obscure république russe provoqué surtout par ses démêlés avec le fisc. Ses excès étaient de moins en moins sympathiques et voilà qu’au fil d’un reportage (à charge) il se découvre au-delà du supportable à la limite même de la pédophilie. Les temps ont certes changé et il n’est pas certain qu’aujourd’hui on oserait filmer les Valseuses… Mais dans ses propos, de manière probablement consciente dans un ultime pied de nez, Gérard Depardieu a franchi trop de limites.

Que faire alors : aboyer avec la meute, le condamner sans appel ou bien tolérer comme autrefois on le faisait des fous du roi ? Malgré tout son talent, Gérard Depardieu n’est au fond pas autre chose. Il n’existe que par ses excès, il n’est que par ses dépassements. Il ne mérite ni nos éloges – malgré son indéniable talent – ni notre compassion, encore moins peut-être celle d’un président de la République en mal de reconnaissance.

 

19 décembre 2023

 

Il peut paraître un peu solennel de dire que ce soir en France une page s’est tournée. Pour la première fois de l’histoire de la Ve république, le modèle présidentiel s’est heurté à un parlement découvrant presque avec stupéfaction qu’il pouvait dicter lui-même ses lois.

En discussion, il y avait donc une loi « immigration » plus symbolique qu’efficace et dont l’essentiel des mesures proposées pourra être contourné (une caution pour les étudiants étrangers, mais son montant sera-t-il de € 10 ou de € 10 000 ?). Mais au théâtre, on ne s’embarrasse pas de ces détails : la droite triomphante et la droite nationale (autrefois extrême dr…) exultante ; la gauche indignée avec bien de larmes de crocodile ; le gouvernement embarrassé espérant que le Conseil constitutionnel le tirera de ce mauvais pas.

À ce petit jeu, le « en même temps » présidentiel a perdu toute crédibilité au point même que quelques ministres ont préféré quitter la barque. La France a aussi administré la preuve – s’il en était besoin – qu’elle n’est pas un pays de consensus. La plus autoritaire des démocraties libérales ne va plus pouvoir se gouverner qu’au prix d’une litanie de « 49/3 ». Les vieux partis de gouvernement (les LR puisque le PS est en état de mort clinique) ne sortent pas grandis de cette pantalonnade dont les malheureuses victimes sont les immigrés tenus en otages en ce grand moment de démagogie française.

 

15 décembre 2023

 

Décidément, l’Europe avance comme un crabe ! Le Sommet européen qui vient de se terminer en est la malheureuse illustration. Les décisions devant être prises à l’unanimité, il suffit d’un seul mauvais coucheur pour tout bloquer. Après la victoire de Donald Tusk en Pologne, ce rôle est désormais tenu par Viktor Orban qui est même à la limite de ressusciter la politique de la « chaise vide » chère au général de Gaulle (mais à l’époque, la CEE ne comptait que six membres). Le Conseil a donc entériné le principe de l’ouverture des négociations pour l’adhésion de l’Ukraine et de la Moldavie : Viktor Orban s’est en effet absenté de la salle au moment du vote, certain que cette absence providentielle lui rapporterait quelques paiements en retard de la part de Bruxelles. Par contre, il était bien là au moment où se décidait la poursuite de l’aide financière à l’Ukraine est celle-ci n’a pu passer la rampe et devra être rediscutée début 2024 (sous présidence belge).

Au-delà de ces questions politiques, la moindre décision doit faire l’objet d’interminables « trilogues » rendant toujours plus complexe le fonctionnement de l’Europe au quotidien, à l’image de l’accord récent sur le marché de l’électricité.

On ne peut bien sûr que se réjouir de la décision concernant le processus d’adhésion de l’Ukraine. Mais on ne peut s’empêcher de frémir aux conséquences de ce nouvel élargissement sur le fonctionnement d’une Europe dont les aveuglements récents expliquent en grande partie le renforcement d’un vote populiste par essence anti-européen. Plus d’Europe, oui… mais mieux !

 

13 décembre 2023

 

« Transitionning away from fossil fuels in energy systems in a just, orderly and equitable manner, accelerating action in this critical decade so as to achieve net zero by 2050 in keeping with the science ».

Traduisez ce merveilleux passage de prose anglaise en français intelligible ! Voilà une épreuve de version bien subtile.

Il faut tout d’abord saluer l’inventivité de la langue anglaise, sa plasticité qui a permis aux négociateurs de sortir du dilemme « phasing out » ou « down ». Le premier texte proposé par la présidence émiratie probablement sous influence saoudienne avait été à juste raison jugé insuffisant. La COP28 devait marquer l’histoire en s’attaquant aux énergies fossiles. Mais comment le faire sans provoquer un blocage des producteurs de pétrole (qui s’était un peu décrédibilisé avec la prise de position agressive de l’OPEP). Voilà où la subtilité de la langue de Shakespeare prend tout son sel : « to transition away », à la fois l’idée de transition, mais qui s’écarte de manière équitable. Tout est dit et la COP28 pouvait se conclure sur ce triomphe sémantique.

Il reste bien sûr, un petit problème, celui de la traduction en un français moins souple : accélérer la transition en s’éloignant des énergies fossiles reste l’idée de base, mais la traduction est un peu lourde. Autant, peut-être, en rester au franglais et proposer de conjuguer le verbe « transitionner » avec la subtilité des adverbes « away » ou même « out » : transitionner en s’éloignant ? Tout est dit, il reste à le faire !

 

12 décembre 2023

 

En France, le projet de loi immigration, porté par Gérald Darmanin, vient d’être « retoqué » par l’Assemblée nationale dans un vote de rejet quelque peu surréaliste dans lequel, pendant quelques minutes, les extrêmes ont convergé pour rappeler au gouvernement qu’il ne dispose pas de majorité.

De l’autre côté de la Manche, Rishi Sunak (qui lui dispose d’une confortable majorité héritée de Boris Johnson) a des soucis identiques avec son projet « Rwanda », cette fois-ci de la part des sceptiques de son propre parti. Il est vrai que l’idée de diriger les migrants illégaux vers ce havre de paix et de démocratie qu’est le Rwanda de Paul Kagame a de quoi surprendre et de rappeler de mauvais souvenirs, ceux par exemple de l’Allemagne hitlérienne et de son projet de foyer juif à Madagascar !

Enfin, en Italie, Madame Meloni a aussi des problèmes avec le refus de la Cour constitutionnelle d’Albanie de ratifier l’accord qui autoriserait que les migrants sauvés dans la Méditerranée soient confinés dans des centres d’accueil en Albanie dans l’attente du traitement de leurs dossiers.

Ainsi, de quelque manière que l’on s’y prenne, le dossier de l’immigration illégale est devenu le souci majeur des gouvernements européens et notamment de ceux qui sont en première ligne (plus au nord, il est plus facile d’être plus ferme… ou plus hypocrite). Il n’y a malheureusement pas de solution idéale entre l’urgence de l’aide face à la détresse et les abus qui peuvent en découler. Une chose est sûre en tout cas. Ni le Rwanda ni l’Albanie ne sont des solutions honorables.

 

8 décembre 2023

 

À Dubaï, c’est la dernière ligne droite. La première semaine a permis à chacun de se montrer, de faire les couloirs, de s’agiter avec quand même déjà quelques résultats comme le fonds « loss and damages » et un peu en marge, la déclaration sur le nucléaire. Maintenant arrive le temps des diplomates, ceux qui vont négocier jusqu’à la dernière heure de la dernière nuit, mot à mot, la déclaration de la COP28.

Curieusement, ce qui était jusque-là un des objectifs majeurs des COP, le prix du carbone, est passé au second plan. Le rêve d’un prix mondial du carbone autour de $ 100 la tonne ne se réalisera pas. Peut-être parce que la COP28 est à Dubaï, présidée par un pétrolier, le patron d’ADNOC, l’accent majeur est celui des énergies fossiles. Il faut en réduire l’usage, mais à quel rythme ? C’est là que les mots deviennent essentiels, en anglais puisque c’est la langue universelle. Le premier choix sera entre « phase out » (sortir) et « phase down » (réduire). Le phase out, soutenu par une centaine de pays et poussé en particulier par l’UE, peut l’emporter, mais si c’est le cas il serait assorti de corollaires : les pays en développement producteurs veulent « first in, first out » (les pays riches d’abord). Les producteurs veulent tenir compte des captures de carbone (captured, ou « abated »). Il y a de fortes chances que pour obtenir un consensus et éviter un refus de pays comme la Chine, l’Inde, l’Arabie saoudite ou la Russie (les BRICS au fond), le texte final soit une eau trop tiède pour provoquer le sursaut dont la planète a tant besoin.

 

6 décembre 2023

 

Les cultures se croisent, se mélangent et les hommes peuvent aussi parfois se rapprocher. Hier soir, à l’Alliance française de Lusaka (l’un des rares lieux culturels d’une ville qui en est largement privée) se donnait un concert mêlant Europe et Afrique : un pianiste allemand partageait l’affiche avec une artiste du Zimbabwe et deux musiciens du Congo et de Zambie. Hope Masike joue du « mbira », une sorte de tambour qui intègre un petit clavier composé de languettes d’acier. Avec Andreas Kern au piano, ils sont allés des musiques classiques (Bach, Beethoven et le jeune Mozart) aux improvisations africaines. Le résultat en fut particulièrement séduisant, les accords et les cultures se complétant.

Nul ne prétend guère plus à la fusion des cultures, mais ne peut-on se faire l’avocat de leur complémentarité ? Entendre ainsi la petite rengaine de Mozart sur le vieux thème français « Ah vous dirais-je maman ! » interprété par des artistes jouant aussi bien du piano que des percussions allait bien au-delà de tous les discours plus ou moins moralisateurs.

En fermant les yeux ce soir-là, on pouvait se prêter à rêver loin des fracas du monde, oubliant un moment Gaza et ses horreurs, à ce que pourrait une planète dont la seule vérité serait la recherche de l’harmonie entre les hommes et leurs cultures.

Un rêve peut-être un soir, au fond de l’Afrique !

 

5 décembre 2023

 

À Dubaï, la dernière ligne droite est proche, celle de la déclaration finale. Sur les énergies fossiles, la grande question est de savoir si l’on prône un « phase out » ou un « phase down ». Dubaï risque de passer à la postérité sur cette seule subtilité sémantique.

Loin de Dubaï, parlons concret ! La Zambie est pour l’instant un pays dont le mix énergétique est au-dessus de tout soupçon : certes, le pays est totalement dépendant de ses approvisionnements en produits pétroliers, mais la totalité de son électricité est d’origine hydroélectrique : le potentiel de production maximal est presque atteint et on peut craindre même une diminution des ressources en eau liées au changement climatique.

L’ambition de la Zambie est d’augmenter sa production de cuivre de 700 000 tonnes à 3 millions de tonnes. Ceci implique des besoins importants en énergie que l’hydroélectricité ne pourra satisfaire. Pour des besoins industriels, l’énergie solaire demeure insuffisante. Il se trouve que la Zambie dispose de gisements de charbon. La logique serait de les exploiter. Mais dans le contexte actuel, pratiquement aucun financement (normes RSE) n’en est possible. Pour des raisons environnementales, la Zambie ne peut utiliser son charbon (ce que l’on peut comprendre), mais personne ne se presse pour lui en offrir une compensation même si le monde dans le cadre de la transition énergétique aura besoin du cuivre zambien. La seule solution est au fond celle du chantage vis-à-vis des donneurs de leçons : payez-moi sinon j’exploite mon charbon ! Cynique, mais peut-être efficace !

 

4 décembre 2023

 

Situer Lusaka sur une carte du monde est un exercice bien difficile pour la plupart d’entre nous. La capitale de la Zambie est bien peu connue et le pays lui-même a rarement fait la une de l’actualité. L’ancienne Rhodésie du Nord fut colonisée à partir de 1890 par la British South Africa Company avant de connaître à partir de 1927 un véritable « boom » du cuivre. Le nord de la Zambie est en effet la « copperbelt » qui jouxte le Katanga. Une partie d’ailleurs de la population zambienne a des liens éthniques avec le Congo. La Zambie accéda à l’indépendance en 1964 sous la houlette d’une des figures majeures du tiers-monde qui se constituait alors, Kenneth Kaunda. C’était l’époque du « socialisme démocratique » à la sauce tiers-mondiste inspiré par des hommes comme Nyerere en Tanzanie, Nkrumah au Ghana, Ben Bella en Algérie, Nasser en Égypte… Kaunda nationalisa les mines de cuivre en 1969 et Lusaka accueillit en 1970 le IIIe sommet des non-alignés. La Zambie fait toutefois exception à la tradition africaine des coups d’État. Battu aux élections après avoir dû renoncer au régime du parti unique, Kaunda se retira (il est décédé en 2021) et depuis la Zambie partage avec le Sénégal en Afrique (et l’Inde dans le reste du monde) le privilège d’être un des rares pays à n’avoir connu que des transitions démocratiques au point de pouvoir presque être qualifiée de « petite Suisse » de l’Afrique.

Si le cuivre continue de représenter la principale source de devises du pays, la Zambie, qui compte un peu moins de 20 millions d’habitants, a le privilège d’être largement autonome du point de vue alimentaire (et même exportatrice). Certes, le pays est pauvre avec 60 % de la population vivant avec moins de $ 2 par jour, mais le voyageur de passage à Lusaka ne peut qu’être frappé par la propreté des rues, le calme de ses habitants, l’absence presque totale de mendicité.

Tout n’est pas rose bien sûr et la gouvernance a longtemps laissé à désirer. La valse des nationalisations puis des privatisations de l’industrie minière a été catastrophique et la production a stagné puis même diminué par rapport à ses niveaux des années soixante. Comme beaucoup de pays africains souhaitant rejeter le fardeau du colonialisme, la Zambie a écouté les sirènes chinoises. À Lusaka, la plupart des bâtiments publics, stades et hôpitaux ont été construits par les Chinois. Mais rien en ce bas monde n’est gratuit ! La Zambie est aujourd’hui en défaut de paiements. Au printemps, on avait cru qu’un accord avait pu être trouvé sous l’égide du FMI. Mais récemment, les créanciers publics, pour l’essentiel chinois, en ont refusé les termes.

La Zambie n’est pas dénuée d’atouts. Elle peut être l’un des greniers alimentaires de l’Afrique australe ; elle fait preuve d’une incontestable stabilité politique et puis surtout elle dispose d’un potentiel cuprifère qui a peu d’équivalents en un moment où le cuivre promet d’être la grande matière première stratégique du XXIe siècle.

Les mécanismes du développement économique sont impénétrables (même pour les économistes…). Dans une Afrique où les conflits sont légion, où la malgouvernance est la norme, où la malédiction des matières premières est une triste réalité, le visiteur se prend à rêver d’une exception zambienne… à transformer !

 

2 décembre 2023

 

Il se donne ces jours-ci à l’Opéra de Paris, la dernière œuvre (posthume en fait) de Puccini, Turandot. Passons sur la mise en scène statique et franchement peu inspirée de Robert Wilson. C’est le livret qui prend par les temps actuels une dimension particulière.

Turandot est la fille de l’empereur de Chine. Elle n’accepte de se marier que si le candidat est capable de répondre à trois énigmes. Sinon, le malheureux est mis à mort. Des princes du monde entier tentent leur chance et au début de l’opéra, c’est un prince de Perse qui perd ainsi la vie.

Finalement Calaf, un prince mongol, résout les énigmes et emporte l’amour de Turandot. Comment ne pas penser là à l’empereur actuel Xi Jinping dont les routes de la soie tissent leurs fils tout au long de l’Asie, de l’Afrique et même de l’Europe. Nombre de princes viennent à Pékin lui rendre hommage, certains d’ailleurs s’y brûlant les doigts. Xi ne leur propose plus d’énigmes, mais les asservit un peu plus et s’ils en reviennent c’est en ayant aliéné quelque peu de leur liberté.

Comme Turandot, Xi est impitoyable et le prince venu de Russie en sait bien les conséquences. Tout doit se payer. Les trois ministres qui égaient l’opéra ne disent pas autre chose, mais la Chine continue de fasciner ceux qui tombent dans ses rets en rêvant de partenariats plus équilibrés qu’avec l’Occident. La Chine de Turandot, comme celle de Xi, est un État policier où la liberté de conscience n’existe guère.

La fin de l’opéra est heureuse. Il n’est pas sûr qu’il en sera de même pour la scène actuelle.

 

30 novembre 2023

 

Ouverture de la COP28 à Dubaï. 28 ans déjà que se tiennent ces réunions devenues au fil du temps d’immenses jamborees réunissant cette année plus de 70 000 personnes, officiels, ONG, lobbyistes… 28 ans et au moins une prise de conscience sinon des résultats. De ce point de vue, le bilan reste bien maigre : des objectifs rarement respectés, des fonds insuffisants, des promesses solennelles non tenues.

Le président de la COP28 est en même temps celui d’ADNOC, la major pétrolière d’Abu Dhabi, ce qui n’est pas le moindre des paradoxes. F. D. Roosevelt disait qu’il n’y avait rien de mieux qu’un renard pour garder un poulailler. Peut-être aura-t-il là encore raison ! Car l’un des objets majeurs de la COP28 est de s’attaquer aux énergies fossiles. Ni à Glasgow ni à Charm El Sheikh, un consensus n’avait pu être trouvé. La Chine et l’Inde continuent à investir dans des centrales thermiques au charbon et la consommation de pétrole va encore augmenter en 2024 et au-delà. Bien sûr, on ne peut tout arrêter d’un claquement de doigts. Le monde aura demain encore besoin de pétrole (moins) et surtout de gaz naturel qui apparaît un moindre mal si au moins on parvient à juguler les émissions de méthane de son exploitation.

Pour le reste, au-delà de déclarations finales qui ne manqueront pas de décevoir (un prix mondial du carbone relève encore de l’utopie) cette grande kermesse de Dubaï permettra des échanges entre les grands de l’énergie, les scientifiques et les ONG. C’est dans les couloirs que commencera à se bâtir l’avenir climatique de la planète.

 

28 novembre 2023

 

L’éternelle malédiction des matières premières

S’il est une constante dans l’histoire économique et politique du monde, c’est bien celle de la malédiction des matières premières. On pourrait penser pourtant qu’un peuple ou un pays doté de ressources naturelles a plus de chances de se développer économiquement qu’un pays qui n’en dispose pas. Le problème est malheureusement celui de la gestion de la rente ; les richesses ainsi exploitées sont en général mal utilisées, provoquent des déséquilibres économiques et trop souvent sont facteurs de corruption tant des hommes que de leurs gouvernements. Pour la période récente, les économistes connaissent bien le phénomène baptisé « Dutch disease » à partir de l’étude de cas des Pays-Bas au lendemain du début de l’exploitation du gaz de Groningue dans les années soixante. Mais il ne s’agissait là que de l’impact macro-économique sur l’économie néerlandaise. La malédiction des matières premières va beaucoup plus loin au cœur même des sociétés qu’elle affecte.

L’exemple le plus classique en est l’Espagne du grand siècle. Malgré les flottes de l’or et de l’argent des Amériques, Philippe II ne put éviter la banqueroute, mais plus profondément cette manne figea la société espagnole et l’Espagne connut presque deux siècles de retard sur le développement économique du reste de l’Europe. Plus près de nous que dire de pays comme le Venezuela, l’Algérie et même des pays du Golfe. Dans le domaine minier, il en est de même de la RDC (Congo), du Pérou…

À cette liste, on peut ajouter un territoire français qui vit aujourd’hui au quotidien la malédiction du nickel. Après avoir été, comme l’Australie, un lieu de bagne et de relégation. La Nouvelle-Calédonie devint, au siècle dernier, grâce à son minerai latéritique de grande qualité, un des acteurs majeurs d’une filière mondiale du nickel alors dominée par le Canada et ses grands groupes miniers. L’utilisation du nickel se développa pour les aciers inoxydables et beaucoup plus récemment pour les batteries électriques.

En Nouvelle-Calédonie, le nickel en vint à polariser toutes les perspectives qu’elles soient économiques, mais aussi politiques. Le nickel devint aussi l’enjeu de débats passionnés entre indépendantistes et loyalistes, les uns et les autres adhérents à l’idée que le développement économique du « caillou » ne pouvait se faire que par le nickel dont il fallait en particulier intégrer la première transformation, passer du minerai au métal. Dans l’euphorie, deux investissements majeurs furent décidés dans un subtil équilibre politique, l’usine « du Nord » (Koniambo) pour les indépendantistes, l’usine « du Sud » (Goro) pour les loyalistes. Mais la rentabilité ne fut au rendez-vous ni d’un côté ni de l’autre : la métallurgie du nickel est énergivore et la Nouvelle-Calédonie ne dispose d’aucune ressource énergétique (et l’essentiel de son électricité est produit par des centrales thermiques alimentées par du charbon importé…) ; le coût de la main-d’œuvre est aux normes françaises sans parler d’un climat social détestable. Au fil du temps, les pertes se sont accumulées et ce, d’autant plus que la géographie du nickel mondial évoluait avec la montée en puissance de l’Indonésie qui représente aujourd’hui la moitié de la production mondiale (avec une forte présence chinoise, la Chine étant le premier acteur mondial tant de l’inox que des batteries).

Le marché du nickel est réputé pour son extrême instabilité : en 2022, une manœuvre spéculative orchestrée par un industriel chinois avait poussé pendant quelques instants les prix à $ 100 000 la tonne. En 2023, les cours se traînent en dessous de $ 20 000 dans un contexte de surproduction qui risque de durer étant donné la mise en production de nouvelles capacités en Indonésie. Les pertes s’accumulent chez les industriels calédoniens et en plus l’exportation du minerai est interdite par la « doctrine nickel ».

Le marché tousse, la Nouvelle-Calédonie se meurt. Le nickel en a été une véritable drogue et il a empêché tous les exercices de diversification qui auraient été possibles (tourisme, agriculture…). Les investisseurs extérieurs s’en vont, à l’image du brésilien Vale (Goro) et bientôt du suisse Glencore (Koniambo). Les missions venant de « Paris » se succèdent. La dernière menée par Bruno Le Maire vient de se terminer. Ses remarques sont frappées au coin du bon sens : exporter du minerai, investir dans l’énergie, se tourne vers le marché des batteries. À ce prix, l’État est encore une fois prêt à mettre la main à la poche. Mais est-ce que cela sera possible ? Le nickel est un immense atout gâché, mais surtout qui a perverti les schémas de pensée. Certains ne pensent-ils pas que la bonne solution serait de nationaliser le nickel !

La malédiction du nickel pèse sur la Nouvelle-Calédonie comme celle du cuivre et du cobalt le fait sur le Congo, l’ex-Zaïre. Le « caillou » en est prisonnier et malheureusement dans l’histoire, il y a peu de pays qui aient su s’en libérer.

Sur les deux ou trois années à venir, étant donné l’importance des investissements indonésiens et chinois, la conjoncture sera difficile, les prix déprimés et la Nouvelle-Calédonie continuera à souffrir : une occasion peut-être de remettre en cause toutes les doctrines nickel qui ont fait son malheur.

 

27 novembre 2023

 

Pour un béotien, la révolution de palais qui vient d’embraser l’une des entreprises les plus avancées au monde dans le domaine de l’intelligence artificielle a eu quelque chose de fascinant. Alors que le succès remporté cet été par le film Oppenheimer rappelait les doutes et les dilemmes moraux qui avaient pu être ceux des pères de la bombe atomique, il est manifeste que les scientifiques au cœur de la révolution que semble devoir être l’intelligence artificielle se posent les mêmes questions, entretiennent les mêmes doutes, cherchent à édifier les mêmes barrières.

On connaît le cas de conscience de ceux qui furent les pères de la bombe, dépassés par leur invention même si – a posteriori – on peut estimer que son utilisation permit de mettre fin plus rapidement au conflit avec le Japon et que par la suite elle contribua à l’équilibre des forces, évitant même dans une certaine mesure un troisième conflit mondial. Mais la menace nucléaire continue de peser sur l’humanité au fil de sa prolifération.

À première vue, le problème posé par l’intelligence artificielle est d’une autre nature, mais poussé au bout de sa logique, il est tout aussi existentiel pour l’humanité. Certes, l’intelligence artificielle peut suppléer l’homme dans nombre de tâches secondaires et répétitives. Elle peut être destructrice d’emplois, mais aussi en susciter d’autres, plus épanouissants. Le problème est au-delà, celui du moment où la « machine » (appelons-là ainsi) prendrait le pas sans plus avoir besoin de l’intelligence humaine : le vieux mythe de Frankenstein revu par Stanley Kubrick. Il semble bien qu’à l’image d’Oppenheimer et de ses collègues, quelques scientifiques de la Silicon Valley commencent à avoir des doutes sur leur création. C’est en tout cas l’une des clefs de lecture de « l’affaire Open AI ».

À l’origine Open AI est une structure hybride contrôlée par une association à but non lucratif dont l’objet est de rendre l’intelligence artificielle accessible et de la mettre au service du bonheur de l’humanité (on est là d’ailleurs dans la mouvance du courant de l’altruisme effectif très présent dans les milieux de la Silicon Valley). Mais en même temps, Open AI est une société commerciale, valorisée $ 90 milliards, qui a développé le célèbre Chat GPT. À la tête d’Open AI, on trouve un remarquable entrepreneur, Sam Altman. C’est lui qui va polariser les passions. Dans la course lancée à l’innovation, il a manifestement voulu aller plus vite que les scientifiques de son équipe sans respecter le temps nécessaire aux études d’impact. C’est ce qui explique la décision brutale du conseil de s’en séparer (avec la voix décisive du directeur scientifique, le véritable « savant » d’Open AI). On connaît la suite : en quelques heures investisseurs et financiers de la « vallée », Microsoft (actionnaire de la partie commerciale à 49 %), employés aussi qui risquaient d’y perdre leurs options, tous se sont mobilisés et en quarante-huit heures ont renversé la situation. Sam Altman est à nouveau aux commandes et le conseil a été purgé de ses membres contestataires.

On retrouve-là au fond, non pas le conflit entre science et conscience, mais celui poussé à l’extrême entre science et finance. Les quelques garde-fous mis en place autour de l’intelligence artificielle ont été insuffisants. L’hubris des cavaliers de la Silicon Valley les a fait exploser. Et la question demeure lancinante : que peut vraiment attendre l’humanité de l’intelligence artificielle ? Une nouvelle arme atomique ?

 

23 novembre 2023

 

Les journaux économiques et financiers ont cette semaine fait leur miel du feuilleton qui a agité le petit monde de l’intelligence artificielle du nord de la Californie. Open AI, l’inventeur du Chat GPT, a connu en quelques jours une double révolution de palais qui, in fine, a renforcé le pouvoir de l’un de ses fondateurs, le très charismatique, Sam Altam. Il y a dans cette histoire bien des similitudes avec les doutes entretenus autour du nucléaire par Oppenheimer.

Les initiateurs de l’intelligence artificielle n’ont en effet jamais caché la peur que leur inspirait leur créature dans sa capacité à potentiellement prendre le pas sur l’intelligence humaine. Nombre des têtes pensantes de la Silicon Valley sont des adeptes de « l’altruisme effectif » qui vise à maximiser le bonheur de l’humanité. Open AI était en même temps une start up valorisée $ 90 milliards et une structure à but non lucratif dont les administrateurs ont décidé de se séparer brutalement de Sam Altman qui voulait aller trop vite dans la mise sur le marché de nouveaux produits. À cette nouvelle, les investisseurs (et au premier rang Microsoft), mais aussi les employés qui comptaient bien valoriser leurs options ont réagi avec une telle violence qu’au bout de quarante-huit heures Sam Altman a été réintégré et les administrateurs garants théoriquement du bien commun ont été exclus du conseil.

Nul ne sait quelles peuvent être les conséquences du développement de l’intelligence artificielle (pour le nucléaire, on savait…). Mais, il est manifeste que là l’appât du gain l’a emporté sur toutes les précautions altruistes.

 

19 novembre 2023

 

Il y a plus d’un siècle, le monde comptait quatre pays que l’on qualifierait aujourd’hui d’émergents : les États-Unis, le Japon, la Russie et… l’Argentine. Les deux premiers ont transformé l’essai, le troisième est passé par la malheureuse case du communisme dans sa version stalinienne. Quant à l’Argentine… Au fil des décennies, elle n’a cessé de décevoir allant du radicalisme du début du siècle au péronisme qui survit encore aujourd’hui sans compter nombre de coups d’État militaires et de règnes des généraux. Le péronisme en particulier a marqué la société argentine et est en grande partie responsable du chaos économique actuel.

Les électeurs argentins sont allés aux urnes aujourd’hui. Au premier tour des présidentielles, ils avaient éliminé la seule représentante de l’opposition raisonnable. Il leur restait un choix bien peu engageant : d’un côté le ministre des Finances néo-péronistes en grande partie responsable de l’effondrement argentin et de l’autre, un « économiste » venu à la télévision puis à la politique, au discours populiste parfois aux limites de la cohérence. Entre deux maux, lequel choisir ?

Javier Milei, qui ne cache son admiration ni pour Trump ni pour Bolsonaro, a finalement remporté l’élection. C’est un saut dans l’inconnu le plus total, mais on peut comprendre les Argentins au bord de la désespérance d’avoir risqué le tout pour le tout. Dollarisation de l’économie, sortie du Mercosur, suppression de la banque centrale, le programme de Javier Milei a de quoi inquiéter. Mais à l’épreuve des faits peut-être saura-t-il faire preuve de pragmatisme. En tout cas, pour paraphraser la comédie musicale Evita « It’s time to cry for Argentina ».

 

18 novembre 2023

 

Voilà le glyphosate à nouveau autorisé pour dix ans dans l’Union européenne. La Commission a dû assumer une décision que les États, bien hypocrites, ne voulaient pas prendre, mais ne sont pas mécontents qu’elle soit prise afin de ne pas trop heurter leurs électeurs agricoles.

La question fondamentale est bien sûr de savoir si le glyphosate est utile, mais aussi dangereux. Utile, il l’est certainement comme le plus efficace des désherbants. C’est utile pour les allées des jardins ou les voies de chemin de fer, mais surtout pour éradiquer les adventistes et autres mauvaises herbes dans les cultures. Pour des raisons environnementales, on a privilégié ces dernières années le labour léger, voire le non-labour dans les champs. La trace carbone de l’agriculture s’en est trouvée diminuée. Si on interdit le glyphosate, il faudra revenir au labour profond. Aucune autre solution n’est pour l’instant satisfaisante. Mais le glyphosate est-il dangereux ? Toute l’accusation repose sur une étude d’un centre de recherche commandité par l’OMS. Celle-ci en fait un cancérigène «probable» à l’image d’autres produits comme la viande bovine. La plupart des autres études ont conclu à l’innocuité du glyphosate, mais sont-elles vraiment neutres ? Il est légitime d’entretenir le doute scientifique.

En fait, avec le glyphosate, on sort du rationnel. Un peu comme les OGM ou les bassines, il est devenu un symbole permettant de toucher le grand public par des raccourcis spectaculaires. En réalité, autoriser le glyphosate est plutôt une bonne décision. Mais encore faut-il l’expliquer.

 

17 novembre 2023

 

Que ferait-on pour rester ou revenir au pouvoir ? La vie politique est une drogue qu’il est bien difficile d’abandonner. On le sait bien en France, un pays où la longévité politique bat tous les records (quoique le duel Trump-Biden aux États-Unis…), mais deux pays européens nous offrent aujourd’hui de nouveaux exemples : l’Espagne et le Royaume-Uni.

En Espagne, Pedro Sanchez est parvenu à réunir une courte majorité en sa faveur aux Cortes en offrant aux indépendantistes catalans une amnistie qu’il y a encore quelques mois il s’était engagé à ne jamais accorder. Mais Carlos Puigdemont, réfugié à Bruxelles, détenait avec ses sept députés la clef du pouvoir. On peut saluer le pragmatisme de Sanchez, mais y voir aussi un signe de faiblesse vis-à-vis des puissantes « autonomies » provinciales et au premier chef la Catalogne et Euskadi (même si sur ce dossier les Basques sont restés presque neutres). Sous d’autres lieux, une grande coalition entre le PP et le PSOE aurait permis de sortir de la crise. Ce ne fut pas le choix espagnol.

