Diplômé d’HEC, Agrégé d’histoire et Docteur es lettres, Philippe Chalmin est professeur d’histoire économique à l’Université Paris-Dauphine où il dirige le Master Affaires Internationales.
Il est le président fondateur de CyclOpe, le principal institut de recherches européen sur les marchés des matières premières qui publie chaque année le rapport CyclOpe sur l’économie et les marchés mondiaux.
Il a été nommé en Octobre 2010, Président de l’Observatoire de la Formation des prix et des Marges Alimentaires auprès du Ministre de l’Agriculture et du Ministre de l’Économie et des Finances. Il a été membre du Conseil d’Analyse Économique auprès du Premier Ministre, du Haut Conseil des Biotechnologies et du Conseil des Ventes Volontaires.
Il est l’auteur d’une quarantaine d’ouvrages dont parmi les plus récents « Le monde a faim » (2009), « le siècle de Jules » (2010), « demain, j’ai 60 ans, journal d’un économiste » (2011), « Crises, 1929, 1974, 2008 Histoire et espérances » (2013)
19 mai 2023
C’est symboliquement à Hiroshima que se réunit le G7. Ce lieu de mémoire, symbole dela guerre nucléaire et de la victoire ultime des Alliés sur le Japon accueille un G7 tout revigoré, redevenu le sommet des grandes démocraties occidentales face au reste du monde (même si, cette année, Modi et Lula sont invités sur un strapontin).
À l’origine, à l’invitation de Valéry Giscard d’Estaing, le G7 devait être une aimable conversation au coin du feu permettant aux dirigeants de la planète de mieux se connaître. Au fil des ans, il est devenu une grande machinerie avec sherpas et communiqués soigneusement préparés. Un temps, il fut un G8 et à l’époque de Trump plutôt un G6. La crise financière de 2008 poussa à une ouverture au reste du monde avec le G20 qui n’a pas vraiment convaincu et qui ces dernières années a perdu toute crédibilité, les pays émergents préférant manifestement le nouveau club des BRICS mené par la Chine.
Paradoxalement, la guerre en Ukraine a eu le mérite de clarifier les choses : tous les pays du G7 ont choisi leur camp (et même au-delà si on compte l’Europe comme un tout). Le G7 n’a plus d’ambition planétaire, mais devient l’équivalent politique et économique de l’OTAN : ainsi les sanctions prises à l’encontre de la Russie l’ont-elles été au niveau du G7 dont les réunions ministérielles se sont multipliées.
À Hiroshima, on parlera donc de la Russie et puis aussi – et peut-être surtout – de la Chine. L’invitation faite à l’Inde et au Brésil n’est pas neutre même si la fracture est de plus en plus béante : « West versus the rest » ? C’est là le danger d’une nouvelle guerre froide.
17 mai 2023
Les Russes ont joué la montre jusqu’au bout, mais ils ont finalement accepté de renouveler l’accord sur le corridor céréalier de la mer Noire qui expirait ce soir. La probable victoire d’Erdogan en Turquie a dû avoir un impact tant le président turc y avait engagé son image de « neutralité active » entre l’Ukraine et la Russie.
Le renouvellement de cet accord est bien sûr très positif pour l’Ukraine, mais en faire un élément déterminant pour la solution du problème alimentaire mondial est bien exagéré. L’Ukraine n’est pas en effet le « grenier à blé » du monde dont tout le monde parle. L’Ukraine est avant tout un producteur de maïs. Pour la campagne 2023/2024, une Ukraine diminuée certes, devrait produire 16,2 Mt de blé et 22,9 Mt de maïs. Son potentiel exportateur serait de 8,8 Mt de blé (moins que la France…) et de 18,2 Mt de maïs. Le maïs ukrainien est utilisé en alimentation animale et importé par des pays comme la Chine ou l’Espagne. En cette période de l’année, c’est pour l’essentiel du maïs que l’Ukraine exporte, la campagne de blé étant presque terminée. Le grand exportateur de blé de la région est la Russie qui se plaint de difficultés du fait des réticences des banques occidentales à financer ses transactions. C’est d’ailleurs cela qui expliquait les lenteurs russes à renouveler l’accord.
À début mai, l’Ukraine avait exporté sur la campagne 2022/2023, 41,6 Mt de céréales dont 30 Mt sont passés par le corridor céréalier (600 000 tonnes de blé ont été acquises par le Programme alimentaire mondial pour les pays les plus touchés par la faim). Le reste avait transité par les voisins européens, ce qui n’a pas manqué de causer quelques perturbations sur les marchés en Pologne et en Roumanie. De ce point de vue, l’accord est une bonne nouvelle pour l’UE. Depuis l’année dernière, les prix ont fortement baissé sur les marchés mondiaux. C’est cela la vraie bonne nouvelle pour le reste du monde.
16 mai 2023
Il semble bien qu’Erdogan ait gagné ! Il y aura en tout cas un second tour pour l’élection présidentielle, mais le président turc sortant a une avance de 5 % et un réservoir potentiel équivalent avec les 5 % du troisième candidat, un nationaliste conservateur. L’opposition paye son éparpillement, son ambivalence face au problème kurde, l’âge peut-être aussi de son candidat. Erdogan a su rallier au moins la moitié de l’électorat turc (avec probablement de son côté une surreprésentation de la diaspora en Europe) à son modèle d’islamisme ottoman, à l’image aussi d’une Turquie qui joue dans la cour des grands, qui tient l’équilibre entre la Russie et l’Ukraine (du gaz russe, mais des drones pour l’Ukraine…), qui fait languir l’OTAN à propos de l’adhésion suédoise, qui est partie prenante des conflits autour de l’Arménie en soutenant l’Azerbaïdjan.
La situation économique aurait dû pourtant servir l’opposition, tant elle est catastrophique. La livre turque n’en finit pas de s’effondrer : l’euro qui valait encore 10 000 livres il y a deux ans en cote près de 22 000 aujourd’hui et les marchés ont encore dévissé à l’annonce de la « victoire » d’Erdogan. Comme beaucoup de politiques dans le monde, celui-ci n’a aucune appétence pour les contingences économiques. Ce qui fut le « miracle turc » (dont un des pères Kemal Devis vient de disparaître) est aujourd’hui en lambeaux. Les dernières promesses électorales, qui ont peut-être permis à Erdogan de l’emporter, vont creuser un peu plus les déficits. Il y a là presque en perspective un scénario à l’Argentine avec Erdogan dans le rôle de Peron. L’Argentine n’en est jamais sortie.
15 mai 2023
En ce printemps 2023, les quatre cavaliers de l’Apocalypse (le titre du rapport CyclOpe 2023 publié le 23 mai) sont bien présents. La guerre fait rage en Ukraine : depuis décembre, la Russie a perdu 100 000 hommes, blessés ou tués, ce qui peut expliquer la modestie de la parade militaire du 9 mai sur la place Rouge. On attend maintenant la contre-offensive ukrainienne dont nul n’imagine qu’elle puisse être définitive. Mais la guerre c’est aussi l’affrontement des généraux au Soudan, les tensions au Pakistan, les menaces sur Taiwan. La fracture du monde est bien réelle. La peste (et pour nous le covid) a marqué le pas et dans bien des pays masques et confinements sont oubliés. Mais la menace demeure comme celle de tant d’épidémies et de pandémies humaines et animales. La famine ne fait plus la une de l’actualité grâce au repli des prix agricoles mondiaux, mais elle reste une réalité dans de nombreux pays où elle est fille de la guerre et de la malgouvernance. La nature, par contre, poursuit ses lentes mutations et les prévisions les plus pessimistes semblent devoir se réaliser avec des vagues de chaleur en Asie et la sécheresse déjà en Europe sans oublier le retour précoce d’El Niño.
Ajoutons à ce tableau une situation économique contrainte par des hausses de taux dans la plupart des pays occidentaux menant certains (en Europe et surtout en Allemagne) au bord de la récession, une reprise poussive en Chine et des doutes dans bien des pays autrefois émergents, du Brésil à l’Afrique du Sud. Seule la détente énergétique apporte un ballon d’oxygène (et demain peut-être d’hydrogène) à ce panorama mondial un peu déprimant. Dans ce contexte, les politiques se débattent entre parcimonie budgétaire et maintien nécessaire des filets de l’État-providence tout en renforçant peu à peu leurs appareils protectionnistes.
Il y a un peu plus de vingt ans, les problématiques à la mode étaient celles du « choc des civilisations » et de la « fin de l’histoire ». Ni l’une ni l’autre ne sont aujourd’hui encore d’actualité : les clivages sont redevenus avant tout politiques et les fractures sont de plus en plus marquées. Il reste certes des lambeaux de la mondialisation dans les modèles de consommation, dans les migrations aussi pourtant de plus en plus contraintes. Mais la page du rêve de la « mondialisation heureuse » est bien tournée.
Il reste quand même bien des points positifs pour l’humanité. De nos quatre cavaliers, seul celui lié à la folie des hommes reste dominant, apportant ça et là son cortège de famines. La prise de conscience des risques liés à la nature et au climat laisse quelque espérance pour les générations futures qui, malgré les pandémies, vivront plus longtemps et peut-être mieux. Les textes des apocalypses des premiers siècles étaient aussi des messages d’espérance, cette espérance que célébrait Péguy :
« ma petite espérance n’est rien que cette promesse de bourgeon qui s’annonce au fin commencement d’avril… Sans ce bourgeon qui n’a l’air de rien, qui ne semble rien, tout cela ne serait que bois mort »
C’est cela aussi le printemps !
14 mai 2023
$ 66 200 milliards, fin 2022, tel était le total de la dette publique mondiale. En un an, la dette a augmenté de 7,6 % et en fait elle a doublé en onze ans. Le ratio dette publique sur PIB est de 78 % (en 2020, au cœur de la crise Covid, il a dépassé les 80 %). En réalité, la dette publique mondiale a littéralement explosé à partir de 2020 et le mouvement devrait se poursuivre avec des prévisions pour 2025 à près de $ 80 000 milliards. Mais ce qui était supportable hier avec des taux négatifs pour les mieux lotis le sera de moins en moins demain : la charge des intérêts devrait presque tripler entre 2020 et 2025 à près de $ 3 000 milliards.
Il y a certes la mauvaise gestion de nombre de pays plus ou moins émergents de la Turquie à l’Argentine ou au Ghana. Mais le « quoiqu’il en coûte » universel a eu un prix : en Europe, la dette publique per capita est de $ 50 000 en France et en Italie, de $ 46 000 au Royaume-Uni, de $ 33 000 « seulement » en Allemagne. En termes constants, la dette française a augmenté de $ 10 000 par personne depuis 1995. Mais le pire provient des États-Unis dont la dette publique totale s’élevait fin 2022 à $ 24 800 milliards, 37 % de la dette mondiale, bien au-delà de la part américaine du PIB mondial. Chaque Américain porte quelques $ 75 000 de dette publique. Il n’a pas à s’en inquiéter outre mesure : personne n’imaginerait dégrader la dette américaine puisque dans le système monétaire actuel, les États-Unis ont le privilège de l’emprunteur en dernier recours : le reste du monde finance les déficits américains et paradoxalement aujourd’hui les largesses protectionnistes de l’IRA. Mais les Treasury Bonds restent « as good as gold » !
15 mai 2023
En ce printemps 2023, les quatre cavaliers de l’Apocalypse (le titre du rapport CyclOpe 2023 publié le 23 mai) sont bien présents. La guerre fait rage en Ukraine : depuis décembre, la Russie a perdu 100 000 hommes, blessés ou tués, ce qui peut expliquer la modestie de la parade militaire du 9 mai sur la place Rouge. On attend maintenant la contre-offensive ukrainienne dont nul n’imagine qu’elle puisse être définitive. Mais la guerre c’est aussi l’affrontement des généraux au Soudan, les tensions au Pakistan, les menaces sur Taiwan. La fracture du monde est bien réelle. La peste (et pour nous le covid) a marqué le pas et dans bien des pays masques et confinements sont oubliés. Mais la menace demeure comme celle de tant d’épidémies et de pandémies humaines et animales. La famine ne fait plus la une de l’actualité grâce au repli des prix agricoles mondiaux, mais elle reste une réalité dans de nombreux pays où elle est fille de la guerre et de la malgouvernance. La nature, par contre, poursuit ses lentes mutations et les prévisions les plus pessimistes semblent devoir se réaliser avec des vagues de chaleur en Asie et la sécheresse déjà en Europe sans oublier le retour précoce d’El Niño.
Ajoutons à ce tableau une situation économique contrainte par des hausses de taux dans la plupart des pays occidentaux menant certains (en Europe et surtout en Allemagne) au bord de la récession, une reprise poussive en Chine et des doutes dans bien des pays autrefois émergents, du Brésil à l’Afrique du Sud. Seule la détente énergétique apporte un ballon d’oxygène (et demain peut-être d’hydrogène) à ce panorama mondial un peu déprimant. Dans ce contexte, les politiques se débattent entre parcimonie budgétaire et maintien nécessaire des filets de l’État-providence tout en renforçant peu à peu leurs appareils protectionnistes.
Il y a un peu plus de vingt ans, les problématiques à la mode étaient celles du « choc des civilisations » et de la « fin de l’histoire ». Ni l’une ni l’autre ne sont aujourd’hui encore d’actualité : les clivages sont redevenus avant tout politiques et les fractures sont de plus en plus marquées. Il reste certes des lambeaux de la mondialisation dans les modèles de consommation, dans les migrations aussi pourtant de plus en plus contraintes. Mais la page du rêve de la « mondialisation heureuse » est bien tournée.
Il reste quand même bien des points positifs pour l’humanité. De nos quatre cavaliers, seul
celui lié à la folie des hommes reste dominant, apportant ça et là son cortège de famines. La prise de conscience des risques liés à la nature et au climat laisse quelque espérance pour les
générations futures qui, malgré les pandémies, vivront plus longtemps et peut-être mieux. Les textes des apocalypses des premiers siècles étaient aussi des messages d’espérance, cette espérance
que célébrait Péguy :
« ma petite espérance n’est rien que cette promesse de bourgeon qui s’annonce au fin commencement d’avril… Sans ce bourgeon qui n’a l’air de rien, qui ne semble rien, tout cela ne serait que bois
mort »
C’est cela aussi le printemps !
11 mai 2023
Le prix de l’essence fait encore la une ! Les raisons habituelles (le pétrole et le dollar) n’en sont pourtant pas la cause. Malgré les efforts de l’OPEP, le baril de Brent est redescendu au-dessous de $ 80 et cotait ces jours derniers à peine un peu plus de $ 75 sans véritables perspectives de hausse à court terme. Quant à l’euro, il s’est plutôt apprécié par rapport au dollar (1,09), même si là les perspectives sont plus négatives. Pourtant à la pompe en France, les prix restent élevés : autour de € 1,80 le litre pour le SP95. Cette faible élasticité des prix à la baisse a une explication simple : la marge brute de la distribution a fortement augmenté. Si on prend la différence entre le prix à Rotterdam (la référence pour les prix de gros des produits pétroliers en Europe) et le prix hors taxe à la pompe, le résultat est de l’ordre de 30 centimes du litre. À titre de comparaison extrême, il y a un an lorsque les prix à la pompe dépassaient les € 2 le litre, cette marge brute était négative, ce qui veut dire que l’essence était vendue à perte ! Marge brute n’est pas bien sûr marge nette. Il faut tenir compte des coûts de transport, de commercialisation et des contraintes qui pèsent sur certains carburants. Mais les 30 centimes évoqués plus haut, même s’il faudrait raisonner en moyennes mensuelles ou trimestrielles, paraissent bien élevés. Certes, il y a probablement un effet de rattrapage, l’impact encore des grèves dans les raffineries et les dépôts de carburants, mais aussi peut-être le fait que le temps du carburant à prix coûtant, produit d’appel de la grande distribution, que ce temps-là est révolu.
10 mai 2023
L’Allemagne est très probablement en récession. Certes, officiellement, la croissance du PIB allemand au premier trimestre 2023 aurait été de zéro. Pour parler de récession, il faut – on le sait – cumuler deux trimestres négatifs de suite. L’Allemagne avait été dans le rouge au dernier trimestre 2022. Un simple zéro au premier trimestre 2023 permettait de sauver ainsi la face.
Le problème est qu’il s’agit là de premières estimations et que l’économie n’est pas une science exacte (il faut attendre deux ou trois ans pour disposer de données conjoncturelles à peu près fiables). Or ce que l’on sait du mois de mars est inquiétant : la production industrielle allemande a diminué de 3,4 % tirée vers le bas par l’industrie automobile en chute de 6,4 %. Les ventes de détail ont perdu 2,4 %, les exportations 5,2 %. Avec de pareils chiffres, une correction des données du PIB pour le premier trimestre est probable et l’Allemagne devra admettre la réalité d’une récession qui touche d’ailleurs tout le nord de l’Europe.
Mais le cas allemand est plus inquiétant, car il se double d’une crise politique : la coalition au pouvoir est de plus en plus fragile. Si les ministres « verts » font un parcours presque sans fautes tel n’est le cas ni du FDP ni surtout du SPD et du chancelier Olaf Scholz qui ne parvient pas à sortir les Allemands de leurs sentiments d’« ungemütlichkeit ».
8 mai 2023
Après les fastes de la monarchie britannique, ceux de la « monarchie républicaine » française faisaient aujourd’hui’d’hui bien pâles figures. Certes, la célébration du 8 mai n’est pas essentielle et on peut préférer le choix anglo-saxon de tout concentrer sur le 11 Novembre et d’en faire la journée de la mémoire des guerres et de toutes les guerres. Mais en France, toucher à un jour férié et presque aussi difficile que de modifier l’âge de départ à la retraite…
Mais que ce 8 mai était triste à Paris, à l’Arc de Triomphe. Pour éviter tout risque de « casserolades », le périmètre était bouclé : les Champs-Élysées étaient vides et les tribunes d’honneur presque clairsemées. Le temps était gris, la cérémonie fort simple, mais mettant un peu plus en évidence l’immense solitude d’Emmanuel Macron. C’est là certes le lot d’un président en France qui connaît le vertige d’une monarchie presque absolue, mais solitaire. Mais, consciemment ou non, Emmanuel Macron a éliminé tous les corps intermédiaires, politiques, syndicaux ou autres, privilégiant des contrats « directs » dont il peut mesurer aujourd’hui l’artificialité.
Sa solitude en ce 8 mai en serait presque émouvante si elle n’augurait de difficiles lendemains pour la France et sa curieuse monarchie républicaine.
6 mai 2023
Il y avait encore là tout le savoir-faire de « la firme ». Le couronnement de Charles III fut un superbe spectacle plongeant loin dans les racines de la monarchie britannique et, malgré tous les scandales qui ont marqué la famille royale ces dernières années, il faut reconnaître que la personnalité pour le moins originale du nouveau roi semble faire l’unanimité y compris chez les républicains britanniques.
Mais il faut insister sur une dimension de cette cérémonie qui, en 2023, a pu surprendre : son caractère profondément religieux. Au-delà du fait que Charles III devient nominalement le chef de l’Église anglicane (il en est ainsi depuis Henry VIII), la dimension religieuse de ce couronnement, faisant de Charles « l’oint du Seigneur », a dominé toute la cérémonie. C’était d’autant plus frappant que la déchristianisation est aussi une réalité au Royaume-Uni, peut-être encore plus qu’ailleurs en Europe : les églises y sont désaffectées, transformées en « lofts » ; l’islam y est la première religion pratiquée. Et pourtant, Charles III s’est inscrit dans sa foi chrétienne tout en ouvrant largement la cérémonie aux autres religions : l’épître a été lue par un hindou (le Premier ministre…), le grand rabbin d’Angleterre et des dignitaires musulmans étaient au premier rang. Ce fut en tout cas une belle leçon pour la laïcité à la française…
5 mai 2023
Dégradation… On imagine le roulement de tambour dans la cour de la caserne : les épaulettes arrachées, le sabre brisé…
C’est un peu à cela que nous venons d’assister : le roulement de tambours des marchés, les mains griffues arrachant un A des décorations françaises. Fitch a dégradé la France !
L’exercice, franchement, tient du ridicule : dégrader la dette souveraine d’un pays du G7, appartenant par ailleurs à la zone euro, n’a guère de sens. Le cœur du métier des conseils de guerre des agences de notation ce sont les entreprises et les établissements financiers et, là, leur aveuglement est proverbial des subprimes de 2008 aux malheureuses banques américaines de 2023. La dégradation de Fitch n’est qu’une piqûre de mouche qui se traduira quand même par quelques points de base supplémentaires dans les grilles des investisseurs institutionnels.
Il faut néanmoins reconnaître que les bases de l’analyse de Fitch sont fondées. La France vit au-dessus de ses moyens et le rééquilibrage des comptes publics se heurte à la nature même du « système » français qui, depuis le covid, a presque institutionnalisé le « quoiqu’il en coûte ». La perte d’un galon est presque secondaire, mais si cela fait mal, c’est que tous, nous savons que c’est un peu mérité !
3 mai 2023
En 2022, les dix principaux « traders » en pétrole et en gaz ont dégagé $ 77 milliards de bénéfices, plus du double de 2021. D’un côté $ 37 milliards pour les trois grandes compagnies énergétiques européennes (pour leurs seules activités de trading) : Shell ($ 16,4 milliards), Total ($ 11,5 milliards) et BP ($ 8,4 milliards). Curieusement, les compagnies américaines (Exxon, Chevron) sont absentes : le trading ne fait pas partie de l’ADN des Américains qui restent profondément des prospecteurs. Avec 14 millions de barils équivalent pétrole par jour, Shell est le premier négociant mondial de pétrole et de gaz. Il dépasse les « traders » traditionnels qui pourtant en 2022 n’ont pas démérité : Vitol ($ 15 milliards), Trafigura ($ 8,5 milliards), Gunvor ($ 5,4 milliards), Mercuria ($ 4,9 milliards). Là, on est en Europe puisque les trois derniers ont leur siège à Genève. Ces quatre-là (il faudrait y rajouter Glencore) ont cumulé $ 34 milliards de profits en 2022.
Cela n’est guère surprenant : en temps de forte volatilité et de tensions géopolitiques, le trading est plus indispensable que jamais et dégage pour les entreprises, disposant des capacités de gestion des risques les plus affûtées, d’incontestables opportunités de profitabilité. Le négoce international connaît bien ces alternances de vaches grasses et de vaches maigres. Mais la dépendance – nouvelles – des majors au trading peut surprendre pour des sociétés cotées (ce que ne sont pas les traders). Tout va bien aujourd’hui, mais demain ?
