CyclOpe 2024

 

LES MARCHES MONDIAUX

« Attendre et espérer"

Publication du Rapport

Cyclope 2024

14 Mai 2024 - Paris

CyclOpe 2023

 

LES MARCHES MONDIAUX

« Les cavaliers de l'Apocalypse"

Publication du Rapport

Cyclope 2023

23 Mai 2023 - Paris

CyclOpe 2022

 

LES MARCHES MONDIAUX

« Le monde d'hier »

Publication du Rapport

Cyclope 2022

8 Juin 2022 - Paris

CyclOpe 2021

 

LES MARCHES MONDIAUX

« Cette obscure clarté qui

tombe des étoiles »

Publication du Rapport

Cyclope 2021

26 Mai 2021 - Paris

 

CyclOpe 2020

 

LES MARCHES MONDIAUX

« Allegoria ed effetti
del Cattivo Governo -Ambrogio Lorenzetti 
»

Publication du Rapport

Cyclope 2020

09 juin 2020 - Paris

CyclOpe 2019

 

LES MARCHES MONDIAUX

« Les illusions perdues »

A l'occasion de la publication du Rapport Cyclope 2019

15 mai 2019- Paris

CyclOpe 2018

 

LES MARCHES MONDIAUX

« Le ciel rayonne, la terre jubile »

A l'occasion de la publication du Rapport Cyclope 2018

16 mai 2018 - Paris

CyclOpe 2017

 

LES MARCHES MONDIAUX

« Vent d'Est, Vent d'Ouest »

A l'occasion de la publication du Rapport Cyclope 2017

15 mai 2017 - Paris

CyclOpe 2016

 

LES MARCHES MONDIAUX

« A la recherche des sommets perdus »

A l'occasion de la publication du Rapport Cyclope 2016

24 mai 2016 - Paris

CyclOpe 2015

LES MARCHES MONDIAUX

Pour qui sonne le glas ?

A l'occasion de la publication du Rapport Cyclope 2015

20 mai 2015 - Paris

CyclOpe 2014

LES MARCHES MONDIAUX

Dans le rêve du Pavillon Rouge

A l'occasion de la publication du Rapport Cyclope 2014

14 mai 2014 - Paris

L'instabilité agricole

Qui n’a regardé sur une plage de l’Océan les jeux des enfants bâtissant digues et fortifications de sable pour lutter contre la montée inexorable du flux ? Chaque fois, ces constructions réunissant dans l’excitation une petite bande d’enfants, se révèlent incapables de quelque résistance que ce soit : les tours s’effondrent, les remparts s’effritent et bientôt l’eau a tout détruit.

Pendant des siècles et encore aujourd’hui, il en a été de même pour les hommes face à l’instabilité des marchés agricoles : on a bâti des défenses, on a créé des lacs de stabilité artificielle, on a cherché à détourner des courants, mais toujours, au moment des marées hautes, ces murailles de sable se sont effondrées dans le fracas d’émeutes de la faim et de jacqueries agricoles.

 

Paradoxalement, au début du XXIème siècle, alors que l’homme maîtrise tant de nouvelles technologies, il reste soumis, comme aux temps les plus anciens, au rythme de ces marées agricoles, de l’alternance de bonnes et de mauvaises années, qui marquait déjà l’Egypte de Joseph et du Pharaon.

 

Et cette instabilité n’est pas anecdotique dans la mesure où elle touche un secteur qui reste fondamental pour l’Humanité : le défi alimentaire du XXIème siècle —doubler la production agricole mondiale pour satisfaire les besoins alimentaires de dix milliards d’hommes dans deux générations— n’est-il pas l’un des plus ambitieux auquel l’Humanité va être confrontée ?

 

 

L’INSTABILITE « NATURELLE » DES MARCHES AGRICOLES

 

Il est fort probable que les premiers produits ayant fait l’objet d’un échange aient été des denrées agricoles. Sur un marché —le plus primitif soit-il—, le prix d’un produit se détermine par la confrontation de l’offre et de la demande. Certes, le coût de production et le pouvoir d’achat du consommateur jouent un rôle important, mais —in fine—, c’est l’équilibre entre offre et demande, en un lieu et à un moment précis, qui va fixer le prix d’une denrée d’une qualité bien déterminée.

