Depuis quelques semaines le vilain mot de récession s’était glissé à la une des pages économiques. Ce qui n’était qu’une menace est devenu une réalité au moins en Europe sinon sur le plan technique mais dans l’instantané d’une croissance devenue négative. Une récession n’est en effet « officielle » qu’après deux trimestres successifs dans le rouge. Tel n’est pas encore le cas dans la plupart des pays européens mais il est manifeste qu’en ces premiers jours de décembre l’économie européenne est entrée dans une phase de recul : rigueur budgétaire, montée du chômage, doutes européens et incertitudes électorales ont eu raison du moral tant des chefs d’entreprise que des ménages. Aux Etats-Unis, la situation est un peu plus favorable dans la mesure où en année d’élections présidentielles il ne peut y être question de rigueur. Quant au Japon il connait une phase de rebond après la récession provoquée par la catastrophe de Fukushima. Mais au total, en cette fin d’année ce sont tous les pays « avancés » (l’OCDE) qui globalement sont en situation de « croissance zéro ».
Dans les dernières années du XXe siècle, pareille situation se serait traduite par une forte chute des prix des matières premières. Tel n’est pas le cas aujourd’hui et la plupart des marchés restent à des niveaux proches des records enregistrés au printemps 2011. On peut toujours parler de choc des ressources naturelles qu’il s’agisse de l’énergie, des métaux ou de l’agriculture malgré les replis enregistrés ces dernières semaines. Comment expliquer pareille situation ?
La première raison tient à la croissance mondiale elle-même. Elle devrait être encore de 3,5 % à 4 % en 2012 et cela bien sûr grâce aux pays émergents et à la Chine en particulier.
Plus que jamais c’est la Chine qui est la clef de la conjoncture sur les marchés mondiaux de matières premières : pratiquement pour tous les produits elle est devenue l’acheteur de référence, l’importateur dont le comportement « fait » le prix à court et moyen terme : ce qui était déjà le cas pour le minerai de fer et le soja, pour les métaux non ferreux et les vieux papiers, l’est devenu aussi pour le pétrole et le sucre ou le maïs. Le repli des cours mondiaux au début de l’automne s’explique ainsi par la volonté des autorités chinoises de juguler l’inflation. Mais les marges de manœuvre existent aujourd’hui pour relancer la demande intérieure et une croissance chinoise de l’ordre de 9 à 10 % en 2012 demeure probable n’en déplaise aux plus pessimistes. Aussi longtemps que la demande chinoise maintiendra son tempo, les prix mondiaux devraient rester soutenus dans un contexte toutefois de forte volatilité.
A côté des fondamentaux des marchés, il y a en effet la réalité des marchés financiers. En ces temps de déroute boursière et de craintes obligataires, les matières premières sont plus que jamais une classe d’actifs à part entière portée par les craintes de pénuries à moyen terme. Jamais les volumes traités sur les marchés dérivés n’ont été aussi importants. Sur un marché comme le cuivre, porté par un déficit mondial de 160 000 tonnes sur les huit premiers mois de l’année et par l’imprévisibilité des achats chinois, les variations de plusieurs milliers de dollars par tonne enregistrées depuis le mois de Septembre s’expliquent aussi par la nervosité des investisseurs financiers.
La Chine, les aléas monétaires et financiers et puis aussi les bouleversements géopolitiques dont notre planète n’est guère avare, voici les ingrédients qui expliquent la poursuite des tensions sur les marchés de matières premières, bien loin des affres de la récession européenne.