30 avril 2023
Voilà donc LVMH qui passe la barre symbolique des $ 500 milliards de capitalisation boursière. L’entreprise française de luxe domine largement sa catégorie et s’installe au dixième rang mondial, loin, certes, derrière les géants de la « tech » menés par Apple et consorts, le seul intrus étant Saudi Aramco, ultime survivant des splendeurs pétrolières (longtemps Exxon fut la première capitalisation mondiale, mais ce temps-là est bien révolu). LVMH est dans ce classement juste derrière Tesla, de loin, la première capitalisation automobile : le temps de General Motors est encore plus lointain…
Le luxe est au fond l’autre grand gagnant de ce qu’il reste de la mondialisation. Celle-ci a creusé les inégalités et engendré une classe de « nouveaux grands et petits riches » qui ont adhéré avec passion aux codes du luxe. Beaucoup plus que le nucléaire ou l’armement, le luxe est le domaine d’excellence de la France et il faut reconnaître que les groupes français ont là damé le pion de leurs homologues italiens.
Au passage, Bernard Arnault est devenu l’homme le plus riche du monde. Pourquoi pas ? L’homme sait rester discret. À la différence de ses homologues américains, sa générosité est fort limitée (le financement de la Fondation Vuitton relève du scandale fiscal, mais tout à fait légal). Et son comportement récent dans la presse (Les Échos) peut inquiéter…
29 avril 2023
la lecture d’un roman replonge dans l’univers de la Russie postsoviétique. « Oligarque » de Elena B. Morozov conte l’histoire de l’ascension et de la fin tragique d’un oligarque. On part du fonds de l’URSS, de Perm, d’un jeune ingénieur qui participe aux privatisations de l’époque Yeltsin. On le retrouve en 2008, au moment de la crise des subprimes en train de prendre le contrôle d’une vieille banque britannique qui ressemble un peu à la Barings. En 2020, il est piégé par la crise du Covid et puis aussi par les réseaux du pouvoir russe. Le roman se termine là où il avait commencé, dans un cimetière à Perm.
Le lecteur ne peut qu’être admiratif de la connaissance qu’a l’auteur des arcanes postsoviétiques, des détails de la crise financière de 2008 (heure par heure, la chute de Lehman), des arcanes de La City et de l’aristocratie britannique, de la France aussi, à la limite du caricatural, mais avec des détails (des polytechniciens passés par Ginette) qui ne trompent pas : l’auteur derrière le pseudonyme est probablement Français, financier et familier de Londres. Tout ce qui est raconté est non seulement plausible, mais comporte nombre de faits réels, parfois un peu arrangés. Voilà un des romans les plus brillants à emmener cet été (édité chez Grasset).
27 avril 2023
L’annonce officielle de la candidature de Joe Biden ne surprend guère tant elle était attendue. Les seuls doutes portaient sur l’âge de l’impétrant qui – s’il est réélu – terminerait son deuxième mandat à 86 ans ! L’un des éléments qui avaient joué en sa faveur il y a trois ans était justement qu’il ne ferait qu’un seul mandat étant donné son âge. Le choix de la vice-présidente, Kamala Harris, avait été beaucoup commenté dans la mesure où elle paraissait devoir être le choix naturel des démocrates pour 2024.
Plusieurs facteurs semblent avoir joué. Après un début catastrophique (Kabul), Joe Biden, en vieux routier du Capitole, a admirablement manœuvré le Congrès et l’adoption de l’IRA a été un coup de maître. De son côté, Kamala Harris n’a pas fait la percée attendue (même si Joe Biden a décidé de la garder pour son éventuel deuxième mandat). Et puis, surtout, il y a Donald Trump ! Malgré ses ennuis judiciaires, il reste un épouvantail pour les démocrates et dans ce cas, l’âge de Biden – et même ses absences – n’est plus un handicap.
Biden/Trump en 2024 ? Cela devient tout à fait possible. Une chose est claire : la démocratie américaine a été longtemps capable de faire émerger des figures jeunes et nouvelles (Clinton, Obama). Ce n’est manifestement plus le cas : les États-Unis se rapprochent de la Chine !
21 avril 2023
Dans quelques jours, l’Inde sera le pays le plus peuplé du monde. Elle devrait dépasser la Chine avec 1 428 millions d’habitants, contre 1425 pour l’Empire du Milieu. Dans l’un et l’autre cas, l’orientation est à la baisse de la natalité, mais dans le cas chinois, la tendance démographique semble dramatiquement irréversible. En 2022, la Chine a déjà perdu 850 000 habitants. Le taux de natalité (6,77 ‰) reste désespérément bas. La politique de l’enfant unique – même s’il elle a été assouplie et en partie abrogée – a marqué les mentalités de toute une génération. Les projections des Nations unies donnent en 2100 une population chinoise de 767 millions d’habitants, la moitié de la population actuelle. C’est là le talon d’Achille de la Chine du XXIe siècle : les équilibres économiques et sociaux seront impossibles à respecter, d’autant que la population sera de plus en plus âgée et dépendante. Certes, le Japon connaît déjà ce défi, mais la société y est plus consensuelle, à l’opposé de la volonté de Xi de faire de la Chine la puissance planétaire du XXIe siècle.
Quant à l’Inde, son virage démographique sera donc plus tardif. Mais elle a déjà relevé un défi : celui de nourrir 1,4 milliard d’hommes et même d’exporter un peu de produits agricoles. Quand l’Inde s’éveillera !
18 avril 2023
Si l’on parle beaucoup aujourd’hui de l’approvisionnement en métaux critiques pour la transition énergétique, si la France et l’Allemagne envisagent de se doter de stocks ou au moins de filières allant de la mine à la métallurgie, on a un peu oublié que ce fut un sujet stratégique, il y a déjà une quarantaine d’années, pour les principaux pays occidentaux.
À l’époque, la fin des années soixante-dix, la géographie minière mondiale était marquée par l’héritage de la guerre froide entre l’Est et l’Ouest. Nombre de ressources minières comme le cuivre de Pologne, le chrome d’Albanie et bien sûr tous les métaux du monde soviétique étaient hors d’atteinte pour les industries d’armement de l’Ouest. Mais une région inquiétait tout particulièrement : c’était l’Afrique australe. En Afrique du Sud, la fin anticipée de l’apartheid entraînait un risque de déstabilisation de toute la région sans compter les guerres civiles qui ensanglantaient l’Angola, le Mozambique, le Zimbabwe ainsi que l’instabilité chronique du Zaïre (la RDC actuelle)) et de la Zambie. Il y avait là des ressources essentielles en platinoïdes, en vanadium, en chrome, en cobalt et, bien sûr, en cuivre.
Un pays avait historiquement une politique stratégique. Les États-Unis avaient constitué leur stock – qui existe toujours – au moment de la guerre de Corée : à l’origine, il s’agissait de détenir cinq années de consommation d’une centaine de produits, de l’arsenic au vanadium. À l’arrivée de Ronald Reagan au pouvoir (et avec le début de la guerre des étoiles), le stock américain reprit ses achats, du cobalt zaïrois par exemple en 1981. D’autres pays occidentaux adoptèrent alors des stratégies identiques. En 1979, ce fut le cas de la France dont le stock était financé par la Caisse française des Matières premières au travers d’un emprunt initial de 500 millions de francs. Au lendemain des Falklands, en 1983, la Grande-Bretagne fit de même tout comme le Japon et dans une moindre mesure l’Allemagne.
À l’exception du stock américain, les efforts des pays européens ne résistèrent pas à la normalisation géopolitique et surtout à l’effondrement de l’URSS. Les marchés des métaux entrèrent dans une longue période de déclin des prix et plus personne ne s’inquiéta des risques de ruptures d’approvisionnement, même en tenant compte de l’émergence industrielle de la Chine et du développement de ses activités métallurgiques.
L’heure du réveil est donc bien cruelle en particulier pour l’Europe qui ne dispose que de maigres ressources minières, limitées de surcroît par les restrictions environnementales. L’accélération de la transition énergétique a un « coût métallique » qui se paie en termes de dépendance. Alors voilà revenu le temps des stocks ou plutôt des fonds souverains pour sécuriser en partie un approvisionnement plus aléatoire que jamais : l’Allemagne et la France semblent s’y engager en ordre dispersé, mais c’est au niveau de l’Europe qu’il faudrait agir. La balle est à Bruxelles… avec ses lenteurs !
17 avril 2023
Deux icônes des « Trente Glorieuses » (celles du siècle dernier) viennent de disparaître : Mary Quant et Tupperware. Chacune à sa manière fut un des symboles de ce que les Anglo-saxons qualifièrent de « Golden fifties and Silver sixties ».
Parlons de Tupperware tout d’abord. Avec ses boîtes hermétiques, inventées par l’Américain Earl Tupper en 1946, permettant la conservation des aliments (dans un réfrigérateur, l’autre grande innovation des cuisines), le plastique fait irruption dans la vie quotidienne. Roland Barthes dans ses mythologies rédigées à la fin des années cinquante en est alors le témoin et il célèbre cette « substance ménagère, cette matière première magique qui consent au prosaïsme ». Avec les Tupperware, c’est un peu de l’« american way of life » qui pénètre dans les cuisines françaises. Et cela d’autant plus que l’entreprise choisit un mode de commercialisation original qui marquera toute une génération de femmes, pour l’essentiel issues des classes moyennes, de cette petite bourgeoisie qui, en ces années connaît une période de prospérité sans précédent : ce fut la « démonstration-vente à domicile ». Tupperware visait la femme au foyer, largement majoritaire alors dans ce milieu social. Des réunions de démonstration étaient organisées permettant à quelques voisines et amies de se retrouver et d’assister à une présentation d’une gamme de produits de plus en plus vaste importée des États-Unis puis fabriquée en Europe, d’abord en Belgique (1961) puis en France (1973). Si l’entreprise sut faire évoluer sa gamme de produits en fonction des innovations dans les cuisines comme le micro-ondes, elle fut par contre victime de la mondialisation des marchés, de la concurrence de produits à bas coûts et surtout de l’érosion des « réunions Tupperware » alors que de plus en plus de femmes prenaient le chemin de la vie professionnelle. Début avril 2023, l’entreprise américaine, dont le chiffre d’affaires n’était plus que de $ 1,3 milliard, se battait pour sa survie.
Mary Quant vient de disparaître à 93 ans. Dame Mary (elle avait été anoblie par la reine) avait ouvert son premier magasin à Londres sur Kings Road en 1955. C’est là qu’elle « inventa » la mini-jupe qui devint rapidement l’uniforme de toute une adolescence, puis jeunesse, qui trouva en Mary Quant et en son mannequin fétiche, Twiggy, son modèle : c’était là tout simplement les enfants des dames qui participaient aux réunions Tupperware, ces enfants de la classe moyenne française qui découvraient l’Angleterre au travers des séjours linguistiques et qui se détournaient des shetlands et autres kilts pour visiter Carnaby Street où Mary Quant avait d’ailleurs installé une boutique. À la différence des couturiers français (comme Courrèges lui aussi adepte de la mini-jupe, mais plus tard en 1964), Mary Quant joua très vite la carte de la diffusion de masse en signant des accords avec des chaînes de magasins populaires comme JC Penney aux États-Unis. Il reste d’elle son nom, une marque de cosmétiques au Japon et sa légende.
Du bol en plastique à la mini-jupe, c’est une plongée dans un temps d’épanouissement des classes moyennes que nous offre cette coïncidence. D’autres « trente glorieuses » ont suivi après la crise des années soixante-dix : celles de la mondialisation (1990-2020) qui un peu partout dans le monde occidental a exacerbé les inégalités et étouffé les classes moyennes. L’American way of life et le Swinging London ont fait rêver deux générations, mais le rêve s’est éteint. Dans quelques décennies, peut-être pourra-t-on écrire une autre chronique sur le temps des premiers téléphones portables Nokia ou BlackBerry, des premiers Mac et du Thermomix ! 16 avril
En ce premier dimanche de Pâques, la liturgie catholique propose un texte « révolutionnaire » : « Ils vendaient leurs biens et leurs possessions et ils partageaient le produit entre tous en fonction des besoins de chacun » (Actes 2-44). Il s’agit là, bien sûr, dans les Actes des Apôtres de la description de la vie de la communauté des premiers chrétiens à Jérusalem. Remis dans le contexte de ce qui était alors une nouvelle secte juive (comparable à de multiples égards aux esséniens), cette gestion communautaire n’avait au fond rien de bien extraordinaire.
Mais au fil du temps, ce texte a pris une tout autre dimension et a nourri tout un courant que l’on a pu qualifier de « communisme chrétien » : Saint-Jean-Christome parle de dépouiller les riches pour réduire la pauvreté à Constantinople. Plus tard, ce seront les fraticelli, disciples quelque peu déviants de François d’Assise, les rêves utopiques de Thomas More, les réductions jésuites du Paraguay et plus près de nous encore, les prêtres ouvriers et la théologie de la libération en Amérique du Sud.
C’est, bien sûr, une erreur que de chercher une dimension économique dans le Nouveau Testament (à la différence par exemple du Coran), mais ce petit texte est aussi le symbole d’un idéal, celui de la Caritas (l’amour) dont Benoît XVI fit une admirable synthèse économique dans son encyclique « Caritas in veritate ».
Curieusement pourtant, le catholicisme, à la différence du protestantisme, a maintenu tout au long de son histoire une profonde ambiguïté à l’égard de l’argent. Vous ne pouvez servir deux maîtres…
16 avril 2023
En ce premier dimanche de Pâques, la liturgie catholique propose un texte « révolutionnaire » : « Ils vendaient leurs biens et leurs possessions et ils partageaient le produit entre tous en fonction des besoins de chacun » (Actes 2-44). Il s’agit là, bien sûr, dans les Actes des Apôtres de la description de la vie de la communauté des premiers chrétiens à Jérusalem. Remis dans le contexte de ce qui était alors une nouvelle secte juive (comparable à de multiples égards aux esséniens), cette gestion communautaire n’avait au fond rien de bien extraordinaire.
Mais au fil du temps, ce texte a pris une tout autre dimension et a nourri tout un courant que l’on a pu qualifier de « communisme chrétien » : Saint-Jean-Christome parle de dépouiller les riches pour réduire la pauvreté à Constantinople. Plus tard, ce seront les fraticelli, disciples quelque peu déviants de François d’Assise, les rêves utopiques de Thomas More, les réductions jésuites du Paraguay et plus près de nous encore, les prêtres ouvriers et la théologie de la libération en Amérique du Sud.
C’est, bien sûr, une erreur que de chercher une dimension économique dans le Nouveau Testament (à la différence par exemple du Coran), mais ce petit texte est aussi le symbole d’un idéal, celui de la Caritas (l’amour) dont Benoît XVI fit une admirable synthèse économique dans son encyclique « Caritas in veritate ».
Curieusement pourtant, le catholicisme, à la différence du protestantisme, a maintenu tout au long de son histoire une profonde ambiguïté à l’égard de l’argent. Vous ne pouvez servir deux maîtres…
15 avril 2023
À peine le verdict du Conseil constitutionnel tombé, qu’Emmanuel Macron promulguait (à 3 h 28 du matin, l’heure du Journal Officiel) l’essentiel de la loi sur les retraites. Finalement, seuls deux articles, ceux portant sur l’emploi des séniors (un thème pourtant majeur), ont été laissés sur la table. La page sur la réforme des retraites est donc tournée et l’âge de 64 ans désormais gravé dans le marbre.
Deux choses sont certaines : d’une part cette réforme ne sera pas la dernière. Mal ficelée, elle va présenter à l’usage nombre de failles, notamment pour les petites retraites et les carrières longues, qu’il faudra traiter. L’autre certitude est que la capacité du président à faire évoluer le modèle français – ce qui était sa véritable et légitime ambition – est pratiquement nulle. Son capital confiance est voisin de zéro chez tous ceux qui devraient être ses partenaires et malheureusement, il en est presque de même au niveau européen.
Quatre années de vide s’ouvrent devant les Français. Il faudra gérer les affaires courantes (inflation et pouvoir d’achat), se distraire un peu avec les Jeux olympiques, préparer politiquement un après qui n’a jamais été aussi flou tant est grand le vide sidéral des partis politiques (à la seule exception du RN…).
Emmanuel Macron va-t-il être capable de reprendre la main, de surprendre comme il le fit il y a sept ans, c’est ce dont la France a besoin, mais la tâche est, là encore, plus rude.
12 avril 2023
Fallait-il mourir pour Dantzig ? Beaucoup en doutaient, mais c’est finalement Dantzig après l’Anschluss et les Sudètes qui fut l’ultime étincelle de la Seconde Guerre mondiale.
Alors, faut-il se battre pour Taïwan après avoir fermé les yeux sur le Tibet et Hong Kong ? Rentrant de Chine, Emmanuel Macron a été comme à son habitude d’une ambiguïté totale, comme en d’autres temps Daladier rentrant de Munich ?
Certes, il serait souhaitable que l’Europe pèse sur la scène internationale, qu’elle ne soit pas un simple supplétif dans cette nouvelle guerre froide opposant la Chine et les États-Unis. Certes aussi la position américaine manque souvent de cohérence et ce fut un honneur pour la France de ne pas les suivre dans le fiasco irakien.
Mais sur Taïwan, il ne peut y avoir de « en même temps » : Taïwan est une véritable démocratie dont les habitants n’ont aucune envie de tomber sous la férule d’un parti omnipotent. Bien sûr, Xi n’est pas Mao : il est dans une certaine mesure beaucoup plus subtile, mais le cœur de son pouvoir est fondé sur la dictature du Parti dans un État qui n’est pas un État de droit.
Il serait dramatique de faire croire à Xi qu’il pourrait avoir les mains libres vis-à-vis de Taïwan comme il les a eues à Hong Kong. Et là, la place de l’Europe est aux côtés des États-Unis, toute ambiguïté ne faisant qu’affaiblir la position européenne.
Mourir pour Taïwan ? Assurément !
9 avril 2023
À chacun ses œufs de Pâques ! Chez BNP Paribas, les cloches ont apporté plus d’un million d’euros à 369 « employés » de cette grande maison, 77 de plus que l’année précédente. BNP Paribas est en tête du palmarès français, mais est dépassée en Europe par Barclays (619), Deutsche Bank (572) et HSBC (473).
Pour l’essentiel, les intéressés sont de vulgaires « traders », certes montés en grade, « spielant » sur des centaines de millions de dollars dans ces salles de marché qui sont devenues le cœur de maisons où la finance a supplanté la banque. Bien sûr, ils prennent des risques, non pas pour eux-mêmes, mais pour leur employeur qui doit savoir les encadrer afin d’éviter quelques Kerviel ou autres baleines.
Sans tomber dans la vaine morale, on peut convenir que ces rémunérations sont parfaitement indécentes surtout quand elles émanent d’entreprises comme BNP Paribas au discours RSE bien formaté. Certes, le temps où le patron de General Motors estimait que l’écart salarial optimal entre les extrêmes salariaux d’une entreprise ne devait pas dépasser vingt, ce temps est résolu. Il est accepté que des dirigeants, ceux qui ont des responsabilités sociales et humaines, qui créent de la valeur, puissent avoir des rémunérations élevées. Mais là, on en est bien loin. Bien sûr, il faut tenir compte du mercato mondial et se dire qu’un trader vaut bien un footballeur.
Dans la Divine Comédie, Dante mettait les banquiers dans le cinquième cercle de l’enfer. Ceux-là, en tout cas, y vont tout droit.
7 avril 2023
Pauvre Alexandre Dumas ! Son œuvre étant dans le domaine public depuis quatre-vingt-trois ans, nul ne peut protester face aux adaptations et autres contrefaçons qui défigurent les histoires qui nous ont bercées. Seuls quelques amateurs, comme l’auteur de ces lignes, peuvent s’en indigner.
Voilà donc une nouvelle adaptation cinématographique des Trois Mousquetaires (la première – américaine – date de 1898). Il paraît que ce devait être un « blockbuster » à la française doté d’un budget conséquent (70 millions d’euros, mais pour deux épisodes).
Le film est agréable à regarder pour tout public même si on se perd un peu dans une intrigue complexe qui ne doit rien à Dumas. Les scénaristes ont en effet chargé l’histoire imaginée par Dumas : Athos devient protestant et on lui découvre un frère qui ourdit un complot pour assassiner le roi à l’occasion du mariage de Monsieur, le frère de Louis XIII. D’Artagnan va seul chercher les ferrets de la reine chez Buckingham (dont le château jouxte les falaises de Douvres). Constance Bonacieux n’est plus mariée et Bonacieux disparaît du casting. L’arrivée de d’Artagnan à Meung est à peu près incompréhensible. À la limite, la bisexualité de Porthos est peut-être l’« invention » la moins choquante.
Voilà en tout cas un film à vite oublier et qui n’incite guère à voir le deuxième opus à Noël prochain. Mais au moins, cela entraîne à se plonger dans le vrai Dumas et à relire les Trois Mousquetaires ! Et, là, quel délice !
25 mars 2023
Avec le printemps reviennent les bassines ! Tout le monde sait ce que sont ces retenues d’eau, permettant aux agriculteurs de stocker l’eau pluviale et de ruissellement pour irriguer leurs terres durant les mois les plus secs. On a appris aussi qu’il y a des « méga-bassines » qui utilisent aussi l’eau des nappes phréatiques en hiver. Les avis scientifiques sont partagés, mais il semble que lorsqu’elles sont bien gérées leur impact soit plutôt positif. Dans le Poitou et les Deux-Sèvres, la question de l’eau fait l’objet d’une gestion plutôt consensuelle qui se trouve bouleversée par l’irruption de militants à la recherche de causes à défendre, de ZAD à construire, frustrés qu’ils sont de ne plus avoir ni Notre-Dame des Landes ni Sivens.
Le raisonnement est simpliste, mais il porte : de l’eau pour irriguer, c’est donc une agriculture qui n’est pas autonome, c’est une agriculture intensive soumise aux lois d’airain du capitalisme, c’est une production que l’on va peut-être même exporter. Coupons le robinet, détruisons les bassines (et au passage, piétinons les cultures) et ce sera le retour à l’ordre éternel de la nature et dans ce cas le marais sans les hommes.
Le pire est que cela marche, qu’ils sont aujourd’hui plus de 6 000 à manifester (dont un bon millier qui vient pour la castagne). Nombre d’élus de la Nupes (verts et rouge avec même quelques drapeaux noirs de l’anarchie) seront là pour apporter leur soutien tout en se lavant les mains des violences : un si joli week-end.
Le partage de l’eau est un vrai problème, mais on ne peut le traiter qu’entre gens responsables.
24 mars 2023
C’est le printemps ! Au Japon, la floraison des cerisiers a commencé avec quelques semaines d’avance. Les frimas de l’hiver s’estompent déjà et sur les marchés de l’énergie la page des tensions de 2022 semble bien tournée malgré la poursuite du conflit en Ukraine : en Europe, le gaz naturel est passé en dessous de la barre des 40 euros le MWh (après avoir culminé bien au-delà des 300 euros fin août et début septembre). Le baril de pétrole Brent évolue entre 70 et 75 dollars et le brut américain est en dessous de 70 dollars. Il est vrai que le pétrole russe, à moins de 60 dollars, tire le marché vers le bas. Il n’y a guère qu’en France que les grèves dans les raffineries, les dépôts pétroliers et les terminaux de regazéification entretiennent la psychose de la pénurie.