 


 

Le « message » que le marché envoie en termes de prix aura bien sûr une influence directe sur le comportement à venir des acteurs, incitant les producteurs à plus ou moins emblaver à l’avenir, ou les consommateurs à diversifier leurs besoins. Toutefois, pour des biens essentiels comme les produits agricoles, on peut comprendre tout ce que pareil message peut induire de souffrances et de misères. Ceci explique les réticences rencontrées de tout temps pour appliquer à l’agriculture la logique du marché.

 

Pourtant, s’il est un domaine où l’instabilité peut apparaître naturelle, c’est bien l’agriculture. Si on peut estimer la demande globale comme relativement stable, ou au plus liée aux tendances démographiques, (avec toutefois des sauts qualitatifs comme l’adoption de régimes alimentaires riches en produits animaux), l’offre —malgré tous les progrès de l’agronomie— demeure aléatoire, soumise aux contraintes de la nature.

 

L’actualité la plus récente en est encore un exemple : le grand épisode d’El Niño, (inversion des courants marins dans le Pacifique), du milieu des années quatre-vingt-dix et puis à nouveau en 2006 et 2007, provoquant notamment des sécheresses en Australie, la canicule de l’été 2010 en Russie, les inondations au même moment au Pakistan et en Chine, affectant la production de coton …

 

On a même l’impression que plus les techniques agricoles sont sophistiquées, plus grande est leur sensibilité aux aléas climatiques et, en tout cas en ce début du XXIème siècle, la fréquence des accidents climato-agricoles est tout aussi élevée qu’à la fin du XIXème siècle, au temps de la première mondialisation.

 

L’instabilité de la relation offre-demande, que ce soit au niveau d’un marché local ou aujourd’hui pour la planète entière, induit très naturellement l’instabilité du prix qui en découle. Très vite, les hommes et ceux qui les gouvernaient ont pris conscience de la dimension humaine, mais aussi politique de cette instabilité et de l’évolution des rapports de force pouvant en découler, notamment entre producteurs agricoles ruraux et consommateurs urbains.

 

 

LA DIMENSION POLITIQUE DE L’INSTABILITE AGRICOLE

 

L’opposition « villes-campagnes » peut paraître caricaturale, mais elle est incontournable pour bien comprendre l’évolution des politiques en matière agricole, sachant qu’in fine, l’action politique en matière agricole et alimentaire se fera au bénéfice de l’un ou l’autre groupe, producteurs ou consommateurs.

 

En réalité, trois individus peuvent financer une politique agricole : le producteur, le consommateur et le contribuable. Néanmoins, l’entrée en lices de ce dernier a été suffisamment tardive, (1933 aux Etats-Unis), pour que longtemps on se soit limité à un choc frontal entre intérêts agricoles et besoins des villes.

 


 

Dans la plupart des civilisations et pour l’essentiel des systèmes politiques, la légitimité du pouvoir politique, qu’il soit d’essence monarchique ou « démocratique », a reposé sur le contrôle des villes, les masses urbaines détenant à certains moments un pouvoir « révolutionnaire » non négligeable, bien supérieur à celui des jacqueries paysannes.

 

Approvisionner les villes a donc toujours été fort logiquement le premier souci de tout souverain soucieux de conserver sa place. A Rome, on résuma ceci avec la célèbre formule « panem et circenses », du pain et des jeux pour la plèbe. Le peuple de Paris ne demandait au fond pas autre chose lorsqu’il alla chercher quelques siècles plus tard à Versailles, « le boulanger, la boulangère et le petit mitron ». Faute d’avoir su gérer l’approvisionnement de la ville en une année de mauvaise récolte, Louis XVI perdit son trône … et sa tête.

 

Ceci explique que les premières politiques « agricoles » aient été avant tout alimentaires, tournées vers l’approvisionnement des villes et le maintien de prix accessibles au plus grand nombre. Les princes se devaient de nourrir la plèbe. Le Royaume-Uni ne fit pas autre chose au XIXème siècle lorsque furent abolis tous les droits de douane, (les célèbres Corn Laws qui protégeaient l’agriculture britannique) : en pleine révolution industrielle, il fallait nourrir la classe ouvrière au moindre coût d’un marché mondial qui s’ouvrait sur de nouvelles terres agricoles, de l’Australie à l’Argentine. La politique de la « free breakfast table » condamna pour longtemps l’agriculture familiale, tant des îles britanniques que des colonies.