Au Royaume-Uni, Rishi Sunak a les élections devant lui et a priori devrait les perdre. Alors pour récupérer un peu de terrain vers le centre il a rappelé l’un des pires premiers ministres de l’histoire britannique, celui du Brexit, David Cameron qui avait été pris quelque temps plus tard les doigts dans le pot de confiture du scandale financier Greensill.

Jusqu’où donc peut aller le « pragmatisme » en politique ?

 

 

13 novembre 2023

 

Hier soir, juste après la manifestation, avait lieu sur la façade de l’Opéra de Paris (le Palais Garnier en pleine restauration) un étonnant spectacle. L’initiateur en était JR, un des artistes français les plus reconnus au niveau mondial, qui s’est illustré par des photographies en trompe-l’œil de monuments comme la pyramide du Louvre ou la tour Eiffel. Cette fois-ci, il avait recouvert la façade du palais Garnier de l’immense photographie d’une caverne, en référence au mythe de la caverne de Platon : les hommes en sont prisonniers, n’en regardent que le côté sombre sans songer à se retourner. L’allégorie, en ces temps de guerre et d’intolérance, tombe juste tant le monde trébuche aujourd’hui au bord des pires catastrophes comme les somnambules à la veille de la Grande Guerre.

Sur une musique prenante créée par l’un des fondateurs des « Daft Punk », le rideau s’est levé sur les échafaudages animés par près de cent cinquante danseurs jouant du contraste entre le blanc et le noir dans une chorégraphie fascinante. Des images se créaient, des messages apparaissaient (la grâce, la lumière…), la musique montant en puissance et les quelques 15 000 personnes réunies sur la place de l’Opéra se sont laissées emporter par cette vague illuminée par les milliers de lampes frontales portées par les spectateurs.

Le tout aura à peine duré une demi-heure ; la caverne s’est refermée, la bruine est revenue, il était temps de se retourner.

 

12 novembre 2023

 

Ils sont venus, ils étaient presque tous là ! En ce dimanche pluvieux de novembre, la France a retrouvé sa colonne vertébrale au long de la manifestation contre l’antisémitisme. Il y avait bien sûr quelques absents : on ne regrettera pas trop les Insoumis dont les contorsions en la matière font rire ou pleurer selon l’humeur. Par contre, l’absence en tête de cortège à Paris, à côté du grand rabbin de France et de l’évêque de Nanterre, d’un représentant du culte musulman était bien regrettable. Si l’antisémitisme se concentre sur les juifs, il ne faut pas oublier que les Arabes sont historiquement des Sémites et qu’eux aussi en France ont pu souffrir du racisme.

L’antisémitisme est une vieille histoire française qui connut ses temps forts au moment de l’affaire Dreyfus puis de manière bien plus sinistre sous l’Occupation. On croyait avec raison en avoir fini avec cet antisémitisme latent et le voilà qui refait surface, instrumentalisé par le conflit israélo-palestinien, mais retrouvant aussi des racines politiques oubliées aux extrêmes de la droite, mais surtout de la gauche. Entre Israël et la Palestine, le conflit n’est ni de religion ni de race : il touche le droit de vivre si possible ensemble. L’antisémitisme n’y a pas sa place et rien ne peut le justifier, en France moins qu’ailleurs, là où cohabitent tous les judaïsmes et notamment les plus libéraux.

Ce fut une belle marche, un bel élan, un essai aussi à transformer dans bien des territoires perdus de la République.

 

9 novembre 2023

 

La vie est faite de rencontres, d’échanges et puis aussi d’éloignements. On se « perd de vue » en particulier au moment où sonne l’âge de la retraite, de l’abandon progressif des engagements qu’ils soient professionnels ou personnels. Et puis soudain, un message, une notice nécrologique nous apprend le départ d’un nom autrefois familier et reviennent alors tous les souvenirs des rencontres du passé. Il en est ainsi cette semaine pour Sam Mesrahi et Henri de Benoist.

Sam fut probablement l’un des traders les plus flamboyants du monde du cacao à la fin du siècle dernier. Son entreprise, Tardivat, accompagna la croissance cacaoyère de la Côte d’Ivoire, mais ne parvint pas à survivre durant les mauvaises années qui suivirent. Mais Sam n’était pas qu’un simple trader. Homme de culture, il était un humaniste qui participait à l’époque aux débats sur la stabilisation des prix. Sam était aussi un ami fidèle des bons et des mauvais jours. Il y a une vingtaine d’années, les étudiants du « 212 », le master d’Affaires internationales de Dauphine, l’avaient élu parrain de leur promotion.

Henri de Benoist était un céréalier de Champagne, président de l’AGPB (les producteurs de blé). Au moment des premières évolutions de la Politique agricole commune, il s’était opposé au développement des marchés à terme et il fustigeait les « libéraux » dont, à ses yeux, faisait partie l’auteur de ses lignes. Il avait la qualité de défendre avec passion son métier, mais de reconnaître aussi la nécessité du changement. Deux hommes de bien…

 

7 novembre 2023

 

La guerre à nouveau : le pire qui a commencé le 7 octobre par un massacre digne de la Shoah et qui se poursuit à l’aveugle dans les rues de Gaza alors que refont surface les parfums nauséabonds de l’antisémitisme. Une nouvelle guerre qui fait oublier l’Ukraine (et ses difficultés militaires), le Haut-Karabagh, le Sahel et tant d’autres conflits. La planète est un chaudron et comme à l’habitude, le cours de l’or à plus de $ 2 000 l’once pendant quelques jours reflète ces angoisses.

Face à de tels drames, il peut paraître déplacé de parler des marchés même s’il s’agit là au fond d’un bon baromètre. La guerre entre Israël et le Hamas ne devrait pas avoir d’impact comparable aux événements de 1973 qui avaient mené au premier choc pétrolier : le scénario catastrophe présenté par la Banque mondiale (qui pousse le prix du baril jusqu’à $ 157) n’apparaît pas crédible. Dans les premiers jours qui ont suivi le 7 octobre, le baril de pétrole a pris $ 4 ou $ 5 vite reperdus par la suite. En réalité, les principaux producteurs arabes n’ont guère envie d’utiliser « l’arme » du pétrole. L’Arabie saoudite a déjà diminué sa production d’un million de barils par jour et ne souhaite manifestement pas aller au-delà. L’Iran risque de souffrir de sanctions américaines appliquées de manière plus stricte que ces derniers mois, mais ceci sera compensé en partie par la levée de l’embargo américain sur le pétrole vénézuélien. Les équilibres du marché mondial du pétrole ne devraient guère évoluer et le marché rester dans la zone des $ 80.

C’est en fait le gaz naturel qui a le plus réagi au lendemain du 7 octobre. Israël a fermé son principal champ gazier, a limité ses livraisons à l’Égypte qui a dû réduire ses expéditions de GNL. Cela a suffi au TTF européen pour repasser au-dessus de 50 euros. Ceci étant, avec un niveau de stockage de gaz en Europe qui dépasse 99 % des capacités (et même des excédents stockés en Ukraine), les craintes, même avec un hiver rigoureux, sont limitées et c’est au contraire une surcapacité de GNL qui s’annonce pour 2024 avec la mise en route de nouvelles capacités de liquéfaction aux États-Unis.

Le conflit intervient au moment où va s’ouvrir aux Émirats la COP28. L’ambiance risque d’y être tendue avec des États-Unis en porte à faux et une situation politique déjà concentrée sur l’échéance électorale de 2024 et l’improbable duel Biden-Trump. Quant à la Chine, sa situation économique continue à inquiéter et le niveau record de ses importations de pétrole, de gaz et de charbon n’augure rien de bon en matière de transition énergétique.

Le contraste est immense entre l’ampleur des défis auxquels est confrontée la planète et qui nécessiteraient des réponses globales et la fragmentation d’un monde qui se déchire. Raymond Aron avait cruellement raison lorsqu’en 1969, il déclarait : « je crois que tout est toujours en question, que tout est toujours à sauver, que rien n’est définitivement acquis et qu’il n’y aura jamais de repos sur Terre pour les hommes de bonne volonté. »

 

5 novembre 2023

 

Il y a à Abu Dhabi un lieu unique, presque sans équivalent au monde. Il s’agit de la Maison d’Abraham qui réunit les trois religions du Livre. Sa première pierre fut posée par le pape François et le recteur de la mosquée d’Al Azhar en 2018, huit cents ans exactement après la rencontre entre François d’Assise et le sultan qui régnait alors au Caire. On trouve-là réunies sur une même dalle, une mosquée, une église et une synagogue. Chacune s’élève sur une surface identique, un carré de trente mètres de côté, et à la même hauteur. Chacune respecte sa tradition et même si l’église est catholique, desservie par des franciscains, elle est ouverte aux autres confessions chrétiennes.

Être en ce lieu alors que s’affrontent des peuples qui brandissent l’étendard déformé de leurs religions est aussi un acte de foi dans la capacité des religions d’être des ponts entre les hommes. Religion vient du latin « religere », relier, certes, les hommes avec Dieu, mais surtout les hommes entre eux. Par le passé, on a brûlé des synagogues, on a transformé des églises en mosquées et vice-versa. Là, tout est harmonie et tolérance. Que cette initiative soit celle des autorités émiraties, en pleine terre de l’islam sunnite, est bien un symbole d’espérance.

Les religions du Livre, héritières d’Abraham, représentent plus de la moitié de la planète. Elles portent le temps long, celui de la réparation et du pardon.

 

4 novembre 2023

 

La question palestinienne agite bien sûr l’opinion aux Émirats. L’horreur du massacre perpétré par le Hamas (probablement débordé d’ailleurs par des « irréguliers ») est presque oubliée au profit de la situation humanitaire à Gaza. Les diplomates émiratis parlent d’une réponse israélienne « disproportionnée » qui a retourné la rue arabe contre Israël, ce qui était au fond l’objectif du Hamas et de son parrain iranien. Avec un peu de recul, on ne peut que partager l’analyse de l’échec de la politique de Netanyahou qui a consisté à contenir la Palestine en l’affaiblissant, en jouant même la carte du Hamas contre le Fatah. L’Iran, un temps isolé, s’est engouffré dans la brèche et pour l’instant, il est le grand gagnant de cette triste histoire.

Les martyrs israéliens sont oubliés au profit de ceux de Gaza transformés en boucliers humains. Vu d’Abu Dhabi, on n’imagine guère de solution raisonnable au-delà de l’aide humanitaire et de quelques bonnes paroles. Sans le dire trop haut, la position américaine est critiquée (et manifestement la tournée arabe du secrétaire d’État Blinken n’a pas porté ses fruits).

En Israël, le temps est au deuil, à Gaza c’est celui des bombes. Les voix de sagesse sont inaudibles et le chancre de l’antisémitisme refait surface un peu partout. Que dire ? Que faire ?

 

3 novembre 2023

 

À Abu Dhabi se tient la seizième édition de la World Policy Conference organisée par Thierry de Montbrial, un formidable désormais octogénaire à l’écoute de toutes les tensions de la planète.

Ces conférences sont faites de rencontres, de tables rondes et surtout d’impressions, d’un florilège d’analyses et aussi de simples phrases glanées au fil des séances.

Il en a été ainsi de Leung Chun-Ying, l’ancien chef de l’exécutif de Hong Kong qui fut l’exécuteur des basses œuvres chinoises dans la mise au pas de Hong Kong au lendemain de la « révolution des parapluies ». Il est maintenant la voix de la Chine et ce qu’il dit est glaçant. Tout va bien à Hong Kong ! La Chine – et Xi – est bien dans ses bottes et le discours sur Taïwan, sur les îles de la mer de Chine contestées aux Philippines est glaçant.

Quel contraste avec l’ancien président de Mongolie, une petite démocratie coincée entre la Russie et la Chine : « vivre libre est un désir universel ». Cette petite phrase, presque désespérée, prend à cet instant une immense profondeur tant au fond elle correspond aux aspirations de l’humanité. Dans un monde marqué par la cassure de plus en plus béante entre démocraties et autocraties, la simple liberté est un droit de moins en moins partagé. En Chine, désormais, on courbe l’échine et la prospérité économique en est presque un carcan. Vivre libre ! Mesurons-nous combien est grand ce privilège dans un monde qui saigne de l’Ukraine à Gaza, bientôt peut-être à Taïwan.

 

30 octobre 2023

 

Au moment où l’on voit sur les routes se développer les flottes de véhicules électriques (y compris chinoises), les craintes sur l’approvisionnement en métaux stratégiques (ou critiques) sont au centre des préoccupations politiques tant en Europe qu’aux États-Unis. Alors que la Chine décide de quotas d’exportation sur le gallium, le germanium et depuis quelques jours sur le graphite, alors qu’elle domine sinon l’extraction, mais surtout la métallurgie de la plupart des métaux sensibles et que ses entreprises minières sont en position dominante dans des pays comme la RDC ou l’Indonésie, les soucis convergent sur des métaux comme le lithium et le cobalt, pierres angulaires de la première génération de batteries pour les véhicules électriques.

Mais les discours tenus dans les enceintes internationales sur les pénuries à venir contrastent avec la réalité de marchés qui ne voient dans les fondamentaux de court terme que des excédents. Ainsi, de toutes les matières premières, c’est le lithium qui, en 2023, a connu la pire des dégringolades en perdant les deux tiers de sa valeur (sur un marché – il est vrai – fort peu transparent). Le cobalt n’est pas dans une situation plus favorable. Quant au nickel, sous le poids des nouvelles capacités indonésiennes, il se traite à des niveaux bien inférieurs aux folies qu’il avait connues en 2022. Certes, sur des marchés étroits et souvent opaques, on avait assisté en 2020/2022 à la constitution de véritables bulles spéculatives fondées sur la croyance en la dynamique de la demande en provenance de l’industrie des batteries. Celle-ci devrait se concrétiser, mais – on le sait – les projets industriels sont toujours plus longs à se concrétiser qu’on ne le croit.

Chaque marché a bien entendu sa propre histoire, mais il faut tenir compte d’un facteur que nul exercice de prospective ne peut complètement prendre en compte : il s’agit bien entendu des évolutions technologiques permettant par exemple de remplacer un métal par un autre. Le lithium, le cobalt ou le nickel seront-ils encore stratégiques dans quinze ans ? Quinze ans, le temps moyen estimé pour qu’un projet minier passe des premières estimations géologiques à sa pleine capacité de production (et cela pour plusieurs centaines, voire milliards de dollars). Ajoutons à cela, les risques géopolitiques liés à cette « malédiction » des matières premières dont la RDC est un triste exemple.

En réalité, le seul métal pour lequel on peut légitimement entretenir des inquiétudes, celui qui risque d’être « le » métal stratégique du XXIe siècle est presque le plus ancien de tous : le cuivre. De ce cuivre en alliage, on fit le bronze des glaives puis des premiers fûts des canons. En Espagne, au sud de l’Extramadure, on exploite depuis l’époque romaine les mines de Rio Tinto (la rivière rouge) qui a donné son nom à l’une des plus importantes compagnies minières au monde dont la mine d’Oyu Tolgoi en Mongolie est la dernière exploitation majeure à être entrée en production. Le cuivre est en effet incontournable dans une transition énergétique donnant une place centrale à l’électricité.

Comme celui des autres métaux, le marché du cuivre est excédentaire en 2023 et les prix se sont quelque peu affaissés autour de $ 8 000 la tonne, contre plus de $ 10 000 encore en 2022 : une baisse faible qui anticipe en fait déjà des déficits qui ne feront que s’accentuer à partir de 2025. Certes, le recyclage peut se développer, mais il ne compensera qu’en partie l’absence de projets nouveaux et le déclin programmé des mines existantes. Partout, sur terre et dans les océans, les obstacles environnementaux – souvent légitimes – se multiplient et les investisseurs sont frileux sur des dossiers aléatoires qui se mesurent en milliards de dollars.

Les conjoncturistes avaient autrefois l’habitude de suivre le marché de « Dr Copper » pour anticiper l’évolution de l’économie. Trois millénaires après l’âge de bronze, nous voilà revenus au temps du cuivre.

 

28 octobre 2023

 

Au château d’Arcangues, un peu au large de Biarritz, on célébrait ce soir le cent cinquantième anniversaire de la naissance de Fedor Chaliapine (1873-1938) qui en son temps fut reconnu comme « le roi des basses », ces voix profondes que l’on retrouve notamment dans les opéras russes, de Boris Godounov à Ivan le Terrible, mais aussi chez Wagner, Verdi ou Mozart (la voix du Commandeur du Don Giovanni). Né en 1873, Chaliapine émigra en France en 1922 et s’installa quelques années plus tard à Saint-Jean-de-Luz. Il fit partie de ces célébrités qui à l’image du prince de Galles (le futur Edouard VIII), de Charlie Chaplin, de Coco Chanel et de nombres de princes russes (qui avaient connu des jours meilleurs) illustrèrent la Côte basque de l’entre-deux-guerres. Émigré, Chaliapine était cependant aussi un ami de Gorki, l’écrivain auquel Staline passa nombre de ses caprices « bourgeois » pour prix de son silence sur la chape de plomb qui tomba sur la vieille Russie.

Contemporain de Caruso, le « roi des ténors », Chaliapine donna à la voix de basse, trop souvent négligée, ses lettres de noblesse. Ce soir, à Arcangues, un jeune basse, originaire de Cambo (la terre de Rostand) nous enchanta au fil d’airs d’opéra, mais aussi de lieder (« J’aime le son du cor le soir au fond des bois »).

Il y a encore à Biarritz une église orthodoxe, souvenir du temps des grands ducs. L’ex-épouse de Vladimir Poutine y possède aussi une maison. En ces temps de guerre, ce moment était aussi un rappel mélancolique de temps disparus et il faut féliciter la jeune association Kultur Alianza pour l’avoir organisé.

 

25 octobre 2023

 

Depuis quelques semaines, la Chine alterne signaux positifs et négatifs dans un contexte de flottement politique pour le moins inquiétant. On ne compte, en effet, plus les disparitions brutales de ministres et de généraux. Au cœur de la Cité Interdite, l’impression est celle d’un Xi Jinping qui se referme sur sa garde rapprochée, dont les apparitions internationales se font plus rares (comme son absence au sommet du G20 à Dehli), qui compte ses alliés au long des routes de la soie (Poutine et Orban étaient à Pékin la semaine dernière pour le « Belt and Road Forum »), mais qui se garde bien de toute prise de position claire sur le conflit entre Hamas et Israël. Navires et avions chinois continuent leur ronde autour de Taïwan, ce qui a l’avantage pour Xi de détourner l’attention de la politique intérieure et de la situation économique.

Si les chiffres officiels de croissance pour le troisième trimestre (4,9 % en rythme annuel) semblent à peu près corrects, cela ne peut cacher la situation catastrophique du secteur de l’immobilier et de la construction : après Evergrande, c’est Country Garden qui est au bord du défaut de paiements. Sur l’année, la croissance chinoise ne devrait guère dépasser les 4 %, c’est-à-dire peu ou prou l’équivalent de la croissance zéro pour les pays occidentaux. À la différence de la Fed et de la BCE, la Banque Centrale chinoise baisse ses taux et n’hésite pas à donner de la liquidité par ce que l’on peut qualifier de « quantitative easing ». Mais en Chine aujourd’hui, l’interrogation est moins conjoncturelle que structurelle. Xi peut-il faire évoluer un modèle qui n’a tenu que par sa croissance effrénée. Faire du surplace est toujours difficile… C’est ce qu’avait compris l’ancien premier ministre Li Keqiang qui vient de disparaître brutalement. Il s’était fait l’avocat d’une autre politique et son opposition de moine en moins voilée à Xi avait entraîné sa « retraite » au printemps dernier.

 

17 octobre 2023

 

Faut-il qu’à nouveau un professeur soit assassiné pour qu’enfin la scène politique et médiatique épanche quelques larmes de crocodile sur le « beau » métier d’enseignant, si essentiel nous dit-on pour l’éducation et l’éveil républicain de nos enfants. Mais, entre-temps, que s’est-il passé ? La condition enseignante n’a guère évolué ; la gestion bureaucratique du ministère de l’Éducation nationale a même empiré malgré les sourires des ministres successifs ; les concours de recrutement attirent toujours aussi peu de candidats et la main-d’œuvre intérimaire est plus essentielle que jamais pour faire tourner les établissements les plus démunis, ceux justement pour lesquels l’apport des enseignants-éducateurs est le plus fondamental. Mais aujourd’hui, sauf pour quelques rares exceptions, le choix du métier d’enseignant est un signe d’échec tant social qu’économique. Qu’il est loin le plus beau métier du monde, un métier d’éveil et de passion surtout dans les situations les plus difficiles. Les vrais héros sont ceux qui au quotidien dans les lycées techniques et professionnels sont confrontés à l’échec, aux difficultés familiales, à la violence parfois. Faudra-t-il d’autres assassinats pour leur reconnaître enfin quelque mérite ?

 

16 octobre 2023

 

Huit jours à traverser la Navarre, de Saint-Jean-Pied-de-Port à Logroño (en passant notamment par Roncevaux et Pampelune), sur les chemins de Saint-Jacques (le « camiño »), ont le mérite de marquer pour l’individu une rupture avec l’agitation du monde dont les bruits ne parviennent qu’assourdis à l’étape. Même en groupe, on marche seul et parfois sur de longues lignes droites au milieu des champs, l’esprit peut vagabonder et même contempler.

Cette semaine, l’actualité aura donc été celle du Hamas (même vu d’Espagne où pourtant le débat essentiel est celui de la majorité introuvable de Pedro Sanchez, sauf à amnistier les indépendantistes catalans). Au fil de la marche, une seule idée qui revient de mille manières : quelle issue raisonnable à cet écheveau de haine, d’incompréhension, d’hubris accumulé pratiquement depuis un siècle et l’effondrement de l’Empire ottoman ? D’un côté comme de l’autre, la violence des uns crée les martyrs des autres et il n’y a plus guère de place pour un juste milieu désormais dépassé.

Sur le chemin se croisent toutes les nationalités et les motivations des « pélerins » sont multiples. Les mots échangés de « buen camino » sont sincères et montrent bien que la tolérance peut être une réalité. Peut-être un jour les religions du Livre pourront-elles faire converger des chemins nouveaux vers Jérusalem. C’est en tout cas le rêve d’une après-midi de marche sous le soleil de Navarre.

 

13 octobre 2023

 

Depuis le chemin de Saint-Jacques, au bout de la Navarre, les bruits du monde arrivent bien assourdis. La guerre entre la Palestine et Israël prend pourtant ici une signification toute particulière. Il y a un millénaire, maures et chrétiens s’affrontaient ici et dans toutes les villes, il y avait un quartier juif. Les enfants d’Abraham cohabitaient parfois, mais la tolérance avait ses limites comme quelques siècles plus tard avec l’expulsion des juifs puis des morisques et le règne presque sans partage de l’Inquisition.

Un millénaire plus tard, donc, en une terre qui devrait être sainte, tout recommence dans un engrenage de violences dont aucun côté n’a malheureusement pas le monopole. Hamas a frappé, mais de manière odieuse que rien ne peut justifier. Israël réagit en provoquant une crise humanitaire dans ce qui est devenu un véritable ghetto. D’un côté comme de l’autre, les paroles de raison et de tolérance sont étouffées. Le conflit est avant tout un conflit de terres et de pouvoir, un pouvoir souvent corrompu d’ailleurs que ce soit en Palestine ou en Israël. La dimension religieuse en serait presque secondaire si extrémistes et intégristes ne s’en étaient emparés : ils veulent des martyrs pour justifier leur vengeance !

Nul, dans la communauté internationale, ne conteste plus sérieusement la légitimité de l’existence d’Israël, la seule exception restant l’Iran. Mais Israël ne peut exister sans trouver une solution à la coexistence avec une Palestine, elle aussi légitime, et qui ne peut se laisser grignoter en toute impunité. Ces réflexions n’ont de toute manière aucun sens aujourd’hui. La parole est à la violence et au fanatisme, un « fanatisme admirable quand il est persécuté, odieux quand il persécute ».

Et puis n’oublions pas que ce conflit en fait oublier bien d’autres : les Arméniens du Haut Karabagh ont disparu tout comme tous ceux qui se battent sur le front de l’Ukraine. Et que dire du Soudan et de la Somalie ! Israël et Gaza ont tout balayé. Au fond, en un millénaire, rien n’a guère changé si ce n’est que la mort y est encore plus présente.

 

9 octobre 2023

 

Le sursaut du Hamas face à Israël a surpris tant Israël que le reste du monde. Nul n’aurait imaginé le Hamas, même avec le soutien de l’Iran, capable d’une pareille opération brisant la barrière de sécurité qui entoure Gaza. Jusque-là, l’actualité en Israël était de pure politique intérieure autour des tentatives du gouvernement de Netanyaou de s’affranchir du contrôle de l’appareil judiciaire (et au passage de s’affranchir des « affaires » le concernant). Il n’y avait côté israélien guère de crainte de réactions palestiniennes tant les autorités y semblaient discréditées. Les faucons israéliens n’avaient aucune retenue à réclamer toujours de nouvelles colonies et à imaginer même l’éradication de la Palestine.

L’action du Hamas, un demi-siècle après la guerre du Kippour, intervient à un moment où Israël commençait à normaliser sa relation avec les pays arabes à commencer par l’Arabie saoudite en oubliant le sort de la Palestine.

La violence de retour dans ce chaudron proche-oriental risque malheureusement de perdurer tant d’un côté comme de l’autre, tant on y manque de responsables politiques responsables : le système électoral israélien renforce les minorités les plus dangereuses sur lesquelles s’appuie Netanyaou pour conserver envers et contre tout son poste. Du côté palestinien, le Fatah au pouvoir en Cisjordanie est incapable, corrompu, dirigé par quelques vieillards qui s’accrochent au pouvoir. Pour nombre de Palestiniens, le Hamas, surtout de Gaza, est la seule planche de salut.

L’armée israélienne va réagir, va frapper. Envahir Gaza n’aurait guère de sens. Il restera dans les jours à venir le problème des otages que le Hamas a capturés. Quel peut être leur sort ? Quel sursaut attendre sur la scène politique israélienne ? Cinquante ans après le Kippour, trente ans après les Accords d’Oslo, la situation n’a jamais été aussi dramatique. Et franchement, il n’a jamais été aussi difficile d’imaginer quelque retour à un processus de paix tant d’un côté comme de l’autre, la parole est aux extrémistes et à leurs armes.

 

7 octobre 2023

 

En ce début d’automne, les marchés mondiaux font preuve d’une certaine sérénité. La seule agitation vient de notre table du petit déjeuner avec des tensions pour le sucre, le cacao, le jus d’orange et dans une moindre mesure pour le café Robusta. Par contre, les céréales (si les prix mondiaux avaient quelque influence sur les corn flakes et consorts) et le beurre s’affichent en recul. Le riz fait toutefois exception et la décision de l’Inde d’interdire toute exportation (hors riz basmati) a certainement un impact plus important sur la situation alimentaire de quelques-uns des pays les plus pauvres de la planète que la fermeture du corridor céréalier de la mer Noire. Malgré un léger rebond des prix en septembre, lié à un repli des récoltes chez certains exportateurs comme l’Australie, les prix du blé tendre (autour de $ 270 la tonne, le prix plancher russe) sont à peine supérieurs à la moitié de ce qu’ils furent, au plus haut de la crise du printemps 2022. Si les céréales – et leur exportation – restent essentielles pour l’Ukraine force est de constater que les marchés des grains ne font plus de l’Ukraine un de leur souci majeur alors que la Russie est sur un rythme d’exportation de 5 millions de tonnes par mois.

Dans le champ de l’énergie, la situation est un peu identique et les marchés se sont au fond assez bien accommodés des embargos à l’encontre de la Russie. Le prix du gaz naturel (et donc aussi celui de l’électricité en Europe) est dix fois moins élevé qu’il y a un an, mais quand même deux fois plus élevé que dans les années 2010. L’Europe a simplement changé de dépendance et vit à l’heure des tensions sociales dans le secteur gazier australien ! Mais sauf catastrophe, on passera l’hiver. Pour le pétrole, la mayonnaise est aussi un peu retombée même si certains analystes continuent à rêver des $ 100 le baril et au-delà. La « sucette saoudienne » (le retrait depuis le 1er juillet d’un million de barils/jour de production) a provoqué une hausse estivale qui à certains moments a dépassé les $ 20 d’un baril de Brent, un Brent qui contient maintenant du WTI, mais c’est là une autre histoire. La probable récession européenne, le ralentissement américain et les doutes sur la Chine ont toutefois limité les perspectives de déficit pétrolier mondial anticipé par l’AIE en cette fin d’année. Le cours du baril devrait continuer à osciller entre $ 80 et $ 90 avec par contre un pétrole russe vendu à peine quelques dollars de moins. Les vraies tensions se situent au niveau des marges de raffinage à des plus hauts historiques, car ce sont les flux de produits raffinés (et notamment le diesel) qui sont les plus affectés et les raffineurs chinois et indiens en profitent. Tout ceci pour dire que les automobilistes continueront, surtout en Europe, à payer leurs carburants à des prix élevés et qu’en France par exemple la barre des € 2 pour le litre de SP95 restera menaçante (tout comme les $ 4 le gallon aux Etats-Unis).

Sur les marchés des métaux par contre, le contraste est grand entre les soucis exprimés un peu partout en matière de souveraineté d’approvisionnement et des situations à court terme marquées par des excédents qu’il s’agisse des six grands métaux non ferreux (Cu, Ni, Zn, Sn, Al, Pb), mais aussi des nouveaux métaux électriques comme le cobalt ou le lithium. Le cuivre est un remarquable exemple de cette situation : sur les sept premiers mois de l’année, le marché a été excédentaire de 215 000 tonnes et sur le LME la tonne est passée en dessous de $ 8 000, certains anticipent même qu’elle puisse chuter à $ 7 000 avant la fin de l’année. Pourtant, tout le monde est d’accord pour estimer qu’à partir de 2025 le marché du cuivre sera structurellement déficitaire avec une demande qui passerait de 25 à 32 Mt en 2035 alors que le seul grand projet minier dans les cartons (aux États-Unis) est pour l’instant bloqué. Pour le nickel, la situation est différente : après les folies de 2022 (un corner à $ 100 000 !), la tonne est retombée bien en dessous de $ 20 000 et des coûts de production de nombre de producteurs à l’exception manifeste de l’Indonésie qui représente la moitié de l’offre mondiale et où les Chinois continuent à investir tant dans la mine que dans la métallurgie. On comprend dès lors que Glencore, après Vale, ait décidé de se retirer de Nouvelle-Calédonie : la situation sur le « caillou » risque d’être tendue dans les mois à venir…

On le voit, à l’image du blé, du gaz et de l’électricité, des engrais et du nickel, nombre de « bulles » de 2022 ont éclaté. La plus spectaculaire est celle du fret maritime pour les conteneurs. En un an, la chute des prix a été de 69 %, de 84 % même sur deux ans. Les vaches grasses des armateurs sont bien finies au moins en ce qui concerne les porte-conteneurs alors que tant de navires neufs sortent des chantiers navals.

Pour conclure enfin, avec quelques morceaux de sucre (qui restera la « commodité » majeure de l’été 2023) ajoutons une fiole d’huile d’olive (dont le prix a doublé à la suite de la sécheresse en Espagne), une once de gallium (+ 50 % avec les mesures de restriction chinoise) et une pincée d’uranium (entre le Kazakhstan et le Niger). Entre El Niño, l’Ukraine et la Chine, instabilité et volatilité restent au fond les seules prévisions quelque peu honnêtes !

 

6 octobre 2023

 

La guerre en Ukraine, la catastrophe humanitaire que devient le Haut-Karabagh, les projets de réforme constitutionnelle d’Emmanuel Macron, la crise des migrants à Lampedusa et ailleurs, plus prosaïquement la coupe du monde de rugby, les sujets d’actualité ne manquent pas pour alimenter les chaînes d’information en continu et les conversations au comptoir des cafés du commerce. Mais voilà, un sujet essentiel, d’une implacable urgence, est venu s’imposer au point non seulement de faire la une, mais d’être saisi par les politiques de tout bord jusqu’à la tribune de l’Assemblée nationale. Les punaises de lit – ou au moins leur éradication – sont la grande cause nationale de cet automne et comme à l’habitude en France, on se retourne vers l’État dont l’inaction en la matière serait la raison principale de ce fléau. Très sérieusement, la Première ministre a promis une commission d’enquête et des mesures à la hauteur de cet enjeu de sécurité nationale. Les punaises de lit sont devenues le symbole du mal français !