Plus de peur que de mal donc ? L’Europe peut vivre sans l’énergie russe ou presque en fermant les yeux par exemple sur le diesel « indien » produit à partir de pétrole russe et en continuant d’acheter du gaz naturel liquéfié (GNL) russe. On fait presque mieux avec moins et ailleurs ! À Bruxelles, la vie « normale » reprend avec ses réticences vis-à-vis du nucléaire et de quelque encadrement que ce soit du marché de l’électricité. Certes, on doit avaler la couleuvre du gaz de schiste américain, mais là, il n’y a pas d’autre solution. Mais en parallèle, on pousse à fond la carte des renouvelables en fermant les yeux, là aussi, sur les dépendances qu’elles induisent ; panneaux solaires et terres rares de Chine, métaux impossibles à produire en Europe du fait des réticences environnementales… Le débat quelque peu dogmatique sur l’interdiction de la production de véhicules à moteur thermique en Europe en 2035 ne fait-il pas – in fine – le jeu de l’industrie automobile chinoise, la plus avancée en matière d’électrification, même si la Chine continue à produire son électricité pour l’essentiel à partir du charbon ! Au jeu de go, on sait bien que l’essentiel est de contrôler des territoires. En sommes-nous conscients en Europe ?
La crise énergétique marque une pause, mais force est de constater que l’Europe retombe bien vite dans ses vieux travers, ceux d’une idéologisation verte (« l’écologisme ») de la nécessaire transition écologique et de ce point de vue Bruxelles et Strasbourg apparaissent de plus en plus « hors sol » en particulier face au pragmatisme américain tel qu’il s’exprime dans l’IRA (et avec quelques moyens…).
Mais en avons-nous vraiment terminé avec la crise énergétique ? Du côté du pétrole, certains pronostiquent une fin d’année vers $ 140 le baril. C’est là probablement excessif et $ 100 paraît plus raisonnable. Tout dépendra de la demande chinoise. Il en sera de même du gaz naturel et dans le courant de l’été, lorsqu’il s’agira de remplir les capacités de stockage pour l’hiver, il ne serait pas étonnant que les prix remontent au-delà de 100 euros, c’est-à-dire dix fois plus que dans la décennie précédente. Ces tensions sur les énergies fossiles, si elles alimentent l’inflation, ont au moins l’avantage de pousser à l’accélération des innovations en matière, en particulier, de stockage de l’électricité, mais aussi d’entretien des parcs nucléaires existants. L’Europe doit aussi réfléchir de manière globale à sa souveraineté énergétique en allant jusqu’aux composants des énergies nouvelles. Est-il possible de l’imaginer de manière rationnelle en évitant les écueils de tous les a priori idéologiques qui avec ce printemps, fleurissent à nouveau comme les pâquerettes ? C’est là un vœu qui, espérons-le, ne restera pas pieux !
22 mars 2023
Le 22 mars 1968, quelques étudiants de Nanterre, menés par un certain Daniel Cohn Bendit, prirent d’assaut le bâtiment des « filles » de la résidence universitaire de Nanterre ; à l’époque, la mixité n’était pas la norme… Ce fut l’étincelle qui mit le feu aux poudres de Mai 68. Pour l’auteur de ces lignes, lycéen en première au collège jésuite de Bordeaux et dont la conscientisation politique était à peu près nulle, ce n’est que deux ans plus tard que la révolution culturelle de ces années devint une évidence. Mai 68, pas seulement en France, mais aux États-Unis, en Allemagne et même cette année-là aux Jeux olympiques de Mexico avec les poings levés des vainqueurs du 200 mètres, marque en effet une rupture précédant de quelques années la fin des Trente Glorieuses. « Cours camarade, le vieux monde est derrière toi ! ».
Cet anniversaire prend une dimension nouvelle en 2023, cinquante-cinq ans plus tard. Certes, la contestation est différente et nous ne songions même pas alors à nos retraites (ce qui semble être le cas des étudiants d’aujourd’hui) qui avaient été quand même chèrement gagnées par nos parents. Mais on retrouve les mêmes ingrédients : la contestation d’un monde essoufflé, la recherche d’autres légitimités moins idéologiques et plus « responsables ». Au fond, Mai 68 commence à défaire l’édifice des Trente Glorieuses. Nous sommes aujourd’hui au bout d’autres Trente Glorieuses, celles de la « mondialisation heureuse » que peut-être un peu malgré lui Emmanuel Macron a représentée et que les Français rejettent sans bien savoir où cela va les mener.
20 mars 2023
536 081 candidats qui rendront 1,72 million de copies destinées à 35 334 correcteurs, les épreuves dites de spécialité du baccalauréat 2023 sont bien dans la droite ligne du « Stalinisme soviétique » qui continue de régner en maître au ministère de l’Éducation nationale.
Avec la banalisation du bac obtenu par 90 % de candidats avec un taux de mentions « Très bien » qui dépasse l’entendement, on avait pu espérer que l’étape suivante serait sa supression pure et simple. Las, il n’en a rien été et la bureaucratie qui règne en maître rue de Grenelle a accouché d’un système encore moins compréhensible dont le résultat a été notamment le recul des études scientifiques.
Théoriquement – s’il n’y a pas de grèves –, les résultats de ces épreuves de spécialités vont être intégrés dans les dossiers des futurs bacheliers (ils le seront presque tous) dans Parcoursup. Attention, personne en France ne parle de sélection. Tout bachelier a le droit d’une formation universitaire. Le mot de sélection n’ayant pas droit de cité afin de ne pas traumatiser les chères têtes blondes, on parlera plutôt d’orientation dans un système dont l’opacité demeure totale : quelques algorithmes, mais surtout l’incapacité dans laquelle se trouvent la plupart des universités d’étudier vraiment les dossiers et les motivations des candidats. Les notes de ces épreuves de spécialité sont censées apporter un peu d’objectivité. Formons-en le vœu, mais n’est-il pas grand temps de balayer tout cela et de sérieusement « dégraisser le mammouth » ?
17 mars 2023
Le vent de panique bancaire parti de Californie se propage jusqu’à atteindre le calme des montagnes suisses. En une semaine, la capitalisation des banques de la planète a diminué de $ 460 milliards. Près d’un demi-trillion de dollars ont été balayés en quatre jours à la suite de deux faillites en Californie et d’un (gros) problème en Suisse. Rien de systémique d’ailleurs, mais tout simplement de la mauvaise gestion.
En Californie, c’est son succès qui a précipité la chute de la Silicon Valley Bank. Cette banque était devenue la providence des start-ups des nouvelles technologies et en retour avait bénéficié à partir de 2020 de flux massifs de dépôts. Pour gagner quelques dizaines de points de base, en ces temps de taux négatifs, la direction financière de la SVB avait fait le choix d’investir dans des obligations à dix ans. La hausse des taux (4,5 % en 2022) a fait plonger la valeur de ces papiers et le marché a pris conscience de la situation lorsque SVB, en commençant à vendre ces obligations, a dévoilé des pertes. La suite a été un vent de panique qui a touché deux autres banques, Signature et First Republic. Comment mourir en bonne santé ?
L’histoire du Crédit Suisse est plus classique : c’est celle de la mauvaise gestion, des haines de personnes (dans le milieu fermé de la finance zurichoise), de l’appétit du gain aussi.
Dans l’un et l’autre cas, les autorités sont intervenues, en remettant de l’argent dans le circuit et en garantissant les déposants au-delà de tous les plafonds. Privatiser les gains et nationaliser les pertes serait au fond le nouveau mantra des « entrepreneurs » de la Silicon Valley !
16 mars 2023
Les images ce soir de la place de la Concorde à Paris ont un parfum de 6 février 1934, un autre soir où la République fut proche de tomber sous la pression des Ligues et des anciens combattants. Ce soir, ce sont des syndicalistes, des étudiants, tout un peuple qui hurle à la trahison face à la décision du président de ne pas courir le risque d’un vote et d’utiliser le désormais célèbre 49-3 pour faire passer la réforme des retraites. Rassurons-nous, la république ne sera pas renversée (au vrai, personne n’y songe, même les tenants d’une « VIe » république à la Mélenchon) ni même le gouvernement, car il y a peu de chances que les motions de censure annoncées trouvent une majorité. Mais de majorité, le gouvernement et donc Emmanuel Macron, n’en a pas trouvé pour ce malheureux texte sur les retraites, accumulation d’emplâtres sur les jambes de bois de nos retraites. On était loin en effet du projet ambitieux de la retraite par points et encore plus peut-être d’une avancée vers la capitalisation.
Avec juste raison, ce recours au 49-3, le centième de la Ve République, est un échec qui, dans la présidentialisation du régime, doit remonter à l’Élysée et à sa flopée de « technos » sans expérience des réalités de la scène sociale : peu ambitieuse, mal ficelée, faite de bric et de broc sans grande cohérence, elle n’aura fait que compliquer un peu plus un dossier retraites qui reste une des urgences de ce début du XXIe siècle avec le déséquilibre grandissant entre actifs et inactifs. Emmanuel Macron avait raison d’en faire la grande cause de sa présidence. Force est de constater qu’il s’y est mal pris.
13 mars 2023
Il y a dix ans, le cardinal Jorge Bergoglio, archevêque de Buenos Aires, devenait le pape François. C’était là une première que l’élection au siège de Pierre d’un non-européen (encore qu’il fut d’origine italienne, immigré de la deuxième génération et qu’à bien des égards, l’Argentine est un pays de culture européenne, qui était considéré à la fin du XIXe siècle comme un pays émergent).
Dix ans de pontificat donc et un bilan en demi-teinte illustrant d’ailleurs les difficultés de la tâche qui avaient poussé son prédécesseur, Benoît XVI, à la démission : la réforme de la Curie a peu avancé et le grand exercice synodal (de démocratie de terrain) a illustré des fractures profondes sur des thèmes comme la place des laïcs, celle des femmes, le mariage des prêtres… Son incapacité à faire avancer un dossier comme celui du diaconat des femmes illustre cruellement une certaine forme d’impuissance. Sur la question des abus sexuels, la fermeté affichée n’a pas été dénuée d’ambiguïté (comme l’a montré en France le refus de recevoir les auteurs du rapport Sauvé).
Il y a eu certes quelques grands textes en particulier l’encyclique Laudato Si, mais en matière économique par exemple on peut presque parler de régression par rapport aux écrits de Benoît XVI comme Caritas in Veritate.
Grand voyageur comme Jean-Paul II, il a largement évité l’Europe et notamment la France qui n’appartient manifestement pas à son univers culturel. On le sent aujourd’hui fatigué, peut-être aussi un peu désabusé sur la faible influence de la Parole sur l’état du monde.
14 mars 2023
L’un des rêves du XXIe siècle, qui devait être celui de la « fin de l’histoire », était de mettre fin aux dictatures qui avaient tant marqué la fin du siècle précédent. Force est de constater qu’il n’en est rien et que le camp des dictatures a même progressé sans même plus se cacher sous les oripeaux de la démocratie. La dictature du prolétariat est encore une façade commode de la Chine à Cuba. Les héritiers du communisme soviétique ont en général évolué vers des régimes dictatoriaux (Russie) avec parfois des dimensions dynastiques dont la Corée du Nord est la caricature. Les dictatures religieuses sont peu nombreuses, mais l’Iran en est un bel exemple. Il y a bien sûr aussi les militaires qui, dans un premier temps, pensent être les seuls capables de restaurer la démocratie et l’ordre et puis qui prennent goût au pouvoir, de la Birmanie à l’Égypte…
Mais ce qui est frappant ces derniers temps, c’est la résilience de certains dictateurs qui ont pu habilement jouer des tensions géopolitiques : c’est le cas de Nicolas Maduro au Venezuela, contre lequel les États-Unis ont presque jeté l’éponge en échange de quelques barils de pétrole, de Bachar El Assad en Syrie, à nouveau devenu fréquentable comme une sorte de tampon entre la Turquie, la Russie et le monde arabe, de Sissi en Égypte bien sûr. Tous, à un moment ou à un autre, prétendent aller dans le sens du modèle voltairien du « dictateur éclairé ». Mais gare à la première coupure de courant !
12 mars 2023
Ambroise Thomas fut un musicien français qui eut son moment de célébrité sous le Second Empire et sur toute la fin du XIXe siècle. Quelque peu oublié aujourd’hui, il n’a laissé que deux opéras « majeurs » même s’ils sont bien peu joués : Mignon et Hamlet, dont la première se donnait hier soir à l’Opéra de Paris. L’oubli dans lequel est tombé Ambroise Thomas est injuste tant sa musique est inspirée, faisant la part belle à ses interprètes avec des passages d’une grande intensité. Il était là admirablement servi notamment par Lisette Oropesa qui a campé une admirable Ophélie.
Malheureusement, la chance d’Ambroise Thomas s’est arrêtée là. La mise en scène de K. Warlikowski a en effet enlevé toute cohérence à un livret certes déjà un peu difficile (mais au moins tout le monde connaît plus ou moins l’histoire d’Hamlet). On comprend peu à peu que l’action se passe dans un hôpital psychiatrique (pourquoi pas si Hamlet est fou) à deux époques différentes (20 ans ce qui n’a aucun sens). Le spectre du roi défunt est un clown blanc. Pendant toute une partie du spectacle, la reine regarde sur un écran télé en noir et blanc un film de Bresson. Mais la palme du ridicule est pour la malheureuse Ophélie. Elle se promène avec un cabas puis un cageot d’oranges dont la signification nous échappe. Mais le comble est atteint avec sa mort dans une… baignoire. Pauvre Ophélie et pauvres spectateurs qui ont copieusement hué ce triste spectacle !
11 mars 2023
C’est là tout un symbole : l’Iran et l’Arabie saoudite viennent de décider de renouer leurs relations diplomatiques. Mais le plus important, c’est le lieu où cet accord a été négocié : Pékin alors que se réunissait l’Assemblée nationale populaire pour célébrer le troisième mandat de Xi Jinping. La Chine marque là un point dans sa course au leadership mondial face aux États-Unis. Il y a quelques semaines, le président iranien était venu à Pékin : la Chine, malgré la répression des musulmans ouïghours, continue à soutenir l’Iran en lui achetant notamment son pétrole. Et l’Iran s’est de facto rapproché de la Russie à laquelle il vend du matériel militaire et notamment des drones. En décembre, Xi est allé en Arabie saoudite et a rencontré les dirigeants du Golfe : aucun n’a condamné l’invasion de l’Ukraine et au contraire, le Saoudien MBS est trop heureux de s’émanciper de la férule américaine surtout lorsque celle-ci est tenue par un Biden qui n’a pas oublié le meurtre de Kashoggi. Xi a manifestement joué les bons offices entre Ryad et Téhéran. Dans cette région longtemps dominée par la « pax americana », il parvient à substituer une « pax sinica » et le Golfe se retrouve ainsi dans un jeu d’alliances qui l’éloigne un peu plus de l’Occident.
Voilà que se reconstitue un espace géographique qui, il y a quelques siècles, fut celui de l’empire mongol englobant la Chine, la Russie, la Perse et les confins arabes. L’échec tant militaire que diplomatique américain est patent. Comme autre fois, les royaumes vassaux viennent apporter leurs tributs à l’empereur au cœur de sa cité interdite.
28 février 2023
Ils sont venus, ils sont tous là ! Qui ? Mais les politiques bien sûr de tous les bords, les grands et les petits, prêts à serrer toutes les mains, à flatter le cul des vaches réunies au Salon de l’Agriculture pour montrer aux petits citadins une certaine réalité agricole.
Jamais pourtant le fossé n’a été aussi grand entre l’image fantasmée et la réalité du monde agricole, entre l’empressement annuel au « Salon » et l’indifférence quotidienne vis-à-vis des contraintes de la production et des marchés agricoles. Bien entendu, il est facile de se défausser : les « méchants » sont à Bruxelles où règnent en maîtres les avocats de l’environnement, où se préparent réglementations et interdictions. Il a fallu la guerre en Ukraine pour bloquer « in extremis » la directive « From Farm to Fork », admirable exemple de l’aveuglement verdâtre qui règne entre Bruxelles et Strasbourg. Mais soyons honnêtes, Paris a quelque responsabilité en ajoutant le poids de son propre génie administratif et bureaucratique à l’obscure clarté tombant de Bruxelles. Fallait-il ainsi être les premiers en Europe à reprendre au vol la directive sur les néonicotinoïdes et à l’appliquer envers et contre tout ? Fallait-il être des ayatollahs du glyphosate dont l’utilisation raisonnée va même plutôt dans le sens de l’agro-écologie !
Le nombre d’agriculteurs et surtout d’éleveurs en cesse de diminuer. Le « pétrole vert » de la France (l’expression utilisée par VGE est de 1979) s’épuise et bientôt nos citadins redécouvriront avec horreur les charmes de la désertification et des friches. Il n’y aura plus personne pour entretenir tant notre espace que notre histoire. On les regrettera alors les « sympathiques petits agriculteurs » !
27 février 2023
Élections présidentielles au Nigeria, le pays le plus peuplé d’Afrique et qui pourrait en être le plus riche et, si cela avait un sens, le plus heureux. Ce n’est malheureusement pas le cas. Ce pays qui fut longtemps la perle de la colonisation britannique en Afrique, qui en était l’un des greniers alimentaires et qui s’était relevé de la sanglante guerre civile au Biafra, ce pays paye désormais des années de mal-gouvernance, de gouvernements militaires et d’alternance démocratique confortant l’oligarchie au pouvoir. Le résultat en est la baisse de la production de pétrole, l’augmentation de l’insécurité alimentaire et d’ailleurs aussi de l’insécurité tout court. Le Nigeria a ainsi le triste privilège d’être au troisième rang mondial des pays où la population est touchée par la faim : 19,5 millions de Nigérians d’après la FAO, soit 12 % de la population totale.
Le chef d’État sortant, le général Buhari, avait promis mont et merveilles. Il s’est révélé d’une rare médiocrité, incapable de s’attaquer aux problèmes qui plombent l’économie et la société nigériane.
Cette fois-ci, on compte dix-huit candidats, mais trois se détachent. Deux sont des « chevaux de retour » dont malheureusement il n’y a rien à attendre se ce n’est la préservation de la rente de quelques privilégiés. Le troisième est un homme relativement nouveau (même s’il a déjà été gouverneur d’un État). Mais Peter Obi a le handicap d’être chrétien dans un pays à majorité musulmane (malgré la présence endémique de Boko Haram, un autre problème). Pour la première fois, la présidentielle pourrait se jouer sur deux tours. Le scrutin semble s’être bien passé (chose exceptionnelle en Afrique). Attendons les résultats et… les probables contestations.
24 février 2023
Un an déjà ! Un an de guerre aux portes de l’Europe ; une guerre classique avec chars, artillerie et tranchées, telle que l’on n’en avait pas connu sur le territoire européen depuis 1945.
Il y a un an, lorsque Vladimir Poutine donna l’ordre de l’invasion, personne n’aurait parié sur la capacité de résistance de l’Ukraine, ni même sur un soutien aussi marqué des Occidentaux et de l’OTAN. Mais voilà, on est passé du « blitzkrieg » à l’enlisement, un enlisement mortel.
Les estimations sont variables, mais en un an ce sont quelque 500 000 militaires et civils qui ont été tués ou blessés (200 000 côté russe et 100 000 militaires ukrainiens). À cela, il faut ajouter 7 à 8 millions de réfugiés. En ce siècle, aucun nationalisme ne peut justifier pareille boucherie (quoiqu’elles soient encore monnaies courantes en Afrique ou au Moyen-Orient).
Le drame est que l’on ne peut entrevoir à cette guerre aucune issue. La Russie ne peut vaincre même si elle prépare probablement son offensive de printemps pour essayer au moins de récupérer les oblasts annexés de manière un peu hâtive il y a quelques mois. Mais elle ne peut non plus être totalement vaincue. Si le monde s’est fracturé autour de ce conflit, au moins l’OTAN a-t-il retrouvé une colonne vertébrale, largement américaine comme l’a montré aujourd’hui la visite de Joe Biden à Kiev. Mais les dirigeants ukrainiens pourront-ils aller au bout de leur dessein de reconstitution d’autant que c’est tout l’état qu’il va falloir reconstruire (et nettoyer ce que Zelinsky semble avoir commencé non sans quelques ambiguïtés).
En ce jour, les pensées vont avant tout aux victimes innocentes, d’un côté comme de l’autre. Un nouveau chapitre s’écrit de la folie des hommes et malheureusement il y a encore des pages à tourner…
22 février 2023
Sommé par le président de la République de faire « un geste » sur le prix du diesel (ce qui, en ce moment précis, n’est pas vraiment une urgence), le président de Total, Patrick Pouyanné vient de trouver une touche (vocabulaire de rugby) à la fois astucieuse et originale. Le groupe Total va, à compter du 1er mars et jusqu’à la fin de l’année, plafonner) à € 1,99 le prix du SP95 et du diesel : ces deux carburants sont à l’heure actuelle en moyenne à € 1,89 et € 1,84 le litre. Pour l’instant, l’engagement peut ne pas paraître trop contraignant même s’il faut tenir compte des stations d’autoroute et de centre-ville qui dépassent déjà les 2 euros le litre.
Mais l’essentiel de l’engagement porte sur la durée : dix mois de 2023. Le baril de Brent cote $ 81 et l’euro € 1,06. Mais qu’en sera-t-il au long de l’été et de l’automne. La prévision de prix moyen du baril de Brent en 2023 réalisée par CyclOpe est de $ 80, ce qui est à peu près le consensus. Mais bien des éléments peuvent changer tant du côté de la Russie (baisse de la production) que de la Chine (reprise plus forte que prévu). Du pétrole à $ 100, voire $ 120 le baril avec un euro revenant autour de la parité, voilà un scénario qui est du domaine du possible. L’engagement pris par Total représente donc un risque non négligeable et on peut imaginer que le groupe a pris les mesures adéquates en utilisant les marchés dérivés (options d’achat dans le marché par exemple). Il demande quand même des salles de marché assez compétentes. Mais les centrales de la grande distribution pourraient, sans coûts excessifs, faire le même geste.
L’avantage de ce mécanisme est d’offrir aux automobilistes un plafonnement de leurs carburants de base (les carburants « premium » ni le SP98 ne sont pas concernés). Les 2 euros sont un seuil devenu symbolique dans l’imaginaire – et le porte-monnaie – des consommateurs. Et le procédé est plus efficace et beaucoup moins onéreux que les « remises » pratiquées en 2022.
Les critiques ont fustigé le « coup de com » de Total. Certes dans le contexte idéologique gaulois, le groupe doit se faire pardonner ses « trop » bons résultats (il y a eu depuis, Stellantis). Mais la proposition est intéressante et innovante et ouvre même de nouveaux horizons en matière de stabilisation des fourchettes de prix. Au passage, elle va introduire immédiatement un peu de concurrence parmi les stations d’autoroute.
Au rugby, on applaudirait une touche aussi bien trouvée !
