A quelques jours du début du printemps 2012, les marchés céréaliers mondiaux font l’objet de maintes interrogations que reflètent des prix élevés à Chicago ou à Paris. Certes la production céréalière mondiale a atteint un niveau record pour la campagne 2011/2012 et l’excédent qui s’en est dégagé a permis de reconstituer des stocks bien amoindris par les accidents climatiques de 2010. A l’époque la canicule en Russie et en Ukraine avait provoqué une spectaculaire flambée des prix du blé et du maïs qui avait eu quelque impact sur les émeutes de la « vie chère » qui ont servi de prologue au printemps arabe. Alors que la situation statistique du printemps 2012 n’a rien de comparable, le niveau soutenu des prix internationaux (plus de 6 dollars le boisseau de blé ou de maïs à Chicago, plus de 200 euros la tonne à Paris) montre bien que les opérateurs sur les marchés demeurent nerveux dans l’attente de quelques nouvel accident. Quel sera par exemple l’impact de la vague de froid qui a saisi l’Europe en Février sur les céréales d’hiver, du Danube à l’Oural ? La couche de neige ayant été insuffisante, il y a de fortes chances que les semis aient gelé et qu’il faille planter à nouveau des céréales de printemps. Et du côté de la demande, on s’interroge sur la réalité des besoins chinois, sur les besoins des pays du Sud de la Méditerranée, à l’image de l’Algérie qui a importé 7 millions de tonnes de blé en 2011, un record depuis l’indépendance. Les prix mondiaux devraient se détendre en 2012 si la campagne 2012/2013 tient ses promesses mais les doutes sont légion.
Et puis il y a une région dans le monde sur laquelle plane la menace d’une véritable catastrophe alimentaire : c’est une nouvelle fois le Sahel qui pour la troisième fois en dix ans (après 2004 et 2009) connaît une saison des pluies décevante. Les neuf pays du Sahel ont vu croître leur production céréalière de manière impressionnante, passant de 10 à 22 millions de tonnes de céréales entre 2000 et 2010. Mais sur la même période leur population est passée de 58 à 78 millions de personnes. En 2011 la production n’aurait été que de 16 millions de tonnes et le déficit anticipé serait de 2.5 millions de tonnes. Les analystes d’In Vivo, le premier exportateur français de céréales, qui sont en alerte sur le sujet, pensent qu’il sera beaucoup plus élevé.
C’est que le Sahel est aussi au cœur de maintes tensions géopolitiques. La guerre en Lybie a chassé des populations vers le Niger et le Tchad. Des couloirs d’approvisionnement se trouvent coupés alors que plus au Sud, au Nord du Nigéria par exemple on est parfois à la limite de la guerre civile. Autant il sera relativement facile de ravitailler les grandes villes côtières, autant la faim risque de frapper les pays du cœur du Sahel, les plus difficiles a approvisionner. Au lendemain des grandes déclarations du G20 agricole, voila une première occasion de mesurer l’efficacité de la mobilisation internationale.
L’alerte est donnée assez tôt car la vraie « saison de la faim » ne commencera que vers la fin du printemps au moment de la période de soudure inter-campagne. Mais quand les premières images nous parviendrons, il sera trop tard.
En 2012, les populations sahéliennes seront autant les victimes des caprices du climat que de la folie parfois sanguinaire des hommes. Mais le pire ne serait-il pas notre indifférence ?
*le titre de cette chronique paraphrase le livre de Robert Linhart « le sucre et la faim » (ed. de Minuit) qui analysait la situation du Brésil dans les années soixante dix.