On est là, bien sûr, dans le ridicule le plus total. Bien sûr, le problème existe, mais il est du champ de l’entretien des habitations et il n’y a là nulle épidémie comme certains l’exagèrent en parlant d’un nouveau Covid. S’il est une chose dont les punaises de lit sont le malheureux symbole, c’est bien celui de la bêtise que peuvent véhiculer tant les médias que les politiques. Mieux vaut en rire.

 

 

5 octobre 2023

 

Si l’Afrique subsaharienne a connu ces derniers mois son lot de coups d’État (Niger, Mali), de révolutions de palais (Gabon), de guerres civiles (Soudan), l’actualité est faite aussi d’échéances électorales au Sénégal, en RDC et en Côte d’Ivoire. Au Sénégal et en Côte d’Ivoire, il s’agit de remplacer des chefs d’État en place depuis plusieurs mandatures. Macky Sall a préféré ne pas se représenter (sa légitimité eut été douteuse) et Alassane Ouattara ne le fera probablement pas non plus. Dans l’un et l’autre cas, l’absence d’héritier désigné et la pléthore de partis en lice rendent l’issue du scrutin (en 2024 et 2025) pour le moins aléatoire sans exclure même la possibilité sinon de coups d’État au moins de troubles.

En RDC, le chef d’État sortant Felix Tshisekedi va se représenter, mais en plus des opposants habituels comme l’ancien gouverneur du Katanga Moïse Katumbi, il devrait affronter le prix Nobel de la Paix, le médecin « réparateur des femmes » Denis Mukwege. Celui-ci jouit d’une notoriété certaine dans sa province du Kivu, bien moindre dans les autres régions et à Kinshasa. La candidature de Mukwege, qui se veut hors parti, risque d’émietter un peu plus l’électorat d’opposition, mais elle est aussi un signe de l’État de déliquescence avancé dans lequel se trouve la RDC malgré – ou à cause de – ses richesses minières. Une candidature de la dernière chance, sans beaucoup de chances de succès.

 

4 octobre 2023

 

À Rome, au Vatican s’ouvre aujourd’hui un « synode sur la synodalité ». Derrière cette expression quelque peu ampoulée, il y a ce qui est probablement l’ultime effort du pape François pour réformer le fonctionnement intérieur de l’Église catholique, pour aborder aussi quelques sujets tabous comme le célibat des prêtres et – rêvons un peu – l’ordination des femmes (une cinquantaine de femmes participe à cet exercice, ce qui est une première dans l’univers quelque peu machiste de l’Église).

L’Église catholique est la plus ancienne « multinationale » de la planète. Elle a connu nombre de crises, mais si elle a survécu, c’est en partie grâce à son autocratie, à son centralisme, à sa capacité aussi d’adapter son « management ». Or, il est manifeste que le modèle actuel n’est plus adapté aux aspirations des fidèles, que la bureaucratie, inhérente à toute organisation de ce type, a pris le pas sur la mission. Dans des entreprises classiques, on parlerait de conflit entre « staff » et « line » et lorsque le premier l’emporte, c’est toute la dynamique de l’ensemble qui souffre. Mais pour l’Église catholique, le problème est rendu encore plus complexe par des visions culturelles différentes entre – aux extrêmes – les propositions progressistes du synode allemand et la position conservatrice des églises africaines. La barque de Saint-Pierre traverse des eaux agitées. C’est fin 2024 que l’on devrait entrevoir une rive nouvelle.

 

3 octobre 2023

 

On célébrait aujourd’hui à Abidjan le cinquantième anniversaire de l’Organisation internationale du Cacao (ICCO). Le cacao est un produit dont l’histoire est fascinante : parti d’Amazone il y a quelques millénaires, il eut un statut presque sacré et en tout cas monétaire en Amérique centrale, passa au Venezuela où l’abbé Raynal le décrit en 1780, puis au Brésil, la « terre aux fruits d’or » dont parle Jorge Amado. Au XXe siècle, il traversa l’Atlantique pour faire la richesse de la « Côte de l’or » (le Ghana) d’abord puis de la Côte d’Ivoire. L’Afrique pèse aujourd’hui les trois quarts d’une production mondiale qui dépasse les cinq millions de tonnes (contre un million de tonnes au début des années soixante). Le cacao, c’est bien sûr le chocolat arrivé en France dans les bagages des juifs espagnols puis des infantes et popularisé par plusieurs « inventions » suisses.

Comme toute matière première, le marché du cacao est instable : les prix actuels sont à des niveaux record, mais ils font suite à de longues années de cours médiocres. Or la production de cacao est le fait de millions de petits planteurs. À la différence de l’hévéa ou de la canne à sucre, le cacao provient de petites exploitations familiales et il joue un rôle fondamental dans la fabrique sociale de pays comme la Côte d’Ivoire et le Ghana.

Face à l’instabilité des prix, les autorités coloniales mirent en place dès les années cinquante des offices, « boards » et autres caisses de stabilisation. Au Ghana, le Cocobod continue d’ailleurs à réguler la filière cacao et il en est de même en Côte d’Ivoire avec un prix minimum garanti au planteur (1 100 FCFA le kg aujourd’hui, soit à peu près € 1,70).

Au niveau international, c’est dans les années soixante-dix que fut négocié le premier accord international qui fut doté d’un outil de stabilisation, un stock régulateur, quelques années plus tard. Comme pour d’autres matières premières (le caoutchouc), l’accord du cacao perdit toute dimension économique à la fin du siècle et l’organisation internationale du cacao est aujourd’hui avant tout un forum d’échanges entre producteurs et consommateurs (pas tous et pour l’essentiel les Européens). Souvent accusé par nombre de « bienpensants » occidentaux de déforestation ou de travail des enfants, le cacao doit s’affranchir de ces clichés tout en subissant les conséquences de l’instabilité des prix mondiaux.

Jorge Amado parlait des « fruits d’or ». L’or, on le sait, peut-être la meilleure, mais aussi la pire des choses et on en voit les excès dans l’exploitation sauvage des ressources aurifères du Sahel. Pour le cacao, cet or doit rester un atout. Mais encore, faut-il en partager les fruits.

 

1er octobre 2023

 

Une page se tourne : depuis hier, l’exploitation du gaz naturel à Groningue dans le nord des Pays-Bas est arrêtée après plus de soixante ans de bons et loyaux services. Le gisement de Groningue était le plus important d’Europe occidentale et il a accompagné les Trente Glorieuses.

En réalité, il y a encore du gaz à Groningue, mais la décision d’arrêt a été motivée par les conséquences géologiques de l’exploitation et par de nombreux tremblements de terre de faible ampleur qui ont affecté la région. Malgré la situation gazière internationale et la nécessité de se passer du gaz russe, les autorités néerlandaises ont refusé de revenir sur leur décision (en continuant par contre à importer du GNL russe…).

Les économistes perdent là une référence célèbre, celle de la « Dutch disease », le mal néerlandais. En effet, lorsque le gaz naturel commença à être produit au début des années soixante, cela se traduisit assez rapidement par des difficultés économiques et en une récession. Ce résultat paradoxal fut étudié et expliqué par l’un des premiers prix Nobel d’économie, le néerlandais Jan Timmermans qui en analysa les mécanismes passant par le déséquilibre du commerce extérieur et l’inflation. La « Dutch disease » est devenue une référence pour tous les pays exportateurs de matières premières. Souvent, alliée à la corruption, elle est devenue la « malédiction des matières premières », une triste réalité si répandue de l’Algérie à la RDC. Les Pays-Bas ne produiront plus de gaz, mais la « Dutch disease » demeure !

 

 

28 septembre 2023

 

Vente à perte, prix coûtant, marges nulles… Dans la recherche effrénée de la maîtrise de l’inflation, qu’il s’agisse des carburants ou des produits alimentaires, le gouvernement aura, en quelques jours, tout essayé, sautant d’une idée à l’autre dans le désordre le plus total et faisant preuve au passage d’une ignorance crasse des mécanismes des marchés.

Premier épisode donc, la vente à perte des carburants qui, aux dires d’un ministre, se serait soldée par des baisses de prix à la pompe de plus de quarante centimes le litre. Fort logiquement, les distributeurs ont refusé ce cadeau empoisonné. Exit donc la vente à perte et le projet de loi qui devait l’autoriser à compter du 1er décembre a été abandonné. Faute de vente à perte, on s’est alors retourné vers le prix coûtant, une notion encore plus floue quand on sait la volatilité des prix sur le marché des produits raffinés européens à Rotterdam. Les distributeurs ont vu là une opportunité de faire de la « communication solidaire » à moindres frais, au plus quelques centimes par litres (l’engagement pris par Total Energies de limiter ses prix – sur toutes les stations y compris les autoroutes – à € 1,99 est autrement plus contraignant). Au passage, ils en ont profité pour pousser le bouchon sur les marges de raffinage, laissant supposer qu’il y aurait là un gisement de profits à exploiter. Là encore, la méconnaissance des réalités économiques est abyssale. L’activité du raffinage pétrolier est éminemment aléatoire entre le prix du pétrole brut et celui des produits raffinés. Pendant de nombreuses années la rentabilité du raffinage en Europe fut si faible que l’on assista à la sortie de certains groupes pétroliers, à la fermeture de raffineries alors que des capacités nouvelles étaient développées, aux normes européennes, en Ukraine et en Russie, mais aussi au Moyen-Orient et en Asie. Depuis le début de la guerre en Ukraine, la situation a changé avec le développement de nouveaux flux de produits raffinés et effectivement les marges de raffinage se sont appréciées. Mais il faut bien comprendre que le marché du raffinage est mondial et au moins continental. Faire pression sur les seules raffineries françaises n’aurait guère de sens si ce n’est éventuellement d’accélérer leur fermeture. La volatilité des marges de raffinage fait partie des contraintes d’un marché des carburants qui s’imposent à tous les acteurs et même le volontarisme public n’y peut rien changer.

Beaucoup de bruit pour rien donc et un prix des carburants qui restera tendu au gré des prix du pétrole, du dollar et donc aussi de la marge de raffinage, l’État refusant – à juste raison cette fois – de toucher au volet fiscal (qui représente la moitié du prix à la pompe).

Autres marges à écraser, celles des produits alimentaires. Là, le problème est différent, car si le pétrole brut pèse 70 % du prix des carburants avant impôts, la part des produits agricoles dans les prix alimentaires varie entre 10 % (le pain) et 30 % (les pâtes, les viandes). Il faut donc distinguer, que ce soit pour l’industrie ou la distribution entre marge brute et marge nette. Tout comme les prix du pétrole, les prix agricoles sont instables et volatils. Mais à la différence des carburants, cette instabilité ne se reflète pas dans les prix alimentaires, industrie et distribution jouant un rôle d’amortisseur. C’est ce qui explique les tensions qui accompagnent chaque année l’exercice de négociations des prix codifié – trop probablement – par le législateur. Là aussi, on peut légitimement s’interroger sur la pertinence de l’intervention de l’État, rappeler que la France est le seul pays en Europe à s’encombrer de pareilles réglementations, celui aussi où les relations commerciales sont les plus difficiles.

Il est frappant de constater que près d’un demi-siècle après la disparition du contrôle des prix, les mentalités y restent, au fond, profondément attachées en une éternelle illustration du « mythe de la caverne » !

 

26 septembre 2023

 

 

Il est des peuples maudits, ceux dont l’histoire est faite d’invasions et de destructions parce que leur implantation géographique en des lignes de fracture les condamne face à tous les impérialismes. Il en fut ainsi de la Pologne et de l’Ukraine, des Kurdes et des Libanais et puis aujourd’hui encore un peu plus de l’Arménie. L’histoire n’a pas été tendre pour ce qui fut le premier royaume chrétien, qui lutta pour son indépendance avant de céder entre Russes, Perses et Ottomans. On sait ce que fut, il y a plus d’un siècle, le génocide dont furent victimes les Arméniens de l’Empire ottoman. Au lendemain de l’éclatement de l’URSS, les frontières héritées de l’Empire soviétique entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan ne pouvaient manquer d’être source de conflits tant, en ces lignes de fractures, les communautés y étaient imbriquées et les vieilles rancunes tenaces. Dictature familiale postcommuniste, l’Azerbaïdjan avait la chance de détenir du pétrole (Bakou !) et surtout du gaz dont l’Europe est devenue friande. La Turquie, celle même qui n’a jamais reconnu le génocide arménien, cherche maintenant à y réaliser le rêve de « grande Turquie », de reconstitution de l’Empire ottoman cher à RT Erdogan. Privée du soutien russe, non dénué lui aussi d’ambiguïtés, l’Arménie est devenue un maillon faible handicapé par ailleurs par la médiocrité de ses dirigeants. L’Azerbaïdjan vient donc de « conquérir » le Haut-Karabakh et 100 000 réfugiés au moins vont rejoindre l’Arménie avant peut-être de reprendre le chemin d’exils que leurs ancêtres ont parcouru déjà il y a plus d’un siècle.

 

24 septembre 2023

 

Le feuilleton de la vente à perte des carburants semble se terminer alors que le baril de Brent a touché cette semaine les $ 95, que le dollar s’est renforcé et que la barre de € 2 le litre pour le SP95 se rapproche inexorablement.

On se demande qui a eu cette idée géniale. Prenant pour hypothèse, pour certitude même, qu’il est exclu de refaire un cadeau fiscal aux Français comme en 2022 (trop cher, inefficace et même injuste), on avait pensé dans quelques cabinets ministériels qu’il suffirait de lâcher la bride aux distributeurs qui se feraient un plaisir de se lancer dans des guerres de prix. Tout content de cette manœuvre, le porte-parole du gouvernement annonça même une baisse possible de près de cinquante centimes du litre ce qui était au-delà du rêve le plus fou : hors impôts, le litre de carburant vaut à peu près un euro, le prix de marché à Rotterdam en représentant à peu près les trois quarts et la grande distribution vendant déjà presque à prix coûtant. Prévenus au dernier moment de cette opportunité de vente à perte, les distributeurs sont sortis de Bercy en en refusant le principe, leur marge de manœuvre n’étant en réalité que de quelques centimes.

En fait, nul ne commande aux prix des carburants et le moindre coup de pouce fiscal coûterait € 500 millions par centime en année pleine. Le budget n’en a pas les moyens. On pourrait par contre ressortir la vieille idée des chèques carburant. Mais c’est une autre histoire.

 

23 septembre 2023

 

Le pape François était donc à Marseille en clôture des journées méditerranéennes qui réunissaient des catholiques des pays limitrophes du Mare Nostrum. À l’origine, son déplacement était limité et n’était en aucune manière une visite pastorale et jusque-là il avait toujours évité la France avec laquelle, à la différence de Benoit XVI, il n’entretient aucune proximité intellectuelle.

Et pourtant, cette journée marseillaise fut en tout point remarquable avec pour point d’orgue la messe dans un stade vélodrome qui n’avait jamais autant vibré. L’évangile choisi, celui de la visite de Marie à Elisabeth avec le psaume du Magnificat était un appel à l’engagement, à l’accueil aussi. Et dans son homélie, François a conclu en citant Claudel, l’éternel converti.

Décidément, le catholicisme français est surprenant : bien des églises peinent à attirer les jeunes, mais ceux-ci – et pas seulement les tradis – répondent avec enthousiasme pour les grands événements, des JMJ aux moindres pèlerinages et à des événements comme celui-ci. Malgré les crises, malgré le manque de prêtres, malgré aussi la rigidité de la bureaucratie vaticane, l’Esprit souffle comme en cet après-midi à Marseille où pendant quelques heures tous les problèmes de la ville ont été oubliés. Une belle image d’une France ouverte sur les autres.

 

21 septembre 2023

 

Il fut le souverain européen le plus puissant de son siècle, empereur romain germanique, roi d’Espagne, mais aussi de Naples, duc de Bourgogne, maître des Flandres. Il tint le roi de France en captivité, affronta Luther et les protestants. Charles Quint abdiqua au faîte de sa gloire pour se retirer dans un modeste monastère de la vallée de la Vera au plus profond de l’Estrémadure. Il n’y a dans l’histoire rien de comparable et aucun monarque, ni encore moins de dictateurs ou de présidents plus ou moins démocratiquement élus, n’a jamais franchi ainsi le pas, ne s’est dépouillé de sa puissance. À l’époque de Charles Quint, ses contemporains, François I et Henry VIII furent d’aimables jouisseurs. Charles Quint aux prises avec un empire éclaté dut aussi bien affronter Luther et le vent de la Réforme en Allemagne, que Las Casas et ses soucis de conversion des Indiens.

Il choisit donc de se retirer auprès du monastère de Yuste et se fit construire une petite annexe, quatre pièces pour l’essentiel avec de son lit la possibilité de suivre la messe et d’entendre la liturgie des Heures. Il ne passa que vingt mois à Yuste et y mourut à moins de soixante ans, précocement usé par une vie faite de voyages et de batailles. Yuste tomba à l’abandon avec la sécularisation des monastères espagnols au XIXe siècle, mais ces dernières années un effort a été entrepris pour reconstituer ce lieu presque à l’identique de ces mois de 1558, lorsque Charles Quint préparait son ultime voyage. Sic transit gloria mundi.

 

20 septembre 2023

 

 

L’Estrémadure est la plus profonde des provinces espagnoles, entre Madrid et la frontière portugaise. Elle fut longtemps aussi la plus pauvre et la moins peuplée. C’est ce qui explique que ses cadets furent parmi les premiers à s’embarquer pour le Nouveau Monde. De Trujillo, de Cáceres partirent quelques aventuriers comme Orellana, le compagnon de Balboa qui découvrit le Pacifique puis qui s’enfonça au long de l’Amazone. Il y eut surtout les frères Pizarre qui se saisirent de l’Empire inca et en revinrent couverts d’or pour se bâtir des palais dans leurs bourgades d’origine. Sur la « plaza major » de Trujillo, Pizarre galope encore. Mais bien avant l’Estrémadure avait été romaine, wisigothe et surtout mauresque. On est là en des terres marquées par la Reconquista. Un peu plus loin, les conquistadors se sont certainement inclinés devant la statue de la vierge de la Guadalupe (qui a donné son nom à l’île de la Guadeloupe). L’or des Indes brille là de mille feux et dans la sacristie des moines jéronimites, on trouve la plus belle « série » de peintures de Zurbaran que l’on puisse imaginer, mariant l’ascétisme des moines à la pompe et à l’or. L’Estrémadure, ce sont ces contrastes de villages assommés par le soleil et de châteaux et de palais que hantent encore les souvenirs de ce grand « vol de gerfauts hors du charnier natal » qui conquit le monde.

 

15 septembre 2023

 

Il y a quinze ans, le 15 septembre tombait un lundi. La journée avait bien commencé à Londres par la vente d’une partie de « l’atelier » de Damien Hirst : c’était l’époque « formol » de cet artiste britannique qui avait su séduire quelques grands mécènes avec ses provocations et dans ce cas des animaux conservés dans le formol. Ce jour-là, la vente battit des records avec notamment un « veau d’or » (un veau dans du formol avec un disque doré entre les oreilles) parti à un peu moins de $ 15 millions. Mais voilà, c’est en début d’après-midi en Europe que tomba la nouvelle matinale des États-Unis. Après un long week-end de tentatives infructueuses, les autorités américaines renonçaient au sauvetage de Lehman Brothers. Jusqu’au dernier moment, le vieil axiome « too big to fail » avait conforté les optimistes : quelques mois plus tôt, Bear Stearns avait été ainsi sauvé par les cheveux. Mais pour Lehman, la plus arrogante des entreprises de Wall Street, le Trésor et la Fed reculèrent malgré les conséquences que pouvait représenter le défaut de Lehman sur les marchés financiers internationaux : l’onde de choc saisit alors la planète bancaire et au-delà, le monde financier. Aux États-Unis, il fallut sauver l’assureur AIG (autrement plus important pour les Américains) et un peu plus tard, General Motors… Le veau d’or s’effondrait.

 

12 septembre 2023

 

Le tremblement de terre au Maroc dans la région de Marrakech a fait probablement plus de 3 000 victimes. Des villages entiers dans la montagne ont été détruits. À l’international, le retentissement de ce séisme est d’autant plus grand que Marrakech est l’épicentre touristique du Maroc et que la ville abrite une importante communauté expatriée, en particulier française.

Mais c’est bien avec la France que les relations sont pour le moins difficiles. Les autorités marocaines n’ont pas répondu aux propositions d’aides émanant de la France alors qu’elles ont accepté celles de l’Espagne, du Royaume-Uni et plus loin, du Qatar et des Émirats. Le froid est total comme en témoignent les longues périodes d’intérim aux ambassades respectives de Paris et de Rabat. Au niveau simplement humain, il est clair que le « courant » ne passe pas entre Mohamed VI et Emmanuel Macron. Mais c’est aussi la politique française qui est critiquée vis-à-vis de l’Algérie. Tout pas vers Alger est un recul à Rabat. Et soyons honnêtes, la politique algérienne de la France, au fil des repentances et du silence sur la dictature désastreuse des généraux au pouvoir, n’est guère payée en retour.

Le Maroc au contraire est un vrai pays émergent qui progresse vers la démocratie. Lorsque Hassan II parlait de son adhésion à l’UE, il était bien dans cette logique. Quel gâchis du côté français !

 

11 septembre 2023

 

Il y a cinquante ans un coup d’État militaire mettait un terme à la démocratie chilienne de la manière la plus violente qui soit avec la mort du président Salvador Allende et une répression sans équivalent depuis l’Espagne franquiste, les dictatures européennes et la main de fer du communisme. L’auteur de ces lignes a un souvenir très précis de ces moments : l’abbé Pierre s’était désolidarisé des condamnations du coup d’État en France pour mieux sauver au Chili les membres des communautés Emmaüs menacés par la police du nouveau régime.

Comment juger ce « golpe » un demi-siècle plus tard ? Il est clair que Salvador Allende, en marxiste convaincu, souhaitait des changements radicaux bien au-delà des réformes de ses prédécesseurs démocrates-chrétiens. L’économie chilienne allait dans le mur, aidée en cela par un incontestable activisme américain. Ni Cuba, ni surtout l’URSS ne souhaitaient aller plus loin que quelques bonnes paroles. Rien ne peut justifier cependant la violence de la répression. Il y a chez Pinochet des traits proches de Franco et notamment le même mépris pour la vie humaine. Par contre, la politique économique adoptée par la suite (les Chicago boys) a permis au Chili, quelques années plus tard, d’être le premier pays latino-américain à rejoindre l’OCDE, cela quand même au prix d’une exacerbation des inégalités.

Reconnaissons enfin que Pinochet, comme Franco, sut accepter (un peu contraint quand même) une transition démocratique, ce qui n’a toujours pas été le cas à Cuba ni aujourd’hui au Venezuela.

 

8 septembre 2023

 

La France a réussi son entrée dans la Coupe du monde de rugby en battant de belle manière – en particulier en seconde mi-temps – une Nouvelle-Zélande moins acérée qu’on ne l’imaginait.

Peut-on dire qu’il en a été de même pour la cérémonie d’ouverture ? Les organisateurs ont manifestement choisi de célébrer une image passée de la France des terroirs (un véritable chromo) dont, à leurs yeux, la France est héritière et dont le rugby serait le digne représentant. Ce triste « remake » du « Bonheur est dans le pré » fut une lamentable expression du mythe franchouillard des années cinquante avec pour principal « héros » un Jean Dujardin en marcel, garçon boulanger, livrant son pain sur un tricycle. Tous les clichés les plus éculés y sont passés jusqu’à la caricature. Est-ce bien cette image de la France que l’on veut transmettre, celle de Gaulois ne jurant que par la baguette et le coup de rouge ? Même la tour Eiffel était de la partie : mais à l’époque, elle célébrait l’excellence industrielle française ! Là, il n’en fut rien et l’image donnée ce soir de la France était à mille lieues de celle d’un pays qui ambitionne de faire le pari du XXIe siècle. Une mauvaise carte postale à oublier bien vite…

 

6 septembre 2023

 

À l’approche de l’automne, l’actualité des marchés internationaux est toujours occupée par la Russie et cela sur les deux fronts traditionnels : l’énergie et les céréales. Dans les deux cas, la Russie est paradoxalement en position de force.

Sur le front pétrolier, l’alliance entre la Russie et l’Arabie saoudite porte ses fruits avec le baril de pétrole Brent qui, au début septembre a passé pour la première fois depuis novembre 2022 la barre des $ 90. La « sucette saoudienne » (une réduction de production de 1 mbj) a bien fonctionné. La Russie s’y est associée à hauteur de 300 000 bj dont la réalité reste quand même à vérifier. Résultat, le pétrole russe (l’Oural départ port russe) se négocie autour $ 70 bien au-delà du plafond bas des $ 60 décrétés en décembre 2022 dans le cadre des sanctions des pays occidentaux. La balle est dans le camp du G7 qui… ne fait rien. La Russie a de toute manière réussi à éviter les contraintes occidentales pour une bonne partie de ses exportations : des sociétés de négoce apparues ex nihilo et utilisant souvent le « paradis » de Dubaï, des navires de seconde ou de troisième main certifiés par un registre indien particulièrement laxiste, des assureurs russes, chinois ou indiens peu regardant…

En ce qui concerne le gaz naturel, l’essentiel des « tuyaux » dirigés vers l’Europe est fermé ou détruit (Nordstream). La Russie exporte vers la Chine, mais les capacités de « l’orgueil de Sibérie » restent limitées. Par contre, le GNL échappe aux sanctions et l’Europe ne se prive pas en 2023 d’importer du GNL russe, une curieuse lacune dans l’arsenal des sanctions. Dans un autre domaine, remarquons que le LME continue à accepter dans ses entrepôts de l’aluminium russe.

Il y a enfin les céréales. L’accord sur le corridor céréalier n’a pas été renouvelé à la mi-juillet et depuis, les ports ukrainiens du Danube ont été copieusement bombardés. De ce fait, les exportations ukrainiennes ont diminué (3,4 Mt en juillet contre 4,8 Mt en juin), mais même sans le corridor, l’Ukraine devrait pouvoir exporter un disponible en forte baisse du fait des contraintes de la guerre sur la production agricole. L’Ukraine par ailleurs pèse peu sur le marché du blé et reste avant tout un exportateur de maïs. Pour le blé, et donc pour la situation alimentaire mondiale, c’est la Russie qui compte et cela d’autant plus qu’avec le retour d’El Niño, des pays comme l’Australie, l’Inde, la Chine sont à la peine en termes de production. Vladimir Poutine a beau jeu d’utiliser « l’arme alimentaire » et à durcir sa position sur une éventuelle réouverture du corridor céréalier dont le président turc, RT Erdogan, a fait, un enjeu personnel. Le prix plancher institué par les autorités russes (autour de $ 260 la tonne fob) est presque devenu un prix minimum mondial.

Tout ceci peut expliquer que l’élargissement des BRICS largement décidé par la Chine inclue nombre d’alliés objectifs de la Russie : l’Arabie saoudite et l’Iran bien sûr, l’Égypte qui dépend de son blé, les Émirats avec le rôle de Dubaï devenu la plaque tournante du commerce russe…

Plus que jamais, en cet automne 2023, la géopolitique est au cœur des tensions sur les marchés. Ajoutons-y les incertitudes sur la croissance chinoise et les menaces que fait peser El Niño sur les productions agricoles (avec en vedette le sucre et le cacao) et on a là les ingrédients d’une rentrée chargée de nuages bien menaçants.

 

4 septembre 2023

 

L’été 2023 aura été fort différent de celui de l’année précédente sur le plan énergétique. En 2022, la vedette avait été le gaz naturel avec la cruelle prise de conscience de la dépendance européenne vis-à-vis du gaz russe. Les prix avaient flambé, entraînant dans leur sillage ceux de l’électricité. Par contre, le pétrole avait amorcé une phase de repli (après son record du 7 mars à $ 139 le baril). Dans le courant du mois d’août, il était repassé au-dessous des $ 100 le baril). Dans nombre de pays, la cherté des carburants avait été d’ailleurs compensée par des mesures « d’aides à la pompe ».

Un an plus tard, la situation a bien changé : calme apparent sur le front gazier et tensions pétrolières nouvelles, mais cette fois sans cadeaux ni protections fiscales. La première bonne nouvelle concerne le gaz naturel. La reconstitution des stocks européens (l’objectif de remplissage de 90 % des capacités européennes fixé au 1er novembre a été atteint dès le 15 août) n’a pas provoqué les tensions attendues. Les prix sur le marché de référence européen (le TTF néerlandais) sont restés dans une fourchette que l’on peut qualifier de « raisonnable » (20 à 40 euros le MWh) surtout si on les compare aux folies de 2022 (plus de 300 euros).

L’Europe peut se passer du gaz russe, au moins sous sa forme gazeuse, car elle a fortement augmenté ses achats de GNL (y compris du GNL russe qui jusqu’à présent n’a pas été affecté par les sanctions). On a par contre découvert une nouvelle dépendance cette fois-ci vis-à-vis d’un marché de plus en plus mondialisé : en août, les prix européens ont été agités par des menaces de grève sur les plateformes australiennes. L’Australie ne fournit pas de GNL à l’Europe, mais des tensions dans la région indopacifique peuvent réorienter certaines cargaisons américaines jusque-là destinées à l’Atlantique. Malgré tout, la détente gazière est incontestable et l’hiver peut même être anticipé avec une certaine sérénité. Comme rien n’a changé en ce qui concerne le fonctionnement du marché européen de l’électricité toujours donc corrélé à celui du gaz, les prix de gros se sont presque stabilisés (entre 150 et 200 euros le MWh), à des niveaux quand même largement supérieurs à ceux des années 2010.

C’est donc le pétrole qui a fait la une de l’été sans pour autant que le prix du baril fasse des prouesses particulières. En juin, on était tombé bien en dessous de $ 75 alors même que la consommation mondiale battait un record pour atteindre 103 millions de barils par jour (mbj). Le pétrole russe se vendait à $ 50 (départ port russe). Les producteurs décidèrent alors de serrer un peu la vis : les quotas de l’OPEP furent remaniés et surtout l’Arabie saoudite décida de réduire sa propre production de 1 mbj. Cette « sucette saoudienne » (l’expression est du ministre saoudien du pétrole, le frère de MBS) suffit pour que les prix prennent une quinzaine de dollars durant l’été ($ 90 début septembre). On est encore loin des niveaux de 2022 et cela d’autant plus que la demande reste contrainte par une croissance économique mondiale peu soutenue et par les doutes entretenus sur la conjoncture chinoise. La situation russe reste, elle aussi, une interrogation tant en termes de production que de prix (le plafond de $ 60 le baril départ port russe imposé par le G7 reste théoriquement d’actualité). Sur les routes des vacances, les prix à la pompe ont en tout cas renoué avec des niveaux élevés pour les ménages.

Mais si la transition énergétique est bien en marche, elle se heurte à d’autres dépendances, à d’autres raretés, celles des métaux nécessaires dans les batteries, les éoliennes, les câbles… La plupart de leurs marchés, à l’image du plus important d’entre eux, le cuivre, sont excédentaires en cet été 2023 et leurs prix ont été peu soutenus. Mais face à la montée de la demande, ces excédents ne dureront pas et le manque d’investissements en capacités minières et métallurgiques est de plus en plus inquiétant d’autant plus que la Chine joue là un rôle central.

Les étés se suivent et ne se ressemblent guère si ce n’est au moins par les persistances caniculaires dans l’hémisphère nord. Mais, sur le front de l’énergie, gaz, pétrole, métaux stratégiques, sans oublier le charbon, la veille doit rester constante tant géopolitique, économie et climat vont de pair pour nous inciter à évoluer. On en reparlera – peut-être – à la COP28 ! 