11 février 2023
En 1924, aux Jeux olympiques de Paris, la pelote basque était « sport de démonstration ». On construisit sur le bord de la Seine, au droit de la porte de Saint-Cloud un fronton qui porte le nom de l’un des grands champions de l’époque, héros de la Première Guerre mondiale, Chiquito de Cambo. Depuis le lieu est devenu une enclave basque dans l’Ouest parisien. Un trinquet (lieu couvert hérité des jeux de paume) y fut construit à la fin du siècle. Le lieu, géré par la ligue d’Ile de France de pelote basque, était resté « dans son jus » celui d’un amateurisme de bon aloi, géré par des bénévoles. Comme au « pays », un bar l’animait et il était le rendez-vous des « troisièmes mi-temps » lors des grands matchs de rugby. À la saison, on y assistait à de belles parties au grand gant ou même de rebot en utilisant les deux frontons qui se font face.
Mais voilà, nos amis basques occupaient un hectare de terrain à Paris. Le lieu appartient à la ville de Paris qui le donne en concession. Jusque-là la concession avait toujours été renouvelée. Nul ne doutait qu’avec une maire engagée dans la lutte sociale et environnementale, ce coin de culture et de bonheur basque à Paris continuerait à exister. C’était là sans compter avec l’appétit des « marchands de soupe ». L’un d’eux obtint la concession au prix de moult promesses que — dit-il — le Covid l’a empêché de tenir. En réalité, il a transformé le lien en une sorte de « jardin à bière et autres alcools » qui fait le plein presque tous les soirs. Certes, il n’a pas encore touché au fronton ni au trinquet, mais il a bien fait sentir aux pratiquants de la pelote qu’ils n’étaient plus que des hôtes de plus en plus encombrants. Mais voilà que maintenant, il a d’autres ambitions : détruire tout ce qui n’est pas « classé » : un fronton, les gradins de 1924, faire autant que se peut place nette pour installer des cours de padel (plus petits et beaucoup plus rentables) et ne laisser à la pelote qu’une place d’attraction touristique dans ce qui deviendra une sorte de Luna Park sportif, et surtout à voir la consommation actuelle, alcoolisé (et plus si affinité).
Il est paradoxal de constater qu’à la veille des Jeux olympiques de Paris de 2024, un siècle donc après les précédents (admirablement illustrés plus tard par le film Les chariots de feu), on va laisser « massacrer » (le mot n’est pas exagéré) l’un des ultimes témoignages des Jeux de 1924. Chiquito de Cambo, dont le monument est toujours présent à côté de la « cancha », trouverait là un signe supplémentaire de la soumission du sport aux intérêts marchands. Mais la mairie de Paris est plus encline à défendre, à quelques mètres de là, le parc des Princes face à l’appétit qatari que quelques arpents de terre basque au bord de la Seine. Dans leur longue histoire, les Basques ont l’habitude des migrations. Ils trouveront ailleurs, de Buenos Aires à san Francisco, d’autres frontons plus accueillants que celui de l’ingratitude parisienne.
Philippe Chalmin, joueur de pelote.
9 février 2023
Le séisme qui a ravagé les confins de la Turquie et de la Syrie et provoqué plus de 20 000 morts (au moins) avait son épicentre près d’Antakya. Antakya ? L’ancienne Antioche dont l’histoire se confond avec les origines du christianisme et avec les croisades, un millénaire plus tard.
Antioche sur l’Oronte fut ainsi l’une des premières destinations de l’apôtre Paul, le siège de l’une des premières églises chrétiennes, bientôt l’un des patriarcats majeurs avec Alexandrie et Jérusalem, avant même Constantinople. Aujourd’hui encore, le patriarche d’Antioche (mais qui siège à Damas) dirige une église orthodoxe autocéphale dont le rayon s’étend sur la Syrie et l’Irak (avec une branche en Amérique du Nord). Un patriarcat latin dirige l’église melkite, mais les églises de Saint-Thomas en Inde sont aussi de filiation antiochienne.
Et puis Antioche, ce fut la première grande ville que conquirent les croisés de la première croisade où ils furent bientôt assiégés. Ce fut pendant près de deux siècles une principauté chrétienne sous la domination des princes normands et notamment de Bohemond de Tarente.
Déjà en 526, un tremblement de terre avait détruit l’orgueilleuse cité antique. En 1268, Antioche fut reprise par le sultan d’Égypte puis passa sous la domination turque et sortit de l’histoire pour ne se rappeler à notre souvenir qu’en ces douloureux moments aux confins d’une région en guerre.
7 février 2023
Grand vent de bénéfices sur les majors pétrolières mondiales : de $ 58 milliards pour Exxon à € 20 milliards pour Total (après € 15 milliards de provisions sur ses actifs russes). Comme à l’habitude, ces chiffres ont fait polémique et pour une fois pas seulement en France, mais aussi aux États-Unis où dans son discours de l’État de l’Union, Joe Biden s’en est ému.
Signalons quand même un premier point : il y a une différence majeure entre les pays qui produisent du pétrole et du gaz et ceux qui n’en ont pas. Pour les premiers, comme les États-Unis et dans une moindre mesure le Royaume-Uni et bien sûr la Norvège, la taxation de « superprofits » sur la production domestique apparaît légitime. Ainsi, le norvégien Equinor, (une entreprise semi-publique) a réalisé en 2022 $ 75 milliards de bénéfices avant impôt, mais a payé $ 42,8 milliards d’impôts (l’équivalent de $ 7 900 par Norvégien !) ce qui lui a laissé quand même de quoi vivre et investir ! Le discours de Joe Biden est donc parfaitement légitime.
Mais en France ? L’essentiel des bénéfices de Total est réalisé à l’international et on peut considérer que c’est une chance pour notre pays de compter ainsi un « major » dont par exemple l’activité exploration-production est basée à Pau (héritage des « Pétroles d’Aquitaine »). Il faut bien sûr être sourcilleux sur les stratégies d’optimisation fiscale, mais de grâce ne tombons pas dans la démagogie facile.
5 février 2023
En ces premières semaines de 2023 et alors que les Chinois finissent leurs vacances du Nouvel An (celui donc du lapin), les petits nuages roses semblent s’accumuler sur les perspectives économiques mondiales et par ricochet sur les marchés mondiaux. Le FMI revoit ses prévisions à la hausse (2,9 % pour le monde en 2023) alors que la Banque mondiale (avec une méthodologie un peu différente) reste pessimiste à 1,7 % pour la planète. La fourchette est large et illustre bien l’ampleur de nos interrogations que doivent d’ailleurs partager les banques centrales. Faut-il acheter le scénario rose : la page du Covid est tournée en Chine et passées les vacances, la Chine va repartir comme avant ; avec la normalisation du transport maritime (et la poursuite de la chute des taux de fret des conteneurs), les chaînes de valeur se remettent en place ; l’activité repart aussi dans les pays avancés qui profitent même d’un effet « guerre » ; le chômage baisse avec des créations record d’emploi aux États-Unis en janvier (517 000) tout comme l’inflation et les banques centrales en termineront autour de l’été de leurs exercices de hausses des taux. Le « hic » de ce scénario qui place la croissance chinoise bien au-delà de 5 % c’est que la demande en matières premières rebondit ce qui a un impact direct sur les cours du pétrole, mais surtout du gaz naturel, l’une des clefs de l’inflation européenne. Le diable est dans les détails… En tout cas, les marchés semblent acheter ce scénario : le SP 500 est en hausse en janvier de 8 % et le Nasdaq de 16 %.
L’autre scénario qui nous paraît plus réaliste ne balaie pas d’un simple revers de la main tant le risque sanitaire que les difficultés inhérentes au modèle chinois. La croissance chinoise serait plus longue à repartir et dans les pays avancés l’impact des hausses de taux se ferait sentir de manière plus forte. Le paradoxe de ce scénario est que la pression sur les produits de base serait moins forte, en particulier en ce qui concerne les achats chinois de GNL, de pétrole et de minerais et métaux.
Ces deux scénarii restent pour l’instant largement ouverts et la réalité sera probablement quelque part à mi-chemin : une reprise plus lente en Chine et par contre plus de résilience aux États-Unis et dans une moindre mesure en Europe, qui reste le maillon faible et qui est quand même aussi en première ligne d’un conflit ukrainien qui, avec le printemps, risque de prendre une dimension nouvelle.
Pour l’instant, en tout cas, les marchés réagissent de manière contradictoire à ces hésitations conjoncturelles : à la hausse pour les produits dopés par le facteur chinois (minerai de fer, étain et autres métaux, pétrole dans une certaine mesure), à la baisse là où le facteur ukrainien se banalise (gaz naturel, engrais, blé, oléagineux).
En ces temps d’incertitude, il n’est pas mauvais de méditer la morale de La Fontaine :
Chacun tourne en réalités
Autant qu’il peut ses propres songes
L’homme est de glace pour les vérités
Il est de feu pour les mensonges
(Le statuaire et la statue de Jupiter)
31 janvier 2023
Vastes manifestations aujourd’hui un peu partout en France : des colères calmes certes, menées par les syndicats et un peu récupérées par les politiques, mais des cortèges qui impressionnent tant ils balaient « large » dans la société française. On pourrait presque les comparer à ceux de la décennie précédente autour du mariage ! Ils confirment le rejet à 60 ou 70 % de la réforme des retraites par les Français de tous âges. Ce n’est plus un jeu politique, c’est une réalité.
Or, s’il est une question sur laquelle il devrait y avoir consensus, c’est bien celle des retraites tant les chiffres parlent d’eux-mêmes : dans un pays comme la France (dont pourtant la dynamique démographique a été longtemps exceptionnelle parmi les pays avancés), le ratio entre actifs et retraités ne va cesser de se détériorer pour atteindre 1,7 au-delà de 2050. L’espérance de vie ne cesse d’augmenter même si on peut penser que le rythme actuel d’un trimestre par an va peu à peu se ralentir. Le temps consacré au travail a longtemps diminué et celui de la retraite n’a cessé d’augmenter. Il faut être aveugle pour ne pas anticiper des déséquilibres à venir, même si on peut discuter des échéances dans les années à venir. Il est donc logique d’agir tôt comme l’ont fait la plupart des pays européens.
La France, on le sait, est allergique aux réformes et celles-ci ne sont en général réalisées que sous la contrainte en d’improbables « Grenelles ». Mais là, on dépasse le raisonnable avec un chiffon rouge bien maladroit de la part du gouvernement avec les « 64 ans ». De la guerre de tranchées qui se prépare, il est possible qu’il ne sorte rien de bon pour la France ni pour ses retraités.
28 janvier 2023
Voilà donc l’année du Lapin qui commence. C’est maintenant un événement mondial que ce Nouvel An chinois et cette référence aux traditions de l’ancienne Chine et à son zodiaque ne peut qu’étonner de la part d’un pays qui pratique officiellement le matérialisme athée même si Xi Jinping ne manque pas de se référer à Confucius et s’efforce de siniser les religions occidentales. Mais c’est aussi le temps du culte des ancêtres et les Chinois ne manquent pas de se replonger dans leurs racines familiales : 226 millions de voyages cette semaine, mais encore loin — post-Covid oblige — des 429 millions de 2019.
Cette année, le Lapin va marquer un nouveau départ pour la Chine qui reste la grande inconnue des mois à venir. En 2022, la croissance a été officiellement de 3 % (c’est-à-dire l’équivalent de la croissance zéro aux normes occidentales), la deuxième plus basse de son histoire post-maoïste. Qu’en sera-t-il en 2023 ? Le consensus de 4 à 5 % est bien insatisfaisant. Les chiffres de mortalité sont manifestement sous-évalués. Un bon indice en est la flambée (+ 50 %) du prix des chrysanthèmes utilisés en général pour commémorer les morts au moment du Nouvel An (notamment dans le Hubei dont la capitale est Wuhan…). Mais au-delà, il y a la chute de la natalité (et de la nuptialité) preuve ultime d’une faible confiance en l’avenir, du moins en celui que définit le Parti.
Le Lapin dans la tradition chinoise est signe de vigilance et d’habileté. C’est peut-être un bon présage, mais il en faudra beaucoup à Xi Jinping.
25 janvier 2023
Il était une fois un petit pays africain qui avait été longtemps le cœur d’un empire avant de tomber sous la coupe des impérialismes européens qui l’avaient surnommé la « Côte de l’or ». L’or, il n’y en avait plus guère au moment de l’indépendance du Ghana si ce n’est un or brun, celui à l’époque du premier producteur mondial de cacao. Les premières années du Ghana furent quelque peu chaotiques avec un virage marxisant qui laissa le pays à genoux. Par la suite, le Ghana eut la chance d’être dirigé par un militaire compétent et intègre (une exception africaine…), Jerry Rawlings et devint pendant quelques années un modèle pour l’ensemble du continent. Le Ghana avait peu de ressources naturelles : quelques mines et surtout du cacao, bien géré par le célèbre « Cocobod », ultime héritier des marketings boards de l’époque coloniale. Tout allait bien, y compris du point de vue démocratique.
Mais voilà, la chance du Ghana s’est arrêtée le jour où on y a découvert du pétrole, qu’on a commencé à l’exploiter et que la manne pétrolière a peu à peu perverti l’économie et les hommes. Le Ghana a dû frapper à la porte du FMI et voilà que le 18 janvier, il s’est trouvé en défaut sur sa dette en dollars. Le pays subit une inflation de 54 %. Sa monnaie, le cedi, a plongé de 50 % ; sa dette s’échange à 30 % de sa valeur faciale.
Le Ghana est un triste exemple de la malédiction des matières premières en général, du pétrole en particulier. En un moment où nombre de pays africains développent — avec raison — leurs ressources énergétiques, la leçon devrait être retenue, du Sénégal à l’Ouganda…
22 janvier 2023
À Davos tout est carte postale… Le soleil, la neige, les chalets, les « riches »… Cela fait longtemps que les sanatoriums que fréquentait Hans Castorp, le héros de la, Montage Magique de Thomas Mann, ont fermé. On était alors « en haut », en dehors du monde, et manifestement, on y est resté un peu tant semble y régner une sorte d’optimisme béat à l’occasion de la reprise du World Economic Forum. Il aura suffi de bien peu : un sous-ministre chinois qui dit que « China is back » (en oubliant les morts), une présidente de la Commission qui se félicite du triomphe européen sur l’hydre du gaz (en oubliant la douceur hivernale), des chiffres de l’inflation qui semble plafonner (en oubliant leur niveau absolu), quelques enquêtes de conjoncture un peu mieux orientées… et voilà, la crise est finie ! Bien sûr, on salue l’IRA américain, le courage chinois et comme à l’habitude on regrette les hésitations européennes. Mais tout cela n’est pas bien grave : la machine est repartie et la stagflation définitivement laissée de côté. La capacité d’aveuglement des puissants de la planète est fascinante. Soyons honnêtes, cela a toujours été la spécialité de Davos et les rapports du WEF ont presque toujours brillé par leur banalité.
Mais là, peut-être ont-ils raison ! Peut-être au fond l’économie mondiale a-t-elle touché un plancher fin 2022 et est-elle en train de rebondir : pour les États-Unis c’est jouable ; pour la Chine et l’Europe, c’est beaucoup plus risqué. Le plancher risque d’être beaucoup plus long et dur et il reste tant d’incertitudes de l’Ukraine au Covid. En haut, à Davos, ils l’ont un peu vite oublié.
20 janvier 2023
Martin Wolf est l’éditorialiste économiste vedette du Financial Times. Ses parents, originaires d’Autriche et des Pays-Bas, échappèrent à l’Holocauste et plus qu’aucun autre, il est l’héritier des tortures de l’histoire européenne. Il est au fond — comme l’auteur de ces lignes — l’héritier de la période des Trente glorieuses qui marqua l’apogée de la social-démocratie de marché. En bon Britannique, il lui préfère l’expression de « démocratic capitalism », ce qui pourrait écorcher des oreilles françaises facilement « anti-capitalistes » par nature.
Sa thèse est que démocratie et capitalisme, souvent opposés, sont en fait complémentaires et que les moments de leur équilibre ont été les plus heureux et les plus fructueux de l’histoire. Sa thèse est aussi que cet équilibre est aujourd’hui menacé. D’un côté, les démocraties se trouvent menacées par démagogies populistes et tentations autocratiques. De l’autre, la tendance naturelle du capitalisme est de chercher à s’affranchir des règles et de profiter de l’espace mondialisé. Ces dernières décennies, marquées par l’explosion de nouvelles technologies, ont permis une véritable « libération » du capitalisme avec tous les excès que l’on peut imaginer en termes d’inégalités et de prédation.
Le défi actuel est bien de rétablir ce subtil équilibre en réhabilitant la légitimité démocratique de l’état, à la fois arbitre et providence. Le pari de Martin Wolff repose sur « l’honnêteté et la sagesse des élites », seules capables de restaurer le pacte de confiance nécessaire à l’épanouissement de ce « democratic capitalism ». Mais dans nombre de cas, le fruit est aussi pourri de l’intérieur.
18 janvier 2023
La Chine fait quelque progrès en matière de transparence nécrologique. « Officiellement » entre le 8 décembre et le 12 janvier, il y aurait eu 59 938 décès du fait du Covid. Cela contraste avec les quelques dizaines qui étaient annoncées jusque-là. Ceci étant, on reste probablement loin du compte : se fondant sur une estimation portant sur 104 millions de cas recensés, le chiffre de 641 000 décès circule alors même que la réalité de la contamination pourrait aller jusqu’à 900 millions de cas. La sous-évaluation reste donc systématique.
Pourtant, à quelques jours des fêtes du Nouvel An rien n’a changé : la plus grande migration de l’humanité va se dérouler sans restriction et bien sûr les risques de diffusion du Covid s’en trouveront accrus au fil des réunions familiales.
Au final, le bilan pour la Chine risque bien de dépasser le million de morts, et encore, ne s’agit-il là probablement que de la fourchette basse. Muselant l’opinion publique et manipulant l’information, l’autocratie chinoise avait probablement conscience du risque pris en abandonnant aussi brutalement sa politique de zéro-covid. Digne héritier de Mao (dont le Grand Bond en avant se solda par plus de 30 millions de morts), Xi Jinping ne s’est pas arrêté à ce « détail », tout à sa logique de retour rapide à la normalité sanitaire et économique. Mais la vraie question est de savoir si ce pari sanitaire peut réussir et si peu à peu le Covid va s’évanouir de l’horizon chinois. Rien n’est moins sûr.
16 janvier 2023
Alors qu’en Ukraine, l’armée russe et/ou la milice Wagner viennent de marquer un premier point symbolique, les pays occidentaux peinent à s’entendre en matière de soutien et en particulier en ce qui concerne la fourniture de blindés. En effet, passé l’hiver puis le temps de la « raspoutitsa » (la boue) va revenir une période favorable aux grandes offensives propices à l’utilisation de l’arme blindée. La Russie est probablement en train de s’y préparer. À l’Ouest, tout le monde convient qu’il faut mieux équiper l’Ukraine, mais le parc de blindés disponibles est limité : les Abrams américains trop sophistiqués, les Challenger britanniques ou les Leclerc français trop peu disponibles, il reste les Léopards allemands qui équipent par ailleurs une bonne dizaine de pays européens.
Mais voilà, Olaf Scholz, dont on commence à comprendre que le courage n’est pas la qualité première, se refuse à donner ses Léopards ni même à autoriser d’autres pays européens à le faire. Il a peur d’une escalade avec la Russie. Il est vrai qu’il y a presque quatre-vingts ans (juillet/août 1943) aux confins de la Russie et de l’Ukraine, la célèbre bataille de Koursk vit à l’époque l’affrontement des chars Panther et Tigre allemands et des T34 soviétiques. Cette fois-ci, ce seraient des Léopard contre des T72 ! (dans l’un et l’autre cas, il semble que la qualité et l’efficacité soient du côté allemand). Au grand dam des Ukrainiens, Olaf Scholz a du mal à assumer seul cet héritage de l’histoire. Et pour l’instant, les États-Unis ne bougent pas. C’est pourtant maintenant qu’il faut préparer le printemps.
13 janvier 2023
« L’énergie du désespoir », ce titre d’un communiqué publié dans les Échos interpelle. Il émane d’industriels de l’un des plus remarquables pôles de compétitivité (cluster) français allant du décolletage de la vallée de l’Arve à la « plastic valley » autour d’Oyonnax : € 60 milliards de PIB et 750 000 salariés, un tissu industriel de PME et d’ETI comme il en existe peu en France. Ils se trouvent acculés aujourd’hui par la hausse des prix de l’énergie et surtout de l’électricité et réclament la mise en place « d’un prix de l’électricité égal à la moyenne pondérée des coûts de production ». Comment ne pas les comprendre ?
Le prix de l’électricité en Europe est fondé sur le principe du prix marginal du producteur le moins efficient. Ce fut longtemps supportable lorsqu’il s’agissait de l’électricité éolienne ou solaire (par ailleurs subventionnée). Aujourd’hui, c’est le prix des centrales à gaz et de facto le prix de l’électricité suit celui du gaz avec une augmentation du prix de base européen en 2022 par rapport à 2021 de 154 % (en moyenne). Ceci peut paraître aberrant pour un pays comme la France où le gaz représente moins de 10 % de la génération d’électricité. Mais voilà, nous sommes en Europe et il nous est difficile de nous en isoler à la différence par exemple de la péninsule ibérique.
La supplique adressée par nos industriels au président de la République, qui en partage l’analyse tout comme ne cesse de le dire le ministre de l’Économie, se trompe malheureusement d’adresse. C’est Bruxelles qu’il faut convaincre et au-delà le cartel des libéraux européens (Pays-Bas, Allemagne…) qui freinent des quatre fers à l’idée de tout retour à des prix administrés de l’électricité. Le modeste plafonnement des prix du gaz naturel, arraché après moult combats montre bien les fossés presque idéologiques existant en Europe entre les tenants de la seule logique du marché « quoiqu’il en coûte » et ceux qui estiment que la complexité des systèmes de production et de distribution de l’électricité mérite et justifie une intervention publique plus cohérente.
Il est évident que les prix du gaz naturel vont rester élevés et que le gaz coûtera en moyenne en 2023 au moins dix fois plus que dans les années deux mille dix. Or, l’Europe va continuer à dépendre du gaz au fil de sa transition énergétique et électrique. L’idée d’un prix moyen pondéré de toutes les sources d’électricité est probablement trop « française » et administrée pour avoir quelque chance de passer en Europe. Tout au moins, pourrait-on dès maintenant mettre en place un plafonnement, isolant de facto les centrales à gaz quitte à en assurer le subventionnement direct. Ce serait là aussi une manière de responsabiliser les pays dont l’augmentation de la dépendance au gaz, en particulier russe, a contribué à fragiliser le système électrique européen : on pense là au premier chef à l’Allemagne.
Malheureusement, au train actuel des affaires européennes, et alors que la Commission se contente de « travaux préliminaires », il y a peu de chance que ce dossier électrique aboutisse en 2023.
Les vallées alpines (et d’autres bien sûr) vont continuer à souffrir.