 

A la fin du XIXème siècle toutefois, les conditions politiques changèrent. L’introduction du suffrage universel, (ou presque puisque les femmes ne votèrent que beaucoup plus tard), donna un pouvoir nouveau aux campagnes. En 1881, fut ainsi créé en France un Ministère de l’Agriculture et en 1896, Jules MELINE n’hésita pas à cumuler les fonctions de Président du Conseil et de Ministre de l’Agriculture. Partout, à la notable exception du Royaume-Uni, l’influence agricole se fit plus forte, ce qui se traduisit dans un premier temps par le retour des protections douanières, et dans un deuxième temps, dans l’entre-deux guerres, par la mise en place des premières véritables politiques agricoles fondées sur la garantie des prix et des revenus.

 

L’apogée de cette période se situe durant l’après-guerre, au moment où la forte croissance des « trente glorieuses » permit de faire financer des politiques agricoles de plus en plus « efficaces » en termes de prix par le consommateur (Europe) et par le contribuable (Etats-Unis).

 

Vers la fin du XXème siècle toutefois, la diminution du pouvoir politique du monde agricole se traduisit un peu partout dans les pays développés par la remise en cause des politiques agricoles qui furent peu à peu remplacées par des politiques rurales ou environnementales. Un siècle après leur création, l’existence même des Ministères de l’Agriculture devint matière à discussion, voire à disparition comme en Espagne. Notons toutefois la « résistance » de quelques grands pays comme les Etats-Unis (grâce au pouvoir du Sénat), le Japon ou la Suisse.

 


 

En 2010, la situation des problématiques agricoles est donc très différente d’un pays à l’autre. La plupart des pays occidentaux ont tourné la page des grandes politiques agricoles fondatrices des années trente et cinquante. Par contre, de nombreux pays émergents, de la Chine et l’Inde à la Corée du Sud, peuvent se permettre de maintenir des objectifs d’autosuffisance fondés sur la gestion fine des marchés et des prix agricoles. Il en est de même pour d’anciens pays communistes, comme la Russie, qui cherchent à réinventer des politiques agricoles.

 

Par contre, la plupart des pays du Tiers-Monde se situent dans la situation des pays occidentaux du XIXème siècle : l’important est de nourrir les villes facilement, susceptibles d’émeutes de la faim ; les campagnes ne disposent d’aucun pouvoir politique et de toute manière, il n’y a pas d’argent à consacrer à la mise en place d’une véritable politique agricole. Au contraire, c’est dans ces pays que l’on accueille à bras ouverts les « investisseurs » étrangers en quête de terres agricoles.

 

Réagir face à l’instabilité agricole

 

Cette longue digression politique était nécessaire pour comprendre comment ont évolué les positions et les réactions face à l’instabilité des marchés agricoles.

 

Sans remonter à l’Egypte Ancienne, force est de constater que la gestion des marchés agricoles a été au cœur des premières réflexions des économistes comme l’illustre le célèbre «Dialogue sur le commerce des Blés » publié au milieu du XVIIIème siècle par l’abbé Galliani. Néanmoins pendant tout le XIXème siècle, les grands états furent régulièrement démunis face à l’instabilité agricole, à son cortège de famines ou de crises de surproduction. Le seul levier sur lequel il était possible de jouer était celui des tarifs douaniers, les uns jouant la carte de l’ouverture et d’une première mondialisation des échanges, les autres à l’image de la France et des célèbres tarifs Meline, préférant les sentiers du protectionnisme. C’est à cette époque que, pour rendre plus supportable cette instabilité, se développèrent de manière formalisée des bourses de commerce (board of trade) offrant des cotations au comptant et à terme. Les premiers marchés à terme (futures markets) apparurent à Chicago vers 1850 (et en fait au Japon un siècle plus tôt) et furent rapidement suivis d’institutions comparables en Europe et à New York traitant des produits agricoles tempérés et tropicaux. Grâce au développement des câbles sous-marins (et donc de l’information en temps presque réel) et de la marine à vapeur, on peut estimer qu’au début du XXème siècle la notion de marché «mondial» était une réalité pour la plupart des grandes denrées agricoles et les techniques utilisées sur ces marchés étaient déjà d’une grande sophistication (dans un environnement monétaire toutefois très stable ce qui facilitait les choses).