 

2 septembre 2023

 

Longtemps, les hommes ont rêvé de s’affranchir de la matière. L’alchimie moderne aurait permis d’obtenir un cycle perpétuel de destruction et de renaissance : la boucle de la matière permettrait d’oublier énergies fossiles et minerais et les plantes se suffiraient à elles-mêmes. Voilà un rêve qui reste certes un objectif ultime, mais dont le monde est toujours aussi éloigné en cette troisième décennie du XXIe siècle. Il suffit pour en convenir de s’attarder sur l’actualité de l’automne 2023 après les mois d’été : la guerre en Ukraine, l’instabilité du Sahel, les tensions avec la Chine, les inquiétudes climatiques et le retour d’El Niño ont fait la une, mais les marchés de matières premières n’ont jamais été bien loin.

L’Ukraine a ainsi dicté l’actualité sur le marché des grains avec la décision russe de ne pas renouveler l’accord sur le corridor céréalier au départ d’Odessa. Au même moment, la Russie bombardait les ports ukrainiens du Danube. Les céréales ukrainiennes (blé, mais surtout maïs) sortent de plus en plus difficilement et la Russie, premier exportateur mondial de blé, utilise l’arme alimentaire en particulier vers l’Afrique de manière complémentaire aux turpitudes de Wagner. Dans le champ de l’énergie, l’Europe a appris à vivre sans gaz russe, mais de ce fait dépend de plus en plus de ses fournisseurs de gaz naturel liquéfié (GNL) comme les États-Unis, le Qatar et même l’Australie : fin août, des menaces de grève dans l’industrie gazière australienne ont provoqué une assez forte hausse des cours, toutefois en rien comparable aux « folies » de 2022 lorsque les prix du gaz en Europe et en Asie avaient décuplé. Pour le pétrole, l’improbable alliance entre l’Arabie saoudite et la Russie porte ses fruits : les cours se sont redressés malgré les sanctions qui frappent les exportations russes (mais du brut russe peut devenir du diesel indien…).

Pour échapper à la dépendance aux énergies fossiles, mais aussi à la géopolitique du pétrole et du gaz, l’heure est aux énergies renouvelables, mais là aussi, il faut tenir compte de nouvelles dépendances : les métaux « électriques » bien sûr comme le lithium, le cobalt ou le nickel, mais au premier chef surtout le cuivre. Mais dans ces domaines au-delà de la mine, c’est la métallurgie qui est le véritable goulot d’étranglement avec la position souvent dominante de la Chine : et celle-ci n’a pas manqué de le faire savoir en juillet en décidant de limiter ses exportations de germanium et de gallium (entre autres). Quant à l’énergie nucléaire, elle dépend quand même de ses fournisseurs d’uranium, le Kazakhstan au premier chef (dans l’orbite russe, mais avec quelque ambiguïté) et puis aussi le Niger ce qui nous ramène à l’instabilité sahélienne. Dernière goutte d’eau enfin, le coup d’État au Gabon, petit producteur de pétrole, mais aussi de manganèse.

Dans bien des pays d’ailleurs, force est de constater que la manne des matières premières est à l’origine d’une véritable malédiction géopolitique : c’est elle qui maintient au pouvoir souverains obtus et généraux kleptocrates. Du Venezuela à la République démocratique du Congo, les exemples ne manquent pas. La Chine, souvent, y fait son miel et trouve tant en Afrique qu’en Amérique latine les ressources qui lui manquent. Seuls quelques pays lui résistent à l’image de l’Australie qui a tenu ferme face à l’embargo chinois sur des produits australiens, du charbon à l’orge en passant par le coton et… le vin. L’Australie avait insisté pour qu’une enquête soit menée sur les origines chinoises du Covid. Pékin n’avait pas apprécié, mais les sanctions prises (qui ne s’appliquaient pas au minerai de fer) ont plus gêné la Chine que l’Australie. Fin août 2023, pour la première fois depuis trois ans, un navire a chargé de l’orge australienne vers la Chine. Le Chili songe quant à lui à nationaliser la production de lithium.

L’été 2023, enfin, a été marqué par de fortes instabilités climatiques et par le retour très probable d’El Niño, un phénomène d’inversion des courants marins dans le Pacifique qui affecte l’Océanie, l’Asie, les Amériques et l’Afrique de l’Est et qui se traduit par des sécheresses ou au contraire par des précipitations plus marquées. El Niño devrait fortement influencer les rendements agricoles de la campagne 2023/2024. Déjà, la mousson s’annonce insuffisante en Inde : le gouvernement a décidé d’un embargo d’une grande partie des exportations de riz (dont l’Inde est le premier exportateur mondial) et de sucre. L’Australie pourrait voir sa production de blé diminuer d’un tiers (après, il est vrai, une année exceptionnelle). Après avoir flambé en 2022, les prix agricoles mondiaux pourraient à nouveau être tendus en 2024, avec une autre épée de Damoclès, celle des achats de la Chine, devenue, là aussi, le premier importateur mondial.

La géopolitique des importations chinoises de matières premières est de ce point de vue fort éclairante : du côté de l’énergie, le pétrole vient de Russie (tout comme pour l’Inde d’ailleurs), d’Arabie saoudite, mais aussi d’Iran et même du Venezuela. Le gaz naturel provient de Russie par gazoducs (le célèbre « Orgueil de Sibérie »), mais le GNL vient notamment du Qatar. Par contre, la Chine n’a pu limiter sa dépendance au charbon et au minerai de fer australien et a dû se résoudre à fermer les yeux sur les impertinences australiennes quant à l’origine du Covid. De plus en plus minerais et métaux sont extraits et même traités par des sociétés chinoises qui dominent ainsi le nickel en Indonésie, le cobalt en RDC, le minerai de fer en Guinée, qui sont présentes au Pérou et dans une moindre mesure au Chili. Enfin, en matière agricole, la Chine a cherché à se soustraire à sa dépendance des États-Unis en privilégiant pour ses achats de soja et de maïs le Brésil et l’Argentine. On retrouve là les partenaires de la Chine au sein des BRICS (Brésil et Russie) et les adhérents de la promotion d’août 2023 (Arabie saoudite, Iran, Émirats, Argentine).

Cette rapide revue de l’actualité des marchés mondiaux de matières premières au début de l’automne 2023 illustre bien leur dimension géopolitique à la fois à l’origine de nombre de conflits internes ou externes, mais aussi en tant que caisses de résonance aux conséquences directes sur l’économie mondiale. À la fin des années trente du siècle dernier, fut publiée au Royaume-Uni une étude d’un cercle proche alors du parti travailliste (la Fabian society). Son titre : « Raw Materials, War materials », au jeu de mots intraduisible en français, reste cruellement d’actualité.

30 août 2023

 

Après le Niger, voilà donc le Gabon, le joyau de la « Françafrique » qui s’enfonce dans le chaos avec un coup d’État militaire. Même si dans les deux pays des putschistes issus des gardes présidentielles ont renversé des présidents élus, la comparaison doit s’arrêter là. Au Gabon, Ali Bongo avait manifestement truqué le résultat des élections qui s’étaient tenues à la fin août. Il n’en était pas d’ailleurs à son coup d’essai et depuis 55 ans la dynastie Bongo, au sens le plus large, considérait le Gabon comme son fief en s’appuyant en particulier sur la bienveillance quelque peu aveugle de la France. Avec ses deux millions d’habitants, le Gabon avait tout pour être un « émirat » pétrolier et minier africain. Son PIB per capita (un peu moins de $ 10 000) ne doit toutefois pas faire illusion tant y sont grandes les inégalités et les injustices vis-à-vis de la main-d’œuvre immigrée des pays africains voisins.

Ce « coup d’État » est beaucoup plus en fait une révolution de palais entre membres d’un même clan. Malade, Ali Bongo gouvernait avec quelques proches qui avaient manifestement manipulé les élections. Les militaires n’y ont plus trouvé leur compte et dans la réalité, il est probable qu’une partie du clan Bongo les appuie (le nouvel homme fort est un cousin…).

Au même moment, au Zimbabwe, le président sortant réussissait la même opération de captage électoral. Nul n’a bronché ou presque. Malheur aux vaincus !

 

24 août 2023

 

La Chine a eu raison des réticences indiennes et, en 2024, les BRICS vont compter six nouveaux membres. Aucun de ces six ne correspond à la définition de pays émergent qui était à l’origine de la notion de BRIC. Parmi eux, l’Argentine fut effectivement un pays émergent, mais… à la fin du XIXe siècle (à l’époque avec les États-Unis, le Japon et la Russie). Depuis, elle a accumulé les déceptions au fil de la malgouvernance et de l’instabilité politique. L’Arabie saoudite, les Émirats et l’Iran ne doivent leur relative prospérité qu’à la manne pétrolière frisant parfois la malédiction. En Afrique, l’Éthiopie a pu un temps faire illusion, mais elle est vite retombée dans les travers de ses conflits ethniques. Enfin, l’Égypte ne survit que par les financements de ses frères arabes.

Du point de vue géopolitique, par contre, cette liste est intéressante et porte manifestement l’empreinte chinoise avec l’Iran et l’Éthiopie. L’Arabie saoudite s’émancipe un peu plus des États-Unis malgré la présence presque surprenante des Émirats. Quant à l’Égypte, elle n’a rien à perdre.

À l’exception chaotique de l’Argentine, aucun des ces pays n’est une démocratie, là encore, un pied de nez chinois aux démocraties occidentales.

 

22 août 2023

 

Ouverture à Johannesburg de la quinzième conférence des BRICS. On ne peut qu’être impressionné par la fortune de cet acronyme inventé en 2001 par un économiste de Goldman Sachs. À l’époque de la première gloire des pays émergents, le concept pouvait faire illusion malgré la présence de la Russie qui, déjà, n’était guère mieux qu’un émirat pétrolier. Mais aujourd’hui, avec en plus l’adjonction de l’Afrique du Sud, la notion de BRICS n’a aucun sens économique. Il en est bien sûr tout autrement du point de vue géopolitique. À Johannesburg, il y a non seulement les cinq membres fondateurs, mais aussi une vingtaine de candidats, du Venezuela à l’Arabie saoudite, l’Iran, l’Algérie ou la Turquie. Certains y voient même une sorte d’équivalent de la conférence de Bandoeng qui en 1954 avait donné lieu à la création du mouvement des non-alignés entre l’Est et l’Ouest. Chou En Lai était présent à Bandoeng comme Xi Jinping est à Johannesburg, mais le rôle de la Chine a changé. Sa tentation est grande d’instrumentaliser les BRICS pour les aligner sur un axe anti-occidental rendu encore plus marqué par la présence (en distanciel !) de Poutine. Ceci étant, au cœur des BRICS, il faut tenir compte de l’électron libre indien.

La mainmise chinoise sur les BRICS est évidente et paradoxalement c’est ce qui en affaiblit la cohérence. L’idée de créer une monnaie commune qui ferait pièce (!) au dollar est une douce utopie et les Chinois le savent bien qui se gardent de faire du yuan une véritable devise convertible.

Il reste à voir quand même si les BRICS vont formellement accueillir de nouveaux membres au-delà des routes de la soie chinoises. On est là au cœur du « grand jeu », des fleurets plus ou moins mouchetés de l’affrontement entre États-Unis et Chine, « le vain bruit à l’entrée du silence du vrai conflit » (RM Rilke).

 

17 août 2023

 

À la fin du XIXe siècle, au cœur de la seconde révolution industrielle, l’équivalent des « Magnificent Seven » était un quarteron de « robber barons » qui avaient bâti des empires industriels en s’appuyant sur les banques de Wall Street. L’un des plus emblématiques était Andrew Carnegie qui avait fédéré l’industrie sidérurgique en un « trust », l’US Steel qui, avant l’automobile, fut le symbole de l’émergence industrielle américaine qui dépassa alors le Royaume-Uni. Il en a été de la sidérurgie américaine comme nombre de « vieilles industries ». Mort il y a un peu plus d’un siècle (en 1919), Carnegie n’a pas connu les affres par lesquels US Steel est passé tout au long du XXe siècle (il avait fait don de l’essentiel de sa fortune à des fondations estimant qu’il ne servait à rien d’être « le plus riche du cimetière »).

US Steel, où ce qu’il en reste, en relativement bonne santé, fait aujourd’hui l’objet d’une OPA de l’un de ses concurrents qui la valorise à un peu moins de $ 8 milliards : un obscur fabricant de véhicules électriques vietnamien, Vincars, vient d’être valorisé autour de $ 80 milliards et on ne parlera pas des $ 3 000 milliards d’Apple ! L’OPA hostile a été pour l’instant repoussée, mais on dit qu’Arcelor Mittal, le numéro un mondial d’un secteur atomisé et dominé par les chinois pourrait être intéressé.

De toute manière, il y a longtemps que les maîtres de forges ne font plus la une.

 

16 août 2023

 

Il y avait eu les GAFA, mais l’hubris de certains de leurs fondateurs pour changer les noms (de Facebook à Meta, de Google à Alphabet) et étendre leurs empires avait enlevé toute signification à cet acronyme.

Alors bienvenue maintenant tout simplement aux « Magnificent Seven », les sept magnifiques, une référence à un chiffre biblique, aux contes de fées (les sept nains), au cinéma (les sept mercenaires, bien sûr) sans oublier les sept merveilles du monde antique.

Dans le monde des technologies nouvelles, ils sont donc sept à avoir conquis le monde avec des capitalisations boursières dépassant la plupart du temps les $ 1 000 milliards. Il y a les « vieux », les pionniers du logiciel et de la micro-informatique, Microsoft et Apple. Il y a ensuite les rois des réseaux, Alphabet et Meta et puis Amazon, le génial touche à tout ainsi que Tesla (mais il faudrait en fait regrouper tout Elon Musk, de SpaceX à X – ex Twitter). Enfin, par un retour aux bases industrielles, le dernier arrivé est Nvidia, le roi des puces sophistiquées qui rendent possibles les développements de l’intelligence artificielle. L’emprise des « Sept » est beaucoup plus large que le seul univers des Technologies nouvelles. Amazon, Tesla, Alphabet ont bouleversé des secteurs entiers des industries et des services traditionnels. Leur course en avant n’est pas exempte de chaos à l’image de Meta et parfois d’Apple. Mais surtout, ils échappent à tout contrôle, se jouent des frontières et des fiscalités. En cela, ils sont aussi les « Menacing Seven ».

30 juillet 2023

 

La France affiche une croissance de 0,5 % au deuxième trimestre, l’une des plus fortes de toute l’Europe et presque aussi forte qu’aux États-Unis (l’Allemagne, elle, est à zéro). Quand on sait ce que fut le climat politique et social de ces premiers mois de 2023, il y a de quoi s’étonner.

Rarement, l’impression de blocage de la société française, de perte de confiance en l’appareil politique aura été autant en contraste avec ce que l’on peut qualifier d’embellie économique.

Le dernier numéro de « The Economist », l’hebdomadaire le plus intelligent de la planète, mais, à l’image de nos amis britanniques, souvent féroce pour la France, enfonce le clou avec un article au titre évocateur : « Galling success ». Ce succès français leur apparaît pour le moins paradoxal : un pays marqué par « son aversion au changement et aux réformes, son goût pour les révoltes, son addiction à l’impôt » se débrouille pour faire mieux que la plupart des pays européens. C’est bien sûr la France du TGV et du nucléaire, celle des grandes banques et des groupes du luxe, mais aussi de plus en plus des licornes et autres « start-ups ». Mais c’est aussi celle d’un État-providence qui a peu d’équivalents, d’un taux de pauvreté le plus faible d’Europe (et la moitié de celui des États-Unis où l’espérance de vie est de six ans inférieure)… Certes, ceci a un coût : jamais « depuis la naissance d’Emmanuel Macron, la France n’a équilibré un budget ». Mais aujourd’hui, en ces temps post-covid, cela n’est guère plus critiquable. Alors « glücklich wie Gott in Frankreich ».

 

28 juillet 2023

 

Coup d’État au Niger, le quatrième depuis son indépendance : un quarteron de militaires (la garde présidentielle…) a renversé un président démocratiquement élu il y a seulement deux ans. Parmi les pays de la région, le Niger était avec le Sénégal l’une des ultimes exceptions avec un gouvernement civil : au Mali, au Burkina Faso, en Guinée, au Tchad, les militaires sont à la manœuvre avec parfois comme en Centrafrique les mercenaires russes de Wagner en sous-main.

Le Niger est un pion essentiel du Sahel et des confins désertiques avec des frontières bien poreuses avec le Mali, l’Algérie, la Libye et le Tchad. Il était devenu le pivot des forces militaires françaises et américaines dans la région. Comme à Bamako et à Ouagadougou, le coup d’État s’est accompagné de manifestations anti-françaises et prorusses même s’il est difficile à ce stade d’incriminer la main de Moscou.

Le Niger est un espace artificiel dont l’essentiel de la population est concentré au Sud : la vallée du fleuve et la longue frontière avec le Nigeria ; au Nord c’est le désert et la principale ressource du pays l’uranium (5 % de la production mondiale, mais 25 % de l’approvisionnement européen, autant que le Kazakhstan), exploité par Orano avec des projets canadiens et chinois.

Le Sahel devient un peu plus une immense zone de non-droit parcourue par quelques « grandes compagnies » dont le vernis islamiste ne peut masquer les trafics en tout genre. Triste Sahel !

 

25 juillet 2023

 

Après le mois de juin le plus chaud de l’histoire récente au niveau mondial, juillet a apporté son cortège devenu presque habituel de canicule, de sécheresse, d’incendies et de dômes de chaleur. Seuls les plus bornés des climatosceptiques peuvent encore nier l’ampleur du changement climatique à l’œuvre, que celui-ci d’ailleurs soit « naturel » ou largement accéléré par la main de l’homme.

Les conséquences en sont majeures pour l’ensemble des ressources naturelles tant au niveau de leur production, de la demande et bien sûr de leurs marchés. Dans le champ de l’énergie, il faudra s’habituer dans l’hémisphère nord – le plus riche – à des pics de demande durant l’été (la « cooling season ») et donc à une moindre saisonnabilité d’un marché comme celui du gaz naturel. Et puis tous les efforts consentis en faveur de la transition énergétique ont ouvert le champ de nouvelles dépendances, celles des métaux critiques (pour l’essentiel électriques) et la Chine, par la mise en place de quotas pour le gallium et le germanium, vient de rappeler sa place déterminante dans la mine et surtout dans la métallurgie de presque toutes ces substances. Demain, il pourrait en être de même pour le cuivre qui promet d’être le métal le plus déterminant des années à venir. L’agriculture enfin reste dépendante de sautes climatiques de plus en plus capricieuses : malgré d’excellentes récoltes encore en 2023, la perspective d’El Niño ne manque pas d’inquiéter pour les saisons à venir.

Des quatre cavaliers de l’Apocalypse du CyclOpe 2023, celui qui porte les « bêtes sauvages », c’est-à-dire la nature et le climat est peut-être le moins furieux, mais certainement le plus insidieux.

Le premier cavalier, celui de la guerre, continue à labourer les plaines entre le Danube et le Dniepr portant avec lui un manteau de misère et de destructions. Vladimir Poutine a – assez logiquement de son point de vue – décidé de mettre un terme au corridor céréalier qui avait permis à l’Ukraine d’exporter depuis août dernier une trentaine de millions de tonnes de céréales (pour la majeure part du maïs). L’artillerie et les drones russes se sont aussi attaqués aux ports ukrainiens du Danube, ce qui risque de limiter l’Ukraine aux seules voies de sortie traversant l’Union européenne, plus longues, plus coûteuses et politiquement plus difficiles à gérer. Les marchés mondiaux ne devraient pas trop en souffrir, car les récoltes s’annoncent abondantes, mais plus que jamais, Poutine fait de « l’arme du blé » un outil de sa propagande en particulier vers l’Afrique (où l’on s’interroge aussi sur l’avenir de Wagner). Et puis, pendant la guerre, le pétrole et même le gaz russe continuent à sortir, faisant le bonheur des négociants de Dubaï… Mais le cavalier de la guerre est aussi bien actif en Afrique (avec un nouveau coup d’État au Niger au cœur d’une bande sahélienne si tourmentée), au Proche-Orient, en Asie centrale sans oublier les bruits de bottes autour de Taiwan, plus assourdis – il est vrai – ces temps derniers (mais que penser de la « disparition » du ministre des Affaires étrangères chinois !). Le cavalier de la guerre est bien à l’œuvre et c’est lui qui porte et entraîne celui de la faim et de la pauvreté alimentaire qui tourmentent encore près d’un milliard d’êtres humains.

Le seul cavalier à avoir marqué une pause dans sa course est celui de la peste. Le monde semble en effet en avoir fini du Covid. Il en reste toutefois quelques doutes quant à son bilan. La publication – vite retirée – de chiffres de crémation d’une province chinoise laisse penser que le bilan chinois des premiers mois de 2023 a dépassé le million de décès. Le Covid a probablement coûté une trentaine de millions de morts sur la planète, moins que la grippe espagnole un siècle auparavant, mais avec un tout autre effet en terme économique et social. Et le champ des pandémies – animales cette fois – reste largement ouvert…

 Par leur charge désordonnée, nos quatre cavaliers sont à l’origine d’une rupture majeure du modèle économique et politique qui avait dominé les « Trente glorieuses » d’une certaine « mondialisation heureuse ». La « fin de l’histoire » dont nous avions rêvé s’est éloignée un peu plus. Les défis climatiques, géopolitiques, sanitaires et alimentaires seront au cœur des années à venir. Mais dans l’Apocalypse, il est bien affirmé que les justes doivent se préparer à affronter les défis des cavaliers pour préparer « un ciel nouveau et une terre nouvelle » (Ap 21-1). 

 

5 juillet 2023

 

Au Sénégal, Macky Sall, le président vient d’annoncer qu’il ne solliciterait pas un troisième mandat. Au pouvoir depuis douze ans (deux mandats, l’un de sept ans, l’autre de cinq ans à la suite d’une réforme constitutionnelle), il avait entretenu l’incertitude ces derniers mois alors même qu’il avait critiqué son prédécesseur Abdoulaye Wade lorsque celui-ci avait cherché à se maintenir au pouvoir. Finalement, il a donc renoncé et c’est là une bonne nouvelle pour le Sénégal.

Le Sénégal est en effet le seul pays du continent africain à ne pas avoir connu de coup d’État, de guerre civile, de gouvernement militaire depuis son indépendance (au niveau mondial, depuis les décolonisations, seule l’Inde partage ce laurier). Parmi les voisins du Sénégal, le Burkina Faso, le Mali et la Guinée sont gouvernés par des militaires : en Guinée, Alpha Condé fut renversé alors qu’il visait justement un troisième mandat.

Certes, Macky Sall pouvait s’estimer indispensable alors que le Sénégal va entrer en fin d’année dans l’âge du pétrole et du gaz, une période faite de tentations et de risques et on sait que bien des pays à l’image du Ghana n’ont pas su gérer la « malédiction » des hydrocarbures.

Il faut espérer maintenant que le processus démocratique sénégalais va suivre son cours. On peut craindre une multiplicité de candidats et Macky Sall devra, pour les six mois à venir, rester au-dessus de la mêlée !

 

4 juillet 2023

 

3 000 milliards de dollars d’un côté, d’euros de l’autre. Les $ 3 000 milliards, c’est la capitalisation boursière d’Apple, un record absolu, loin même des autres entreprises de la « tech ». Les € 3 000 milliards, c’est le niveau de la dette publique française au premier trimestre 2023 (€ 3 013 milliards exactement). Voilà deux chiffres symboliques qui racontent des histoires différentes de deux univers aux antipodes l’un de l’autre.

Apple c’est bien sûr une immense réussite en moins d’un demi-siècle (1976) aux frontières de la technologie et des biens de consommation. C’est aussi l’enfant de la mondialisation, de l’optimisation fiscale à tout crin, de la délocalisation manufacturière et disons-le franchement d’un incontestable parasitisme social.

La dette française est-elle, à l’opposé, le résultat des tourments de l’État providence et la France, en ce domaine, n’est pas une exception. Elle a simplement poussé à l’autre extrême la fonction redistributive de l’état même si ses citoyens ont la fâcheuse tendance d’en réclamer toujours plus.

La comparaison fortuite entre ces deux chiffres n’a guère de sens si ce n’est de rappeler que les équilibres économiques et sociaux dépendent des contributions et du partage de la création de valeur. L’excès de ces « 3 trillions » est inquiétant dans un cas comme dans l’autre.

 

3 juillet 2023

 

Cette année le Tour de France est parti de Bilbao et durant ses trois premiers jours il a fait escale dans les trois capitales des provinces d’Euskadi : Bilbao (Biscaye), Vitoria Gasteiz (Alava) et San Sebastian (Guipuzcoa). On est au Pays basque et pas vraiment en Espagne : le long des routes ce ne sont que drapeaux basques et parfois timidement un navarrais (on parle basque en Navarre, mais les relations entre la Navarre et Euskadi sont pour les moins ambiguës depuis la guerre civile et même auparavant les guerres carlistes).

L’étape d’aujourd’hui allait des confins montagneux de l’Anboto, aux portes de Bilbao, jusqu’à Bayonne, la capitale de la province basque du Labourd (et modeste sous-préfecture des Pyrénées-Atlantiques). Le long de la route, la foule était d’une rare densité, illustrant la fascination qu’exerce le Tour bien au-delà des frontières françaises. Il y a bien sûr, la caravane publicitaire (avec les historiques comme Cochonou, dont le bob est particulièrement recherché), les quelques minutes du passage du peloton avec parfois quelques échappées et puis toutes les voitures des directeurs sportifs et des équipes. C’est la célébration d’un sport dont les héros sont plus proches du public que les stars du football ou du basket et qui pour l’instant a bien résolu les éternels problèmes du dopage et de l’argent.

 

1er juillet 2023

 

Nuits d’émeutes en France : avec les réseaux sociaux, les bandes s’organisent pour attaquer les bâtiments publics en défi à toute forme d’autorité, pour piller aussi. L’étincelle en a été une incontestable bavure policière et la mort à bout portant d’un « jeune des cités ». La malheureuse victime n’était pas pour autant un « ange » : connu déjà des services de police, il conduisait, à 17 ans, un véhicule d’origine pour le moins douteuse.

Rien, dans un état de droit, ne peut excuser cette mort, mais la violence des réactions va bien au-delà et marque l’ampleur du fossé qui existe désormais entre les « territoires perdus de la république » et la légalité républicaine. Ajoutons aussi que les réactions de l’exécutif, d’abord compatissantes puis inquiètes, ont accentué encore la fébrilité ambiante. Que dire enfin des extrêmes politiques à la manœuvre pour jeter de l’huile sur le feu.

Symboliquement, c’est à Marseille, où Emmanuel Macron venait de terminer une visite consacrée à la relance de la politique de la ville, que les désordres ont été parmi les plus marqués.

On peut tout incriminer : les réseaux sociaux et leurs univers virtuels, la disparition de toute forme d’autorité familiale, l’échec de l’école, la marginalisation de nombre de quartiers, mais on doit aussi convenir que la disparition de la police de proximité, décidée par Nicolas Sarkozy au profit du seul « karcher » fut une erreur sur laquelle il est difficile maintenant de revenir.

Il y a maintes bonnes raisons, mais le constat n’en reste pas moins accablant. Ces émeutes urbaines rappellent celles des ghettos américains, celles aussi en France de 2005. Elles font suite aux violences des fins de manifestation des gilets jaunes puis du mouvement contre la réforme des retraites. Mais elles marquent aussi l’avènement de nouvelles formes de guérillas urbaines s’attaquant aux symboles des services publics (mairies, écoles, centres sociaux ou culturels…) tout en s’offrant quelques occasions de pillage.

Face à une telle situation, bien sûr, la fermeté s’impose et le soutien entier aux forces de l’ordre qui sont en première ligne. Au-delà, il faudra malheureusement beaucoup de temps pour retrouver un peu de confiance là où il n’y a plus que méfiance et rejet, là où il faut reconstruire des liens sociaux aujourd’hui brisés.

 

L’été va venir et probablement après quelques nuits la pause estivale. Mais le mal est là et pour longtemps, pour une génération d’enfants dont l’avenir est bien sombre. Triste France…

27 juin 2023

 

La rébellion en Russie de la milice Wagner du désormais célèbre Evgueni Prigozhin rappelle le rôle que dans l’histoire, les mercenaires ont joué dans la chute des empires. Ce fut ainsi le cas de Rome lorsque pour renforcer les légions, il devint nécessaire de recruter des auxiliaires provenant en général des peuples barbares qui assiégeaient le « limes » et les frontières de l’Empire. Le vieil adversaire de Rome, Carthage, avait aussi utilisé des mercenaires prompts à se révolter comme le mit en scène Flaubert dans Salammbô.

Plus tard, au Moyen-âge et durant la Renaissance italienne, c’est l’heure des « grandes compagnies » qui se vendent au plus offrant, des condotierres au service souvent flottant des villes italiennes. Au crépuscule de l’Empire romain germanique, il en est de même dans les guerres qui ravagent l’Allemagne du XVIIe siècle avec des capitaines comme Wallenstein ou Tilly. Il est vrai qu’à l’époque, la notion d’armée « nationale » reste peu répandue. Dans une délicieuse uchronie, Jean Dutourd racontait que Buonaparte aurait pu être l’un d’entre eux, si la Corse était restée génoise dans l’orbite de Vienne !

Les empires vieillissants qui se reposent sur leurs lauriers n’ont plus le goût à la guerre qu’ils négligent. Les armées – ou ce qu’il en reste – deviennent professionnelles et la porte s’ouvre aux mercenaires. Prigozhin est au fond dans la lignée d’un Colleoni au service de Venise ou d’un Wallenstein au service de Vienne. L’un et l’autre furent victimes de l’ingratitude de leurs commanditaires, l’empereur Ferdinand II faisant même assassiner Wallenstein : un sort que pourrait méditer Prigozhin…

 

26 juin 2023

 

L’organisation à Paris à l’initiative d’Emmanuel Macron d’un « Sommet pour un nouveau pacte financier mondial » n’a suscité au mieux à l’international qu’un intérêt poli et ses conclusions semblent avoir été bien maigres à l’aune pourtant de l’importance du sujet en pleine période de crises tant géopolitiques que climatiques. Quelques pays, à l’image de la Zambie, verront au moins leur sort – et leur endettement – s’améliorer. Mais nombre de sceptiques auront vu là une initiative bien dans la tradition française d’équilibre entre les grands blocs économiques.

Il y a en effet un demi-siècle qu’un autre jeune président français, Valéry Giscard d’Estaing, au lendemain du premier choc pétrolier et de l’implosion du système monétaire de Bretton Woods, avait eu l’idée, en octobre 1974, de lancer un dialogue Nord-Sud. L’idée mit une bonne année à se concrétiser et c’est en décembre 1975 que s’ouvrit à Paris, avenue Kléber (le bâtiment est aujourd’hui un grand hôtel), la Conférence pour la coopération économique internationale (CCEI). Le premier choc pétrolier, mais aussi la flambée des prix de nombre de matières premières, des céréales (avec des achats… soviétiques) aux phosphates, du café au cuivre, avaient en effet modifié les grands équilibres qui avaient présidé aux « Trente Glorieuses ». Publié en 1972, le rapport du club de Rome « Halte à la croissance » anticipait alors l’épuisement des ressources naturelles pour la fin du siècle. Détenteurs d’énergie et de matières premières, les pays de ce que l’on appelait le « Sud » militaient pour un « Nouvel ordre économique international » (NOEI), une position que partageaient certains pays industrialisés même si les États-Unis, à l’image de leur secrétaire d’État, Henry Kissinger, ne cachaient pas leur manque d’enthousiasme. La conférence se tint à Paris pendant dix-huit mois, alternant réunions plénières et groupe d’experts. Elle réunit 27 pays, 19 du Tiers Monde et 8 pays industrialisés. La co-présidence en était assurée par un canadien et surtout par un ministre vénézuélien, Perez Guerrero : le Venezuela était alors un des plus importants exportateurs de pétrole et un membre clef de l’OPEP (les temps ont changé…).