10 janvier 2023
Tranches de vie… Ce matin, l’auteur de ces lignes frappe à la porte de son laboratoire d’analyses médicales : en grève comme la plupart de ses homologues, faute d’accord avec les autorités sanitaires (la CNAM en l’occurrence) sur la dimension financière de leurs activités. Tout dépité, il se dirige vers la boulangerie pour acheter une baguette fraîche pour le petit déjeuner. Là, il y a la queue, mais le boulanger s’inquiète avec raison de sa facture énergétique et se demande ce que fait l’État en menaçant d’augmenter ses prix.
Deux exemples bien français d’un syndrome qui traverse toute la société française : celui de notre dépendance à l’État et à la décision publique et surtout administrative.
Longtemps, on a pu estimer — en souriant un peu — que la France était le seul pays soviétique qui ait réussi ! Ce satisfecit s’éloigne malheureusement chaque jour un peu plus au fil de la bureaucratisation de la vie économique et politique (remarquons d’ailleurs que ce fut ce qui a provoqué la chute de l’URSS). La révolution des technologies de l’information a paradoxalement aggravé ce phénomène avec une toujours plus grande déshumanisation des contraintes administratives. Le « Big Brother » est toujours là et on attend toujours plus de lui, mais il ne répond plus que par écran interposé. Les corps intermédiaires, des syndicats aux collectivités les plus locales s’en sont trouvés peu à peu laminés.
Finalement, il semblerait que la grève des laboratoires ne soit pas poursuivie. Et les boulangers continueront à faire du pain, un peu subventionné. Tout est bien…
8 janvier 2023
En cette rentrée 2023 quelque peu morose sur le plan économique (même si la douceur des températures soulage le front énergétique) l’heure en France est à cet admirable exercice qui en général se termine par la déroute des bonnes intentions : la réforme (le R est réservé aux protestants…). Les Français ont une aversion naturelle pour l’idée même de réforme. Ils ne l’acceptent que sous la contrainte et de toute manière passent par les traditionnelles étapes des manifestations, des grèves et de la paralysie générale du pays.
Cette fois-ci, Emmanuel Macron qui argue du Covid pour justifier un bilan bien maigre de son premier quinquennat s’attaque aux tabous des retraites d’une part et de la santé publique d’autre part. La retraite à 65 ans et la fin de la rémunération à l’acte sont deux lignes rouges sur lesquelles bien des réformateurs se sont cassés les dents. Manifestement, Emmanuel Macron a choisi de prendre le risque. Sur les retraites, il est confronté à l’opposition résolue des syndicats et devra négocier le soutien de LR pour éviter l’écueil du 49-3. Sur la santé, le dossier est à peine en gestation et il y a peu de chances qu’il puisse être mené à son terme d’ici la fin du quinquennat.
Mais au fond, retraites et santé ne sont que la partie émergée de l’iceberg de la nécessaire réforme du modèle français qui dans ses évolutions récentes a tourné au cauchemar bureaucratique dématérialisé, tout se réglant avec de moins en moins d’interventions humaines : c’est le règne de Big Brother et c’est cela en particulier que les Français ne veulent pas.
5 janvier 2023
2023 a commencé en Europe sur un ton presque léger. Oh, certes, le canon continue à gronder en Ukraine, le Covid ravage la Chine, la récession guette un peu partout, mais voilà on a presque fêté Noël au balcon ! Les tensions sur les marchés de l’énergie se sont un peu estompées et en Europe, sur le TTF, le gaz naturel serait presque bradé à moins de € 70 le MWh (ce qui fait quand même à peu près $ 130 le baril équivalent pétrole alors que le Brent tourne autour de $ 80). Même avec de nouvelles vagues de froid, l’Europe devrait parvenir à éviter cet hiver pénuries et coupures de gaz et d’électricité.
Ceci étant les prix du gaz — et de l’électricité — sont quand même quatre à cinq fois plus élevés que durant la dernière décennie. Et puis nul ne sait ce qu’il va advenir de la guerre en Ukraine, mais si l’on prend l’hypothèse — à peu près réaliste — qu’il n’y aura presque pas de gaz russe en Europe en 2023 (un peu de GNL, un petit tuyau vers la Moldavie), la reconstitution des stocks pour aborder l’hiver 2023/2024 promet d’être difficile et surtout coûteuse. La crise énergétique n’est pas terminée et nous entrons au contraire dans sa deuxième phase, celle de sa « digestion » tout au long des chaînes de valeur avec des hausses de prix et donc de l’inflation qui ne sera pas cantonnée aux seuls carburants, au gaz et à l’électricité. L’Europe reste là en première ligne, beaucoup plus exposée en tous points que les États-Unis (où le gaz naturel vaut six fois moins cher qu’en Europe ou en Asie). Cela est d’autant plus vrai que sur le marché du GNL, pour lequel il n’y aura pratiquement pas d’augmentation de capacité de liquéfaction en 2023, l’Europe sera en concurrence avec l’Asie, et surtout la Chine.
Ceci nous ramène à l’autre grande interrogation de ce début d’année. Où va la Chine ? Le passage brutal du « zéro-covid » à l’« infini covid » a surpris tous les observateurs. Le pari en est simple : au prix peut-être d’un million de morts et d’un arrêt de la croissance, accéder rapidement à l’immunité collective et retrouver une situation « normale » dès le second semestre 2023. Le pari est risqué pour une population peu et mal vaccinée. Au-delà, la Chine va-t-elle retrouver un niveau de croissance proche de ce qui est probablement l’objectif des autorités (5 %) et donc sa place en termes de consommation et d’importations de matières premières ? Cette question vaut en particulier pour le GNL, le pétrole et le charbon ainsi que la plupart des métaux non ferreux ainsi que le minerai de fer.
« Noël aux balcons, Pâques aux tisons », dit le dicton. La situation géopolitique mondiale a de quoi inquiéter avec la montée des populismes, des tensions sociales, la paralysie des instances internationales à l’image de l’OMC (en situation de « mort clinique »…). Le temps de la mondialisation « heureuse » est bien oublié que ce soit dans les tranchées ukrainiennes, dans les hôpitaux chinois et même face à ce climat qui surprend l’Europe par sa douceur en ce début 2023.
1er janvier 2023
En ces premiers jours de 2023, économistes et conjoncturistes scrutent fébrilement leurs boules de cristal pour ajuster leurs prévisions tant sur la croissance économique que sur les prix des principales matières premières. Quelle que soit la méthode utilisée, des modèles les plus sophistiqués au bon vieux « doigt mouillé », l’exercice est aléatoire et même illusoire dans le fantasme de la précision à la décimale près. Il l’est encore plus cette année dans la mesure où deux dimensions nous échappent totalement, l’une géopolitique et l’autre sanitaire. Et là malheureusement la saine logique cède le pas à l’irrationnel des deux autocrates qui dominent l’actualité de la planète : Vladimir Poutine et Xi Jinping tous deux confrontés à la fuite en avant dans laquelle les a précipités leurs hubris. Vladimir Poutine peut-il sortir du guêpier ukrainien ? Xi Jinping peut-il échapper au bourbier du Covid ?
Vladimir Poutine a perdu son pari d’une guerre « courte et joyeuse » qui se serait soldée par la mise au pas de l’Ukraine et l’installation d’un gouvernement pro russe à Kiev. Le soutien déterminé des États-Unis à l’Ukraine (et celui plus ambigu des Européens) tout comme les limites militaires de la Russie excluent toute solution définitive sur le terrain. Vladimir Poutine en est-il conscient, rien n’est moins sûr. La perspective d’une solution négociée n’a jamais été aussi lointaine tant Poutine risquerait d’y perdre la face. La guerre se poursuivant avec son cortège de désastres humains et matériels tant pour l’Ukraine que pour la Russie, la crise énergétique va donc se prolonger et là, c’est l’Europe qui est en première ligne privée de gaz et de diesel russe (mais aussi entre autres d’acier et de bois). Ceci se retrouvera dans des scénarii de stagflation, tournant pour certains à la récessoflation.
Xi Jinping a fait lui aussi un pari risqué qui aujourd’hui se retourne contre lui. Obsédé par l’élimination des derniers opposants à son élévation au pouvoir suprême « à vie », il a joué la carte de la « voie chinoise » face au Covid. Ce fut la politique du « zéro-covid », certes apparemment efficace, mais à un coût économique et social élevé, et surtout dont il est aussi difficile de sortir que des tranchées ukrainiennes. Le résultat en a été la panne économique chinoise (2,7 % de croissance en 2022 d’après les dernières estimations de la Banque mondiale, c’est-à-dire, à l’aune des équilibres chinois, une véritable récession). La récente ouverture des vannes sanitaires fait craindre le pire pour une population peu et mal vaccinée. Xi Jinping est-il prêt à en prendre le risque et à en payer le coût humain ?
Les autocrates, souvent coupés des réalités quotidiennes, acceptent rarement de reconnaître leurs erreurs. Au XXe siècle, il en fut ainsi de Hitler, Staline ou Mao. Il n’y a aucune raison de penser qu’il en sera autrement en ce XXIe siècle.
Et ceci nous ramène à nos bien futiles exercices de prévision. Prenant l’hypothèse que la guerre va se poursuivre en Ukraine et donc que la crise gazière va perdurer au moins pour une partie de la planète (hors Amérique du Nord) et que le Covid va rester endémique en Chine, il y a bien peu de chances que la croissance économique mondiale puisse dépasser les 2 % en 2023. Les pays de l’OCDE devraient tourner autour de zéro, au-dessus pour les États-Unis, légèrement en dessous pour l’Europe et le Japon. Quant à la Chine, la fourchette du possible est vaste, de 2 % à 4 % suivant l’intensité de l’épidémie et la manière dont les autorités réactiveront leur politique sanitaire. Sur les marchés qui resteront marqués par la fermeté du dollar et la remontée des taux (sans pour autant que l’inflation s’en trouve calmée), cela se traduira par la poursuite de la détente pour les matières premières industrielles, pour les produits agricoles (sauf catastrophe climatique) et même pour le pétrole tiré vers le bas par les besoins russes à l’exportation. Il restera bien sûr quelques produits comme le lithium liés à la transition énergétique et puis surtout le gaz naturel dont Vladimir Poutine et Xi Jinping détiennent les clés : si l’Europe a pu s’approvisionner en GNL cet automne, c’est que la Chine avait diminué ses achats. En sera-t-il de même encore en 2023 ?
Et nous voici de retour à nos chers autocrates. Les théories économiques se fondent sur la rationalité des choix des individus au sens le plus large. Malheureusement, nous devons imaginer 2023 avec d’autres logiques. Ce sera tout le sel de cette année dont Vladimir Poutine et Xi Jinping resteront les premiers rôles.
31 décembre
Avec la mort de Benoît XVI, disparaît un très grand pape, certes quelque peu écrasé par les talents de « communicants » de celui qui l’a précédé, Jean-Paul II (dont il avait été le fidèle collaborateur) et de celui qui lui a succédé, François. Trop souvent, Benoît XVI a été caricaturé, en « Panzer cardinal », menaçant d’hérésie les déviants à la ligne romaine.
Josef Ratzinger fut avant tout un intellectuel et un théologien de haute volée. Dans un domaine qui n’était pourtant pas le sien, celui de l’économie, il a donné ce qui peut être considéré comme la clef de voûte de la doctrine sociale de l’Église : son encyclique « Caritas in veritate » est le texte le plus achevé sur les questions économiques, plaçant la voie de l’amour et de la charité bien au-delà du marché et de l’État. De ce point de vue d’ailleurs, la pensée de François dans ses derniers écrits marque une certaine régression.
Benoît XVI eut aussi le courage de s’attaquer à la malgouvernance de l’Église que le long pontificat de Jean-Paul II n’avait fait qu’aggraver. C’est lui qui a ouvert la boîte de Pandore des abus sexuels qui submergent aujourd’hui l’Église. Conscient de ses limites, des blocages aussi de la bureaucratie religieuse, fatigué, il avait eu le courage de déposer la tiare, il y a dix ans, donnant ainsi la plus belle des leçons d’humilité.
29 décembre
La présence de crèches dans l’espace public est devenue en France affaire de débats et de contentieux dans le cadre d’un incontestable effort de déchristianisation de Noël. Certes la plupart des églises étaient pleines le 24 décembre au soir, mais le recul de la pratique religieuse chez les catholiques est nette et touche en particulier les enfants et les jeunes qui perdent ainsi toutes les références « culturelles » dont leurs parents avaient encore bénéficié. La disparition des crèches va bien dans ce sens.
À Saint-Jean-de-Luz, vieille cité basque de profonde culture chrétienne, la tradition était celle de crèches vivantes dans la rue principale. Cette année, la crèche a été remplacée par un « espace de Noël » avec l’inévitable barbu en manteau rouge et son cousin basque, le charbonnier Olentzero. Une crèche en bois demeure quand même, cachée derrière le kiosque à musique…
De l’autre côté de la frontière, l’Espagne a une histoire bien différente même en ce Pays basque où l’église locale fut longtemps antifranquiste. À San Sebastian, la place principale est occupée par une gigantesque crèche, organisée en tableaux, de l’Annonciation à la Nativité. À l’intérieur de l’Ayuntamiento de Guipuzcoa (l’équivalent d’un conseil général), une autre crèche a été dressée. Pourtant, en Espagne, la déchristianisation est peut-être encore plus forte qu’en France, l’Église catholique continuant de payer les conséquences de sa trop longue proximité avec le franquisme. Pour autant, nul ne conteste les crèches… Voilà le pays qui inventa l’inquisition qui nous donne maintenant des leçons de tolérance !
27 décembre
Qu’y a-t-il de commun entre le vin de Bordeaux et le thé de Darjeeling ? Voilà deux produits prestigieux, bénéficiant d’appellations d’origine contrôlée (AOC ou IGP), mais dont les producteurs souffrent de prix déprimés, inférieurs à la réalité des coûts de production.
Certes, cela ne concerne pas les grands châteaux de Bordeaux ou les plus prestigieux des jardins à thé de Darjeeling. À Bordeaux, les millésimes 2021 et probablement aussi 2022 s’annoncent excellents tout comme les « first blossoms » de Darjeeling. La crise touche ce que l’on appelle un peu péjorativement les génériques : l’AOC Bordeaux vendue pour l’essentiel au négoce qui, avec le Covid, a perdu une partie de son débouché chinois ; le Darjeeling de base utilisé par les grandes maisons de « blending » pour faire les mélanges à leur marque. Dans l’un et l’autre cas, l’image du Bordeaux et du Darjeeling n’a pas été suivie du point de vue commercial : de Bordeaux, on ne connaît que les marques des grands crus (dont les plus grandes bouteilles se vendent pour le prix d’une barrique bordelaise de… 900 litres !). Quant au Darjeeling, il souffre de la concurrence des thés, sans appellations du Népal, d’Inde du Sud et même de Ceylan.
À Darjeeling, les prix cette année ont baissé de 16 % (à peu près € 5 le kg) et sont inférieurs aux coûts de production. À Bordeaux, à moins de € 1 000 la barrique (de 900
litres) on songe à arracher des milliers d’hectares. Il reste l’image, mais plus le rêve, surtout pour les producteurs !
21 décembre
Le Conseil des ministres de l’Énergie vient, après moult tractations, d’adopter le projet de la Commission de plafonnement du prix du gaz naturel en Europe. Finalement, la barre est placée à € 180/MWh avec la nécessité d’un différentiel de € 35 avec le prix du GNL. La référence choisie est celle du TTF néerlandais pour sa cotation à un mois (et non pas le prix au jour le jour). Pour l’instant, le TTF a clôturé pendant 64 jours en 2022 au-dessus de € 180 avec un record à € 345 à la fin août au moment où l’Allemagne cherchait désespérément à reconstituer ses stocks alors que la Russie menaçait de fermer Nordstream I. L’Allemagne justement vient d’inaugurer ses premiers terminaux de regazéification pour lesquels elle a acheté au prix fort des cargaisons de GNL, provoquant alors la flambée des cours au détriment d’acheteurs moins argentés comme le Bangladesh qui n’eurent d’autres solutions que de réduire leur production d’électricité.
Le plafonnement mis en place n’a guère de sens. Comment plafonner le prix d’une matière première dont l’UE importe la quasi-totalité ? La solution serait pour les opérateurs européens de revenir à des systèmes de contrat de (très) long terme avec les exportateurs américains, qataris ou australiens. Mais ce sont les mêmes Allemands qui refusent de s’engager sous la pression des milieux écologistes obsédés par la sortie des fossiles. L’autre solution, c’est de déconnecter le prix de l’électricité du prix du gaz. Là, un plafonnement aurait du sens, mais ce retour à des prix administrés de l’électricité a peu de chances d’être adopté face à l’opposition, entre autres de l’Allemagne et de son aile libérale. L’Allemagne est bien au cœur du problème énergétique européen.
20 décembre
Le Qatargate a jeté une lumière crue et inquiétante sur un univers qui jusque-là brillait par son opacité, celui des ONG.
A priori, il n’y a rien de plus sympathique qu’une ONG, formée par des bénévoles passionnés pour une cause dont ils assurent le relais auprès du grand public et des instances politiques et administratives. Le droit à l’expression d’opinions, le droit à les défendre aussi est un fondement du pacte démocratique. Mais au fil du temps, les ONG se sont arrogé un droit de représentation allant bien au-delà de leur représentativité réelle et les gentils bénévoles sont peu à peu devenus de redoutables professionnels. Le Qatargate a levé le voile sur l’univers des ONG qui gravitent autour des instances bruxelloises et qui sont passées maîtres dans l’art du lobbying à force de fréquenter les couloirs de la Commission et du Parlement. La plupart de ces structures se taisent sur leurs sources de financement. Beaucoup, d’ailleurs vivent pour l’essentiel de subventions publiques et leurs bases d’adhérents sont minces, voire inexistantes (et cela est encore plus vrai des « multinationales » qui franchisent leur « marque » au niveau national). Dans de nombreux pays – à commencer par la France –, les politiques n’hésitent pas à y faire carrière entre deux postes ministériels.
Soyons francs : les causes défendues peuvent être louables et chacun a le droit de les exprimer sans pour autant se prétendre être l’interprète d’une société civile qui n’a rien demandé. Les couloirs des COP – 27 et 15 – étaient ainsi remplis de ces activistes professionnels parlant au nom de la planète. La moindre des choses serait de savoir ce qu’ils sont, ceux qu’ils représentent et qui les financent.
18 décembre
Philippe Tillous-Borde vient de nous quitter. Il y a quelques semaines encore, il participait au déjeuner du Cercle CyclOpe et nous parlions d’Afrique, d’oléagineux, mais aussi de nos chères Pyrénées, car Philippe portait avec fierté la double casquette de Basque et de Béarnais.
Peu d’hommes auront autant fait pour l’agriculture et l’agroalimentaire français que Philippe. On peut estimer en effet que la construction de la filière oléagineux en France, des champs de colza et de tournesol aux huiles Lesieur, aux usines d’aliments du bétail et aux biocarburants est son œuvre. Si, à certaines périodes de l’année, une partie de la France se revêt d’une belle parure jaune de colza, c’est en grande partie à Philippe qu’elle le doit. De Sofiprotéol au Groupe Avril, il sut donner une assise originale à un ensemble qui est aujourd’hui un des fleurons de l’agroalimentaire français. Au-delà, il accompagna des hommes comme Jean-Claude Sabin et surtout Xavier Beulin qui ont aussi marqué le monde agricole et politique français.
Au fil des ans, nous avions constaté le déclin de sa vue. Cette infirmité, il la dépassait au quotidien, servi par une prodigieuse mémoire, par une intelligence qui savait pénétrer au plus profond de ses interlocuteurs. Ayant quitté la plupart de ses mandats, il se passionnait pour le développement agricole africain et y apportait toute l’énergie qu’il avait auparavant mise au service de l’économie agroalimentaire française. La mort paraît injuste lorsqu’elle frappe ainsi sans prévenir, en plein vol. Mais les graines plantées au long de sa vie sont bien vivantes !
13 décembre
Les météorologues avaient – pour une fois – raison et leurs prévisions se réalisent. Ils avaient prévu une vague de froid sur l’Europe dans les premiers jours de décembre : un froid plutôt sec marqué par l’absence de vent. Ils avaient raison et il fait froid ! Voilà le premier test pour un hiver sans gaz russe.
Les premières victimes en sont les Britanniques. Ceux-ci ont en effet joué très tôt la carte de l’éolien, notamment offshore. L’éolien représente en temps « normal » plus du quart de l’électricité britannique (28,2 % exactement en moyenne sur les douze derniers mois). Hier, le 12 décembre, il ne pesait que 3,8 %. Il a fallu tirer sur les stocks de gaz (fort limités au Royaume-Uni) importer de l’électricité, mais surtout les prix se sont envolés jusqu’à atteindre £ 675 le MWh (€ 780) contre £ 34 au début 2020 ! Et au Royaume-Uni, les boucliers tarifaires ne sont guère généreux !
La situation de ces pauvres Britanniques illustre une malheureuse caractéristique de ces admirables énergies renouvelables dont on débat actuellement au Parlement français. Elles sont intermittentes ! Il n’y a pas toujours de vent, le soleil étant quand même plus assuré sous certaines latitudes. Dans une logique d’électrification de nos économies et de nos transports, on doit disposer d’une alimentation électrique régulière. Faute de vent, il faut se tourner vers le gaz au moins à court terme. Un jour peut-être, parviendra-t-on à stocker l’électricité, mais pour l’instant les perspectives – y compris de l’hydrogène – en sont lointaines. En attendant, c’est sobriété, pull-over et de grâce un peu de réalisme énergétique.
11 décembre
S’il est un mot à retenir des trois journées de débats à Abu Dhabi lors de la World Policy Conference, c’est bien celui de « multi-alignement » revenu en boucle dans les interventions tant asiatiques qu’africaines. Dans un monde aux fractures de plus en plus apparentes, marqué » – bien au-delà de la guerre en Ukraine – par l’affrontement entre les États-Unis et la Chine, nombre de pays cherchent à prendre leurs distances vis-à-vis de l’un et l’autre bord. C’est tout particulièrement le cas de l’Inde bien sûr, mais en fait aussi de l’espace indopacifique. Le Moyen-Orient est plus ambigu comme l’a montré, au même moment, la visite de Xi Jinping à Riad et sa rencontre avec les dirigeants des pays du Golfe.
Aux plus anciens, ce « multi-alignement » rappellera peut-être ce que fut en son temps le mouvement des « non-alignés » issu de la conférence de Bandoeng et dont les grands initiateurs furent Nehru, Tito, Nasser, Soekarno et quelques autres (à l’époque, Chou Enlai représenta la Chine à Bandoeng…) Renforcée encore par sa victoire dans son état du Gujarat, Modi est un peu le pivot de ce nouveau concept. Il risque en tout cas de fragiliser le mouvement des BRICS sur lequel la Chine a la main mise (et auquel l’Arabie saoudite souhaite adhérer d’ailleurs). La lecture des fractures du monde est ainsi plus complexe que jamais. Il est en tout cas de moins en moins certain que les États-Unis et la Chine puissent trouver des terrains d’entente pour gérer les problèmes planétaires. Quant à l’Europe, nul n’en parle !