 

La Première Guerre Mondiale fût la première occasion pour les gouvernements concernés de mettre en place des politiques de « ravitaillement » encadrant de facto la production agricole. En Europe, les marchés fermèrent et la gestion des prix se fit sous contrôle public. Au lendemain de la guerre, la plupart des contrôles disparurent et dès 1924/1925, l’agriculture mondiale entra dans une période de surproduction et d’effondrement des prix qui fût une des raisons de la crise de 1929. Face à la crise les gouvernements se trouvèrent particulièrement démunis. Aux Etats-Unis, le président Coolidge mit son veto par deux fois aux « Mc Navy-Haugen Bills » qui auraient dotés le pays d’une politique de contrôle des prix et de strict protectionnisme. En France, le gouvernement Laval mit en place un prix minimum du blé sans se doter toutefois des instruments permettant de le faire respecter. C’est à cette époque que des premiers efforts furent entrepris à l’échelle internationale (il y avait eu de premières conférences internationales sur le sucre à la fin du XIXème siècle mais il s’agissait alors de mettre un terme au dumping frénétique auquel se livraient les producteurs européens).

 

Des pays producteurs se réunirent à propos du caoutchouc, du sucre et du café sans parvenir à des résultats bien concrets. Au lendemain de la conférence internationale de Londres de 1933, des accords internationaux réunissant producteurs et consommateurs et mettant en place des quotas d’exportation furent signés pour le blé et le sucre mais là aussi sans grand succès. Face à la crise et pour un secteur agricole qui pesait encore entre le tiers et la moitié des grandes économies, les gouvernements réagirent donc au plan national : ce fût l’AAA dans le cadre du New Deal aux Etats-Unis, les grands « marketing boards » dans les pays anglosaxons, l’Office du Blé de 1936 en France. Presque partout on choisit de supprimer les marchés agricoles, de créer des offices ou des « boards » assurant des prix garantis en s’appuyant sur des politiques de stockage public. Dans un contexte différent, les Etats-Unis choisirent une autre voie : certes ils mirent en place un prix minimum (« le loan rate ») mais le gros des transferts se fit par le biais d’aides directes liées à un prix d’objectif (« le target price »). Par ailleurs la consommation des plus pauvres fût soutenue par des bons alimentaires (« les food stamps »). Cependant les marchés à terme (Chicago) purent continuer à fonctionner : seuls les mécanismes d’options furent interdits.

 

Comme vingt cinq ans plus tôt mais de manière beaucoup plus préparée la Seconde Guerre Mondiale mit fin au fonctionnement des marchés agricoles et partout l’agriculture s’inscrivit dans le cadre d’économies dirigées.

 

Dans  l’immédiat après guerre, parallèlement à l’organisation monétaire mise en place à Brettons Woods, certains rêvèrent de la création d’une Organisation Internationale de l’Agriculture qui aurait pris la suite de l’International Emergency Food Council qui avait assuré l’approvisionnement des zones dévastées par la guerre. Keynes, lui – même, avait rêvé d’un système de stocks stabilisateurs. A l’époque les Etats – Unis s’opposèrent à ces projets et la FAO qui fût créée en 1947 n’assura par la suite aucune fonction économique se contentant de connaître le développement classique d’une bureaucratie Onusienne. Reconnaissons toutefois que les Etats-Unis assurèrent pendant près de trois décennies la quasi stabilité des principaux marchés agricoles (céréales, oléagineux) par le biais de leur « loan rate » devenu de facto une sorte de prix minimum mondial garanti par les stocks d’intervention de la Commodity Credit Corporation. A partir de ces stocks ils purent avec la PL480 de 1954 développer en pleine guerre froide l’aide alimentaire pour les pays les plus pauvres et … les mieux alignés. Pour les produits tropicaux (sucre, café) quelques tentatives d’accords internationaux ne rencontrèrent guère de succès. L’époque fût avant tout celle de la mise en place ou du renforcement des politiques agricoles dont l’exemple le plus achevé reste bien sûr la PAC (1958/1962) qui stabilisa les prix de la plupart des denrées européennes. Mais ce furent aussi les caisses de stabilisation en Afrique Francophone, les « instituts » Brésiliens, les marketings boards des anciennes colonies Britanniques.