Si les discussions sur l’énergie (et l’idée d’un prix plancher) n’aboutirent guère, par contre c’est à Paris que se dégagea un consensus pour un « Programme intégré des Produits de base » qui fut adopté lors de la IVe CNUCED (Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement) qui se tint à Nairobi en 1976. La célèbre résolution 93-IV lança tout un cycle de négociations sur les matières premières, aboutit à la signature de quelques accords internationaux (cacao, caoutchouc, café…) et même à la création d’un fonds commun (une vieille idée de Keynes qui remontait à Bretton Woods). Tout ceci ne dura guère et à la fin du siècle, les quelques accords subsistants avaient perdu toute fonction de stabilisation. C’est aussi à Paris que l’on commença à parler d’un objectif d’aide au développement, fixé alors à 0,7 % du PIB des pays du Nord. Par contre, les discussions sur la dette n’aboutirent pas.

Lorsque se tint la réunion finale, en juin 1977, l’échec était patent et le dialogue Nord-Sud tournait à l’affrontement, d’autant plus que l’URSS, qui n’avait pas été invitée à Paris, soufflait sur les braises de nombre de pays du Sud (à l’image de l’Algérie). La rechute des prix des matières premières, quelques années plus tard, enleva au Sud nombre de ses illusions.

À Paris, ces jours-ci, on a été moins ambitieux et probablement plus pragmatique. La dette de nombre de pays, que l’on ne qualifie plus de Tiers Monde, demeure un problème central alors que leur est demandé un effort considérable en matière de transition énergétique. Mais entre les deux nouveaux blocs qui se dessinent (G7 versus BRICS), les marges de manœuvre sont bien faibles. Espérons que le sommet de 2023 porte plus de fruits que la conférence de 1975/1977.

 

24 juin 2023

 

À Saint-Jean-de-Luz aujourd’hui, c’étaient les fêtes de la Saint-Jean qui ouvrent la saison basque qui culminera avec les fêtes de Bayonne dans un mois. Toute la ville était remplie de festayres joyeux habillés de noir avec un foulard rouge (à Bayonne, ils seront en blanc) dansant au son des bandas et d’orchestres plus modernes.

À dix heures du soir, sur le parvis de l’église, ce furent les feux de la Saint-Jean. Il s’agit là d’une récupération chrétienne d’une tradition païenne, la célébration du solstice d’été : un arbre ou un bûcher sont enflammés alors que l’on danse autour du brasier.

Ce soir, à Saint-Jean-de-Luz, on eut un rare exemple en France de tolérance religieuse, bien loin de la conception étriquée d’une laïcité à la française qui revient à nier le fait religieux dans la sphère publique. Après un mot du maire célébrant « saint » Jean-Baptiste, le feu fut béni par le curé avant que la fête ne reprenne (avec un peu plus tard le traditionnel « toro de fuego »).

Mais ce moment de bénédiction a pour quelques instants rappelés à une foule bien peu pratiquante et éloignée de la culture chrétienne quelques racines du temps même où les Basques cernaient Roland à Ronceveaux !

 

23 juin 2023

 

Décidément, Elon Musk est l’homme qu’il faut voir ou au moins avec lequel il faut être vu. À Paris, c’était avec Emmanuel Macron ; aux États-Unis c’était avec le président indien Modi, alors en visite d’État.

S’il n’est plus l’homme le plus riche du monde (richesse quand même virtuelle), il passera certainement à la postérité comme l’industriel le plus marquant de ce début du XXIe siècle. Il a à son actif la quasi-invention des voitures électriques ou au moins de leur production de masse, la révolution du spatial, la main mise aussi sur des réseaux sociaux comme Twitter. Tout ceci est admirable et on comprend que les chefs d’État le courtisent pour qu’il leur fasse l’aumône de quelques usines de batteries sur leur sol.

Pour en arriver à pareil résultat, il aura fallu à Elon Musk une formidable confiance en son destin et c’est malheureusement là qu’il dérape quelque peu avec un ego démesuré qui l’amène trop souvent à sortir de son champ de compétences. On se souvient ainsi de ses propositions pour régler le conflit ukrainien, de sa gestion (si l’on peut dire) de Twitter, de ses allers-retours sur le bitcoin. À force de tout réussir (ou presque), d’être flatté et adulé, s’est développée chez lui une vision messianique qui peut légitimement inquiéter. À suivre… avec des pincettes !

 

22 juin 2023

 

Présentation du rapport au Parlement de l’Observatoire de la Formation des Prix et des Marges des produits alimentaires. C’est la dernière fois, après douze années, que l’auteur de ces lignes en assume la présidence.

Le rapport « raconte » essentiellement l’année 2022, une année exceptionnelle pour les marchés agricoles avec des hausses générales des prix qu’il s’agisse des céréales, des viandes, des produits laitiers… (la seule exception aura été les fruits). Au total, la hausse agricole moyenne aura été en 2022 de l’ordre de 20 %. À cela, il faut ajouter la hausse des prix de l’énergie et de l’emballage (le papier et le carton en particulier). Au final, pourtant, la hausse des prix alimentaires n’aura été que de 7,5 %. L’Observatoire qui suit 34 produits « de fonds de caddy » qui représentent la moitié de la consommation alimentaire a constaté une forte augmentation de la part de la matière première agricole et par contre un gel et même une diminution des marges à l’aval, au niveau de l’industrie et surtout de la distribution. Au final, c’est le consommateur qui a profité de cet effort alors que la production agricole renouait enfin avec un début de rentabilité (à l’exception notable des élevages de bovins allaitants et d’ovins).

Ceci étant, il s’agit de 2022. C’est en 2023 que les hausses devraient se répercuter comme cela a déjà été le cas au premier trimestre. À moins que l’on ne parvienne déjà à tenir compte de la baisse des prix agricoles et de l’énergie.

 

20 juin 2023

 

« Les protagonistes de 1914 étaient des somnambules qui regardaient sans voir, hantés par leurs songes, mais aveugles à la réalité des horreurs qu’ils étaient sur le point de faire naître dans le monde ». Ainsi se conclue l’ouvrage désormais classique de l’historien Christopher Clark, « Les somnambules » qui analyse la manière dont l’Europe a marché vers la Première Guerre « mondiale ». Le plus fascinant en est la manière dont les alliances se sont faites et défaites en fonction des intérêts des uns et des autres, mais aussi des caractères des protagonistes fussent-ils rois ou empereurs, présidents ou ministres, généraux ou révolutionnaires. Le déclenchement de la guerre fut le fruit d’une multiplicité de hasards, d’événements parfois secondaires montés en épingles par l’écheveau des alliances et ententes.

Si la plupart des rois et empereurs ont disparu, si l’Europe a perdu sa place centrale sur la planète, il y a, un siècle plus tard, toujours autant de somnambules qui marchent au bord des précipices. Comme en 1914, les discours populistes tiennent bien souvent le haut du pavé et avec eux le nationalisme. Il y a à nouveau un tsar en Russie et surtout un empereur en Chine sans oublier nombre de roitelets africains, d’émirs moyen-orientaux. Les démocraties restent rares et ont une tendance naturelle, aux États-Unis comme en Europe, à privilégier leurs problèmes domestiques aux questions internationales. En 1914, le principal souci du gouvernement britannique était l’adoption du « Home Rule » pour l’Ulster. Sarajevo était bien loin. En France, aujourd’hui, les retraites passent avant l’Ukraine…

En 1914, cinq acteurs majeurs dessinaient le champ des alliances. En 2023, ils ne sont en réalité guère plus nombreux, mais cette fois-ci à l’échelle de la planète, chacun ayant sa galaxie de « clients » plus ou moins importants, plus ou moins fidèles. Comme en 1914, deux ententes aux contours parfois flous s’affrontent à fleurets mouchetés pour l’instant (sauf en Ukraine). On pourrait ainsi filer la comparaison à un siècle d’écart ; heureusement pour l’instant, pas jusqu’au bout. Mais il suffirait de bien peu de choses tant les imbrications en sont complexes de l’Ukraine, bien sûr, à Taïwan, du Moyen-Orient à l’Asie centrale et au Sahel. De ce point de vue, les somnambules n’ont guère changé qui jouent avec leurs opinions publiques, qui renforcent leurs armements, qui entretiennent des abcès qui ne demandent qu’à s’étendre. Sir Edward Grey, l’inamovible ministre des Affaires étrangères britanniques (qui porte une lourde responsabilité dans la montée vers la guerre) aurait dit dans les premiers jours d’août 1914 qu’ils voyaient « toutes les lumières s’éteindre sur l’Europe ». C’était un peu tard, mais n’en est-il pas un peu de même aujourd’hui, l’Europe n’étant plus le sujet, mais bien l’objet.

 

18 juin 2023

 

Il y a quelques décennies de cela, l’auteur de ces lignes eut la surprise, en arrivant à la gare de Bruxelles, d’entendre l’annonce suivante : « Le train de Namur arrive à l’heure. » C’est que les retards des trains belges étaient alors choses courantes. Cela ne pouvait que surprendre un jeune Français habitué à la ponctualité de la SNCF, l’un des joyaux des services publics à la française dont nous étions si fiers.

Aujourd’hui, malheureusement, pareille annonce n’aurait plus rien d’étonnant. En proie à une culture d’économie et de rationalisation, la SNCF se révèle de moins en moins capable de tenir ses engagements de ponctualité face au moindre aléa.

Aujourd’hui, c’est une rame bloquée à Bordeaux faute de mécanicien, car il n’y a plus de réserves un dimanche. La semaine dernière, c’était une locomotive en panne au départ à Marseille « car l’atelier d’entretien local a été fermé et tout concentré à Bordeaux ». Les cheminots sur le terrain, interpellés par les voyageurs, en parlent ouvertement et fustigent en particulier l’incompréhension des « bureaux » ainsi que la multiplicité des intervenants. Et ne parlons pas du sacrifice des lignes transversales. Entre Toulouse et Bayonne ne circulent plus (en 4 heures) que de malheureux TER (rebaptisés intercités).

Pourtant qu’elles sont belles ces petites lignes héritées du siècle passé à l’image de celle qui de Bayonne à Saint-Jean Pied de Port longe la Nive en passant par le Pas de Roland. Seule la fréquentation liée au pèlerinage de Saint-Jacques l’a sauvée des coupes sombres et du remplacement par un autobus.

 

17 juin 2023

 

En 2022, plus de 52 000 « pèlerins » sont passés par le centre d’accueil de Saint-Jean Pied de Port. Et en ce samedi de juin, on y fait la queue pour y faire tamponner sa crédenciale. Certains terminent ici la partie française du « chemin ». D’autres – surtout des étrangers – commencent par la plus célèbre étape, celle de la montée vers Ronceveaux (1 200 mètres de dénivelé quand même !). Le pèlerinage a repris toutes ses couleurs depuis l’arrêt du Covid et ils sont nombreux ce soir dans la rue de la Citadelle. Pèlerins ou randonneurs ? À voir la maigre assistance à la messe du soir et notamment l’absence de Français, on peut douter quelque peu de la dimension spirituelle du « camino ». Au mieux, on est là dans une démarche un peu « new age » dans le sillage du célèbre livre de Paulo Coelho, « L’alchimiste », qui est d’ailleurs à l’origine d’une incontestable renaissance du « pélerinage » de Saint-Jacques. Qu’il traverse une France et une Espagne largement déchristianisées importe au fond assez peu. Saluons quand même l’effort de nombre de volontaires au fil des étapes pour accueillir, expliquer et parfois même un peu convertir.

Pèlerins ou randonneurs partagent en tout cas la même volonté de quitter un peu le monde, de marcher dans une quête d’absolu pour certains, de sens pour la plupart. Ne dit-on pas que l’on commence randonneur et que l’on finit pèlerin ! Et puis, les montagnes basques ce soir sont si belles !

 

15 juin 2023

 

MBS est à Paris : tapis rouge pour le dirigeant saoudien redevenu fréquentable sur l’échiquier international. L’Arabie saoudite n’a-t-elle pas affiché en 2022, la croissance la plus forte de tous les pays du G20 ? Ne va-t-elle pas bientôt intégrer le club des BRICS ? Son fonds souverain ne détient-il pas plus de $ 600 milliards ? MBS n’a-t-il pas lancé des projets ambitieux de villes du futur, d’industrialisation à marche forcée, d’ouverture au tourisme (sans même parler du football et autres sports) ?

La réalité est quand même bien différente. L’Arabie saoudite n’est guère qu’un pays rentier, avec certes de très belles rentes, celles d’un pétrole qui demeure essentiel pour la planète et qui a encore deux ou trois belles décennies devant lui. Mais le pétrole permet à peine à l’Arabie saoudite d’entretenir son train de vie : son équilibre budgétaire se situe autour de $ 80 le baril et, avec le « peak oil » à venir (celui de la consommation) il n’est pas certain que ce niveau se maintienne, en dollars constants. MBS le sait qui essaie de diversifier son économie, mais se heurte à des problèmes de main-d’œuvre et il doit s’appuyer sur des mercenaires occidentaux et des esclaves asiatiques ou africains.

L’Arabie saoudite donne l’illusion d’avoir échappé à la malédiction du pétrole. Elle en reste au contraire un exemple et elle n’a semé autour d’elle que guerres, misère sans oublier l’intégrisme wahhabite. Il faut une bonne dose de « realpolitik » pour recevoir MBS !

 

13 juin 2023

 

L’Italie tourne une bien triste page de son histoire avec la mort de Silvio Berlusconi. Le plus long « règne » d’un Premier ministre italien depuis la guerre (il a remporté trois élections) a marqué plus que tout autre le déclin de l’Italie. Homme d’affaires peu scrupuleux, mais ayant le sens des opportunités, il avait constitué le Premier Empire télévisuel italien en taillant des croupières à la RAI. En 1994/1995, il profita de l’effondrement des grands partis traditionnels, minés par des affaires de corruption, qu’il s’agisse de la démocratie chrétienne, des socialistes et même des communistes postsoviétiques, pour remporter les élections avec son parti « Forza Italia » formé trois mois plus tôt. Les Italiens rêvaient de changements et de réformes, mais ils n’en eurent guère et on connaît la suite que les gouvernements « technocratiques » de Fortis puis de Draghi ne sont pas parvenus à modifier. L’Italie n’est pas parvenue à reconstituer un paysage politique cohérent et est allée de coalition en coalition. La disparition de Berlusconi arrange en tout cas les affaires de Giorgia Meloni tant Berlusconi était devenu encombrant sur la scène nationale, mais surtout internationale.

Berlusconi aura été le symbole de la montée des populismes en Occident, de leur capacité à attirer des électeurs en les aveuglant avec du strass et des paillettes. Trump en est la réplique presque parfaite (affaires sexuelles comprises…). Mais l’histoire de ce côté-là n’est pas encore achevée.

 

10 juin 2023

 

Denis Kessler vient de disparaître. Dans l’univers des grands patrons, Denis était une personnalité atypique. Il avait après HEC fait le choix de la recherche économique notamment auprès de Dominique Strauss-Kahn. Spécialiste de l’économie du risque, il devint le directeur de la Fédération française des Assurances avant de rejoindre Axa. Battu par Henri de Castries pour la succession de Claude Bébéar, il se consacra alors au CNPF (devenu MEDEF) auquel il imposa une crise de jouvence… libérale. Denis était en effet un libéral assumé. Je me souviens de lui un soir à la Société d’Économie politique (qu’il m’avait demandé de présider). Nous recevions Anthony Giddens, le directeur de la LSE et l’auteur du livre sur la Troisième voie (The Third Way) qui avait inspiré le programme de Tony Blair. Très en verve, comme il savait l’être, Denis avait ce soir-là pulvérisé « dear Tony » en rappelant que le succès de Blair était dû au fait que Margaret Thatcher avait auparavant fait tout le travail de nettoyage et que Blair avait aussi été aidé par la rente pétrolière de l’époque !

Devenu ensuite patron de la SCOR, Denis fit ses preuves de dirigeant en sauvant le réassureur français et en en faisant un des acteurs majeurs de la réassurance mondiale. Peut-on lui reprocher de ne pas avoir préparé sa succession, d’être resté trop longtemps « la statue du commandeur ». Mais pour lui qui avait tant été (y compris président du siècle), il était difficile de n’être plus rien, à se battre contre la maladie qui l’a finalement emporté. Il savait être féroce, mais aussi fidèle et c’est cela qu’il faut retenir de son étonnant parcours.

 

8 juin 2023

 

En cette fin de printemps 2023, les marchés mondiaux s’inscrivent en recul souvent très marqué surtout si on les compare à la situation du printemps 2022. Qu’on en juge : les deux « stars » de 2022, le gaz naturel et le blé ont perdu, par rapport à leurs sommets, près de 90 % pour l’un et de la moitié pour l’autre de leur valeur. Début juin, le GNL cotait en Asie $ 8 le mbtu (contre $ 70 au plus haut en septembre) et en Europe 25 euros le MWh (contre plus de 300). Le blé à Rouen était à 220 euros la tonne (contre 430 en mai 2022). Mais ce n’est pas tout : en Europe, le prix de l’électricité a suivi celui du gaz ; en Asie, cela a été le cas du charbon. Parmi les produits agricoles, que dire des oléagineux à l’image de l’huile de palme et du colza, du coton parmi les matières premières agricoles. La tendance est identique pour les minerais et métaux : le minerai de fer importé par la Chine est à $ 100 la tonne (la moitié d’il y a un an) et le prix des aciers en repli. Il en est de même pour la plupart des métaux non ferreux dont les bilans s’annoncent excédentaires pour 2023 : le cuivre est revenu en dessous de $ 8 000 la tonne (contre plus de $ 10 000), mais la palme revient au nickel qui avait défrayé la chronique en 2022 avec quelques moments à $ 100 000 la tonne et qui aujourd’hui flirte avec la barre des $ 20 000. Parmi les métaux « électriques », lithium et cobalt connaissent le même passage à vide.

Peu de produits résistent à cette tendance : l’or bien sûr malgré les hausses de taux, mais qui profite comme à l’habitude des bruits de botte autour de $ 2 000 l’once. Parmi les produits agricoles, un peu en avance sur El Niño, citons le sucre et le jus d’orange alors que le café et le cacao résistent. La hausse des prix des viandes, notamment porcine, semble s’essouffler alors que le marché des produits laitiers et surtout du beurre s’est retourné.

Il reste bien sûr le pétrole qui ne réagit guère aux « sucettes » saoudiennes et autres manœuvres opepiennes et qui demeure pour l’instant dans une fourchette $ 75/80 pour le baril de Brent, tiré vers le bas par le dumping du pétrole russe. Même le marché de l’art est en retrait comme l’ont montré les résultats mitigés des ventes de New York.

Que se passe-t-il donc ? Chaque marché a bien entendu sa propre histoire, mais globalement, c’est la demande qui n’est pas au rendez-vous. L’Europe est officiellement en récession et beaucoup d’analystes estiment que ce pourrait être le cas des États-Unis en fin d’année (c’est ce qu’anticipe l’indicateur des directeurs d’achat). La principale inconnue est chinoise et les chiffres publiés alternent le chaud et le froid. La chute des prix de l’acier sur le marché intérieur n’est pas de bon augure en particulier pour le secteur de la construction. Les pays avancés commencent à sentir l’effet de la hausse des taux d’intérêt et nombre de pays que l’on croyait émergents s’enfoncent chaque jour un peu plus à l’image de la Turquie et de l’Argentine.

Du côté de l’offre au contraire, les productions augmentent qu’il s’agisse du pétrole et du gaz aux États-Unis, du nickel en Indonésie, du cuivre même. Pour les produits agricoles, il est encore tôt pour évaluer l’impact d’El Niño qui se fera sentir dès cet hiver dans l’hémisphère sud avec un fort recul des productions en Australie par exemple.

Il reste, bien sûr, la guerre en Ukraine et les menaces éventuelles sur Taïwan. L’or en profite, mais il est bien le seul !

 

5 juin 2023

 

« La sucette saoudienne » ! Telle est l’expression qu’a utilisée le ministre saoudien de l’Énergie (un frère de MBS) au sortir de la réunion de l’OPEP+ en annonçant que le royaume allait diminuer d’un million de barils/jour (de 10 à 9 mbj) sa production de pétrole et cela de manière unilatérale en plus des réductions de quotas en cours.

Il est vrai que la réunion avait été plutôt décevante et derrière le consensus apparent du communiqué, on sent maintes tensions. Les quotas ont été réajustés pour 2024 principalement à la baisse pour les pays comme l’Algérie et le Nigeria qui de toute manière ne parvenaient pas à les honorer. Il en a été de même pour la Russie. Seuls les Émirats ont obtenu une petite rallonge. L’OPEP+ anticipe toujours un marché déficitaire en fin d’année. L’objectif reste de remonter les prix au-delà des $ 80 le baril (base Brent), ce qui est à peu près le niveau de l’équilibre budgétaire pour l’Arabie saoudite (il faut bien financer les rêves de MBS et… quelques joueurs de football : le salaire de Benzema, c’est quand même l’équivalent de 3 500 barils/jours).

Alors, pour enfoncer le clou et montrer aux marchés sa détermination, l’Arabie saoudite (le seul pays disposant de marges de manœuvre) a décidé de cette coupure unilatérale. Dans un climat de marché marqué par le dumping du pétrole russe, il n’est pas sûr que cette « sucette » ait convaincu. Le Brent a à peine pris un dollar aujourd’hui.

 

2 juin 2023

 

Voilà la planète foot dévastée ! Karim Benzema quitte le Real Madrid. Il a lui aussi cédé aux sirènes saoudiennes (on parle d’un salaire annuel après impôts, X fois net, d’une centaine de millions d’euros) et il va rejoindre dans ce cimetière des gloires sportives Ronaldo et probablement Messi.

L’Arabie saoudite aurait, dit-on, l’objectif d’organiser une prochaine Coupe du Monde de football, histoire de rivaliser un peu plus avec le Qatar. Alors, l’objectif est de muscler le championnat national en faisant appel à des mercenaires de luxe qui n’ont plus rien à gagner en termes de gloire sportive et qui préparent leurs vieux jours financiers. Les quatre principaux « clubs » saoudiens sont désormais la propriété du fonds souverain, le PIF, qui détient $ 600 milliards. À terme, la ligue saoudienne deviendrait un championnat de référence au niveau mondial. Rappelons aussi que le PIF a racheté le club anglais de Newcastle en 2021.

On ne peut en vouloir à Benzema qui n’avait fait que deux clubs (Lyon et le Real) et qui va probablement souffrir sous le soleil saoudien. Mais ce qui est fascinant, c’est qu’il y ait encore des amateurs de football, des supporters pour des clubs et des joueurs dont la seule mesure reste l’argent, dans ce cas celui du pétrole qui peut tout acheter sauf le bonheur… en Arabie saoudite pour les millions d’esclaves qui y travaillent.

31 mai 2023

 

Les premiers chiffres sur le début du printemps chinois inquiètent. Après le coup de tonnerre démographique bien au-delà du Covid, et la relative modestie des prévisions de croissance officielles (5 %), les données disponibles sur avril et mai sont manifestement en deçà même de cet objectif : la production industrielle ne progresse que de l’ordre de 5 %, bien loin des 10 % habituels avant le Covid et alors que l’on devrait avoir un effet de rattrapage. La demande d’acier (pour la construction), de cuivre stagne voire diminue et sur le marché chinois les prix des matières premières baissent qu’il s’agisse des ronds à béton, du minerai de fer (à moins de $ 100 la tonne), du lithium pour les batteries, du nickel…

Le rebond post zéro-covid tant attendu n’est manifestement pas au rendez-vous. La Chine souffre certes de la morosité occidentale, mais faute d’exportations, la demande intérieure ne parvient pas à compenser alors que la crise immobilière reste entière.

Mais au fond, une question plus fondamentale commence à se poser. Ne sommes-nous pas proches du « Peak China », de ce moment où la Chine en aura fini d’émerger et rejoindre nos vieilles nations industrielles soumises aux aléas conjoncturels et, à l’image extrême du Japon, à la croissance zéro éternelle. Il est encore un peu tôt pour en juger, mais le « Peak China » et son déclin éventuel est plus proche que nous ne le pensons.

 

26 mai 2023

 

Un peu partout dans le monde s’érigent des barrières commerciales, mais aussi politiques et parfois idéologiques. La tenue du G7 au Japon en a été une illustration. Ce fut presque une réunion OTAN/OTASE avec un champ plus large en matière économique. Au même moment, le mouvement des BRICS semble se structurer autour d’un axe chinois dominant, mais englobant la Russie : l’Arabie saoudite est candidate à intégrer ce nouveau club et le Brésilien Lula (qui vient de recevoir Maduro au Brésil) a même proposé que le Venezuela en devienne membre… On aurait au fond une structuration bipolaire de l’espace mondial.

La réalité est différente : dans les années cinquante, il y avait certes l’Ouest et l’Est, mais aussi ceux qui se réunirent à Bandoeng pour constituer le mouvement des « non-alignés », souvent plus proches de l’Est comme Nasser, mais jouant aussi d’un subtil équilibre comme Nerhu. Alfred Sauvy forgea alors l’expression de « Tiers-Monde » qui à l’origine définissait ceux qui n’étaient ni du premier ni du deuxième monde. Depuis, l’expression Tiers-Monde a pris une connotation misérabiliste et on ne peut pas l’utiliser pour définir le jeu de balance que s’appliquent à mettre en œuvre l’Inde de Modi, la Turquie d’Erdogan et même dans une certaine mesure le Brésil de Lula. C’est un monde tripolaire (au moins) qui se constitue avec des frontières bien floues et des alliances souvent imprécises.

 

23 mai 2023

 

Présentation du trente-septième rapport CyclOpe. Cette année le titre choisi en est « Les cavaliers de l’Apocalypse ». Ceci peut surprendre et même donner l’impression d’un pessimisme excessif. En fait, dans l’apocalypse de Jean (qui n’est probablement pas l’évangéliste), le Seigneur envoie quatre cavaliers portant « la guerre, la peste, la famine et les bêtes sauvages » pour éprouver l’humanité. Ces quatre cavaliers sont bien les quatre défis auxquels le monde a été confronté le monde en 2022 et 2023 : la guerre en Ukraine et ailleurs comme au Soudan ; la peste, c’est-à-dire les pandémies qu’elles soient humaines (le Covid) ou animales ; la famine liée aux tensions des marchés agricoles ; les bêtes sauvages, c’est-à-dire aujourd’hui la nature et donc le climat.

En ce printemps 2023, les deux cavaliers les plus marquants sont la guerre et le climat : la guerre bien sûr en Ukraine, mais aussi ses conséquences en termes de fractures géopolitiques et puis les guerres civiles et leurs conséquences en termes de famine ; les guerres dont on ne voit pas le terme tant la folie des hommes continue à marquer le monde. Le climat est l’autre cavalier marquant avec les menaces du réchauffement, avec sécheresses et calamités, avec le retour probable d’El Niño. Et puis peut-on oublier les pertes ?

 

Mais contrairement à ce que l’on pense, le discours apocalyptique est un ménage d’espérance. Les justes doivent se préparer. C’est aujourd’hui ce que font certains, mais… pas tous !

 

19 mai 2023

 

C’est symboliquement à Hiroshima que se réunit le G7. Ce lieu de mémoire, symbole dela guerre nucléaire et de la victoire ultime des Alliés sur le Japon accueille un G7 tout revigoré, redevenu le sommet des grandes démocraties occidentales face au reste du monde (même si, cette année, Modi et Lula sont invités sur un strapontin).

À l’origine, à l’invitation de Valéry Giscard d’Estaing, le G7 devait être une aimable conversation au coin du feu permettant aux dirigeants de la planète de mieux se connaître. Au fil des ans, il est devenu une grande machinerie avec sherpas et communiqués soigneusement préparés. Un temps, il fut un G8 et à l’époque de Trump plutôt un G6. La crise financière de 2008 poussa à une ouverture au reste du monde avec le G20 qui n’a pas vraiment convaincu et qui ces dernières années a perdu toute crédibilité, les pays émergents préférant manifestement le nouveau club des BRICS mené par la Chine.

Paradoxalement, la guerre en Ukraine a eu le mérite de clarifier les choses : tous les pays du G7 ont choisi leur camp (et même au-delà si on compte l’Europe comme un tout). Le G7 n’a plus d’ambition planétaire, mais devient l’équivalent politique et économique de l’OTAN : ainsi les sanctions prises à l’encontre de la Russie l’ont-elles été au niveau du G7 dont les réunions ministérielles se sont multipliées.

À Hiroshima, on parlera donc de la Russie et puis aussi – et peut-être surtout – de la Chine. L’invitation faite à l’Inde et au Brésil n’est pas neutre même si la fracture est de plus en plus béante : « West versus the rest » ? C’est là le danger d’une nouvelle guerre froide.

 

17 mai 2023

 

Les Russes ont joué la montre jusqu’au bout, mais ils ont finalement accepté de renouveler l’accord sur le corridor céréalier de la mer Noire qui expirait ce soir. La probable victoire d’Erdogan en Turquie a dû avoir un impact tant le président turc y avait engagé son image de « neutralité active » entre l’Ukraine et la Russie.

Le renouvellement de cet accord est bien sûr très positif pour l’Ukraine, mais en faire un élément déterminant pour la solution du problème alimentaire mondial est bien exagéré. L’Ukraine n’est pas en effet le « grenier à blé » du monde dont tout le monde parle. L’Ukraine est avant tout un producteur de maïs. Pour la campagne 2023/2024, une Ukraine diminuée certes, devrait produire 16,2 Mt de blé et 22,9 Mt de maïs. Son potentiel exportateur serait de 8,8 Mt de blé (moins que la France…) et de 18,2 Mt de maïs. Le maïs ukrainien est utilisé en alimentation animale et importé par des pays comme la Chine ou l’Espagne. En cette période de l’année, c’est pour l’essentiel du maïs que l’Ukraine exporte, la campagne de blé étant presque terminée. Le grand exportateur de blé de la région est la Russie qui se plaint de difficultés du fait des réticences des banques occidentales à financer ses transactions. C’est d’ailleurs cela qui expliquait les lenteurs russes à renouveler l’accord.

À début mai, l’Ukraine avait exporté sur la campagne 2022/2023, 41,6 Mt de céréales dont 30 Mt sont passés par le corridor céréalier (600 000 tonnes de blé ont été acquises par le Programme alimentaire mondial pour les pays les plus touchés par la faim). Le reste avait transité par les voisins européens, ce qui n’a pas manqué de causer quelques perturbations sur les marchés en Pologne et en Roumanie. De ce point de vue, l’accord est une bonne nouvelle pour l’UE. Depuis l’année dernière, les prix ont fortement baissé sur les marchés mondiaux. C’est cela la vraie bonne nouvelle pour le reste du monde.

 

16 mai 2023

 

Il semble bien qu’Erdogan ait gagné ! Il y aura en tout cas un second tour pour l’élection présidentielle, mais le président turc sortant a une avance de 5 % et un réservoir potentiel équivalent avec les 5 % du troisième candidat, un nationaliste conservateur. L’opposition paye son éparpillement, son ambivalence face au problème kurde, l’âge peut-être aussi de son candidat. Erdogan a su rallier au moins la moitié de l’électorat turc (avec probablement de son côté une surreprésentation de la diaspora en Europe) à son modèle d’islamisme ottoman, à l’image aussi d’une Turquie qui joue dans la cour des grands, qui tient l’équilibre entre la Russie et l’Ukraine (du gaz russe, mais des drones pour l’Ukraine…), qui fait languir l’OTAN à propos de l’adhésion suédoise, qui est partie prenante des conflits autour de l’Arménie en soutenant l’Azerbaïdjan.

La situation économique aurait dû pourtant servir l’opposition, tant elle est catastrophique. La livre turque n’en finit pas de s’effondrer : l’euro qui valait encore 10 000 livres il y a deux ans en cote près de 22 000 aujourd’hui et les marchés ont encore dévissé à l’annonce de la « victoire » d’Erdogan. Comme beaucoup de politiques dans le monde, celui-ci n’a aucune appétence pour les contingences économiques. Ce qui fut le « miracle turc » (dont un des pères Kemal Devis vient de disparaître) est aujourd’hui en lambeaux. Les dernières promesses électorales, qui ont peut-être permis à Erdogan de l’emporter, vont creuser un peu plus les déficits. Il y a là presque en perspective un scénario à l’Argentine avec Erdogan dans le rôle de Peron. L’Argentine n’en est jamais sortie.