10 décembre
L’histoire retiendra probablement de la crise de 2020/2022 qu’elle aura marqué un tournant aussi prononcé que la crise des années soixante-dix du siècle dernier. Celle-ci avait mis fin aux « Trente glorieuses » de l’après-guerre. De la même manière, la crise des années vingt du XXIe siècle marque symboliquement le terme d’autres « Trente glorieuses », celles de la construction d’une mondialisation « heureuse » préludant à une sorte de « fin de l’histoire » comme le prédisait il y a déjà une vingtaine d’années dans un moment d’euphorie Francis Fukuyama : fin des idéologies, uniformisation à la fois culturelle, économique et politique de la planète, croissance assurée par de nouveaux bonds technologiques… Le Covid, l’Ukraine, la Chine même, nous ont ouvert les yeux sur la poursuite de l’histoire.
Essayons de filer une comparaison, fruit de discussions et d’échanges à l’occasion de la tenue de la World Policy Conférence à Abu Dhabi ces jours derniers. Imaginons le monde comme un immense jardin. Le rêve des hommes a toujours été celui du jardin d’Eden que décrit la Genèse. Un seul homme, un seul peuple, l’occupe et tout y est parfait. Mais un peu plus tard, l’épisode de la Tour de Babel met fin à cette uniformité et introduit la diversité des langues et des cultures. Chacun s’applique alors à son propre modèle de jardin, des jardins suspendus de Babylone aux subtilités des jardins japonais. En Europe, après l’effervescence hollandaise autour des tulipes (et l’invention alors des premiers marchés dérivés), on assista à l’émergence du jardin « à la française » avant que le jardin « à l’anglaise » ne finisse par triompher. Il en fut des jardins comme des impérialismes.
La mondialisation dont nous tournons la page marque la fin de l’illusion d’un jardin planétaire unique ordonné autour d’une social-démocratie de marché marquée par la liberté des échanges. À vrai dire, le jardin que nous avons vu croître ces trente dernières années n’était pas parfait : certains endroits foisonnaient de luxuriance nouvelle, mais d’autres manquaient d’eau et puis bien des « vieux » jardins, mal entretenus faute de moyens, retournaient à la friche. C’était la « destruction créatrice » propre à la nature nous disait-on. Mais en quelques endroits, les promesses de plantations nouvelles peinaient à se concrétiser et les congrès de jardiniers qui se multipliaient n’aboutissaient guère. Ce « monde plat » aboutissait à la jungle.
Alors, peu à peu, chacun a repris son propre jardin et l’a cultivé à sa manière : des haies et des barrières ont été levées, des fossés ont été creusés. Certes, chacun a pu y retrouver ses propres goûts, sa vision de la main de l’homme sur la nature, une main bien visible cette fois, différente de cette main invisible qui avait prétendu uniformiser tous les jardins de la planète. Par-dessus la haie, on peut toujours regarder le jardin du voisin, mais on protège avant tout le sien et l’on ne partage ni eau ni énergie et le bien commun se limite à ses propres frondaisons.
À la fin de son conte, Voltaire fait dire à Candide « Il faut cultiver notre jardin ». À la différence du mythique jardin d’Eden, il faut y travailler, et ce peut-être là l’expression du génie de l’homme. Mais une accumulation de jardins ne fait pas un paysage et c’est bien là ce qui fait aujourd’hui défaut.
Un autre jardin de la Bible peut être une inspiration : c’est celui du Cantique des Cantiques, qui fournit « la myrrhe et les aromates, le rayon de miel, le vin et le lait ». Le principal défi de l’humanité en ce XXIe siècle n’est-il pas de donner du pain – et bien plus – à dix milliards d’hommes. De la diversité des jardins peut naître l’abondance et c’est celle-là, alors que la crise gronde, que la pandémie rôde, que les égoïsmes s’aiguisent, c’est celle-là qui importe. Cultivons donc notre jardin avec notre génie propre, mais en le laissant ouvert aux courants et aux idées ! Comme le dit le psalmiste : « qu’il est bon et agréable que les frères vivent ensemble ».
5 décembre
Le filet se resserre peu à peu sur le pétrole russe. À compter de ce jour, les importations européennes par voie maritime sont interdites ; il ne restera plus qu’un petit courant par oléoduc pour alimenter la Hongrie. L’Europe se prive à peu près de 1,5 mbj d’importations qu’il va falloir remplacer ce qui, a priori, devrait poser moins de problèmes que pour le gaz naturel. Dans deux mois, le 5 février, l’Europe cessera aussi ses importations de produits pétroliers (1 mbj à peu près) et là les choses seront plus difficiles en particulier pour le diesel et il faut s’attendre alors à des tensions accrues sur les prix. Toutefois, on voit déjà augmenter les importations de diesel indien ou turc produit à partir de pétrole russe !
En même temps, les pays du G7 imposent un plafonnement des prix du pétrole russe à $ 60 le baril. Le Brent vaut ces jours-ci $ 85, mais l’Oural se traite pour ceux – l’Inde, la Chine notamment – qui peuvent l’acheter entre $ 65 et $ 70. La peine n’est donc pas insupportable pour le Kremlin. Au-dessus de $ 60, aucune cargaison de pétrole russe, pour quelque destination que ce soit ne pourra être financée par une banque d’un pays du G7, ni ne trouvera d’assurance maritime. Ce point de l’assurance est essentiel et déjà une vingtaine de tankers sont en attente devant le Bosphore, les autorités turques leur refusant le passage des détroits faute de garanties d’assurance. C’est là que le filet posé par les pays du G7 peut être le plus efficace. La Russie va tout faire pour contourner l’obstacle, en développant par exemple sa propre flotte de tankers. Mais cela prendra du temps… et de l’argent.
3 décembre
Les premiers jours de l’hiver, le froid, le besoin de se chauffer, le souci du gaz ! C’est bien le marché du gaz naturel qui fait la une de l’actualité en particulier dans une Europe que la hausse des cours de l’énergie est en train de précipiter vers la récession. À première vue, la situation européenne n’est pourtant pas catastrophique : l’automne a été doux et les stocks sont pleins – plus de 1 000 TWh. En moyenne, les prélèvements d’hiver s’élèvent à un peu plus de 550 TWh (la fourchette des dix dernières années va de 350 à 750 TWh) et donc normalement il y aura encore un volant de sécurité de gaz au printemps prochain. Les vrais problèmes sont ceux des prix tant du gaz – qui devraient osciller entre € 100 et € 150 le MWh – que de l’électricité et puis de la reconstitution des stocks pour préparer l’hiver 2024. D’ici là, la situation en Ukraine aura peut-être évolué. Si une victoire absolue de l’un ou l’autre camp paraît improbable, une « paix des braves » semble toute aussi éloignée : l’Europe pourrait donc vivre 2023 presque sans gaz russe, mais il faudra alors du GNL et la concurrence chinoise risque de faire grimper un peu plus les prix. Et cela d’autant plus que de Bruxelles à Berlin on a du mal à tirer les leçons de cette crise gazière : « Bien sûr à court terme, il nous faut du GNL, mais très vite nous n’en aurons plus besoin puisqu’il faut accélérer la transition énergétique ». Le résultat c’est que lorsque la Chine s’engage avec le Qatar pour 27 ans, l’Allemagne ne le fait que pour 15 ans et encore en se réservant le droit de réexporter ce gaz. On peut comprendre qu’États-Unis, Australie, Qatar et quelques autres préfèrent les débouchés asiatiques aux états d’âme européens ! En tout cas, leur facture d’énergie est le souci majeur des entreprises en Europe pour 2023.
Du côté du pétrole les soucis sont moindres : la demande stagne malgré des prix bien installés au-dessous de $ 100 le baril. Le pétrole russe vendu entre $ 15 et $ 30 en dessous du Brent a tiré le marché vers le bas. Il reste à voir quelles seront les conséquences du plafonnement à $ 60 le baril du prix du pétrole russe qu’ont décidé les pays du G7. Il n’est pas certain que la production et les exportations de pétrole brut russe baissent encore de manière significative. L’Europe qui a décidé d’un embargo sur le pétrole russe à compter du 5 décembre ne devrait pas avoir trop de problèmes pour rediriger ses flux. La vraie échéance est celle du 5 février avec l’embargo sur les produits pétroliers, car le diesel russe sera plus difficile à remplacer.
Avec le devenir de la guerre en Ukraine, l’autre grande interrogation est celle de la politique chinoise en ce qui concerne le Covid. Malgré les manifestations, Xi Jinping n’a guère de marges de manœuvre : non contenue de manière stricte, la vague actuelle d’Omicron pourrait faire des dégâts considérables parmi une population d’aînés peu ou mal vaccinés. Mais le maintien strict du zéro-Covid (avec début décembre encore l’équivalent d’un quart du PIB chinois confiné) condamne ce qu’il reste de la croissance chinoise et précipiterait un peu plus le monde aux portes de la récession. Tout ceci se retrouve dans la baisse des prix des matières premières industrielles (à l’image du coton) et celle des taux de fret des conteneurs (–70 % en quelques mois, un record !).
Une bulle enfin commence à exploser : celle des cryptodevises, dont la capitalisation, est passée en quelques semaines de $ 3 000 milliards à $ 830 milliards. La faillite de FTX tient à la fois de Madoff et d’Enron, mais en tout cas, elle pourrait bien sonner le glas de ces instruments dont le moindre défaut n’était pas leur empreinte environnementale.
Et puis à l’approche de Noël, il y avait quelques beaux cadeaux à faire lors de la semaine de ventes aux enchères à New York consacrée en novembre à l’art moderne : beaucoup de records et au total plus de $ 3 milliards de produits. Même en ces temps de « recesso-flation », l’humeur des « nouveaux riches » reste soutenue : moins de Russes ni de stars des cryptomonnaies certes, mais des bonus qui ont flambé un peu partout de Wall Street aux maisons de négoce…
Noël aux tisons, mais pas pour tous !
27 novembre
Voici, pour les chrétiens, le temps de l’Avent qui commence. Ce sont les quatre semaines qui précèdent Noël qui – avant toute invention du père Noël et des sapins – marque la célébration de la naissance du Christ, le cœur de l’Espérance chrétienne.
Bien sûr, Noël a été laïcisé et dans une certaine mesure, déchristianisé. On peut presque dire que le « Black Friday » qui vient de se dérouler en est une préparation, puisqu’une bonne partie des achats réalisés sont destinés à faire des cadeaux… de Noël. Pourquoi pas d’ailleurs puisque Noël s’est un peu transformé en une fête de la famille et au-delà de la fraternité. Le temps de l’Avent c’est, plus qu’à l’habitude, un temps d’attention à l’autre, celui justement pour lequel Noël peut être un moment cruel de pauvreté et de solitude.
Et puis Noël, devenu universel au-delà des croyances et religions, est un message de paix : « paix sur terre aux hommes qu’Il aime » diront les « anges dans nos campagnes ». Ce mot de paix en 2022 a un goût amer alors que le canon gronde sur le front ukrainien, mais aussi au Congo, au Yémen… La liturgie catholique de ce jour offre en première lecture un texte d’Isaie (qui a inspiré la statue qui orne l’entrée du palais des Nations unies à New York) : « de leurs épées, ils forgeront des socs, et de leurs lances des faucilles » (Isaie.2,4). Nous en sommes bien loin alors qu’obus et missiles bouleversent les champs ukrainiens et que la faim règne sur toute l’Afrique de l’Est. Raison de plus pour préparer Noël !
21 novembre
Ne nous voilons pas la face : la COP27 a été un échec qui devrait enfin contribuer à remettre en question ces coûteux exercices.
Certes, il y a bien eu un communiqué final ne remettant pas en cause les objectifs de l’accord de Paris. Et puis, il y a eu surtout la création d’un fonds de soutien aux États déjà victimes du réchauffement de la planète. L’Europe est très fière de cette initiative dont pourtant le financement ne fait pas l’unanimité, notamment de la part de la Chine.
Mais c’est bien tout et cela reste dramatiquement maigre : au total, 45 000 personnes sont passées par Charm El Cheikh. Est-ce bien raisonnable et cela a-t-il quelque sens : les princes de ce monde ont fait de beaux discours et sont bien vite repartis. Sur le sujet le plus important, le seul qu’en fait il aurait fallu discuter, le prix du carbone, rien n’a été dit. Pourtant, avec la flambée des prix de l’énergie, l’occasion était belle. On nous promet maintenant que la COP importante sera la 28, l’année prochaine à Dubaï où l’on fera le bilan des engagements de l’accord de Paris. Trop peu, trop tard…
En réalité, tenir ces grands jamborees annuels n’a pas de sens : en donner la présidence au pays hôte fait courir le risque, comme cela a été manifestement le cas en Égypte, que des objectifs politiques à court terme prennent le pas sur le reste. Il serait plus économique et rationnel de tenir des « ministérielles » régulièrement à Bonn et d’oublier ces COP inutiles et presque futiles.
20 novembre
Ce sont les derniers jours de l’automne, un automne chaud que commencent à balayer les premiers frimas. Alors que la nuit tombe dès le milieu de l’après-midi, on aime à rentrer dans le confort chaleureux d’un foyer. Chaleur ? C’est bien là que le bât blesse tant la chaleur est chère aujourd’hui et le sera encore plus demain.
Les quelques dernières semaines nous avaient offert un peu de répit : un bel été indien tout d’abord et donc une demande plus faible de gaz et d’électricité pour le chauffage. Et puis, malgré la guerre en Ukraine, les réserves de gaz en Europe se sont remplies au point même d’avoir dans bien des pays atteints le maximum de leur capacité. Oh certes, cela a eu un coût et il a fallu payer le gaz norvégien ou russe, les gaz naturels liquéfiés américain ou qatari à des prix équivalents en réalité entre $ 200 ou $ 300 le baril de pétrole. Depuis peu, les cours du gaz en Europe ont donné l’illusion de la détente. Mais à y regarder de près, celle-ci n’affecte que le marché à très court terme, les livraisons du lendemain. À un mois et plus encore pour 2023, le prix du gaz en Europe reste dix fois plus élevé au moins qu’il ne l’était dans les années deux mille dix. Et bien sûr, la faiblesse de l’euro face au dollar n’arrange rien. Et puis le gaz entraîne désormais l’électricité dans une mécanique infernale à laquelle nul à Bruxelles ne donne l’impression de vouloir toucher.
Ne rêvons pas ; si les pénuries hivernales sont peu probables cette année, la « douloureuse » le sera. La fourchette de multiplication des prix du gaz et de l’électricité est largement ouverte : trois, quatre, cinq fois par rapport aux moyennes des années précédentes, voilà des estimations peut-être trop raisonnables.
Curieusement, les Français n’en sont pas conscients. Ces derniers jours, ils en sont revenus à leur obsession habituelle, celle du prix de l’essence à la pompe (et peut-être encore plus du diesel). La baisse du rabais fiscal a été vécue comme un véritable traumatisme nous rapprochant du seuil fatidique des € 2 le litre (déjà dépassé pour le diesel). Mais ce n’est là que l’arbre qui cache la forêt du choc énergétique auquel est confrontée l’Europe.
Les Français veulent encore l’ignorer : la promesse de limiter la hausse des prix du gaz et de l’électricité à 15 % pour les ménages en 2023 sera probablement tenue. Mais la vraie question concerne les entreprises. Partout, l’angoisse des patrons et de leurs directeurs des achats est celle de leur facture énergétique qui, en 2023, va doubler, tripler peut-être, voire même plus. Certes, comme ailleurs en Europe, le gouvernement a annoncé un plan de mesures d’aide et de compensation à hauteur de € 10 milliards. C’est bien et en ces temps de disette budgétaire c’est déjà un bel effort (quoique le rabais de 20 centimes sur l’essence avait, en base annuelle, le même coût, pour une efficacité dérisoire).
Ces hausses de coût, il va falloir les répercuter et les prévisions affichées un peu partout de baisse de l’inflation en 2023 peuvent prêter à sourire, voire à pleurer. La réalité ce seront des hausses de prix, que l’on anticipe déjà dans les traditionnelles « négociations » avec la grande distribution qui vont commencer bientôt.
L’hiver arrive, celui de la stagflation, voire pour certains en Europe de la « recesso-flation ». Et en plus au coin du feu, le prix du bois flambe !
17 novembre
S’il est un marché qui a surpris tous les observateurs en cet automne 2022, c’est bien celui du fret maritime dans sa partie conteneurs. Pa rapport aux records atteints encore au printemps, les taux de fret sont en baisse en moyenne de plus de 70 %. On se souvient que le fret conteneurs avait fait la une de l’actualité en 2021/2022 avec une multiplication des taux allant parfois jusqu’à dix : une « boîte » de quarante pieds, qui dans les années 2010 coûtait entre $ 1 500 et $ 2 000 à transporter de Chine vers l’Europe, avait vu ses coûts passer souvent bien au-delà des $ 10 000 dans un contexte d’engorgements portuaires et de retards accumulés. Les armateurs en avaient enfin profité après de longues années de vaches maigres, mais que n’avait-on dit alors à propos des « superprofits » en France de CMA-CGM.
Mais depuis donc le début de l’été, la chute des taux de fret est impressionnante : un Shanghai-Rotterdam ne coûte plus « que » $ 3 800, une baisse de 73 % en un an ! La principale raison en est le ralentissement économique mondial et la baisse même des échanges internationaux. La pression est moins forte sur la circulation des conteneurs dont la disponibilité s’est améliorée alors que diminuaient les encombrements portuaires. On s’attend même à une poursuite de la baisse dans les mois à venir. La page de la crise semble bien tournée.
Espérons quand même que la leçon, celle de chaînes de valeur démesurément allongées et gouvernées par le seul « juste à temps », sera entendue et qu’un peu de relocalisation en découlera !
16 novembre
À l’Assemblée nationale en France, on parle de corridas. Une proposition de loi d’un député NUPES, plutôt cryptoanimaliste, est en discussion en commission et semble bénéficier d’un assez large soutien des élus, notamment des macronistes malgré des instructions contraires en provenance de l’exécutif.
Interdire la corrida ! Voilà un geste symbolique qui ne coûte pas cher politiquement (quelques dizaines de milliers d’aficionados au plus dans le Sud-Ouest en particulier) et qui peut rapporter gros en termes d’image auprès d’un électorat plus large, peu informé et susceptible de compatir au sort des animaux (tout en restant carnivore). La corrida est un maillon plus faible que la chasse !
Comment expliquer que la corrida plonge en des racines profondes (sans même remonter au culte de Mithra) qu’elle est un art, que le taureau – si effectivement son sort ultime est scellé dans la quasi-totalité des cas – connaît une mort « noble », que rien n’est plus beau que ces derniers moments, où seuls au cœur de l’arène, l’homme et l’animal se font face. Ils ignorent (les opposants) ce que sont tant les grandes arènes de Bayonne ou de Nîmes, que les petites places des Landes ou du Gers où se perpétue ce culte ancien, hérité certes de l’Espagne, mais ayant sa place dans notre terreau culturel.
La corrida est une image de la vie et de la mort manifestement insupportables en ces temps de conformisme culturel.
14 novembre
Tempête dans le petit monde des cryptomonnaies. FTX, une entreprise basée aux Bahamas, l’une des plus importantes places de marché au monde dont le fondateur âgé de 30 ans, Sam Bankman-Fried, émargeait presque au sommet du classement Forbes des plus grandes fortunes de la planète, vient de faire faillite : le terme anglais de banqueroute (bancarotta, le banc du changeur est symboliquement rompu) est d’ailleurs beaucoup plus expressif. Au dernier moment Changpeng Zhao, le fondateur de l’autre grande place de marché, Binance (un chinois de Vancouver qui vit à Dubaï) a refusé de sauver FTX. Les pertes se chiffrent en milliards de dollars, mais au-delà, c’est tout le château de cartes des cryptomonnaies qui se trouve ébranlé, ce qui, au fond, n’est peut-être pas une catastrophe.
L’auteur de ces lignes n’a en effet jamais partagé l’enthousiasme pour ces étranges instruments financiers produits à grand fracas d’énergie par des « mineurs » et qui ont fait l’objet de folles spéculations ces dernières années tant ils étaient vantés sur les réseaux sociaux par des joueurs de football ou d’improbables « bimbos » influenceuses ! Dans la réalité, on hésite entre une pyramide de Ponzi « à la Madoff » et un scandale modèle Enron. Il y a probablement un peu des deux, mais ceci a au moins l’avantage de mettre à plat la véritable escroquerie intellectuelle que représentent les cryptomonnaies. Au-delà d’ailleurs, c’est tout l’univers du virtuel qui se trouve bouleversé : celui des NFT (payées la plupart du temps sur le marché de l’art en ethereum) et même celui du « metavers » sur lequel l’ineffable Mark Zuckerberg semble se casser les dents.
Sur les marchés, on aime bien en revenir au physique !
12 novembre
Pour un pays que l’on peut considérer comme « l’homme malade » de l’Europe tant sur le plan économique que même politique, quelques jours passés à Munich apportent un incontestable démenti. En cet automne, alors que la capitale bavaroise prépare marchés et fêtes de Noël, tout apparaît « so gemütlich », si harmonieux. Les étrangers sont nombreux : Croates, Turcs, Afghans… Français aussi qui représentent à Munich une communauté importante.
Le pays a beau être en récession, les signes extérieurs en sont rares : à toute heure les brasseries et autres « bierstube » sont pleins. La grande affaire du jour à Munich est un match de football américain : pour la première fois, la NFL déplace deux équipes d’outre-Atlantique pour un match régulier. Les supporters venus de toute l’Europe font un peu plus de bruit que les manifestants qui se réunissent pour soutenir l’Ukraine. La ville commémore aussi le cinquantième anniversaire de l’attentat des Jeux olympiques de 1972. Elle entretient aussi d’autres mémoires, celle de son passé nazi et puis de la communauté juive dont la nouvelle synagogue, d’une étonnante modernité veille à quelques pas de la Marienplatz.
L’Allemagne est fédérale et en son sein la Bavière est vraiment un état dont les armes et le drapeau flottent un peu partout, tout comme l’image de Louis II, incapable de sortir de ses rêves, mais qui en donna tant aux Bavarois.
Pour un Français, à peine sorti de ses grèves traditionnelles et lassé par la vacuité de la plupart des discours politiques, il y a dans ce modèle allemand version bavaroise quelque chose de magique : « glücklich wie Gott in… Bayern ! ».