 

 

 

 

Paradoxalement jamais les marchés agricoles n’avaient été aussi stables que dans les années soixante grâce aux politiques nationales et au « parapluie » américain à l’international. L’instabilité ne touchait vraiment que quelques produits tropicaux et en premier chef le sucre dont la vieille réputation spéculative n’était plus à faire. Rappelons aussi que d’un commun accord l’agriculture fût traitée « à part » dans les négociations des premiers « rounds » du GATT qui ne concernait alors que les pays développés.

 

C’est dans ce contexte qu’intervint le choc des années 1972/1976 sur le marché des matières premières. Les premiers achats soviétiques de blé (1972), l’embargo américain sur le soja (1973), la crise sucrière (1974), les gelés au Brésil pour le café (1975) déclenchèrent  une flambée des prix entretenue par la déstabilisation monétaire (1971), le premier choc pétrolier (1973) et le développement de l’inflation. La conséquence en fût un renforcement des politiques agricoles dans un sens plus productiviste et puis la mise en place d’un nouvel effort de stabilisation des marchés internationaux de matières premières et notamment de produits agricoles dans le cadre de la CNUCED et de son fameux Programme Intégré des Produits de Base (Nairobi, 1976).Celui – ci donna lieu à de très nombreuses négociations pour la signature d’accords de stabilisation : blé, sucre, café, cacao, coton, caoutchouc furent notamment concernés. A la fin du jour les résultats en furent pitoyables : sur le principe du stock régulateur, deux accords virent le jour : pour le cacao et le caoutchouc. Seul l’accord sur le caoutchouc fonctionna vraiment pendant quelques années mais il fut démantelé à la fin du siècle à la demande des producteurs eux – mêmes. L’accord sur le café fondé sur le principe de quotas d’exportation fonctionna de 1980 à 1985 avant de s’effondrer lui aussi sur fond de dissensions entre les producteurs. De l’immense effort entrepris à Genève pendant plus de deux décennies, il ne reste rien si ce n’est quelques leçons : la principale est que l’objectif poursuivi alors (stabiliser les prix et garantir un  prix équitable pour les producteurs.) était d’une immense ambiguïté : garantir un prix est un acte politique que plus personne dans les années 80, avec la déliquescence du dialogue Nord – Sud,  n’était prêt à assumer. Quant à la stabilisation le meilleur des stocks régulateurs (celui du caoutchouc) ne pouvait longtemps lutter contre une tendance de fond à moins, comme dans le cas du café, que d’accepter le fonctionnement d’un double marché. Signalons à la même époque une initiative bilatérale, celle du « stabex »  des conventions de Lomé entre l’Europe et les ACP dont l’objet était de garantir une certaine stabilité de recettes d’exportation de produits tropicaux mais qui souffrit vite d’un manque de moyens.

 

Dans cet ensemble d’échecs des démarches internationales, le seul succès relatif fût à mettre au crédit du Programme Alimentaire Mondial des Nations Unies qui s’est taillé une remarquable réputation dans le traitement des situations alimentaires d’urgence.

 

 

 