 

15 mai 2023

 

En ce printemps 2023, les quatre cavaliers de l’Apocalypse (le titre du rapport CyclOpe 2023 publié le 23 mai) sont bien présents. La guerre fait rage en Ukraine : depuis décembre, la Russie a perdu 100 000 hommes, blessés ou tués, ce qui peut expliquer la modestie de la parade militaire du 9 mai sur la place Rouge. On attend maintenant la contre-offensive ukrainienne dont nul n’imagine qu’elle puisse être définitive. Mais la guerre c’est aussi l’affrontement des généraux au Soudan, les tensions au Pakistan, les menaces sur Taiwan. La fracture du monde est bien réelle. La peste (et pour nous le covid) a marqué le pas et dans bien des pays masques et confinements sont oubliés. Mais la menace demeure comme celle de tant d’épidémies et de pandémies humaines et animales. La famine ne fait plus la une de l’actualité grâce au repli des prix agricoles mondiaux, mais elle reste une réalité dans de nombreux pays où elle est fille de la guerre et de la malgouvernance. La nature, par contre, poursuit ses lentes mutations et les prévisions les plus pessimistes semblent devoir se réaliser avec des vagues de chaleur en Asie et la sécheresse déjà en Europe sans oublier le retour précoce d’El Niño.

Ajoutons à ce tableau une situation économique contrainte par des hausses de taux dans la plupart des pays occidentaux menant certains (en Europe et surtout en Allemagne) au bord de la récession, une reprise poussive en Chine et des doutes dans bien des pays autrefois émergents, du Brésil à l’Afrique du Sud. Seule la détente énergétique apporte un ballon d’oxygène (et demain peut-être d’hydrogène) à ce panorama mondial un peu déprimant. Dans ce contexte, les politiques se débattent entre parcimonie budgétaire et maintien nécessaire des filets de l’État-providence tout en renforçant peu à peu leurs appareils protectionnistes.

Il y a un peu plus de vingt ans, les problématiques à la mode étaient celles du « choc des civilisations » et de la « fin de l’histoire ». Ni l’une ni l’autre ne sont aujourd’hui encore d’actualité : les clivages sont redevenus avant tout politiques et les fractures sont de plus en plus marquées. Il reste certes des lambeaux de la mondialisation dans les modèles de consommation, dans les migrations aussi pourtant de plus en plus contraintes. Mais la page du rêve de la « mondialisation heureuse » est bien tournée.

Il reste quand même bien des points positifs pour l’humanité. De nos quatre cavaliers, seul celui lié à la folie des hommes reste dominant, apportant ça et là son cortège de famines. La prise de conscience des risques liés à la nature et au climat laisse quelque espérance pour les générations futures qui, malgré les pandémies, vivront plus longtemps et peut-être mieux. Les textes des apocalypses des premiers siècles étaient aussi des messages d’espérance, cette espérance que célébrait Péguy :

« ma petite espérance n’est rien que cette promesse de bourgeon qui s’annonce au fin commencement d’avril… Sans ce bourgeon qui n’a l’air de rien, qui ne semble rien, tout cela ne serait que bois mort »

C’est cela aussi le printemps !

 

14 mai 2023

 

$ 66 200 milliards, fin 2022, tel était le total de la dette publique mondiale. En un an, la dette a augmenté de 7,6 % et en fait elle a doublé en onze ans. Le ratio dette publique sur PIB est de 78 % (en 2020, au cœur de la crise Covid, il a dépassé les 80 %). En réalité, la dette publique mondiale a littéralement explosé à partir de 2020 et le mouvement devrait se poursuivre avec des prévisions pour 2025 à près de $ 80 000 milliards. Mais ce qui était supportable hier avec des taux négatifs pour les mieux lotis le sera de moins en moins demain : la charge des intérêts devrait presque tripler entre 2020 et 2025 à près de $ 3 000 milliards.

Il y a certes la mauvaise gestion de nombre de pays plus ou moins émergents de la Turquie à l’Argentine ou au Ghana. Mais le « quoiqu’il en coûte » universel a eu un prix : en Europe, la dette publique per capita est de $ 50 000 en France et en Italie, de $ 46 000 au Royaume-Uni, de $ 33 000 « seulement » en Allemagne. En termes constants, la dette française a augmenté de $ 10 000 par personne depuis 1995. Mais le pire provient des États-Unis dont la dette publique totale s’élevait fin 2022 à $ 24 800 milliards, 37 % de la dette mondiale, bien au-delà de la part américaine du PIB mondial. Chaque Américain porte quelques $ 75 000 de dette publique. Il n’a pas à s’en inquiéter outre mesure : personne n’imaginerait dégrader la dette américaine puisque dans le système monétaire actuel, les États-Unis ont le privilège de l’emprunteur en dernier recours : le reste du monde finance les déficits américains et paradoxalement aujourd’hui les largesses protectionnistes de l’IRA. Mais les Treasury Bonds restent « as good as gold » !

  

15 mai 2023

 

En ce printemps 2023, les quatre cavaliers de l’Apocalypse (le titre du rapport CyclOpe 2023 publié le 23 mai) sont bien présents. La guerre fait rage en Ukraine : depuis décembre, la Russie a perdu 100 000 hommes, blessés ou tués, ce qui peut expliquer la modestie de la parade militaire du 9 mai sur la place Rouge. On attend maintenant la contre-offensive ukrainienne dont nul n’imagine qu’elle puisse être définitive. Mais la guerre c’est aussi l’affrontement des généraux au Soudan, les tensions au Pakistan, les menaces sur Taiwan. La fracture du monde est bien réelle. La peste (et pour nous le covid) a marqué le pas et dans bien des pays masques et confinements sont oubliés. Mais la menace demeure comme celle de tant d’épidémies et de pandémies humaines et animales. La famine ne fait plus la une de l’actualité grâce au repli des prix agricoles mondiaux, mais elle reste une réalité dans de nombreux pays où elle est fille de la guerre et de la malgouvernance. La nature, par contre, poursuit ses lentes mutations et les prévisions les plus pessimistes semblent devoir se réaliser avec des vagues de chaleur en Asie et la sécheresse déjà en Europe sans oublier le retour précoce d’El Niño.

Ajoutons à ce tableau une situation économique contrainte par des hausses de taux dans la plupart des pays occidentaux menant certains (en Europe et surtout en Allemagne) au bord de la récession, une reprise poussive en Chine et des doutes dans bien des pays autrefois émergents, du Brésil à l’Afrique du Sud. Seule la détente énergétique apporte un ballon d’oxygène (et demain peut-être d’hydrogène) à ce panorama mondial un peu déprimant. Dans ce contexte, les politiques se débattent entre parcimonie budgétaire et maintien nécessaire des filets de l’État-providence tout en renforçant peu à peu leurs appareils protectionnistes.

Il y a un peu plus de vingt ans, les problématiques à la mode étaient celles du « choc des civilisations » et de la « fin de l’histoire ». Ni l’une ni l’autre ne sont aujourd’hui encore d’actualité : les clivages sont redevenus avant tout politiques et les fractures sont de plus en plus marquées. Il reste certes des lambeaux de la mondialisation dans les modèles de consommation, dans les migrations aussi pourtant de plus en plus contraintes. Mais la page du rêve de la « mondialisation heureuse » est bien tournée.

Il reste quand même bien des points positifs pour l’humanité. De nos quatre cavaliers, seul celui lié à la folie des hommes reste dominant, apportant ça et là son cortège de famines. La prise de conscience des risques liés à la nature et au climat laisse quelque espérance pour les générations futures qui, malgré les pandémies, vivront plus longtemps et peut-être mieux. Les textes des apocalypses des premiers siècles étaient aussi des messages d’espérance, cette espérance que célébrait Péguy :        
« ma petite espérance n’est rien que cette promesse de bourgeon qui s’annonce au fin commencement d’avril… Sans ce bourgeon qui n’a l’air de rien, qui ne semble rien, tout cela ne serait que bois mort »

C’est cela aussi le printemps !

 

11 mai 2023

 

Le prix de l’essence fait encore la une ! Les raisons habituelles (le pétrole et le dollar) n’en sont pourtant pas la cause. Malgré les efforts de l’OPEP, le baril de Brent est redescendu au-dessous de $ 80 et cotait ces jours derniers à peine un peu plus de $ 75 sans véritables perspectives de hausse à court terme. Quant à l’euro, il s’est plutôt apprécié par rapport au dollar (1,09), même si là les perspectives sont plus négatives. Pourtant à la pompe en France, les prix restent élevés : autour de € 1,80 le litre pour le SP95. Cette faible élasticité des prix à la baisse a une explication simple : la marge brute de la distribution a fortement augmenté. Si on prend la différence entre le prix à Rotterdam (la référence pour les prix de gros des produits pétroliers en Europe) et le prix hors taxe à la pompe, le résultat est de l’ordre de 30 centimes du litre. À titre de comparaison extrême, il y a un an lorsque les prix à la pompe dépassaient les € 2 le litre, cette marge brute était négative, ce qui veut dire que l’essence était vendue à perte ! Marge brute n’est pas bien sûr marge nette. Il faut tenir compte des coûts de transport, de commercialisation et des contraintes qui pèsent sur certains carburants. Mais les 30 centimes évoqués plus haut, même s’il faudrait raisonner en moyennes mensuelles ou trimestrielles, paraissent bien élevés. Certes, il y a probablement un effet de rattrapage, l’impact encore des grèves dans les raffineries et les dépôts de carburants, mais aussi peut-être le fait que le temps du carburant à prix coûtant, produit d’appel de la grande distribution, que ce temps-là est révolu.

 

10 mai 2023

 

L’Allemagne est très probablement en récession. Certes, officiellement, la croissance du PIB allemand au premier trimestre 2023 aurait été de zéro. Pour parler de récession, il faut – on le sait – cumuler deux trimestres négatifs de suite. L’Allemagne avait été dans le rouge au dernier trimestre 2022. Un simple zéro au premier trimestre 2023 permettait de sauver ainsi la face.

Le problème est qu’il s’agit là de premières estimations et que l’économie n’est pas une science exacte (il faut attendre deux ou trois ans pour disposer de données conjoncturelles à peu près fiables). Or ce que l’on sait du mois de mars est inquiétant : la production industrielle allemande a diminué de 3,4 % tirée vers le bas par l’industrie automobile en chute de 6,4 %. Les ventes de détail ont perdu 2,4 %, les exportations 5,2 %. Avec de pareils chiffres, une correction des données du PIB pour le premier trimestre est probable et l’Allemagne devra admettre la réalité d’une récession qui touche d’ailleurs tout le nord de l’Europe.

Mais le cas allemand est plus inquiétant, car il se double d’une crise politique : la coalition au pouvoir est de plus en plus fragile. Si les ministres « verts » font un parcours presque sans fautes tel n’est le cas ni du FDP ni surtout du SPD et du chancelier Olaf Scholz qui ne parvient pas à sortir les Allemands de leurs sentiments d’« ungemütlichkeit ».

 

8 mai 2023

 

Après les fastes de la monarchie britannique, ceux de la « monarchie républicaine » française faisaient aujourd’hui’d’hui bien pâles figures. Certes, la célébration du 8 mai n’est pas essentielle et on peut préférer le choix anglo-saxon de tout concentrer sur le 11 Novembre et d’en faire la journée de la mémoire des guerres et de toutes les guerres. Mais en France, toucher à un jour férié et presque aussi difficile que de modifier l’âge de départ à la retraite…

Mais que ce 8 mai était triste à Paris, à l’Arc de Triomphe. Pour éviter tout risque de « casserolades », le périmètre était bouclé : les Champs-Élysées étaient vides et les tribunes d’honneur presque clairsemées. Le temps était gris, la cérémonie fort simple, mais mettant un peu plus en évidence l’immense solitude d’Emmanuel Macron. C’est là certes le lot d’un président en France qui connaît le vertige d’une monarchie presque absolue, mais solitaire. Mais, consciemment ou non, Emmanuel Macron a éliminé tous les corps intermédiaires, politiques, syndicaux ou autres, privilégiant des contrats « directs » dont il peut mesurer aujourd’hui l’artificialité.

Sa solitude en ce 8 mai en serait presque émouvante si elle n’augurait de difficiles lendemains pour la France et sa curieuse monarchie républicaine.

 

6 mai 2023

 

Il y avait encore là tout le savoir-faire de « la firme ». Le couronnement de Charles III fut un superbe spectacle plongeant loin dans les racines de la monarchie britannique et, malgré tous les scandales qui ont marqué la famille royale ces dernières années, il faut reconnaître que la personnalité pour le moins originale du nouveau roi semble faire l’unanimité y compris chez les républicains britanniques.

Mais il faut insister sur une dimension de cette cérémonie qui, en 2023, a pu surprendre : son caractère profondément religieux. Au-delà du fait que Charles III devient nominalement le chef de l’Église anglicane (il en est ainsi depuis Henry VIII), la dimension religieuse de ce couronnement, faisant de Charles « l’oint du Seigneur », a dominé toute la cérémonie. C’était d’autant plus frappant que la déchristianisation est aussi une réalité au Royaume-Uni, peut-être encore plus qu’ailleurs en Europe : les églises y sont désaffectées, transformées en « lofts » ; l’islam y est la première religion pratiquée. Et pourtant, Charles III s’est inscrit dans sa foi chrétienne tout en ouvrant largement la cérémonie aux autres religions : l’épître a été lue par un hindou (le Premier ministre…), le grand rabbin d’Angleterre et des dignitaires musulmans étaient au premier rang. Ce fut en tout cas une belle leçon pour la laïcité à la française…

 

5 mai 2023

 

Dégradation… On imagine le roulement de tambour dans la cour de la caserne : les épaulettes arrachées, le sabre brisé…

C’est un peu à cela que nous venons d’assister : le roulement de tambours des marchés, les mains griffues arrachant un A des décorations françaises. Fitch a dégradé la France !

L’exercice, franchement, tient du ridicule : dégrader la dette souveraine d’un pays du G7, appartenant par ailleurs à la zone euro, n’a guère de sens. Le cœur du métier des conseils de guerre des agences de notation ce sont les entreprises et les établissements financiers et, là, leur aveuglement est proverbial des subprimes de 2008 aux malheureuses banques américaines de 2023. La dégradation de Fitch n’est qu’une piqûre de mouche qui se traduira quand même par quelques points de base supplémentaires dans les grilles des investisseurs institutionnels.

Il faut néanmoins reconnaître que les bases de l’analyse de Fitch sont fondées. La France vit au-dessus de ses moyens et le rééquilibrage des comptes publics se heurte à la nature même du « système » français qui, depuis le covid, a presque institutionnalisé le « quoiqu’il en coûte ». La perte d’un galon est presque secondaire, mais si cela fait mal, c’est que tous, nous savons que c’est un peu mérité !

 

3 mai 2023

 

En 2022, les dix principaux « traders » en pétrole et en gaz ont dégagé $ 77 milliards de bénéfices, plus du double de 2021. D’un côté $ 37 milliards pour les trois grandes compagnies énergétiques européennes (pour leurs seules activités de trading) : Shell ($ 16,4 milliards), Total ($ 11,5 milliards) et BP ($ 8,4 milliards). Curieusement, les compagnies américaines (Exxon, Chevron) sont absentes : le trading ne fait pas partie de l’ADN des Américains qui restent profondément des prospecteurs. Avec 14 millions de barils équivalent pétrole par jour, Shell est le premier négociant mondial de pétrole et de gaz. Il dépasse les « traders » traditionnels qui pourtant en 2022 n’ont pas démérité : Vitol ($ 15 milliards), Trafigura ($ 8,5 milliards), Gunvor ($ 5,4 milliards), Mercuria ($ 4,9 milliards). Là, on est en Europe puisque les trois derniers ont leur siège à Genève. Ces quatre-là (il faudrait y rajouter Glencore) ont cumulé $ 34 milliards de profits en 2022.

Cela n’est guère surprenant : en temps de forte volatilité et de tensions géopolitiques, le trading est plus indispensable que jamais et dégage pour les entreprises, disposant des capacités de gestion des risques les plus affûtées, d’incontestables opportunités de profitabilité. Le négoce international connaît bien ces alternances de vaches grasses et de vaches maigres. Mais la dépendance – nouvelles – des majors au trading peut surprendre pour des sociétés cotées (ce que ne sont pas les traders). Tout va bien aujourd’hui, mais demain ?

 30 avril 2023

 

Voilà donc LVMH qui passe la barre symbolique des $ 500 milliards de capitalisation boursière. L’entreprise française de luxe domine largement sa catégorie et s’installe au dixième rang mondial, loin, certes, derrière les géants de la « tech » menés par Apple et consorts, le seul intrus étant Saudi Aramco, ultime survivant des splendeurs pétrolières (longtemps Exxon fut la première capitalisation mondiale, mais ce temps-là est bien révolu). LVMH est dans ce classement juste derrière Tesla, de loin, la première capitalisation automobile : le temps de General Motors est encore plus lointain…

Le luxe est au fond l’autre grand gagnant de ce qu’il reste de la mondialisation. Celle-ci a creusé les inégalités et engendré une classe de « nouveaux grands et petits riches » qui ont adhéré avec passion aux codes du luxe. Beaucoup plus que le nucléaire ou l’armement, le luxe est le domaine d’excellence de la France et il faut reconnaître que les groupes français ont là damé le pion de leurs homologues italiens.

Au passage, Bernard Arnault est devenu l’homme le plus riche du monde. Pourquoi pas ? L’homme sait rester discret. À la différence de ses homologues américains, sa générosité est fort limitée (le financement de la Fondation Vuitton relève du scandale fiscal, mais tout à fait légal). Et son comportement récent dans la presse (Les Échos) peut inquiéter…

 

29 avril 2023

 

la lecture d’un roman replonge dans l’univers de la Russie postsoviétique. « Oligarque » de Elena B. Morozov conte l’histoire de l’ascension et de la fin tragique d’un oligarque. On part du fonds de l’URSS, de Perm, d’un jeune ingénieur qui participe aux privatisations de l’époque Yeltsin. On le retrouve en 2008, au moment de la crise des subprimes en train de prendre le contrôle d’une vieille banque britannique qui ressemble un peu à la Barings. En 2020, il est piégé par la crise du Covid et puis aussi par les réseaux du pouvoir russe. Le roman se termine là où il avait commencé, dans un cimetière à Perm.

Le lecteur ne peut qu’être admiratif de la connaissance qu’a l’auteur des arcanes postsoviétiques, des détails de la crise financière de 2008 (heure par heure, la chute de Lehman), des arcanes de La City et de l’aristocratie britannique, de la France aussi, à la limite du caricatural, mais avec des détails (des polytechniciens passés par Ginette) qui ne trompent pas : l’auteur derrière le pseudonyme est probablement Français, financier et familier de Londres. Tout ce qui est raconté est non seulement plausible, mais comporte nombre de faits réels, parfois un peu arrangés. Voilà un des romans les plus brillants à emmener cet été (édité chez Grasset).

 

27 avril 2023

 

L’annonce officielle de la candidature de Joe Biden ne surprend guère tant elle était attendue. Les seuls doutes portaient sur l’âge de l’impétrant qui – s’il est réélu – terminerait son deuxième mandat à 86 ans ! L’un des éléments qui avaient joué en sa faveur il y a trois ans était justement qu’il ne ferait qu’un seul mandat étant donné son âge. Le choix de la vice-présidente, Kamala Harris, avait été beaucoup commenté dans la mesure où elle paraissait devoir être le choix naturel des démocrates pour 2024.

Plusieurs facteurs semblent avoir joué. Après un début catastrophique (Kabul), Joe Biden, en vieux routier du Capitole, a admirablement manœuvré le Congrès et l’adoption de l’IRA a été un coup de maître. De son côté, Kamala Harris n’a pas fait la percée attendue (même si Joe Biden a décidé de la garder pour son éventuel deuxième mandat). Et puis, surtout, il y a Donald Trump ! Malgré ses ennuis judiciaires, il reste un épouvantail pour les démocrates et dans ce cas, l’âge de Biden – et même ses absences – n’est plus un handicap.

Biden/Trump en 2024 ? Cela devient tout à fait possible. Une chose est claire : la démocratie américaine a été longtemps capable de faire émerger des figures jeunes et nouvelles (Clinton, Obama). Ce n’est manifestement plus le cas : les États-Unis se rapprochent de la Chine !

 

21 avril 2023

 

Dans quelques jours, l’Inde sera le pays le plus peuplé du monde. Elle devrait dépasser la Chine avec 1 428 millions d’habitants, contre 1425 pour l’Empire du Milieu. Dans l’un et l’autre cas, l’orientation est à la baisse de la natalité, mais dans le cas chinois, la tendance démographique semble dramatiquement irréversible. En 2022, la Chine a déjà perdu 850 000 habitants. Le taux de natalité (6,77 ‰) reste désespérément bas. La politique de l’enfant unique – même s’il elle a été assouplie et en partie abrogée – a marqué les mentalités de toute une génération. Les projections des Nations unies donnent en 2100 une population chinoise de 767 millions d’habitants, la moitié de la population actuelle. C’est là le talon d’Achille de la Chine du XXIe siècle : les équilibres économiques et sociaux seront impossibles à respecter, d’autant que la population sera de plus en plus âgée et dépendante. Certes, le Japon connaît déjà ce défi, mais la société y est plus consensuelle, à l’opposé de la volonté de Xi de faire de la Chine la puissance planétaire du XXIe siècle.

Quant à l’Inde, son virage démographique sera donc plus tardif. Mais elle a déjà relevé un défi : celui de nourrir 1,4 milliard d’hommes et même d’exporter un peu de produits agricoles. Quand l’Inde s’éveillera !

 

18 avril 2023

 

Si l’on parle beaucoup aujourd’hui de l’approvisionnement en métaux critiques pour la transition énergétique, si la France et l’Allemagne envisagent de se doter de stocks ou au moins de filières allant de la mine à la métallurgie, on a un peu oublié que ce fut un sujet stratégique, il y a déjà une quarantaine d’années, pour les principaux pays occidentaux.

À l’époque, la fin des années soixante-dix, la géographie minière mondiale était marquée par l’héritage de la guerre froide entre l’Est et l’Ouest. Nombre de ressources minières comme le cuivre de Pologne, le chrome d’Albanie et bien sûr tous les métaux du monde soviétique étaient hors d’atteinte pour les industries d’armement de l’Ouest. Mais une région inquiétait tout particulièrement : c’était l’Afrique australe. En Afrique du Sud, la fin anticipée de l’apartheid entraînait un risque de déstabilisation de toute la région sans compter les guerres civiles qui ensanglantaient l’Angola, le Mozambique, le Zimbabwe ainsi que l’instabilité chronique du Zaïre (la RDC actuelle)) et de la Zambie. Il y avait là des ressources essentielles en platinoïdes, en vanadium, en chrome, en cobalt et, bien sûr, en cuivre.

Un pays avait historiquement une politique stratégique. Les États-Unis avaient constitué leur stock – qui existe toujours – au moment de la guerre de Corée : à l’origine, il s’agissait de détenir cinq années de consommation d’une centaine de produits, de l’arsenic au vanadium. À l’arrivée de Ronald Reagan au pouvoir (et avec le début de la guerre des étoiles), le stock américain reprit ses achats, du cobalt zaïrois par exemple en 1981. D’autres pays occidentaux adoptèrent alors des stratégies identiques. En 1979, ce fut le cas de la France dont le stock était financé par la Caisse française des Matières premières au travers d’un emprunt initial de 500 millions de francs. Au lendemain des Falklands, en 1983, la Grande-Bretagne fit de même tout comme le Japon et dans une moindre mesure l’Allemagne.

À l’exception du stock américain, les efforts des pays européens ne résistèrent pas à la normalisation géopolitique et surtout à l’effondrement de l’URSS. Les marchés des métaux entrèrent dans une longue période de déclin des prix et plus personne ne s’inquiéta des risques de ruptures d’approvisionnement, même en tenant compte de l’émergence industrielle de la Chine et du développement de ses activités métallurgiques.

L’heure du réveil est donc bien cruelle en particulier pour l’Europe qui ne dispose que de maigres ressources minières, limitées de surcroît par les restrictions environnementales. L’accélération de la transition énergétique a un « coût métallique » qui se paie en termes de dépendance. Alors voilà revenu le temps des stocks ou plutôt des fonds souverains pour sécuriser en partie un approvisionnement plus aléatoire que jamais : l’Allemagne et la France semblent s’y engager en ordre dispersé, mais c’est au niveau de l’Europe qu’il faudrait agir. La balle est à Bruxelles… avec ses lenteurs !

 

17 avril 2023

 

Deux icônes des « Trente Glorieuses » (celles du siècle dernier) viennent de disparaître : Mary Quant et Tupperware. Chacune à sa manière fut un des symboles de ce que les Anglo-saxons qualifièrent de « Golden fifties and Silver sixties ».

Parlons de Tupperware tout d’abord. Avec ses boîtes hermétiques, inventées par l’Américain Earl Tupper en 1946, permettant la conservation des aliments (dans un réfrigérateur, l’autre grande innovation des cuisines), le plastique fait irruption dans la vie quotidienne. Roland Barthes dans ses mythologies rédigées à la fin des années cinquante en est alors le témoin et il célèbre cette « substance ménagère, cette matière première magique qui consent au prosaïsme ». Avec les Tupperware, c’est un peu de l’« american way of life » qui pénètre dans les cuisines françaises. Et cela d’autant plus que l’entreprise choisit un mode de commercialisation original qui marquera toute une génération de femmes, pour l’essentiel issues des classes moyennes, de cette petite bourgeoisie qui, en ces années connaît une période de prospérité sans précédent : ce fut la « démonstration-vente à domicile ». Tupperware visait la femme au foyer, largement majoritaire alors dans ce milieu social. Des réunions de démonstration étaient organisées permettant à quelques voisines et amies de se retrouver et d’assister à une présentation d’une gamme de produits de plus en plus vaste importée des États-Unis puis fabriquée en Europe, d’abord en Belgique (1961) puis en France (1973). Si l’entreprise sut faire évoluer sa gamme de produits en fonction des innovations dans les cuisines comme le micro-ondes, elle fut par contre victime de la mondialisation des marchés, de la concurrence de produits à bas coûts et surtout de l’érosion des « réunions Tupperware » alors que de plus en plus de femmes prenaient le chemin de la vie professionnelle. Début avril 2023, l’entreprise américaine, dont le chiffre d’affaires n’était plus que de $ 1,3 milliard, se battait pour sa survie.

Mary Quant vient de disparaître à 93 ans. Dame Mary (elle avait été anoblie par la reine) avait ouvert son premier magasin à Londres sur Kings Road en 1955. C’est là qu’elle « inventa » la mini-jupe qui devint rapidement l’uniforme de toute une adolescence, puis jeunesse, qui trouva en Mary Quant et en son mannequin fétiche, Twiggy, son modèle : c’était là tout simplement les enfants des dames qui participaient aux réunions Tupperware, ces enfants de la classe moyenne française qui découvraient l’Angleterre au travers des séjours linguistiques et qui se détournaient des shetlands et autres kilts pour visiter Carnaby Street où Mary Quant avait d’ailleurs installé une boutique. À la différence des couturiers français (comme Courrèges lui aussi adepte de la mini-jupe, mais plus tard en 1964), Mary Quant joua très vite la carte de la diffusion de masse en signant des accords avec des chaînes de magasins populaires comme JC Penney aux États-Unis. Il reste d’elle son nom, une marque de cosmétiques au Japon et sa légende.

Du bol en plastique à la mini-jupe, c’est une plongée dans un temps d’épanouissement des classes moyennes que nous offre cette coïncidence. D’autres « trente glorieuses » ont suivi après la crise des années soixante-dix : celles de la mondialisation (1990-2020) qui un peu partout dans le monde occidental a exacerbé les inégalités et étouffé les classes moyennes. L’American way of life et le Swinging London ont fait rêver deux générations, mais le rêve s’est éteint. Dans quelques décennies, peut-être pourra-t-on écrire une autre chronique sur le temps des premiers téléphones portables Nokia ou BlackBerry, des premiers Mac et du Thermomix ! 16 avril

En ce premier dimanche de Pâques, la liturgie catholique propose un texte « révolutionnaire » : « Ils vendaient leurs biens et leurs possessions et ils partageaient le produit entre tous en fonction des besoins de chacun » (Actes 2-44). Il s’agit là, bien sûr, dans les Actes des Apôtres de la description de la vie de la communauté des premiers chrétiens à Jérusalem. Remis dans le contexte de ce qui était alors une nouvelle secte juive (comparable à de multiples égards aux esséniens), cette gestion communautaire n’avait au fond rien de bien extraordinaire.

Mais au fil du temps, ce texte a pris une tout autre dimension et a nourri tout un courant que l’on a pu qualifier de « communisme chrétien » : Saint-Jean-Christome parle de dépouiller les riches pour réduire la pauvreté à Constantinople. Plus tard, ce seront les fraticelli, disciples quelque peu déviants de François d’Assise, les rêves utopiques de Thomas More, les réductions jésuites du Paraguay et plus près de nous encore, les prêtres ouvriers et la théologie de la libération en Amérique du Sud.

C’est, bien sûr, une erreur que de chercher une dimension économique dans le Nouveau Testament (à la différence par exemple du Coran), mais ce petit texte est aussi le symbole d’un idéal, celui de la Caritas (l’amour) dont Benoît XVI fit une admirable synthèse économique dans son encyclique « Caritas in veritate ».

Curieusement pourtant, le catholicisme, à la différence du protestantisme, a maintenu tout au long de son histoire une profonde ambiguïté à l’égard de l’argent. Vous ne pouvez servir deux maîtres…

 

16 avril 2023

 

En ce premier dimanche de Pâques, la liturgie catholique propose un texte « révolutionnaire » : « Ils vendaient leurs biens et leurs possessions et ils partageaient le produit entre tous en fonction des besoins de chacun » (Actes 2-44). Il s’agit là, bien sûr, dans les Actes des Apôtres de la description de la vie de la communauté des premiers chrétiens à Jérusalem. Remis dans le contexte de ce qui était alors une nouvelle secte juive (comparable à de multiples égards aux esséniens), cette gestion communautaire n’avait au fond rien de bien extraordinaire.

Mais au fil du temps, ce texte a pris une tout autre dimension et a nourri tout un courant que l’on a pu qualifier de « communisme chrétien » : Saint-Jean-Christome parle de dépouiller les riches pour réduire la pauvreté à Constantinople. Plus tard, ce seront les fraticelli, disciples quelque peu déviants de François d’Assise, les rêves utopiques de Thomas More, les réductions jésuites du Paraguay et plus près de nous encore, les prêtres ouvriers et la théologie de la libération en Amérique du Sud.

C’est, bien sûr, une erreur que de chercher une dimension économique dans le Nouveau Testament (à la différence par exemple du Coran), mais ce petit texte est aussi le symbole d’un idéal, celui de la Caritas (l’amour) dont Benoît XVI fit une admirable synthèse économique dans son encyclique « Caritas in veritate ».

Curieusement pourtant, le catholicisme, à la différence du protestantisme, a maintenu tout au long de son histoire une profonde ambiguïté à l’égard de l’argent. Vous ne pouvez servir deux maîtres…

 

15 avril 2023

 

À peine le verdict du Conseil constitutionnel tombé, qu’Emmanuel Macron promulguait (à 3 h 28 du matin, l’heure du Journal Officiel) l’essentiel de la loi sur les retraites. Finalement, seuls deux articles, ceux portant sur l’emploi des séniors (un thème pourtant majeur), ont été laissés sur la table. La page sur la réforme des retraites est donc tournée et l’âge de 64 ans désormais gravé dans le marbre.

Deux choses sont certaines : d’une part cette réforme ne sera pas la dernière. Mal ficelée, elle va présenter à l’usage nombre de failles, notamment pour les petites retraites et les carrières longues, qu’il faudra traiter. L’autre certitude est que la capacité du président à faire évoluer le modèle français – ce qui était sa véritable et légitime ambition – est pratiquement nulle. Son capital confiance est voisin de zéro chez tous ceux qui devraient être ses partenaires et malheureusement, il en est presque de même au niveau européen.