7 novembre
“World is on highway to hell”. L’autoroute vers l’enfer, telle est l’image utilisée par le secrétaire général des Nations unies pour ouvrir la COP27 réunie de manière quelque peu improbable en Égypte, à Charm El Sheik, un lieu de destination balnéaire dont il vaut mieux taire la trace carbone (ainsi d’ailleurs que celle des milliers de délégués et représentants plus ou moins légitimes de la cause climat qui ne rateraient pas pour un empire leur grand « jamboree » annuel). On aimerait à en sourire si la cause n’était si grave, si comme le disait Jacques Chirac, il y a déjà une vingtaine d’années, la « maison ne brûlait ». Les derniers rapports du GIEC sont éloquents et même les plus doctrinaires des climatosceptiques ne peuvent le nier. Et malheureusement, au-delà de quelques grandes déclarations, la COP27 risque de ne déboucher sur rien de bien concret si ce n’est de se réunir pour… la COP28…
Au cœur de cette crise énergétique majeure que connaît le monde, il y a pourtant quelques bonnes nouvelles : la flambée du prix du gaz va probablement accélérer la transition énergétique. Retour du nucléaire certes, mais aussi arrivée d’une seconde génération de renouvelables autour de la biomasse et puis aussi de l’hydrogène. L’avantage de prix élevés, c’est qu’ils ouvrent des perspectives pour des technologies jusque-là trop onéreuses. Mais bien sûr, c’est là du moyen terme. À court terme, malgré la détente apparente sur le marché du gaz européen, l’horizon reste sombre, suspendu à la météorologie européenne et aux conséquences de la Niña sur les anticyclones sibériens ! On en viendrait presque à se réjouir du réchauffement…
Pour le reste, en cet automne, la plupart des marchés de matières premières sont orientés à la baisse. La plus spectaculaire est celle du fret-conteneurs qui, en quelques semaines, a perdu 60 à 70 % de sa valeur par rapport à ses sommets du printemps dernier. On constate des évolutions identiques – quoique moins spectaculaires – pour les matières premières industrielles qu’il s’agisse du minerai de fer (fermement en dessous désormais de $ 100 la tonne) et de l’acier, des métaux non ferreux comme le cuivre (autour de $ 8 000), de l’aluminium ($ 2 400) et plus encore de l’étain (au-dessous de $ 20 000), et puis des matières premières agricoles à l’image du coton dont la chute des prix est vertigineuse (83 cents la livre contre 174 cents en mai). Les seules exceptions notables restent le lithium à près de $ 70 000 la tonne et dans un genre bien différent la pâte à papier.
La raison de ce repli presque général est simple à expliquer : une forte odeur de récession plane sur des pans entiers de l’économie mondiale ; l’Europe bien sûr, mais aussi le Japon, le Brésil et quelques autres. Sous les coups de boutoir de la Fed, la croissance américaine reste anémique et l’interrogation chinoise est entière : que va décider Xi Jinping désormais adoubé presque à vie et entouré d’une équipe de fidèles « seconds couteaux ». Va-t-il poursuivre sa politique anti-covid à coups de confinements à la moindre alerte ou bien va-t-il ouvrir à nouveau les vannes de la relance économique sur la base de son seul marché intérieur ?
Il reste enfin la situation des marchés alimentaires pour lesquels les tensions restent fortes : en octobre l’indice des prix alimentaires de la FAO est resté à peu près stable, 15 % en dessous du record de mars 2022, mais 2 % au-dessus du niveau d’octobre 2021 : à l’exception des céréales, la plupart des prix sont orientés à la baisse. Les marchés céréaliers vivent en effet les angoisses ukrainiennes et puis aussi quelques mauvaises nouvelles climatiques dans l’hémisphère Sud (Australie et Argentine). Le marché du blé reste tendu malgré une récolte mondiale record (784 Mt d’après la FAO). Pourtant, les tensions les plus fortes sont à attendre pour les céréales secondaires et en particulier pour le maïs avec une baisse de la production mondiale de l’ordre de 40 Mt. Tout va dépendre de l’appétit chinois… Et puis, il faut déjà penser aux campagnes à venir et à l’impact attendu de la hausse du prix des engrais : les prix de l’urée, dans la foulée du gaz naturel restent trois fois plus élevés qu’il y a deux ans.
Nous retrouvons là la crise énergétique et au-delà la situation climatique dont on débat sous le soleil de Charm El Sheik dans une Égypte dont la facture céréalière va augmenter d’au moins un milliard de dollars…
26 octobre
Du XIIe au XVe siècle, Venise fut le cœur d’une économie-monde qui couvrait presque l’essentiel de ces routes de la soie que Xi Jinping essaie aujourd’hui de reconstituer au profit de la Chine. Venise était alors le point de passage entre l’Orient et le nord de l’Europe en particulier pour le poivre et les épices que venaient acheter des marchands allemands de la Hanse qui se retrouvaient au Rialto à la Fondacio dei Tedeschi (restaurée par le groupe LVMH et devenue un grand magasin de luxe…). Lorsque les Portugais parvinrent à contourner l’Afrique et à rejoindre directement l’Inde, le vent tourna pour Venise qui entama un lent déclin qui, de fête en fête, dura encore trois siècles.
Venise, même en ces temps de Biennale, n’est plus qu’une superbe vitrine qui chaque jour lutte contre les éléments (et les « aqua alta ») pour accueillir un flot ininterrompu de touristes. Mais si l’on prend la peine de vagabonder au gré des ruelles, que de palais décatis, témoignages de ce que fut la splendeur de la Sérénissime, lorsque, encore au XVIIe siècle, elle luttait contre les Ottomans pour sauvegarder ses derniers points d’appui en Méditerranée. Il n’y a plus guère de Vénitiens, la plupart travaillant sur la « terre ferme » et même ici les vendeurs de souvenirs sont natifs… du Bangladesh ! Il reste aussi l’université et en cette saison, la vieille tradition des « lauréats » qui portent fièrement leur couronne de laurier !
Choc aussi dans la grande salle du Sénat du Palais des Doges, les œuvres géantes d’Anselm Kieffer qui parlent elles aussi de ravages et de déclins.
24 octobre
Xi Jinping encore ! Si le renouvellement du mandat de Xi Jinping à la tête de la Chine était une évidence, on attendait avec impatience la composition du Comité permanent du Politburo, les sept « sages » qui dans la pratique composent le véritable « gouvernement » de la Chine. Sur les six (Xi étant le septième), on compte quatre nouveaux, tous proches de Xi auprès duquel ils ont souvent réalisé leur carrière. Li Keqiang qui avait occupé depuis dix ans la position de Premier ministre, théoriquement numéro deux dans la hiérarchie du régime, disparaît, son mandat au Politburo n’étant pas renouvelé (il ne fait même plus partie du Comité central : la purge totale !). En 2012, il se dit que Hu Jintao avait soutenu Li Keqiang à l’accès au poste suprême contre Xi : Hu Jintao dont l’étoile s’est définitivement éteinte samedi…
Le poste de Premier ministre sera probablement occupé par Li Qiang, un ancien secrétaire de Xi devenu le secrétaire général du Parti à Shanghaï. C’est lui qui a orchestré cette année le gigantesque confinement de Shanghaï en plein délire « zéro covid » : le voilà donc récompensé, une preuve que la volonté du zéro covid n’était pas le simple fait de quelques fonctionnaires locaux trop zélés. Parmi les nouveaux, on compte aussi le secrétaire du Parti pour Pékin. Les deux « anciens » dont le mandat est reconduit sont pour l’un le responsable de la lutte anticorruption (qui a permis au passage d’éliminer la plupart des opposants de Xi) et pour l’autre, l’idéologue du régime. Remarquons qu’il n’y a pas là l’ombre d’un successeur potentiel : en 2032, Xi Jinping n’aura après tout « que » 79 ans ! Mao et Deng ont régné plus longtemps encore et l’héritage confucéen de la Chine célèbre tant le Prince que les ancêtres !
22 octobre
À Pékin, le sort en est jeté. Xi Jinping, le prince rouge, le fils de Xi Zhongxun, un compagnon de la Longue Marche de Mao, purgé durant la Révolution culturelle, réhabilité par Deng et devenu un des artisans de l’ouverture économique de la Chine, Xi Jinping reprend « les habits neufs du président Mao » en dépassant les limites autrefois fixées par Deng : deux « mandats » de cinq ans. Après dix années de Jiang Zemin, puis dix années de Hu Jintao, Xi Jinping aurait dû céder aujourd’hui le pouvoir à un nouveau dirigeant ; il le garde sans limitation de temps, et à 69 ans son « règne » pourrait durer encore quelques lustres. Symboliquement, lors de la cérémonie finale du Congrès du PCC, on a assisté à ce qui ressemblait à l’élimination presque physique de son prédécesseur Hu Jintao.
Et maintenant donc ? L’infléchissement du « modèle » chinois va se poursuivre. Le Parti et l’État vont un peu plus prendre le pas sur les libertés et l’économie de marché : Hong Kong, les Ouïghours, le Tibet vont continuer à être « normalisés ». Sur le plan économique, la grande interrogation reste celle de la poursuite du « zéro covid », une politique dont Xi a assumé toute la responsabilité. Si l’économie chinoise ne retrouve pas un rythme de croissance de l’ordre de 4 % au minimum, le risque est grand que Xi soit tenté de compenser des déboires économiques et la montée du chômage par un regain de nationalisme, voire d’impérialisme. On pense là bien sûr à Taïwan même si les déboires de la Russie en Ukraine peuvent inciter à la prudence.
Longtemps retirés derrière les murs de la Cité interdite, les empereurs mandchous se contentaient de recevoir les hommages de leurs vassaux. Ils avaient perdu le goût des conquêtes de leurs ancêtres. L’avenir seul dira si Xi Jinping l’a retrouvé et dans quelle direction il se portera.
20 octobre
Clap de fin au Royaume-Uni pour Liz Truss qui n’aura tenu que quarante-cinq jours marqués par une insigne maladresse budgétaire et puis surtout par les contradictions internes au parti conservateur. Elle restera dans l’histoire comme la dernière première ministre d’Elisabeth II (pendant deux jours), la première de Charles III.
Les marchés financiers ont joué un rôle incontestable dans cette chute. L’annonce d’un budget irréaliste marqué par des diminutions d’impôts (pour les riches et les entreprises) et par le plafonnement des prix de l’énergie (pour tous cette fois) a provoqué une flambée des taux et précipité la chute du sterling. La Banque d’Angleterre a dû jouer les pompiers sans se priver, tout comme le FMI, de critiquer la décontraction budgétaire du gouvernement. Liz Truss avait du sacrifier son Chancelier de l’Échiquier, revoir sa copie budgétaire, mais c’était manifestement trop tard, le navire prenant eau de partout. Elle a jeté l’éponge sous la pression de tous les « back benchers », tous les députés conservateurs qui ne veulent surtout pas de nouvelles élections qui feraient mordre la poussière à la plupart d’entre eux face à un Labour qui, débarrassé de Jeremy Corbyn, apparaît bien rassurant…
Un nouveau premier ministre conservateur va donc succéder à Liz Truss à la suite d’un vote des parlementaires. Le champ est ouvert aux battus de l’été (Shunak et Mordaunt), mais aussi – pourquoi pas – à Boris Johnson qui a immédiatement pris un avion pour Londres depuis les Caraïbes où il passait ses vacances. Le Royaume-Uni est en crise et au moins, grâce au Brexit, ce n’est pas là une crise européenne !
18 octobre
Jour de grève en France ! Suivant une vieille tradition d’automnes sociaux difficiles, syndicats et partis de gauche ont décidé de profiter des mouvements sociaux dans les raffineries pour enfoncer quelques clous dans une situation politique bien confuse. Jean-Luc Mélenchon rêve d’un mouvement comparable aux grèves générales qui avaient suivi la victoire du Front populaire en 1936. Il se trompe un peu d’époque en confondant les grévistes de 1936 et les gilets jaunes de 2022.
Ce qui reste fascinant en France, c’est le recours systématique à la grève préventive, orchestrée en général par les syndicats les plus durs – pas forcément les plus représentatifs – CGT et Sud auxquels se raccrochent enseignants et étudiants et lycéens (là aussi avec des « syndicats » bien peu représentatifs). En d’autres pays, la grève est une démarche de dernier recours lorsque la négociation a échoué. En France, elle est un exercice de musculation sociale, souvent récupérée par les politiques.
C’est bien le cas aujourd’hui. La France est au bord de la récession et subit de plein fouet une crise énergétique majeure dont on ne peut accuser le gouvernement ni d’ailleurs celui – ou ceux – qui l’ont précédé. Les Français ne s’y trompent pas qui – semble-t-il – y ont montré bien peu d’élan pour cette grève.
Mais voilà, les traditions sont respectées, les banderoles ont pu se déployer. Rien n’a avancé et les stations-service restent peu ou pas approvisionnées. En prolongeant les remises fiscales sur l’essence, le gouvernement a entendu les plaintes et… plombé un peu plus son budget.
Tout va bien. Circulez… si vous le pouvez !
14 octobre
En cette semaine d’assemblées à Washington du Fonds et de la Banque, c’est le moment des ultimes prévisions économiques pour 2023. Et franchement, celles-ci ne sont pas réjouissantes : ainsi le FMI anticipe une croissance économique mondiale de 2,7 % avec quand même 25 % de chances qu’elle soit inférieure à 2 % et même 15 % de chances d’aller en dessous de 1 %. Et encore, le FMI est presque le plus optimiste : nombre d’instituts et de banques anticipent déjà moins de 2 %, voire de 1,5 %.
Pour les pays avancés, la chose est simple ; c’est zéro à peu près partout et bien souvent au négatif comme en Allemagne, au Royaume-Uni, en Italie, peut-être même pour la zone euro et la France. Les États-Unis maintiendraient à peine la tête hors de l’eau grâce à leur avantage énergétique. Au total, ce ne serait plus de stagfation qu’il faudrait parler, mais bien de « recesso-flation ». Partout, le moral est en berne, les taux comme le dollar grimpent. À la limite, il n’y a là guère de surprise, sauf peut-être l’ampleur du mouvement récessif.
Pour les pays autrefois qualifiés d’émergents, la messe est dite pour le Brésil et l’Afrique du Sud. L’Inde par contre, échappe à la contagion tout comme les pays exportateurs d’énergie et de matières premières.
Mais l’interrogation majeure reste la Chine dont la croissance en 2022 a sombré en dessous de 3 %. On est loin des 10,4 % des années 2000 et même encore des 7,7 % des années 2010. Or, pour la Chine, l’équivalent de la « croissance zéro » des pays occidentaux (au fond supportable sur le plan social avec le matelas de l’État providence comme le Japon en fait la démonstration depuis au moins trois décennies) est probablement aux alentours de 4 %. C’est le minimum nécessaire pour avoir le niveau de création d’emplois suffisant pour absorber tant les travailleurs migrants que les jeunes diplômés. En 2022, la Chine a été manifestement en dessous de ce seuil. La politique du zéro covid en est certes responsable, mais pas seulement. Il y a aussi la crise immobilière (– 8 % de production de ciment en Chine au premier semestre) et plus globalement le vieillissement accéléré de la société chinoise. Il y a enfin le caractère quelque peu irrationnel ces derniers mois du « règne » (prolongé à vie cette semaine) de Xi Jinping. Le passage au despotisme absolu n’est signe de sagesse ni politique ni économique.
Quel « pronostic » faire alors pour la Chine en 2023 ? Les caisses restent pleines et le gouvernement a les moyens d’un plan de relance qui rapprocherait la croissance chinoise de ce qui était l’objectif officiel de 2022 (+ 5,5 %). Des prévisions autour de 3 ou 4 % semblent raisonnables, mais au fond, personne ne sait ce que sera la politique suivie par Xi Jinping au lendemain de son sacre.
Inconnues chinoises et puis aussi ukrainiennes et iraniennes, 2023 s’annonce bien difficile à décrypter : une nouvelle année de crises et de doutes en tout cas.
12 octobre
Il y soixante ans s’ouvrait le Concile Vatican II. Jean XXIII, l’aimable vieillard qui avait succédé au rigide Pie XII et dont on avait imaginé qu’il ne serait qu’un pape « de transition », avait décidé de le convoquer et surtout d’ouvrir le débat aux « progressistes » au grand dam des conservateurs de la Curie. Jean XXIII ne vécut pas assez longtemps pour vivre la fin de Vatican II qui se termina sous le pontificat de Paul VI. Mais l’essentiel était fait et l’Église catholique venait là de se livrer au plus extraordinaire exercice de modernisation, d’adaptation aux nouvelles réalités du monde et même de remise en cause auquel aucune institution de cette nature ne s’était jamais livrée. À bien des égards, l’Église était restée au XIXe siècle avec ses ors et ses pompes, ses structures et ses hiérarchies. Avec Vatican II, elle brûlait les étapes vers le XXIe siècle. Vatican II précède d’ailleurs de quelques années les grandes contestations de la fin des années soixante qui mirent à bas maintes autres institutions.
Soixante ans plus tard, l’héritage de Vatican II reste source de débats. Alors que fleurissent les traditionalistes de tous bords qui rêvent d’un retour à « avant », certains accusent le Concile d’avoir contribué à vider églises et séminaires. Mais bien au contraire, l’Église catholique aurait-elle survécu ailleurs que dans quelques catacombes s’il n’y avait pas eu cette ouverture sur le monde.
Le pape François, que l’on peut qualifier d’enfant de Vatican II, vient de lancer une vaste consultation, un synode, et au vu des premières réponses (celles de l’Église allemande par exemple), on voit bien que la dynamique et l’esprit de Vatican II perdurent alors même que dans nombre de pays – en Europe en particulier – le recul catholique s’accentue.
11 octobre
Je vous écris du Gers, le pays où comme on le sait « le bonheur est dans le pré ». Dix jours de marche sur les chemins de Saint-Jacques m’ont mené là depuis Rocamadour au travers du Quercy puis de la Lomagne. L’avantage de ces marches est de vous couper du monde dont vous n’avez quelque écho que le soir par les messages d’amis journalistes. L’actualité paraît bien lointaine, mais il est aussi fascinant de savoir ce qui passionnait les Français (ou au moins leurs radios et télévisions) en cette première quinzaine d’octobre : l’Ukraine bien sûr et les revers russes assortis de menaces nucléaires ; l’Iran et la contestation qui semble prendre de l’ampleur ; mais surtout en France, il semble bien que le sujet majeur ait été… la pénurie d’essence au point d’avoir motivé plusieurs interventions ministérielles et même présidentielle. Or, s’il y a bien une question qui n’aurait dû valoir que quelques échos de bas de page, c’est bien celle-là. En ces temps de crise tant géopolitique qu’économique, la pénurie d’essence en France tient en effet du ridicule.
Depuis le 1er septembre, les Français bénéficient d’un rabais de 30 centimes le litre consenti au début de l’été au moment où les prix du pétrole brut dépassaient largement les $ 100 le baril. Depuis, ils ont nettement baissé entre $ 80 et $ 90 et ont même à peine réagi à la décision de l’OPEP+ de réduire de 2 millions de barils/jour les quotas de production. Certes, durant l’été et encore ces dernières semaines l’euro a baissé par rapport au dollar, mais au total, la tendance à la baisse des prix des carburants a été nette ces derniers mois. Le gouvernement a quand même maintenu son « cadeau », ce qui était de bonne politique en une rentrée qui s’annonçait difficile. Parallèlement, TotalEnergies, sur la sellette en ces temps de « superprofits », a rajouté dans son propre réseau, un rabais de 20 centimes. Dans les stations Total, le litre de SP95 a pu tomber en dessous de € 1,40.
Les Français achètent à 60 % leurs carburants dans les centres commerciaux de la grande distribution. En dehors des autoroutes, ils ignorent en général les stations des réseaux classiques qui, ces dernières années, ont perdu le gros de leurs clients. Mais voilà soudain tout le monde s’est rué sur les malheureuses stations Total. Les queues se sont allongées pour profiter d’une bonne dizaine de centimes de rabais au point que certaines stations se sont retrouvées à court de carburant. Là-dessus, les salariés des raffineries Total – taquins – se sont mis en grève pour améliorer leur part du gâteau. L’approvisionnement des stations Total est devenu plus aléatoire et d’autres raffineries et dépôts ont suivi le mouvement. Et on a commencé pour certaines régions, notamment à proximité de Paris, à parler de pénurie. L’information en continu a fait le reste. Les Français allaient manquer d’essence ! La psychose du manque a fait le reste un peu comme, quelques semaines plus tôt, pour l’huile de tournesol ou la moutarde. Alerté, le gouvernement n’a pas manqué de réagir : stocks stratégiques, réquisitions, fortes incitations au « dialogue social », tout a joué. C’est que l’affaire était d’importance : avec le prix de la baguette (celui-ci aussi bouleversé par le prix de l’énergie), l’accès à l’essence fait partie de nos droits fondamentaux !
« Heureusement », fin octobre, les cadeaux tant du gouvernement que ceux de Total vont normalement se réduire. L’essence va rebondir de vingt à trente centimes. À Miradoux, dans le Gers, la pompe « municipale » affichait le 10 octobre € 1,80 le litre de SP sans pénurie. Tout ce débat était bien loin. Pourquoi tant d’histoires ?
La vraie bonne nouvelle de ces derniers jours c’est par contre la baisse du prix du gaz naturel sur le marché de gros européen tombé à € 100 le MWh contre € 200 il y a quelques semaines. Les stocks européens sont pleins et puis surtout l’automne a des couleurs d’été indien, ce dont on ne peut se plaindre sur le « camino ».
8 octobre
L’actualité est riche, de l’Ukraine avec l’attaque sur le pont qui relie la Crimée à la Russie, à l’Iran ou aux États-Unis en pleine campagne électorale. En France, pourtant, la une des médias est consacrée aux pénuries – réelles ou exagérées – de carburants.
Au départ, le phénomène a touché les stations Total qui affichaient des prix inférieurs d’au moins dix centimes le litre à la grande distribution. Dès le début septembre, les queues se sont allongées devant ces stations quelque peu délaissées jusque-là. Certaines commençaient même à avoir leurs cuves vides lorsqu’une grève des salariés des raffineries de Total a perturbé l’approvisionnement de régions entières, en particulier l’Île-de-France et les Hauts de France.
À partir de là s’est développée une véritable psychose à la limite du rationnel. La ruée sur les stations a vidé les cuves et la pénurie est devenue une réalité. Comme toujours en France, on s’est retourné vers l’état, forcément responsable. Des ministres sont intervenus. On a même parlé d’avoir recours aux stocks stratégiques de carburants. Sur les chaînes d’information en continu, l’affaire a éclipsé toutes les autres actualités, aggravant encore un peu plus l’anxiété. Il y a quelques mois, on avait connu cela pour l’huile de tournesol. Mais avec l’essence, on touche presque aux droits fondamentaux des Français. Dont acte !
5 octobre
L’OPEP+ a manifestement décidé de taper du poing sur la table et d’envoyer aux marchés un message fort. Alors que l’on attendait une baisse des quotas pétroliers de 1 mbj, ce sont donc 2 mbj de coupures qui ont été annoncées. Il est vrai que l’humeur des marchés avait été nettement baissière ces dernières semaines avec le baril de Brent flirtant même avec les $ 80 (mais en un dollar de plus en plus cher). La raison en était les perspectives de ralentissement économique mondial, les doutes sur la Chine et puis aussi les rabais dont profitaient les acheteurs de pétrole russe et iranien qui tiraient les prix vers le bas.