Quatre années de vide s’ouvrent devant les Français. Il faudra gérer les affaires courantes (inflation et pouvoir d’achat), se distraire un peu avec les Jeux olympiques, préparer politiquement un après qui n’a jamais été aussi flou tant est grand le vide sidéral des partis politiques (à la seule exception du RN…).

Emmanuel Macron va-t-il être capable de reprendre la main, de surprendre comme il le fit il y a sept ans, c’est ce dont la France a besoin, mais la tâche est, là encore, plus rude.

 

12 avril 2023

 

Fallait-il mourir pour Dantzig ? Beaucoup en doutaient, mais c’est finalement Dantzig après l’Anschluss et les Sudètes qui fut l’ultime étincelle de la Seconde Guerre mondiale.

Alors, faut-il se battre pour Taïwan après avoir fermé les yeux sur le Tibet et Hong Kong ? Rentrant de Chine, Emmanuel Macron a été comme à son habitude d’une ambiguïté totale, comme en d’autres temps Daladier rentrant de Munich ?

Certes, il serait souhaitable que l’Europe pèse sur la scène internationale, qu’elle ne soit pas un simple supplétif dans cette nouvelle guerre froide opposant la Chine et les États-Unis. Certes aussi la position américaine manque souvent de cohérence et ce fut un honneur pour la France de ne pas les suivre dans le fiasco irakien.

Mais sur Taïwan, il ne peut y avoir de « en même temps » : Taïwan est une véritable démocratie dont les habitants n’ont aucune envie de tomber sous la férule d’un parti omnipotent. Bien sûr, Xi n’est pas Mao : il est dans une certaine mesure beaucoup plus subtile, mais le cœur de son pouvoir est fondé sur la dictature du Parti dans un État qui n’est pas un État de droit.

Il serait dramatique de faire croire à Xi qu’il pourrait avoir les mains libres vis-à-vis de Taïwan comme il les a eues à Hong Kong. Et là, la place de l’Europe est aux côtés des États-Unis, toute ambiguïté ne faisant qu’affaiblir la position européenne.

            Mourir pour Taïwan ? Assurément !

 

9 avril 2023

 

À chacun ses œufs de Pâques ! Chez BNP Paribas, les cloches ont apporté plus d’un million d’euros à 369 « employés » de cette grande maison, 77 de plus que l’année précédente. BNP Paribas est en tête du palmarès français, mais est dépassée en Europe par Barclays (619), Deutsche Bank (572) et HSBC (473).

Pour l’essentiel, les intéressés sont de vulgaires « traders », certes montés en grade, « spielant » sur des centaines de millions de dollars dans ces salles de marché qui sont devenues le cœur de maisons où la finance a supplanté la banque. Bien sûr, ils prennent des risques, non pas pour eux-mêmes, mais pour leur employeur qui doit savoir les encadrer afin d’éviter quelques Kerviel ou autres baleines.

Sans tomber dans la vaine morale, on peut convenir que ces rémunérations sont parfaitement indécentes surtout quand elles émanent d’entreprises comme BNP Paribas au discours RSE bien formaté. Certes, le temps où le patron de General Motors estimait que l’écart salarial optimal entre les extrêmes salariaux d’une entreprise ne devait pas dépasser vingt, ce temps est résolu. Il est accepté que des dirigeants, ceux qui ont des responsabilités sociales et humaines, qui créent de la valeur, puissent avoir des rémunérations élevées. Mais là, on en est bien loin. Bien sûr, il faut tenir compte du mercato mondial et se dire qu’un trader vaut bien un footballeur.

Dans la Divine Comédie, Dante mettait les banquiers dans le cinquième cercle de l’enfer. Ceux-là, en tout cas, y vont tout droit.

 

7 avril 2023

 

Pauvre Alexandre Dumas ! Son œuvre étant dans le domaine public depuis quatre-vingt-trois ans, nul ne peut protester face aux adaptations et autres contrefaçons qui défigurent les histoires qui nous ont bercées. Seuls quelques amateurs, comme l’auteur de ces lignes, peuvent s’en indigner.

Voilà donc une nouvelle adaptation cinématographique des Trois Mousquetaires (la première – américaine – date de 1898). Il paraît que ce devait être un « blockbuster » à la française doté d’un budget conséquent (70 millions d’euros, mais pour deux épisodes).

Le film est agréable à regarder pour tout public même si on se perd un peu dans une intrigue complexe qui ne doit rien à Dumas. Les scénaristes ont en effet chargé l’histoire imaginée par Dumas : Athos devient protestant et on lui découvre un frère qui ourdit un complot pour assassiner le roi à l’occasion du mariage de Monsieur, le frère de Louis XIII. D’Artagnan va seul chercher les ferrets de la reine chez Buckingham (dont le château jouxte les falaises de Douvres). Constance Bonacieux n’est plus mariée et Bonacieux disparaît du casting. L’arrivée de d’Artagnan à Meung est à peu près incompréhensible. À la limite, la bisexualité de Porthos est peut-être l’« invention » la moins choquante.

Voilà en tout cas un film à vite oublier et qui n’incite guère à voir le deuxième opus à Noël prochain. Mais au moins, cela entraîne à se plonger dans le vrai Dumas et à relire les Trois Mousquetaires ! Et, là, quel délice !

25 mars 2023

 

Avec le printemps reviennent les bassines ! Tout le monde sait ce que sont ces retenues d’eau, permettant aux agriculteurs de stocker l’eau pluviale et de ruissellement pour irriguer leurs terres durant les mois les plus secs. On a appris aussi qu’il y a des « méga-bassines » qui utilisent aussi l’eau des nappes phréatiques en hiver. Les avis scientifiques sont partagés, mais il semble que lorsqu’elles sont bien gérées leur impact soit plutôt positif. Dans le Poitou et les Deux-Sèvres, la question de l’eau fait l’objet d’une gestion plutôt consensuelle qui se trouve bouleversée par l’irruption de militants à la recherche de causes à défendre, de ZAD à construire, frustrés qu’ils sont de ne plus avoir ni Notre-Dame des Landes ni Sivens.

Le raisonnement est simpliste, mais il porte : de l’eau pour irriguer, c’est donc une agriculture qui n’est pas autonome, c’est une agriculture intensive soumise aux lois d’airain du capitalisme, c’est une production que l’on va peut-être même exporter. Coupons le robinet, détruisons les bassines (et au passage, piétinons les cultures) et ce sera le retour à l’ordre éternel de la nature et dans ce cas le marais sans les hommes.

Le pire est que cela marche, qu’ils sont aujourd’hui plus de 6 000 à manifester (dont un bon millier qui vient pour la castagne). Nombre d’élus de la Nupes (verts et rouge avec même quelques drapeaux noirs de l’anarchie) seront là pour apporter leur soutien tout en se lavant les mains des violences : un si joli week-end.

Le partage de l’eau est un vrai problème, mais on ne peut le traiter qu’entre gens responsables.

 

24 mars 2023

 

C’est le printemps ! Au Japon, la floraison des cerisiers a commencé avec quelques semaines d’avance. Les frimas de l’hiver s’estompent déjà et sur les marchés de l’énergie la page des tensions de 2022 semble bien tournée malgré la poursuite du conflit en Ukraine : en Europe, le gaz naturel est passé en dessous de la barre des 40 euros le MWh (après avoir culminé bien au-delà des 300 euros fin août et début septembre). Le baril de pétrole Brent évolue entre 70 et 75 dollars et le brut américain est en dessous de 70 dollars. Il est vrai que le pétrole russe, à moins de 60 dollars, tire le marché vers le bas. Il n’y a guère qu’en France que les grèves dans les raffineries, les dépôts pétroliers et les terminaux de regazéification entretiennent la psychose de la pénurie.

Plus de peur que de mal donc ? L’Europe peut vivre sans l’énergie russe ou presque en fermant les yeux par exemple sur le diesel « indien » produit à partir de pétrole russe et en continuant d’acheter du gaz naturel liquéfié (GNL) russe. On fait presque mieux avec moins et ailleurs ! À Bruxelles, la vie « normale » reprend avec ses réticences vis-à-vis du nucléaire et de quelque encadrement que ce soit du marché de l’électricité. Certes, on doit avaler la couleuvre du gaz de schiste américain, mais là, il n’y a pas d’autre solution. Mais en parallèle, on pousse à fond la carte des renouvelables en fermant les yeux, là aussi, sur les dépendances qu’elles induisent ; panneaux solaires et terres rares de Chine, métaux impossibles à produire en Europe du fait des réticences environnementales… Le débat quelque peu dogmatique sur l’interdiction de la production de véhicules à moteur thermique en Europe en 2035 ne fait-il pas – in fine – le jeu de l’industrie automobile chinoise, la plus avancée en matière d’électrification, même si la Chine continue à produire son électricité pour l’essentiel à partir du charbon ! Au jeu de go, on sait bien que l’essentiel est de contrôler des territoires. En sommes-nous conscients en Europe ?

La crise énergétique marque une pause, mais force est de constater que l’Europe retombe bien vite dans ses vieux travers, ceux d’une idéologisation verte (« l’écologisme ») de la nécessaire transition écologique et de ce point de vue Bruxelles et Strasbourg apparaissent de plus en plus « hors sol » en particulier face au pragmatisme américain tel qu’il s’exprime dans l’IRA (et avec quelques moyens…).

Mais en avons-nous vraiment terminé avec la crise énergétique ? Du côté du pétrole, certains pronostiquent une fin d’année vers $ 140 le baril. C’est là probablement excessif et $ 100 paraît plus raisonnable. Tout dépendra de la demande chinoise. Il en sera de même du gaz naturel et dans le courant de l’été, lorsqu’il s’agira de remplir les capacités de stockage pour l’hiver, il ne serait pas étonnant que les prix remontent au-delà de 100 euros, c’est-à-dire dix fois plus que dans la décennie précédente. Ces tensions sur les énergies fossiles, si elles alimentent l’inflation, ont au moins l’avantage de pousser à l’accélération des innovations en matière, en particulier, de stockage de l’électricité, mais aussi d’entretien des parcs nucléaires existants. L’Europe doit aussi réfléchir de manière globale à sa souveraineté énergétique en allant jusqu’aux composants des énergies nouvelles. Est-il possible de l’imaginer de manière rationnelle en évitant les écueils de tous les a priori idéologiques qui avec ce printemps, fleurissent à nouveau comme les pâquerettes ? C’est là un vœu qui, espérons-le, ne restera pas pieux !

 

22 mars 2023

 

Le 22 mars 1968, quelques étudiants de Nanterre, menés par un certain Daniel Cohn Bendit, prirent d’assaut le bâtiment des « filles » de la résidence universitaire de Nanterre ; à l’époque, la mixité n’était pas la norme… Ce fut l’étincelle qui mit le feu aux poudres de Mai 68. Pour l’auteur de ces lignes, lycéen en première au collège jésuite de Bordeaux et dont la conscientisation politique était à peu près nulle, ce n’est que deux ans plus tard que la révolution culturelle de ces années devint une évidence. Mai 68, pas seulement en France, mais aux États-Unis, en Allemagne et même cette année-là aux Jeux olympiques de Mexico avec les poings levés des vainqueurs du 200 mètres, marque en effet une rupture précédant de quelques années la fin des Trente Glorieuses. « Cours camarade, le vieux monde est derrière toi ! ».

Cet anniversaire prend une dimension nouvelle en 2023, cinquante-cinq ans plus tard. Certes, la contestation est différente et nous ne songions même pas alors à nos retraites (ce qui semble être le cas des étudiants d’aujourd’hui) qui avaient été quand même chèrement gagnées par nos parents. Mais on retrouve les mêmes ingrédients : la contestation d’un monde essoufflé, la recherche d’autres légitimités moins idéologiques et plus « responsables ». Au fond, Mai 68 commence à défaire l’édifice des Trente Glorieuses. Nous sommes aujourd’hui au bout d’autres Trente Glorieuses, celles de la « mondialisation heureuse » que peut-être un peu malgré lui Emmanuel Macron a représentée et que les Français rejettent sans bien savoir où cela va les mener.

 

20 mars 2023

 

536 081 candidats qui rendront 1,72 million de copies destinées à 35 334 correcteurs, les épreuves dites de spécialité du baccalauréat 2023 sont bien dans la droite ligne du « Stalinisme soviétique » qui continue de régner en maître au ministère de l’Éducation nationale.

Avec la banalisation du bac obtenu par 90 % de candidats avec un taux de mentions « Très bien » qui dépasse l’entendement, on avait pu espérer que l’étape suivante serait sa supression pure et simple. Las, il n’en a rien été et la bureaucratie qui règne en maître rue de Grenelle a accouché d’un système encore moins compréhensible dont le résultat a été notamment le recul des études scientifiques.

Théoriquement – s’il n’y a pas de grèves –, les résultats de ces épreuves de spécialités vont être intégrés dans les dossiers des futurs bacheliers (ils le seront presque tous) dans Parcoursup. Attention, personne en France ne parle de sélection. Tout bachelier a le droit d’une formation universitaire. Le mot de sélection n’ayant pas droit de cité afin de ne pas traumatiser les chères têtes blondes, on parlera plutôt d’orientation dans un système dont l’opacité demeure totale : quelques algorithmes, mais surtout l’incapacité dans laquelle se trouvent la plupart des universités d’étudier vraiment les dossiers et les motivations des candidats. Les notes de ces épreuves de spécialité sont censées apporter un peu d’objectivité. Formons-en le vœu, mais n’est-il pas grand temps de balayer tout cela et de sérieusement « dégraisser le mammouth » ?

 

17 mars 2023

 

Le vent de panique bancaire parti de Californie se propage jusqu’à atteindre le calme des montagnes suisses. En une semaine, la capitalisation des banques de la planète a diminué de $ 460 milliards. Près d’un demi-trillion de dollars ont été balayés en quatre jours à la suite de deux faillites en Californie et d’un (gros) problème en Suisse. Rien de systémique d’ailleurs, mais tout simplement de la mauvaise gestion.

En Californie, c’est son succès qui a précipité la chute de la Silicon Valley Bank. Cette banque était devenue la providence des start-ups des nouvelles technologies et en retour avait bénéficié à partir de 2020 de flux massifs de dépôts. Pour gagner quelques dizaines de points de base, en ces temps de taux négatifs, la direction financière de la SVB avait fait le choix d’investir dans des obligations à dix ans. La hausse des taux (4,5 % en 2022) a fait plonger la valeur de ces papiers et le marché a pris conscience de la situation lorsque SVB, en commençant à vendre ces obligations, a dévoilé des pertes. La suite a été un vent de panique qui a touché deux autres banques, Signature et First Republic. Comment mourir en bonne santé ?

L’histoire du Crédit Suisse est plus classique : c’est celle de la mauvaise gestion, des haines de personnes (dans le milieu fermé de la finance zurichoise), de l’appétit du gain aussi.

Dans l’un et l’autre cas, les autorités sont intervenues, en remettant de l’argent dans le circuit et en garantissant les déposants au-delà de tous les plafonds. Privatiser les gains et nationaliser les pertes serait au fond le nouveau mantra des « entrepreneurs » de la Silicon Valley !

 

16 mars 2023

 

Les images ce soir de la place de la Concorde à Paris ont un parfum de 6 février 1934, un autre soir où la République fut proche de tomber sous la pression des Ligues et des anciens combattants. Ce soir, ce sont des syndicalistes, des étudiants, tout un peuple qui hurle à la trahison face à la décision du président de ne pas courir le risque d’un vote et d’utiliser le désormais célèbre 49-3 pour faire passer la réforme des retraites. Rassurons-nous, la république ne sera pas renversée (au vrai, personne n’y songe, même les tenants d’une « VIe » république à la Mélenchon) ni même le gouvernement, car il y a peu de chances que les motions de censure annoncées trouvent une majorité. Mais de majorité, le gouvernement et donc Emmanuel Macron, n’en a pas trouvé pour ce malheureux texte sur les retraites, accumulation d’emplâtres sur les jambes de bois de nos retraites. On était loin en effet du projet ambitieux de la retraite par points et encore plus peut-être d’une avancée vers la capitalisation.

Avec juste raison, ce recours au 49-3, le centième de la Ve République, est un échec qui, dans la présidentialisation du régime, doit remonter à l’Élysée et à sa flopée de « technos » sans expérience des réalités de la scène sociale : peu ambitieuse, mal ficelée, faite de bric et de broc sans grande cohérence, elle n’aura fait que compliquer un peu plus un dossier retraites qui reste une des urgences de ce début du XXIe siècle avec le déséquilibre grandissant entre actifs et inactifs. Emmanuel Macron avait raison d’en faire la grande cause de sa présidence. Force est de constater qu’il s’y est mal pris.

 

13 mars 2023

 

Il y a dix ans, le cardinal Jorge Bergoglio, archevêque de Buenos Aires, devenait le pape François. C’était là une première que l’élection au siège de Pierre d’un non-européen (encore qu’il fut d’origine italienne, immigré de la deuxième génération et qu’à bien des égards, l’Argentine est un pays de culture européenne, qui était considéré à la fin du XIXe siècle comme un pays émergent).

Dix ans de pontificat donc et un bilan en demi-teinte illustrant d’ailleurs les difficultés de la tâche qui avaient poussé son prédécesseur, Benoît XVI, à la démission : la réforme de la Curie a peu avancé et le grand exercice synodal (de démocratie de terrain) a illustré des fractures profondes sur des thèmes comme la place des laïcs, celle des femmes, le mariage des prêtres… Son incapacité à faire avancer un dossier comme celui du diaconat des femmes illustre cruellement une certaine forme d’impuissance. Sur la question des abus sexuels, la fermeté affichée n’a pas été dénuée d’ambiguïté (comme l’a montré en France le refus de recevoir les auteurs du rapport Sauvé).

Il y a eu certes quelques grands textes en particulier l’encyclique Laudato Si, mais en matière économique par exemple on peut presque parler de régression par rapport aux écrits de Benoît XVI comme Caritas in Veritate.

Grand voyageur comme Jean-Paul II, il a largement évité l’Europe et notamment la France qui n’appartient manifestement pas à son univers culturel. On le sent aujourd’hui fatigué, peut-être aussi un peu désabusé sur la faible influence de la Parole sur l’état du monde.

 

14 mars 2023

 

L’un des rêves du XXIe siècle, qui devait être celui de la « fin de l’histoire », était de mettre fin aux dictatures qui avaient tant marqué la fin du siècle précédent. Force est de constater qu’il n’en est rien et que le camp des dictatures a même progressé sans même plus se cacher sous les oripeaux de la démocratie. La dictature du prolétariat est encore une façade commode de la Chine à Cuba. Les héritiers du communisme soviétique ont en général évolué vers des régimes dictatoriaux (Russie) avec parfois des dimensions dynastiques dont la Corée du Nord est la caricature. Les dictatures religieuses sont peu nombreuses, mais l’Iran en est un bel exemple. Il y a bien sûr aussi les militaires qui, dans un premier temps, pensent être les seuls capables de restaurer la démocratie et l’ordre et puis qui prennent goût au pouvoir, de la Birmanie à l’Égypte…

Mais ce qui est frappant ces derniers temps, c’est la résilience de certains dictateurs qui ont pu habilement jouer des tensions géopolitiques : c’est le cas de Nicolas Maduro au Venezuela, contre lequel les États-Unis ont presque jeté l’éponge en échange de quelques barils de pétrole, de Bachar El Assad en Syrie, à nouveau devenu fréquentable comme une sorte de tampon entre la Turquie, la Russie et le monde arabe, de Sissi en Égypte bien sûr. Tous, à un moment ou à un autre, prétendent aller dans le sens du modèle voltairien du « dictateur éclairé ». Mais gare à la première coupure de courant !

 

12 mars 2023

 

Ambroise Thomas fut un musicien français qui eut son moment de célébrité sous le Second Empire et sur toute la fin du XIXe siècle. Quelque peu oublié aujourd’hui, il n’a laissé que deux opéras « majeurs » même s’ils sont bien peu joués : Mignon et Hamlet, dont la première se donnait hier soir à l’Opéra de Paris. L’oubli dans lequel est tombé Ambroise Thomas est injuste tant sa musique est inspirée, faisant la part belle à ses interprètes avec des passages d’une grande intensité. Il était là admirablement servi notamment par Lisette Oropesa qui a campé une admirable Ophélie.

Malheureusement, la chance d’Ambroise Thomas s’est arrêtée là. La mise en scène de K. Warlikowski a en effet enlevé toute cohérence à un livret certes déjà un peu difficile (mais au moins tout le monde connaît plus ou moins l’histoire d’Hamlet). On comprend peu à peu que l’action se passe dans un hôpital psychiatrique (pourquoi pas si Hamlet est fou) à deux époques différentes (20 ans ce qui n’a aucun sens). Le spectre du roi défunt est un clown blanc. Pendant toute une partie du spectacle, la reine regarde sur un écran télé en noir et blanc un film de Bresson. Mais la palme du ridicule est pour la malheureuse Ophélie. Elle se promène avec un cabas puis un cageot d’oranges dont la signification nous échappe. Mais le comble est atteint avec sa mort dans une… baignoire. Pauvre Ophélie et pauvres spectateurs qui ont copieusement hué ce triste spectacle !

 

11 mars 2023

 

C’est là tout un symbole : l’Iran et l’Arabie saoudite viennent de décider de renouer leurs relations diplomatiques. Mais le plus important, c’est le lieu où cet accord a été négocié : Pékin alors que se réunissait l’Assemblée nationale populaire pour célébrer le troisième mandat de Xi Jinping. La Chine marque là un point dans sa course au leadership mondial face aux États-Unis. Il y a quelques semaines, le président iranien était venu à Pékin : la Chine, malgré la répression des musulmans ouïghours, continue à soutenir l’Iran en lui achetant notamment son pétrole. Et l’Iran s’est de facto rapproché de la Russie à laquelle il vend du matériel militaire et notamment des drones. En décembre, Xi est allé en Arabie saoudite et a rencontré les dirigeants du Golfe : aucun n’a condamné l’invasion de l’Ukraine et au contraire, le Saoudien MBS est trop heureux de s’émanciper de la férule américaine surtout lorsque celle-ci est tenue par un Biden qui n’a pas oublié le meurtre de Kashoggi. Xi a manifestement joué les bons offices entre Ryad et Téhéran. Dans cette région longtemps dominée par la « pax americana », il parvient à substituer une « pax sinica » et le Golfe se retrouve ainsi dans un jeu d’alliances qui l’éloigne un peu plus de l’Occident.

Voilà que se reconstitue un espace géographique qui, il y a quelques siècles, fut celui de l’empire mongol englobant la Chine, la Russie, la Perse et les confins arabes. L’échec tant militaire que diplomatique américain est patent. Comme autre fois, les royaumes vassaux viennent apporter leurs tributs à l’empereur au cœur de sa cité interdite.

28 février 2023

 

Ils sont venus, ils sont tous là ! Qui ? Mais les politiques bien sûr de tous les bords, les grands et les petits, prêts à serrer toutes les mains, à flatter le cul des vaches réunies au Salon de l’Agriculture pour montrer aux petits citadins une certaine réalité agricole.

Jamais pourtant le fossé n’a été aussi grand entre l’image fantasmée et la réalité du monde agricole, entre l’empressement annuel au « Salon » et l’indifférence quotidienne vis-à-vis des contraintes de la production et des marchés agricoles. Bien entendu, il est facile de se défausser : les « méchants » sont à Bruxelles où règnent en maîtres les avocats de l’environnement, où se préparent réglementations et interdictions. Il a fallu la guerre en Ukraine pour bloquer « in extremis » la directive « From Farm to Fork », admirable exemple de l’aveuglement verdâtre qui règne entre Bruxelles et Strasbourg. Mais soyons honnêtes, Paris a quelque responsabilité en ajoutant le poids de son propre génie administratif et bureaucratique à l’obscure clarté tombant de Bruxelles. Fallait-il ainsi être les premiers en Europe à reprendre au vol la directive sur les néonicotinoïdes et à l’appliquer envers et contre tout ? Fallait-il être des ayatollahs du glyphosate dont l’utilisation raisonnée va même plutôt dans le sens de l’agro-écologie !

Le nombre d’agriculteurs et surtout d’éleveurs en cesse de diminuer. Le « pétrole vert » de la France (l’expression utilisée par VGE est de 1979) s’épuise et bientôt nos citadins redécouvriront avec horreur les charmes de la désertification et des friches. Il n’y aura plus personne pour entretenir tant notre espace que notre histoire. On les regrettera alors les « sympathiques petits agriculteurs » !

 

27 février 2023

 

Élections présidentielles au Nigeria, le pays le plus peuplé d’Afrique et qui pourrait en être le plus riche et, si cela avait un sens, le plus heureux. Ce n’est malheureusement pas le cas. Ce pays qui fut longtemps la perle de la colonisation britannique en Afrique, qui en était l’un des greniers alimentaires et qui s’était relevé de la sanglante guerre civile au Biafra, ce pays paye désormais des années de mal-gouvernance, de gouvernements militaires et d’alternance démocratique confortant l’oligarchie au pouvoir. Le résultat en est la baisse de la production de pétrole, l’augmentation de l’insécurité alimentaire et d’ailleurs aussi de l’insécurité tout court. Le Nigeria a ainsi le triste privilège d’être au troisième rang mondial des pays où la population est touchée par la faim : 19,5 millions de Nigérians d’après la FAO, soit 12 % de la population totale.

Le chef d’État sortant, le général Buhari, avait promis mont et merveilles. Il s’est révélé d’une rare médiocrité, incapable de s’attaquer aux problèmes qui plombent l’économie et la société nigériane.

Cette fois-ci, on compte dix-huit candidats, mais trois se détachent. Deux sont des « chevaux de retour » dont malheureusement il n’y a rien à attendre se ce n’est la préservation de la rente de quelques privilégiés. Le troisième est un homme relativement nouveau (même s’il a déjà été gouverneur d’un État). Mais Peter Obi a le handicap d’être chrétien dans un pays à majorité musulmane (malgré la présence endémique de Boko Haram, un autre problème). Pour la première fois, la présidentielle pourrait se jouer sur deux tours. Le scrutin semble s’être bien passé (chose exceptionnelle en Afrique). Attendons les résultats et… les probables contestations.

 

24 février 2023

 

Un an déjà ! Un an de guerre aux portes de l’Europe ; une guerre classique avec chars, artillerie et tranchées, telle que l’on n’en avait pas connu sur le territoire européen depuis 1945.

Il y a un an, lorsque Vladimir Poutine donna l’ordre de l’invasion, personne n’aurait parié sur la capacité de résistance de l’Ukraine, ni même sur un soutien aussi marqué des Occidentaux et de l’OTAN. Mais voilà, on est passé du « blitzkrieg » à l’enlisement, un enlisement mortel.

Les estimations sont variables, mais en un an ce sont quelque 500 000 militaires et civils qui ont été tués ou blessés (200 000 côté russe et 100 000 militaires ukrainiens). À cela, il faut ajouter 7 à 8 millions de réfugiés. En ce siècle, aucun nationalisme ne peut justifier pareille boucherie (quoiqu’elles soient encore monnaies courantes en Afrique ou au Moyen-Orient).

Le drame est que l’on ne peut entrevoir à cette guerre aucune issue. La Russie ne peut vaincre même si elle prépare probablement son offensive de printemps pour essayer au moins de récupérer les oblasts annexés de manière un peu hâtive il y a quelques mois. Mais elle ne peut non plus être totalement vaincue. Si le monde s’est fracturé autour de ce conflit, au moins l’OTAN a-t-il retrouvé une colonne vertébrale, largement américaine comme l’a montré aujourd’hui la visite de Joe Biden à Kiev. Mais les dirigeants ukrainiens pourront-ils aller au bout de leur dessein de reconstitution d’autant que c’est tout l’état qu’il va falloir reconstruire (et nettoyer ce que Zelinsky semble avoir commencé non sans quelques ambiguïtés).

En ce jour, les pensées vont avant tout aux victimes innocentes, d’un côté comme de l’autre. Un nouveau chapitre s’écrit de la folie des hommes et malheureusement il y a encore des pages à tourner…

 

22 février 2023

 

Sommé par le président de la République de faire « un geste » sur le prix du diesel (ce qui, en ce moment précis, n’est pas vraiment une urgence), le président de Total, Patrick Pouyanné vient de trouver une touche (vocabulaire de rugby) à la fois astucieuse et originale. Le groupe Total va, à compter du 1er mars et jusqu’à la fin de l’année, plafonner) à € 1,99 le prix du SP95 et du diesel : ces deux carburants sont à l’heure actuelle en moyenne à € 1,89 et € 1,84 le litre. Pour l’instant, l’engagement peut ne pas paraître trop contraignant même s’il faut tenir compte des stations d’autoroute et de centre-ville qui dépassent déjà les 2 euros le litre.

Mais l’essentiel de l’engagement porte sur la durée : dix mois de 2023. Le baril de Brent cote $ 81 et l’euro € 1,06. Mais qu’en sera-t-il au long de l’été et de l’automne. La prévision de prix moyen du baril de Brent en 2023 réalisée par CyclOpe est de $ 80, ce qui est à peu près le consensus. Mais bien des éléments peuvent changer tant du côté de la Russie (baisse de la production) que de la Chine (reprise plus forte que prévu). Du pétrole à $ 100, voire $ 120 le baril avec un euro revenant autour de la parité, voilà un scénario qui est du domaine du possible. L’engagement pris par Total représente donc un risque non négligeable et on peut imaginer que le groupe a pris les mesures adéquates en utilisant les marchés dérivés (options d’achat dans le marché par exemple). Il demande quand même des salles de marché assez compétentes. Mais les centrales de la grande distribution pourraient, sans coûts excessifs, faire le même geste.

L’avantage de ce mécanisme est d’offrir aux automobilistes un plafonnement de leurs carburants de base (les carburants « premium » ni le SP98 ne sont pas concernés). Les 2 euros sont un seuil devenu symbolique dans l’imaginaire – et le porte-monnaie – des consommateurs. Et le procédé est plus efficace et beaucoup moins onéreux que les « remises » pratiquées en 2022.

Les critiques ont fustigé le « coup de com » de Total. Certes dans le contexte idéologique gaulois, le groupe doit se faire pardonner ses « trop » bons résultats (il y a eu depuis, Stellantis). Mais la proposition est intéressante et innovante et ouvre même de nouveaux horizons en matière de stabilisation des fourchettes de prix. Au passage, elle va introduire immédiatement un peu de concurrence parmi les stations d’autoroute.

Au rugby, on applaudirait une touche aussi bien trouvée !

 

11 février 2023

 

En 1924, aux Jeux olympiques de Paris, la pelote basque était « sport de démonstration ». On construisit sur le bord de la Seine, au droit de la porte de Saint-Cloud un fronton qui porte le nom de l’un des grands champions de l’époque, héros de la Première Guerre mondiale, Chiquito de Cambo. Depuis le lieu est devenu une enclave basque dans l’Ouest parisien. Un trinquet (lieu couvert hérité des jeux de paume) y fut construit à la fin du siècle. Le lieu, géré par la ligue d’Ile de France de pelote basque, était resté « dans son jus » celui d’un amateurisme de bon aloi, géré par des bénévoles. Comme au « pays », un bar l’animait et il était le rendez-vous des « troisièmes mi-temps » lors des grands matchs de rugby. À la saison, on y assistait à de belles parties au grand gant ou même de rebot en utilisant les deux frontons qui se font face.

Mais voilà, nos amis basques occupaient un hectare de terrain à Paris. Le lieu appartient à la ville de Paris qui le donne en concession. Jusque-là la concession avait toujours été renouvelée. Nul ne doutait qu’avec une maire engagée dans la lutte sociale et environnementale, ce coin de culture et de bonheur basque à Paris continuerait à exister. C’était là sans compter avec l’appétit des « marchands de soupe ». L’un d’eux obtint la concession au prix de moult promesses que — dit-il — le Covid l’a empêché de tenir. En réalité, il a transformé le lien en une sorte de « jardin à bière et autres alcools » qui fait le plein presque tous les soirs. Certes, il n’a pas encore touché au fronton ni au trinquet, mais il a bien fait sentir aux pratiquants de la pelote qu’ils n’étaient plus que des hôtes de plus en plus encombrants. Mais voilà que maintenant, il a d’autres ambitions : détruire tout ce qui n’est pas « classé » : un fronton, les gradins de 1924, faire autant que se peut place nette pour installer des cours de padel (plus petits et beaucoup plus rentables) et ne laisser à la pelote qu’une place d’attraction touristique dans ce qui deviendra une sorte de Luna Park sportif, et surtout à voir la consommation actuelle, alcoolisé (et plus si affinité).