L’OPEP+ est par ailleurs tiraillée entre l’Arabie saoudite qui cherche quand même à ménager les États-Unis et la Russie qui voit se préciser la menace d’un plafonnement unilatéral de ses prix de vente. Enfin, il faut tenir compte du fait que l’OPEP+ est loin de remplir ses quotas avec un manque à produire de 3 à 3,5 mbj : la Russie certes, mais aussi l’Angola, le Nigeria et quelques autres. Concrètement, l’effet de cette réduction de quotas risque d’être assez limité et tout dépendra en fait de l’Arabie saoudite, le seul pays – avec les Émirats – capable de réduire sa production et de peser sur le marché. Celui-ci continue en fait à anticiper des fluctuations entre $ 80 et $ 100. C’est assez bien raisonné.
4 octobre
Après les cérémonies sur la Place Rouge, célébrant l’annexion par la Russie des quatre oblasts ukrainiens qui se sont prononcés « volontairement » en ce sens par referendum, le retour à la réalité du terrain semble bien cruel pour Vladimir Poutine. Partout, semble-t-il, les troupes russes reculent et la retraite tourne même à la débandade. Manifestement, les troupes russes mal commandées et surtout peu motivées ne tiennent pas sous le choc. Il est vrai qu’en face, les Ukrainiens se battent pour leur pays et sont aussi soutenus par toute l’infrastructure américaine : des armes, mais surtout des systèmes de renseignement qui leur permettent d’avoir « un coup d’avance ».
Les troupes ukrainiennes sont, semble-t-il, aux portes de Kherson (mais il reste le fleuve à traverser) et occupent à nouveau une partie des oblasts désormais russes. Auront-elles les moyens d’aller plus loin ?
V. Zelenski est l’âme de ce combat, mais en visant ouvertement la Crimée, il ferme aussi la porte à toute tentative de compromis et fait à la limite le jeu des ultras de Moscou.
Pour l’instant, on ne voit guère de solution à ce conflit d’un autre âge, héritier au fond des partages absurdes du traité de Versailles, il y a un siècle. Quant à la crainte nucléaire, elle reste entière. Tout peut arriver.
2 octobre
Rien ne va plus au Royaume-Uni et d’après tous les commentateurs britanniques, Liz Truss a fait les plus mauvais débuts de presque tous les Premiers ministres britanniques. Il est vrai qu’elle a frappé fort et un peu dans toutes les directions avec l’aide – ou sous l’influence – de son Chancelier de l’Échiquier : annonces de baisse d’impôts majeures et en même temps programmes de soutien à la consommation et plafonnement des prix du gaz et de l’électricité. Tout en même temps, et à la clef, un déficit budgétaire qui devient abyssal alors que toutes les prévisions économiques donnent pour le Royaume-Uni une croissance négative (– 0,5 % au moins) pour 2023.
En quelques jours, Liz Truss semble avoir perdu toute la confiance des Britanniques et même des députés conservateurs. Il est vrai aussi que la semaine a été rude sur les marchés financiers : la Banque d’Angleterre a dû intervenir en catastrophe pour éviter la faillite des fonds de pension les plus exposés. Certains n’hésitent pas à dire que la situation dans la City est pire en 2022 que ce qu’elle fut en 2008. C’est peut-être là un peu exagéré, mais même le FMI y est allé de sa réprimande comme vis-à-vis du premier pays en développement venu.
À Londres, on se demande combien de temps Liz Truss va tenir et on en vient presque à regretter Boris !
30 septembre
La reine est morte… et pendant quelques jours, la vie de la planète s’est arrêtée, tournant définitivement la page d’un XXe siècle qui aura été surtout marqué par le déclin inexorable de l’Europe au fil des guerres et des crises.
Mais les crises justement ont repris leur cours. En Europe, la guerre fait rage dans les confins ukrainiens poussant Vladimir Poutine dans ses derniers retranchements avant un éventuel scénario nucléaire. Xi Jinping en profite pour avancer ses pions en Asie centrale tout en préparant son sacre lors du Congrès du PCC qui commencera le 16 octobre. Joe Biden a plus que jamais les yeux fixés sur des élections à mi-mandat qui pourraient être moins catastrophiques qu’anticipées pour les démocrates, mais qui pourraient quand même se solder par la perte de la Chambre. En Italie par contre, c’est le triomphe de Giorgia Meloni et un peu partout en Europe le retour des nationalismes.
L’Europe justement reste sous le choc de la crise énergétique : certes les prix du gaz se sont repliés depuis leurs sommets de la fin août, mais il a suffi de quelques bulles en mer Baltique à partir des deux gazoducs Nordstream pour qu’ils rebondissent autour de € 200 le MWh. On parle de plus en plus de plafonner le prix du gaz : c’est chose faite dans la péninsule ibérique (autour de € 50) et au Royaume-Uni (à £ 75 et à £ 211 pour l’électricité). Mais c’est là déplacer la facture vers le contribuable (£ 40 milliards pour six mois outre-Manche) et à l’intérieur de l’UE cela induit des distorsions entre pays : l’Espagne exporte maintenant de l’électricité vers la France ! Il n’y a malheureusement pas de solution à court terme pour le prix du gaz : l’Allemagne va commencer à importer du GNL depuis les Émirats, mais nul doute qu’elle le paiera au prix fort. Le véritable chantier serait d’encadrer les prix de l’électricité voire de revenir à des prix administrés à l’échelle européenne. Mais on en est bien loin et les pays européens les plus libéraux à l’image des Pays-Bas traînent des pieds. Bien entendu, la hausse des coûts de l’énergie va fragiliser les entreprises et cela explique les révisions à la baisse des prévisions de croissance pour 2023 : zéro pour l’Union européenne (et pour la France) et du négatif pour l’Allemagne et l’Italie. L’horizon est bien sombre et ce d’autant plus que les marchés financiers sont de plus en plus nerveux avec la hausse des taux longs, le volontarisme des banques centrales qui contraste avec le laxisme budgétaire de nombre de gouvernements : le Royaume-Uni est de ce point de vue un cas d’école ! La hausse du dollar contre presque toutes les devises (euro, sterling, yen, yuan) complique encore un peu la donne.
La fermeté du dollar devrait au moins avoir une conséquence positive, celle de peser sur les prix des matières premières. La corrélation inverse entre le dollar et les matières premières est en effet en général assez solide. Elle conforterait une tendance, à l’œuvre depuis maintenant plusieurs mois, sensible pour la plupart des matières premières industrielles (à la notable exception de la pâte à papier), mais aussi pour les produits alimentaires (à l’exception là du café).
Ceci étant, il reste tant d’inconnues en ce début d’automne : le climat tout d’abord, surtout en Europe, mais aussi les négociations sur le nucléaire iranien qui semblent s’enliser à Vienne (il est vrai que les autorités de Téhéran ont bien d’autres soucis), la situation économique et sanitaire en Chine (et le niveau des importations chinoises de céréales), les élections au Brésil, la faiblesse européenne avec un nouvel axe Budapest-Rome…
Nous sommes bien au-delà de la simple « langueur monotone » des violons de l’automne.
26 septembre
On avait beau s’y attendre, néanmoins le choc est rude : la coalition de droite l’emporte en Italie. Tant la ligue que le parti de Silvio Berlusconi sont pourtant en recul. Mais Fratelli d’Italia, l’héritier un peu lointain du « neo-fasciste » MSI devient le premier parti d’Italie avec à peu près un quart des votes, menant une coalition qui disposera de la majorité dans les deux chambres. En toute logique, Giorgia Meloni sera la prochaine présidente du Conseil et succédera ainsi à Mario Draghi.
Plus que l’extrême droite et malgré la connotation fasciste assumée (mais à la sauce italienne), il s’agit en fait d’une droite populiste qui dans ce cas a l’originalité de se présenter comme chrétienne, ce que l’on retrouve aussi dans les milieux de la droite nationale française. Madame Meloni a nettement adouci son discours sur l’Europe, mais on peut imaginer qu’elle va se situer sur une ligne comparable à celle de Viktor Orban. Quel contraste avec Mario Draghi qui avait fait de l’Italie un des piliers majeurs de l’Europe.
C’est un peu le vote de la dernière chance pour une Italie qui aura tout essayé : les condottieres à la Berlusconi, les technocrates comme Monti et Draghi, les réformistes comme Letta et Renzi. Il y a presque un siècle, c’est ainsi que Mussolini était arrivé au pouvoir… La suite ne fut malheureusement pas à la hauteur des espérances…
25 septembre
En 1787, Mozart présenta ce que l’on peut considérer comme son premier « grand » opéra : en italien certes, sur un livret de Da Ponte, mais tellement plus profond que les opéras-comiques de l’époque. La première de Don Giovanni eut lieu à Prague dans la salle toute récente alors du théâtre des États qui jouxte l’université Karlova.
Ce soir, dans cette même salle, à l’italienne, brillant de tous ses ors, la troupe permanente du Narodni divadlo, attachée au théâtre des États, donnait une nouvelle fois Don Giovanni. Les moyens des opéras de Prague ne sont pas ceux des grandes scènes mondiales : pas de « stars » internationales, des mises en scène limitées, mais un entrain qui ce soir gagnait les spectateurs. La mode actuelle est de donner carte blanche aux metteurs en scène pour « interpréter » leur propre vision, parfois pour le meilleur, souvent pour le pire et… toujours pour le plus coûteux.
Ce soir, Mozart était là et malgré quelques anachronismes (une cocarde de la révolution française deux ans au moins trop tôt), il se serait retrouvé dans « sa » première, la quête de Don Juan et son ultime défi face à la statue du commandeur. La musique de Mozart brillait de tous ses feux, rebondissant dans cette salle à l’acoustique parfaite. Un moment de bonheur, deux cent trente-cinq ans plus tard.
22 septembre
La rentrée se fait sous la contrainte de la crise énergétique et de la flambée des prix du gaz et de l’électricité multipliés sur les marchés européens par vingt et dix respectivement. Au total, en Europe, ce sont quelques cinq cents milliards d’euros que les états vont consacrer à plafonner les hausses, à subventionner les plus fragiles, à renflouer voire à nationaliser certains distributeurs.
En France, il a été décidé de plafonner les hausses des tarifs pour les ménages à 15 %, ce qui est un geste considé-rable. Mais pour l’instant, rien n’est prévu pour les entreprises. Sans même parler des plus énergivore, c’est tout le tissu économique qui se trouve soumis à un choc qui dans nombre de secteurs va se traduire par une augmentation des charges bien souvent supérieure aux marges bénéficiaires. Ainsi, pour les industries de la charcuterie, l’augmentation de la facture énergétique pourrait représenter plus de 3 % du chiffre d’affaires, probablement plus que des marges laminées par la grande distribution. Au Royaume-Uni, il vient d’être décidé un plafonnement des prix du gaz et de l’électricité pour les entreprises à £ 211 le MWh pour l’électricité et £ 75 le MWh pour le gaz : cela coûtera £ 40 milliards pour les six mois de cette mesure.
La crise énergétique est la pire que l’Europe ait connue depuis les années soixante-dix. Il est temps d’en prendre conscience...
19 septembre
4 milliards de spectateurs ! La « firme » a fait un tabac avec un péplum à grand spectacle dans les rues de Londres. La charge est peut-être là un peu forte, mais on doit reconnaître – admiratif – que la mise en scène de l’enterrement de la Reine a été grandiose sans aucune fausse note. Au-delà de tous les chefs d’État (à l’exception de Poutine, qui n’était pas invité, et de Xi Jinping, à peine représenté) ce qui était frappant c’était la ferveur populaire tant en « présentiel », au long des rues du cortège, qu’en « distanciel ». Aux Français, il manquait seulement Léon Zitrone qui avait commenté le couronnement d’Élisabeth II en 1952, une première télévisuelle à l’époque.
Tout y était : le chatoiement de costumes immuables depuis probablement l’enterrement de l’arrière-grand-mère d’Élisabeth II, la reine Victoria, la dignité des premiers rôles de la famille royale, la beauté des cantiques remontant souvent à Élisabeth I (Purcell et quelques autres), l’organisation irréprochable et cela tout au long de la semaine… Certes, la France n’a pas à rougir avec son défilé du 14 juillet, mais les Britanniques ont su ajouter en ce jour dignité et recueillement.
Quelques esprits vulgaires ont parlé dépenses et budget en ces temps difficiles, mais le « retour sur investissement » est sans commune mesure et la monarchie britannique a justifié en ce jour son existence : être un symbole et l’image d’une nation qui pendant quelques heures est revenue au centre du monde.
14 septembre
Décidément les Britanniques sont bien différents des Français ! En pleine crise de l’énergie, alors que les ménages britan-niques voient s’envoler leurs factures d’électricité et de gaz, le nouveau Chancelier de l’Échiquier n’a rien trouvé de mieux que d’annoncer la fin du plafonnement des bonus de la City de Londres. C’est réaliste à l’aune de la concurrence entre les grandes places financières pour attirer les talents et avec le Brexit on a assisté au départ de plusieurs salles de marché de grands acteurs de la finance vers Francfort, Amsterdam, Zurich et même Paris.
Kwasi Kwarteng n’est d’ailleurs pas un Chancelier de l’échiquier ordinaire : originaire du Ghana, seule la couleur de sa peau le distingue un peu de ses homologues de l’aristocratie politique britannique : Eton et Cambridge puis un parcours quelque peu atypique au sein du parti conservateur. Il est le parfait représentant d’une société anglaise (plus que britan-nique) parfaitement inégalitaire et où les inégalités sont acceptées comme légitimes par le corps social : c’est Downtown Ab-bey d’un côté, les films de Ken Loach de l’autre. Les traders en sont un peu la nouvelle aristocratie même si leur origine sociale, leur accent, en sont beaucoup plus mélangés.
Retour donc des bonus et tant pis pour les factures de gaz et d’électricité ! Reconnaissons au moins que les Britan-niques ne s’embarrassent pas de cette hypocrisie qui en France met en avant l’égalité dans les discours et bien peu dans la réalité.
12 septembre
Pour la première fois depuis le début du Covid, Xi Jinping s’aventure hors de Chine. Certes, il ne va pas très loin, juste en Asie centrale et notamment à Samarcande (l’une des étapes historiques de l’ancienne route de la soie) pour la réunion de l’Organisation de Coopération de Shanghai qui réunit la plupart des pays d’Asie (Inde comprise) ainsi que la Russie. En dehors de l’Ouzbékistan, Xi va aussi visiter le Kazakhstan, marquant ainsi l’intérêt de la Chine pour des pays appartenant jusque-là à la sphère d’influence russe (il y a un an, ce sont des troupes russes qui ont « sauvé » le régime kazakh).
L’organisation de Shanghai est clairement sous influence chinoise avec toutefois deux électrons majeurs, liés jusque-là par une amitié historique remontant à l’époque de Nehru et de Kroutchev. Manifestement, Narendra Modi n’est plus sur cette ligne et il a condamné l’invasion russe de l’Ukraine. Privé de cet allié faisant contrepoids à la Chine, Vladimir Poutine était à Samarcande en position de faiblesse face à Xi Jin Ping et cela les pays vassaux d’Asie centrale l’ont bien com-pris. Face à la Chine, la Russie ne fait plus le poids ni économiquement (depuis longtemps) ni militairement avec les échecs ukrainiens. Il reste l’Inde qui se tient désormais à distance.
À Samarcande, Xi Jinping pouvait rêver à ses véritables prédécesseurs : les Khans de la Horde d’Or !
9 septembre
La reine est morte ! De toutes les reines qui existent encore sur la planète, il n’y en avait qu’une, elle, « The Queen », le dernier lambeau de l’Empire britannique, l’arrière-petite-fille de Victoria, née en un temps où le soleil jamais ne se couchait sur l’Union Jack. Symboliquement, l’avant-veille de sa mort, elle avait reçu sa nouvelle Première ministre, le quinzième depuis Winston Churchill, Liz Truss dont le modèle est Magaret Thatcher qu’elle n’avait guère apprécié.
Sans tomber dans la guimauve des magazines « people », on ne peut que saluer la manière dont cette femme a assumé son destin et, pendant soixante-dix ans, a incarné un Royaume souvent désuni, un empire oublié puis un Com-monwealth traversé de crises comme celle autour de l’Afrique du sud et de l’apartheid (ce qui provoqua un véritable affron-tement avec son Premier ministre de l’époque, Margaret Thatcher). Le souverain britannique n’a à peu près aucun pouvoir : chaque année, il lit un discours rédigé par son Premier ministre qu’il reçoit quand même chaque semaine. Il écoute, il représente, il incarne, dans une certaine mesure – et ce fut le cas d’Elisabeth II – il rassure. La vie ne lui a pas été tendre avec une scène familiale explosive, des divorces à répétition, l’affaire Diana… Elle a tenu bon et on peut même penser qu’elle a sauvé la monarchie britannique. God save the Queen !
8 septembre
En ce début d’automne, tous les yeux sont tournés vers des marchés, connus des seuls initiés, il y a seulement encore trois ou quatre ans ; ceux du gaz et de l’électricité en Europe. Jusque-là, seul le prix du pétrole importait, donnait le « la » à la scène énergétique mondiale, et c’est lui qui avait déclenché les grands chocs des années soixante-dix et 2008/2010. Le gaz naturel n’était qu’un lointain second et ce d’autant plus que son abondance rassurait avec le développement des gaz de schiste que, en Europe, on pouvait s’offrir le luxe de snober. Quant à l’électricité, on regardait avec curiosité les affres de la dérégulation américaine et les crises qui en découlaient de la Californie au Texas. Rien de tel en Europe grâce aux renouvelables allemands et espagnols, au nucléaire français, au charbon polonais et… au gaz russe !
Tout ceci a volé en éclat et il n’y a plus guère de certitudes européennes en matière énergétique. Le prix de l’essence à la pompe est presque passé au second plan, aidé en cela par la modération relative du marché du pétrole désor-mais sous la barre des $ 100 le baril. Le gaz naturel par contre caracole à des prix vingt fois plus élevés que dans les an-nées 2010, dépassant les $ 300 le baril équivalent pétrole. Et, comme on le sait, le mécanisme de formation du prix de l’électricité, conçu pour avantager les renouvelables, est devenu une machine infernale, corrélée au prix du gaz : résultat, les prix de l’électricité évoluent dans un contexte d’extrême volatilité entre 500 et 1 000 euros le MWh, des niveaux au moins dix fois plus élevés que dans la décennie précédente. La guerre en Ukraine a certes là une responsabilité directe, mais les racines de la crise en sont beaucoup plus profondes. Partout en Europe, les gouvernements en sont réduits à colmater les brèches, à coup d’appels louables à la sobriété et puis surtout de boucliers tarifaires et de subventions aux moins bien lotis. Tout ceci a bien entendu un coût budgétaire et reste en général limité aux seuls ménages, électeurs et éventuellement fron-deurs. Rien de tel pour les entreprises qui prennent de plein fouet un choc énergétique d’une ampleur comparable à ceux de 1973 et de 1980. Le résultat en sera, au-delà de l’automne, une récession hivernale pour la plupart des pays européens.
Inutile de revenir sur les erreurs commises et en particulier sur l’irresponsable idéologisation de la transition éner-gétique telle qu’elle a été instrumentalisée en Europe ces vingt dernières années. Le refus forcené du nucléaire et du gaz de schiste, la volonté d’électrifier les économies sans vraiment s’interroger sur la disponibilité électrique en l’absence éventuelle de gaz russe se paient aujourd’hui au prix fort. La plupart des solutions avancées en termes de production électrique met-tront des années à se concrétiser. À court terme, il faut trouver du gaz et bien sûr accepter de le payer au prix fort : même la Norvège n’est pas prête à faire des cadeaux ! Plafonner le prix du gaz est à peu près impossible d’autant plus que l’Europe n’est pas seule sur ce marché, longtemps dominé par les achats asiatiques. Pour l’électricité par contre, il existe des marges de manœuvre et l’UE pourrait s’engager sur la voie de prix administrés. Mais encore faudrait-il qu’il y ait une volonté poli-tique qui était absente des propos de Madame von der Leyen dans son discours sur l’État de l’Union.
En juillet dernier aux Rencontres d’Aix, un ancien ministre polonais de l’Énergie disait que l’Europe à l’automne n’aurait le choix qu’entre « prix exorbitants ou dette colossale ». Il avait malheureusement raison. On pourrait même y rajou-ter quelques « sanglots longs de violons » en espérant que l’hiver ne sera pas trop rude.
5 septembre
En ce début d’automne, les marchés mondiaux sont partagés entre crises, inquiétudes et puis quand même quelques soula-gements, voire des lueurs d’espérance.
Au chapitre des crises, il y a bien sûr l’énergie avec en vedette le gaz naturel et le charbon ainsi que bien sûr les conséquences qui en découlent pour l’électricité en Europe. De ce côté-là, il n’y a guère d’espoir d’amélioration de la situa-tion d’ici la fin de l’année dans l’attente d’un hiver qui profitera peut-être du réchauffement climatique ! La situation est par contre plus favorable sur le marché du pétrole, sensible au ralentissement économique tant dans les pays avancés qu’en Chine. Même si les négociations sur le nucléaire iranien n’aboutissent pas, le prix du pétrole devrait rester à des niveaux que l’on peut presque qualifier de « modéré » en dessous de $ 100 le baril.
Du côté des matières premières industrielles, le retournement a été beaucoup plus sensible : la plupart des métaux s’affichent en baisse à l’image du cuivre et de l’aluminium touchés par la baisse de la demande, en particulier de la Chine. Il en a été de même pour le fer et l’acier ainsi que pour des matières premières agricoles comme le coton et le caoutchouc. Pour tous ces marchés, le recul est net depuis les sommets atteints au début du printemps. La raison en est à trouver dans la dété-rioration des perspectives économiques, liée d’ailleurs à la crise de l’énergie.
Mais ce sont les marchés des produits alimentaires qui ont affiché le recul le plus net. Malgré quelques sécheresses spectaculaires en Europe et en Inde, malgré aussi la réduction du potentiel d’exportation ukrainien les perspectives de ré-coltes mondiales restent bonnes, voire excellentes pour des pays comme la Russie ou l’Australie. Des inquiétudes demeu-rent toutefois : la principale est chinoise. Quel sera le niveau d’importation de grains (céréales et oléagineux) de la Chine ? En 2021, c’est elle qui avait provoqué la flambée des prix mondiaux bien avant la panique ukrainienne. Sur les huit pre-miers mois de 2022, les importations chinoises sont en recul de 10 %. Mais cela va-t-il durer ? L’autre inquiétude est liée au prix du gaz et puis aussi à la potasse russe et bélarusse : c’est la flambée du prix des engrais dont il faudra attendre les con-séquences sur la campagne à venir.
Dernier point de soulagement enfin, le léger recul des taux de fret maritime notamment en ce qui concerne les con-teneurs. Les taux restent toutefois à des niveaux quatre fois plus élevés qu’avant 2019, mais les retards commencent à se résorber.
Tout ceci reste bien sûr fragile : interrogations géopolitiques (Ukraine, Chine, Iran…), économiques, monétaires (avec la baisse du dollar), climatiques, rendent l’exercice de prévisions plus risqué que jamais. Sous la cendre de la plupart des marchés, les braises n’attendent que de relancer l’incendie. Et au niveau international, il n’y a plus guère de « Canadair » pour les juguler.