Il est paradoxal de constater qu’à la veille des Jeux olympiques de Paris de 2024, un siècle donc après les précédents (admirablement illustrés plus tard par le film Les chariots de feu), on va laisser « massacrer » (le mot n’est pas exagéré) l’un des ultimes témoignages des Jeux de 1924. Chiquito de Cambo, dont le monument est toujours présent à côté de la « cancha », trouverait là un signe supplémentaire de la soumission du sport aux intérêts marchands. Mais la mairie de Paris est plus encline à défendre, à quelques mètres de là, le parc des Princes face à l’appétit qatari que quelques arpents de terre basque au bord de la Seine. Dans leur longue histoire, les Basques ont l’habitude des migrations. Ils trouveront ailleurs, de Buenos Aires à san Francisco, d’autres frontons plus accueillants que celui de l’ingratitude parisienne.

Philippe Chalmin, joueur de pelote.

 

9 février 2023

 

Le séisme qui a ravagé les confins de la Turquie et de la Syrie et provoqué plus de 20 000 morts (au moins) avait son épicentre près d’Antakya. Antakya ? L’ancienne Antioche dont l’histoire se confond avec les origines du christianisme et avec les croisades, un millénaire plus tard.

Antioche sur l’Oronte fut ainsi l’une des premières destinations de l’apôtre Paul, le siège de l’une des premières églises chrétiennes, bientôt l’un des patriarcats majeurs avec Alexandrie et Jérusalem, avant même Constantinople. Aujourd’hui encore, le patriarche d’Antioche (mais qui siège à Damas) dirige une église orthodoxe autocéphale dont le rayon s’étend sur la Syrie et l’Irak (avec une branche en Amérique du Nord). Un patriarcat latin dirige l’église melkite, mais les églises de Saint-Thomas en Inde sont aussi de filiation antiochienne.

Et puis Antioche, ce fut la première grande ville que conquirent les croisés de la première croisade où ils furent bientôt assiégés. Ce fut pendant près de deux siècles une principauté chrétienne sous la domination des princes normands et notamment de Bohemond de Tarente.

Déjà en 526, un tremblement de terre avait détruit l’orgueilleuse cité antique. En 1268, Antioche fut reprise par le sultan d’Égypte puis passa sous la domination turque et sortit de l’histoire pour ne se rappeler à notre souvenir qu’en ces douloureux moments aux confins d’une région en guerre.

 

7 février 2023

 

Grand vent de bénéfices sur les majors pétrolières mondiales : de $ 58 milliards pour Exxon à € 20 milliards pour Total (après € 15 milliards de provisions sur ses actifs russes). Comme à l’habitude, ces chiffres ont fait polémique et pour une fois pas seulement en France, mais aussi aux États-Unis où dans son discours de l’État de l’Union, Joe Biden s’en est ému.

Signalons quand même un premier point : il y a une différence majeure entre les pays qui produisent du pétrole et du gaz et ceux qui n’en ont pas. Pour les premiers, comme les États-Unis et dans une moindre mesure le Royaume-Uni et bien sûr la Norvège, la taxation de « superprofits » sur la production domestique apparaît légitime. Ainsi, le norvégien Equinor, (une entreprise semi-publique) a réalisé en 2022 $ 75 milliards de bénéfices avant impôt, mais a payé $ 42,8 milliards d’impôts (l’équivalent de $ 7 900 par Norvégien !) ce qui lui a laissé quand même de quoi vivre et investir ! Le discours de Joe Biden est donc parfaitement légitime.

Mais en France ? L’essentiel des bénéfices de Total est réalisé à l’international et on peut considérer que c’est une chance pour notre pays de compter ainsi un « major » dont par exemple l’activité exploration-production est basée à Pau (héritage des « Pétroles d’Aquitaine »). Il faut bien sûr être sourcilleux sur les stratégies d’optimisation fiscale, mais de grâce ne tombons pas dans la démagogie facile.

 

5 février 2023

 

En ces premières semaines de 2023 et alors que les Chinois finissent leurs vacances du Nouvel An (celui donc du lapin), les petits nuages roses semblent s’accumuler sur les perspectives économiques mondiales et par ricochet sur les marchés mondiaux. Le FMI revoit ses prévisions à la hausse (2,9 % pour le monde en 2023) alors que la Banque mondiale (avec une méthodologie un peu différente) reste pessimiste à 1,7 % pour la planète. La fourchette est large et illustre bien l’ampleur de nos interrogations que doivent d’ailleurs partager les banques centrales. Faut-il acheter le scénario rose : la page du Covid est tournée en Chine et passées les vacances, la Chine va repartir comme avant ; avec la normalisation du transport maritime (et la poursuite de la chute des taux de fret des conteneurs), les chaînes de valeur se remettent en place ; l’activité repart aussi dans les pays avancés qui profitent même d’un effet « guerre » ; le chômage baisse avec des créations record d’emploi aux États-Unis en janvier (517 000) tout comme l’inflation et les banques centrales en termineront autour de l’été de leurs exercices de hausses des taux. Le « hic » de ce scénario qui place la croissance chinoise bien au-delà de 5 % c’est que la demande en matières premières rebondit ce qui a un impact direct sur les cours du pétrole, mais surtout du gaz naturel, l’une des clefs de l’inflation européenne. Le diable est dans les détails… En tout cas, les marchés semblent acheter ce scénario : le SP 500 est en hausse en janvier de 8 % et le Nasdaq de 16 %.

L’autre scénario qui nous paraît plus réaliste ne balaie pas d’un simple revers de la main tant le risque sanitaire que les difficultés inhérentes au modèle chinois. La croissance chinoise serait plus longue à repartir et dans les pays avancés l’impact des hausses de taux se ferait sentir de manière plus forte. Le paradoxe de ce scénario est que la pression sur les produits de base serait moins forte, en particulier en ce qui concerne les achats chinois de GNL, de pétrole et de minerais et métaux.

Ces deux scénarii restent pour l’instant largement ouverts et la réalité sera probablement quelque part à mi-chemin : une reprise plus lente en Chine et par contre plus de résilience aux États-Unis et dans une moindre mesure en Europe, qui reste le maillon faible et qui est quand même aussi en première ligne d’un conflit ukrainien qui, avec le printemps, risque de prendre une dimension nouvelle.

Pour l’instant, en tout cas, les marchés réagissent de manière contradictoire à ces hésitations conjoncturelles : à la hausse pour les produits dopés par le facteur chinois (minerai de fer, étain et autres métaux, pétrole dans une certaine mesure), à la baisse là où le facteur ukrainien se banalise (gaz naturel, engrais, blé, oléagineux).

En ces temps d’incertitude, il n’est pas mauvais de méditer la morale de La Fontaine :

                                    Chacun tourne en réalités

                                    Autant qu’il peut ses propres songes

                                    L’homme est de glace pour les vérités

                                    Il est de feu pour les mensonges

             (Le statuaire et la statue de Jupiter)

 

 

 

31 janvier 2023

 

Vastes manifestations aujourd’hui un peu partout en France : des colères calmes certes, menées par les syndicats et un peu récupérées par les politiques, mais des cortèges qui impressionnent tant ils balaient « large » dans la société française. On pourrait presque les comparer à ceux de la décennie précédente autour du mariage ! Ils confirment le rejet à 60 ou 70 % de la réforme des retraites par les Français de tous âges. Ce n’est plus un jeu politique, c’est une réalité.

Or, s’il est une question sur laquelle il devrait y avoir consensus, c’est bien celle des retraites tant les chiffres parlent d’eux-mêmes : dans un pays comme la France (dont pourtant la dynamique démographique a été longtemps exceptionnelle parmi les pays avancés), le ratio entre actifs et retraités ne va cesser de se détériorer pour atteindre 1,7 au-delà de 2050. L’espérance de vie ne cesse d’augmenter même si on peut penser que le rythme actuel d’un trimestre par an va peu à peu se ralentir. Le temps consacré au travail a longtemps diminué et celui de la retraite n’a cessé d’augmenter. Il faut être aveugle pour ne pas anticiper des déséquilibres à venir, même si on peut discuter des échéances dans les années à venir. Il est donc logique d’agir tôt comme l’ont fait la plupart des pays européens.

La France, on le sait, est allergique aux réformes et celles-ci ne sont en général réalisées que sous la contrainte en d’improbables « Grenelles ». Mais là, on dépasse le raisonnable avec un chiffon rouge bien maladroit de la part du gouvernement avec les « 64 ans ». De la guerre de tranchées qui se prépare, il est possible qu’il ne sorte rien de bon pour la France ni pour ses retraités.

 

28 janvier 2023

 

Voilà donc l’année du Lapin qui commence. C’est maintenant un événement mondial que ce Nouvel An chinois et cette référence aux traditions de l’ancienne Chine et à son zodiaque ne peut qu’étonner de la part d’un pays qui pratique officiellement le matérialisme athée même si Xi Jinping ne manque pas de se référer à Confucius et s’efforce de siniser les religions occidentales. Mais c’est aussi le temps du culte des ancêtres et les Chinois ne manquent pas de se replonger dans leurs racines familiales : 226 millions de voyages cette semaine, mais encore loin — post-Covid oblige — des 429 millions de 2019.

Cette année, le Lapin va marquer un nouveau départ pour la Chine qui reste la grande inconnue des mois à venir. En 2022, la croissance a été officiellement de 3 % (c’est-à-dire l’équivalent de la croissance zéro aux normes occidentales), la deuxième plus basse de son histoire post-maoïste. Qu’en sera-t-il en 2023 ? Le consensus de 4 à 5 % est bien insatisfaisant. Les chiffres de mortalité sont manifestement sous-évalués. Un bon indice en est la flambée (+ 50 %) du prix des chrysanthèmes utilisés en général pour commémorer les morts au moment du Nouvel An (notamment dans le Hubei dont la capitale est Wuhan…). Mais au-delà, il y a la chute de la natalité (et de la nuptialité) preuve ultime d’une faible confiance en l’avenir, du moins en celui que définit le Parti.

Le Lapin dans la tradition chinoise est signe de vigilance et d’habileté. C’est peut-être un bon présage, mais il en faudra beaucoup à Xi Jinping. 

 

25 janvier 2023

 

Il était une fois un petit pays africain qui avait été longtemps le cœur d’un empire avant de tomber sous la coupe des impérialismes européens qui l’avaient surnommé la « Côte de l’or ». L’or, il n’y en avait plus guère au moment de l’indépendance du Ghana si ce n’est un or brun, celui à l’époque du premier producteur mondial de cacao. Les premières années du Ghana furent quelque peu chaotiques avec un virage marxisant qui laissa le pays à genoux. Par la suite, le Ghana eut la chance d’être dirigé par un militaire compétent et intègre (une exception africaine…), Jerry Rawlings et devint pendant quelques années un modèle pour l’ensemble du continent. Le Ghana avait peu de ressources naturelles : quelques mines et surtout du cacao, bien géré par le célèbre « Cocobod », ultime héritier des marketings boards de l’époque coloniale. Tout allait bien, y compris du point de vue démocratique.

Mais voilà, la chance du Ghana s’est arrêtée le jour où on y a découvert du pétrole, qu’on a commencé à l’exploiter et que la manne pétrolière a peu à peu perverti l’économie et les hommes. Le Ghana a dû frapper à la porte du FMI et voilà que le 18 janvier, il s’est trouvé en défaut sur sa dette en dollars. Le pays subit une inflation de 54 %. Sa monnaie, le cedi, a plongé de 50 % ; sa dette s’échange à 30 % de sa valeur faciale.

Le Ghana est un triste exemple de la malédiction des matières premières en général, du pétrole en particulier. En un moment où nombre de pays africains développent — avec raison — leurs ressources énergétiques, la leçon devrait être retenue, du Sénégal à l’Ouganda…

 

22 janvier 2023

 

À Davos tout est carte postale… Le soleil, la neige, les chalets, les « riches »… Cela fait longtemps que les sanatoriums que fréquentait Hans Castorp, le héros de la, Montage Magique de Thomas Mann, ont fermé. On était alors « en haut », en dehors du monde, et manifestement, on y est resté un peu tant semble y régner une sorte d’optimisme béat à l’occasion de la reprise du World Economic Forum. Il aura suffi de bien peu : un sous-ministre chinois qui dit que « China is back » (en oubliant les morts), une présidente de la Commission qui se félicite du triomphe européen sur l’hydre du gaz (en oubliant la douceur hivernale), des chiffres de l’inflation qui semble plafonner (en oubliant leur niveau absolu), quelques enquêtes de conjoncture un peu mieux orientées… et voilà, la crise est finie ! Bien sûr, on salue l’IRA américain, le courage chinois et comme à l’habitude on regrette les hésitations européennes. Mais tout cela n’est pas bien grave : la machine est repartie et la stagflation définitivement laissée de côté. La capacité d’aveuglement des puissants de la planète est fascinante. Soyons honnêtes, cela a toujours été la spécialité de Davos et les rapports du WEF ont presque toujours brillé par leur banalité.

Mais là, peut-être ont-ils raison ! Peut-être au fond l’économie mondiale a-t-elle touché un plancher fin 2022 et est-elle en train de rebondir : pour les États-Unis c’est jouable ; pour la Chine et l’Europe, c’est beaucoup plus risqué. Le plancher risque d’être beaucoup plus long et dur et il reste tant d’incertitudes de l’Ukraine au Covid. En haut, à Davos, ils l’ont un peu vite oublié.

 

20 janvier 2023

 

Martin Wolf est l’éditorialiste économiste vedette du Financial Times. Ses parents, originaires d’Autriche et des Pays-Bas, échappèrent à l’Holocauste et plus qu’aucun autre, il est l’héritier des tortures de l’histoire européenne. Il est au fond — comme l’auteur de ces lignes — l’héritier de la période des Trente glorieuses qui marqua l’apogée de la social-démocratie de marché. En bon Britannique, il lui préfère l’expression de « démocratic capitalism », ce qui pourrait écorcher des oreilles françaises facilement « anti-capitalistes » par nature.

Sa thèse est que démocratie et capitalisme, souvent opposés, sont en fait complémentaires et que les moments de leur équilibre ont été les plus heureux et les plus fructueux de l’histoire. Sa thèse est aussi que cet équilibre est aujourd’hui menacé. D’un côté, les démocraties se trouvent menacées par démagogies populistes et tentations autocratiques. De l’autre, la tendance naturelle du capitalisme est de chercher à s’affranchir des règles et de profiter de l’espace mondialisé. Ces dernières décennies, marquées par l’explosion de nouvelles technologies, ont permis une véritable « libération » du capitalisme avec tous les excès que l’on peut imaginer en termes d’inégalités et de prédation.

Le défi actuel est bien de rétablir ce subtil équilibre en réhabilitant la légitimité démocratique de l’état, à la fois arbitre et providence. Le pari de Martin Wolff repose sur « l’honnêteté et la sagesse des élites », seules capables de restaurer le pacte de confiance nécessaire à l’épanouissement de ce « democratic capitalism ». Mais dans nombre de cas, le fruit est aussi pourri de l’intérieur.

 

18 janvier 2023

 

La Chine fait quelque progrès en matière de transparence nécrologique. « Officiellement » entre le 8 décembre et le 12 janvier, il y aurait eu 59 938 décès du fait du Covid. Cela contraste avec les quelques dizaines qui étaient annoncées jusque-là. Ceci étant, on reste probablement loin du compte : se fondant sur une estimation portant sur 104 millions de cas recensés, le chiffre de 641 000 décès circule alors même que la réalité de la contamination pourrait aller jusqu’à 900 millions de cas. La sous-évaluation reste donc systématique.

Pourtant, à quelques jours des fêtes du Nouvel An rien n’a changé : la plus grande migration de l’humanité va se dérouler sans restriction et bien sûr les risques de diffusion du Covid s’en trouveront accrus au fil des réunions familiales.

Au final, le bilan pour la Chine risque bien de dépasser le million de morts, et encore, ne s’agit-il là probablement que de la fourchette basse. Muselant l’opinion publique et manipulant l’information, l’autocratie chinoise avait probablement conscience du risque pris en abandonnant aussi brutalement sa politique de zéro-covid. Digne héritier de Mao (dont le Grand Bond en avant se solda par plus de 30 millions de morts), Xi Jinping ne s’est pas arrêté à ce « détail », tout à sa logique de retour rapide à la normalité sanitaire et économique. Mais la vraie question est de savoir si ce pari sanitaire peut réussir et si peu à peu le Covid va s’évanouir de l’horizon chinois. Rien n’est moins sûr.

 

16 janvier 2023

 

Alors qu’en Ukraine, l’armée russe et/ou la milice Wagner viennent de marquer un premier point symbolique, les pays occidentaux peinent à s’entendre en matière de soutien et en particulier en ce qui concerne la fourniture de blindés. En effet, passé l’hiver puis le temps de la « raspoutitsa » (la boue) va revenir une période favorable aux grandes offensives propices à l’utilisation de l’arme blindée. La Russie est probablement en train de s’y préparer. À l’Ouest, tout le monde convient qu’il faut mieux équiper l’Ukraine, mais le parc de blindés disponibles est limité : les Abrams américains trop sophistiqués, les Challenger britanniques ou les Leclerc français trop peu disponibles, il reste les Léopards allemands qui équipent par ailleurs une bonne dizaine de pays européens.

Mais voilà, Olaf Scholz, dont on commence à comprendre que le courage n’est pas la qualité première, se refuse à donner ses Léopards ni même à autoriser d’autres pays européens à le faire. Il a peur d’une escalade avec la Russie. Il est vrai qu’il y a presque quatre-vingts ans (juillet/août 1943) aux confins de la Russie et de l’Ukraine, la célèbre bataille de Koursk vit à l’époque l’affrontement des chars Panther et Tigre allemands et des T34 soviétiques. Cette fois-ci, ce seraient des Léopard contre des T72 ! (dans l’un et l’autre cas, il semble que la qualité et l’efficacité soient du côté allemand). Au grand dam des Ukrainiens, Olaf Scholz a du mal à assumer seul cet héritage de l’histoire. Et pour l’instant, les États-Unis ne bougent pas. C’est pourtant maintenant qu’il faut préparer le printemps.

 

13 janvier 2023

 

« L’énergie du désespoir », ce titre d’un communiqué publié dans les Échos interpelle. Il émane d’industriels de l’un des plus remarquables pôles de compétitivité (cluster) français allant du décolletage de la vallée de l’Arve à la « plastic valley » autour d’Oyonnax : € 60 milliards de PIB et 750 000 salariés, un tissu industriel de PME et d’ETI comme il en existe peu en France. Ils se trouvent acculés aujourd’hui par la hausse des prix de l’énergie et surtout de l’électricité et réclament la mise en place « d’un prix de l’électricité égal à la moyenne pondérée des coûts de production ». Comment ne pas les comprendre ?

Le prix de l’électricité en Europe est fondé sur le principe du prix marginal du producteur le moins efficient. Ce fut longtemps supportable lorsqu’il s’agissait de l’électricité éolienne ou solaire (par ailleurs subventionnée). Aujourd’hui, c’est le prix des centrales à gaz et de facto le prix de l’électricité suit celui du gaz avec une augmentation du prix de base européen en 2022 par rapport à 2021 de 154 % (en moyenne). Ceci peut paraître aberrant pour un pays comme la France où le gaz représente moins de 10 % de la génération d’électricité. Mais voilà, nous sommes en Europe et il nous est difficile de nous en isoler à la différence par exemple de la péninsule ibérique.

La supplique adressée par nos industriels au président de la République, qui en partage l’analyse tout comme ne cesse de le dire le ministre de l’Économie, se trompe malheureusement d’adresse. C’est Bruxelles qu’il faut convaincre et au-delà le cartel des libéraux européens (Pays-Bas, Allemagne…) qui freinent des quatre fers à l’idée de tout retour à des prix administrés de l’électricité. Le modeste plafonnement des prix du gaz naturel, arraché après moult combats montre bien les fossés presque idéologiques existant en Europe entre les tenants de la seule logique du marché « quoiqu’il en coûte » et ceux qui estiment que la complexité des systèmes de production et de distribution de l’électricité mérite et justifie une intervention publique plus cohérente.

Il est évident que les prix du gaz naturel vont rester élevés et que le gaz coûtera en moyenne en 2023 au moins dix fois plus que dans les années deux mille dix. Or, l’Europe va continuer à dépendre du gaz au fil de sa transition énergétique et électrique. L’idée d’un prix moyen pondéré de toutes les sources d’électricité est probablement trop « française » et administrée pour avoir quelque chance de passer en Europe. Tout au moins, pourrait-on dès maintenant mettre en place un plafonnement, isolant de facto les centrales à gaz quitte à en assurer le subventionnement direct. Ce serait là aussi une manière de responsabiliser les pays dont l’augmentation de la dépendance au gaz, en particulier russe, a contribué à fragiliser le système électrique européen : on pense là au premier chef à l’Allemagne.

Malheureusement, au train actuel des affaires européennes, et alors que la Commission se contente de « travaux préliminaires », il y a peu de chance que ce dossier électrique aboutisse en 2023.

Les vallées alpines (et d’autres bien sûr) vont continuer à souffrir.

 

10 janvier 2023

 

Tranches de vie… Ce matin, l’auteur de ces lignes frappe à la porte de son laboratoire d’analyses médicales : en grève comme la plupart de ses homologues, faute d’accord avec les autorités sanitaires (la CNAM en l’occurrence) sur la dimension financière de leurs activités. Tout dépité, il se dirige vers la boulangerie pour acheter une baguette fraîche pour le petit déjeuner. Là, il y a la queue, mais le boulanger s’inquiète avec raison de sa facture énergétique et se demande ce que fait l’État en menaçant d’augmenter ses prix.

Deux exemples bien français d’un syndrome qui traverse toute la société française : celui de notre dépendance à l’État et à la décision publique et surtout administrative.

Longtemps, on a pu estimer — en souriant un peu — que la France était le seul pays soviétique qui ait réussi ! Ce satisfecit s’éloigne malheureusement chaque jour un peu plus au fil de la bureaucratisation de la vie économique et politique (remarquons d’ailleurs que ce fut ce qui a provoqué la chute de l’URSS). La révolution des technologies de l’information a paradoxalement aggravé ce phénomène avec une toujours plus grande déshumanisation des contraintes administratives. Le « Big Brother » est toujours là et on attend toujours plus de lui, mais il ne répond plus que par écran interposé. Les corps intermédiaires, des syndicats aux collectivités les plus locales s’en sont trouvés peu à peu laminés.

Finalement, il semblerait que la grève des laboratoires ne soit pas poursuivie. Et les boulangers continueront à faire du pain, un peu subventionné. Tout est bien…

 

8 janvier 2023

 

En cette rentrée 2023 quelque peu morose sur le plan économique (même si la douceur des températures soulage le front énergétique) l’heure en France est à cet admirable exercice qui en général se termine par la déroute des bonnes intentions : la réforme (le R est réservé aux protestants…). Les Français ont une aversion naturelle pour l’idée même de réforme. Ils ne l’acceptent que sous la contrainte et de toute manière passent par les traditionnelles étapes des manifestations, des grèves et de la paralysie générale du pays.

Cette fois-ci, Emmanuel Macron qui argue du Covid pour justifier un bilan bien maigre de son premier quinquennat s’attaque aux tabous des retraites d’une part et de la santé publique d’autre part. La retraite à 65 ans et la fin de la rémunération à l’acte sont deux lignes rouges sur lesquelles bien des réformateurs se sont cassés les dents. Manifestement, Emmanuel Macron a choisi de prendre le risque. Sur les retraites, il est confronté à l’opposition résolue des syndicats et devra négocier le soutien de LR pour éviter l’écueil du 49-3. Sur la santé, le dossier est à peine en gestation et il y a peu de chances qu’il puisse être mené à son terme d’ici la fin du quinquennat.

Mais au fond, retraites et santé ne sont que la partie émergée de l’iceberg de la nécessaire réforme du modèle français qui dans ses évolutions récentes a tourné au cauchemar bureaucratique dématérialisé, tout se réglant avec de moins en moins d’interventions humaines : c’est le règne de Big Brother et c’est cela en particulier que les Français ne veulent pas.

 

5 janvier 2023

 

2023 a commencé en Europe sur un ton presque léger. Oh, certes, le canon continue à gronder en Ukraine, le Covid ravage la Chine, la récession guette un peu partout, mais voilà on a presque fêté Noël au balcon ! Les tensions sur les marchés de l’énergie se sont un peu estompées et en Europe, sur le TTF, le gaz naturel serait presque bradé à moins de € 70 le MWh (ce qui fait quand même à peu près $ 130 le baril équivalent pétrole alors que le Brent tourne autour de $ 80). Même avec de nouvelles vagues de froid, l’Europe devrait parvenir à éviter cet hiver pénuries et coupures de gaz et d’électricité.

Ceci étant les prix du gaz — et de l’électricité — sont quand même quatre à cinq fois plus élevés que durant la dernière décennie. Et puis nul ne sait ce qu’il va advenir de la guerre en Ukraine, mais si l’on prend l’hypothèse — à peu près réaliste — qu’il n’y aura presque pas de gaz russe en Europe en 2023 (un peu de GNL, un petit tuyau vers la Moldavie), la reconstitution des stocks pour aborder l’hiver 2023/2024 promet d’être difficile et surtout coûteuse. La crise énergétique n’est pas terminée et nous entrons au contraire dans sa deuxième phase, celle de sa « digestion » tout au long des chaînes de valeur avec des hausses de prix et donc de l’inflation qui ne sera pas cantonnée aux seuls carburants, au gaz et à l’électricité. L’Europe reste là en première ligne, beaucoup plus exposée en tous points que les États-Unis (où le gaz naturel vaut six fois moins cher qu’en Europe ou en Asie). Cela est d’autant plus vrai que sur le marché du GNL, pour lequel il n’y aura pratiquement pas d’augmentation de capacité de liquéfaction en 2023, l’Europe sera en concurrence avec l’Asie, et surtout la Chine.

Ceci nous ramène à l’autre grande interrogation de ce début d’année. Où va la Chine ? Le passage brutal du « zéro-covid » à l’« infini covid » a surpris tous les observateurs. Le pari en est simple : au prix peut-être d’un million de morts et d’un arrêt de la croissance, accéder rapidement à l’immunité collective et retrouver une situation « normale » dès le second semestre 2023. Le pari est risqué pour une population peu et mal vaccinée. Au-delà, la Chine va-t-elle retrouver un niveau de croissance proche de ce qui est probablement l’objectif des autorités (5 %) et donc sa place en termes de consommation et d’importations de matières premières ? Cette question vaut en particulier pour le GNL, le pétrole et le charbon ainsi que la plupart des métaux non ferreux ainsi que le minerai de fer.

« Noël aux balcons, Pâques aux tisons », dit le dicton. La situation géopolitique mondiale a de quoi inquiéter avec la montée des populismes, des tensions sociales, la paralysie des instances internationales à l’image de l’OMC (en situation de « mort clinique »…). Le temps de la mondialisation « heureuse » est bien oublié que ce soit dans les tranchées ukrainiennes, dans les hôpitaux chinois et même face à ce climat qui surprend l’Europe par sa douceur en ce début 2023.

 

1er janvier 2023

 

En ces premiers jours de 2023, économistes et conjoncturistes scrutent fébrilement leurs boules de cristal pour ajuster leurs prévisions tant sur la croissance économique que sur les prix des principales matières premières. Quelle que soit la méthode utilisée, des modèles les plus sophistiqués au bon vieux « doigt mouillé », l’exercice est aléatoire et même illusoire dans le fantasme de la précision à la décimale près. Il l’est encore plus cette année dans la mesure où deux dimensions nous échappent totalement, l’une géopolitique et l’autre sanitaire. Et là malheureusement la saine logique cède le pas à l’irrationnel des deux autocrates qui dominent l’actualité de la planète : Vladimir Poutine et Xi Jinping tous deux confrontés à la fuite en avant dans laquelle les a précipités leurs hubris. Vladimir Poutine peut-il sortir du guêpier ukrainien ? Xi Jinping peut-il échapper au bourbier du Covid ?

Vladimir Poutine a perdu son pari d’une guerre « courte et joyeuse » qui se serait soldée par la mise au pas de l’Ukraine et l’installation d’un gouvernement pro russe à Kiev. Le soutien déterminé des États-Unis à l’Ukraine (et celui plus ambigu des Européens) tout comme les limites militaires de la Russie excluent toute solution définitive sur le terrain. Vladimir Poutine en est-il conscient, rien n’est moins sûr. La perspective d’une solution négociée n’a jamais été aussi lointaine tant Poutine risquerait d’y perdre la face. La guerre se poursuivant avec son cortège de désastres humains et matériels tant pour l’Ukraine que pour la Russie, la crise énergétique va donc se prolonger et là, c’est l’Europe qui est en première ligne privée de gaz et de diesel russe (mais aussi entre autres d’acier et de bois). Ceci se retrouvera dans des scénarii de stagflation, tournant pour certains à la récessoflation.

Xi Jinping a fait lui aussi un pari risqué qui aujourd’hui se retourne contre lui. Obsédé par l’élimination des derniers opposants à son élévation au pouvoir suprême « à vie », il a joué la carte de la « voie chinoise » face au Covid. Ce fut la politique du « zéro-covid », certes apparemment efficace, mais à un coût économique et social élevé, et surtout dont il est aussi difficile de sortir que des tranchées ukrainiennes. Le résultat en a été la panne économique chinoise (2,7 % de croissance en 2022 d’après les dernières estimations de la Banque mondiale, c’est-à-dire, à l’aune des équilibres chinois, une véritable récession). La récente ouverture des vannes sanitaires fait craindre le pire pour une population peu et mal vaccinée. Xi Jinping est-il prêt à en prendre le risque et à en payer le coût humain ?

Les autocrates, souvent coupés des réalités quotidiennes, acceptent rarement de reconnaître leurs erreurs. Au XXe siècle, il en fut ainsi de Hitler, Staline ou Mao. Il n’y a aucune raison de penser qu’il en sera autrement en ce XXIe siècle.

Et ceci nous ramène à nos bien futiles exercices de prévision. Prenant l’hypothèse que la guerre va se poursuivre en Ukraine et donc que la crise gazière va perdurer au moins pour une partie de la planète (hors Amérique du Nord) et que le Covid va rester endémique en Chine, il y a bien peu de chances que la croissance économique mondiale puisse dépasser les 2 % en 2023. Les pays de l’OCDE devraient tourner autour de zéro, au-dessus pour les États-Unis, légèrement en dessous pour l’Europe et le Japon. Quant à la Chine, la fourchette du possible est vaste, de 2 % à 4 % suivant l’intensité de l’épidémie et la manière dont les autorités réactiveront leur politique sanitaire. Sur les marchés qui resteront marqués par la fermeté du dollar et la remontée des taux (sans pour autant que l’inflation s’en trouve calmée), cela se traduira par la poursuite de la détente pour les matières premières industrielles, pour les produits agricoles (sauf catastrophe climatique) et même pour le pétrole tiré vers le bas par les besoins russes à l’exportation. Il restera bien sûr quelques produits comme le lithium liés à la transition énergétique et puis surtout le gaz naturel dont Vladimir Poutine et Xi Jinping détiennent les clés : si l’Europe a pu s’approvisionner en GNL cet automne, c’est que la Chine avait diminué ses achats. En sera-t-il de même encore en 2023 ?

Et nous voici de retour à nos chers autocrates. Les théories économiques se fondent sur la rationalité des choix des individus au sens le plus large. Malheureusement, nous devons imaginer 2023 avec d’autres logiques. Ce sera tout le sel de cette année dont Vladimir Poutine et Xi Jinping resteront les premiers rôles.