Au niveau des politiques nationales, les années 80 furent marquées par la remise en cause à peu près systématique des politiques agricoles victimes à la fois de leur coût et bien souvent de leur inefficacité. Cela commença par les plus faibles et notamment les pays soumis aux programmes d’ajustement structurel du « consensus de Washington » : la plupart des marketing boards, office et caisse de stabilisation africains disparurent à la remarquable exception du « Cocobod » (cacao) du Ghana. Il en fût de même au Brésil, en Argentine, aux Philippines… Des grands pays du Tiers Monde de l’époque, seule l’Inde put maintenir une politique agricole globale même si elle était critiquée pour ses gaspillages. Au nord, le déclic fût sans conteste l’introduction de l’agriculture dans les négociations de l’Uruguay Round du GATT. Ce fût en réalité un prétexte facile tant là aussi des politiques agricoles vieilles de plusieurs décennies méritaient au minimum une réforme voire même une réorientation complète. Ce fût le cas de la PAC qui, au fil de ses réformes, abandonna peu à peu toutes ses approches de gestion des marchés et des prix au point d’envisager pour 2014 d’en supprimer les derniers instruments (quotas laitiers notamment). Aux Etats-Unis l’approche fût plus subtile dans un contexte politique beaucoup plus favorable à l’agriculture : la plupart des instruments ont survécu ou sont réapparus sous d’autres formes au fil des différents FarmBills. Ce qui a par contre disparu c’est l’intervention directe sur le marché au niveau du loan rate et la gestion des stocks d’intervention par la CCC. Les marchés mondiaux ont ainsi perdu une de leurs forces majeures de stabilisation. Ailleurs, en Australie, en Nouvelle Zélande ou en Afrique du Sud, les Marketing boards ont disparu ou ont été privatisés, la seule exception notable demeurant la commission canadienne du blé (CWB). Par contre nombre de « petits pays » comme la Norvège, la Suisse ou le Japon, en général importateurs nets ont fait de la résistance.

 

Au début du XXIème siècle, jamais les marchés agricoles n’avaient été aussi « libres » tant au plan international que national et même européen. De l’Europe à la Chine se développaient de nouveaux marchés à terme (on parle désormais de marchés dérivés) pour permettre aux opérateurs la gestion de cette instabilité, ceci dans un contexte, il faut le souligner, de prix mondiaux souvent déprimés et de relatif désintérêt des dirigeants de la planète pour les problématiques agricoles et alimentaires.

 

C’est dans ce cadre qu’il faut replacer le choc ressenti sur les marchés culminant avec les émeutes de la faim au printemps 2008 et la nouvelle crise céréalière de l’été 2010. Confrontées à cette situation nouvelle, de nombreuses voix se sont élevées pour prôner une nouvelle régulation des marchés agricoles internationaux et ce tout particulièrement en Europe où se joue l’avenir de la PAC.

L’accent est mis sur le rôle nocif de nouvelles formes de spéculation financière (indices) et sur la nécessité d’en assurer le contrôle, voire de les supprimer. Tout ceci ressort d’un discours trop souvent manichéen au-delà de tout réalisme. Mais que peut-on faire, que peut-on valablement proposer ?

 

 

 

 

 

 

 

PISTES DE REFLEXION ET PEUT-ETRE D’ACTION

 

 

Une première remarque s’impose à propos du vocabulaire utilisé. On parle en effet beaucoup de régulation mais ce mot n’a pas la même signification dans le champ agricole et dans le champ financier. Pour les marchés financiers, la notion de régulation (telle qu’elle est pratiquée par l’AMF, la SEC ou la FSA) s’applique à la transparence des marchés, à la licité des opérations, au contrôle des activités des principaux opérateurs, à la mise en place de barrières aux positions dominantes… En matière agricole, l’idée de régulation va souvent beaucoup plus loin jusqu’au contrôle de la spéculation, voire même à la stabilisation des marchés. C’est là bien sûr une approche beaucoup plus ambitieuse aux résultats incertains. Mais il faut bien être conscient de l’ambiguïté que revêt pour l’agriculture cette idée de régulation que ce soit au niveau international ou national.

 

Au niveau international, le vieux rêve de la stabilisation des marchés agricoles semble plus éloigné que jamais. Il n’apparaît guère imaginable de relancer la mécanique des accords internationaux. La seule idée qui pourrait mériter au moins quelques études repose sur le développement de stocks d’urgence. Au plus simple ceux ci pourraient être une extension du Programme Alimentaire Mondial. Aller plus loin c’est reconstituer le rôle stabilisateur qui fût dans la dernière partie du XXème siècle celui des Etats-Unis et de l’Europe. Peut-on imaginer une coordination internationale des politiques de stockage public comme il en existe une pour les stocks stratégiques de pétrole au sein de l’AIE ? Une réserve mondiale gérée par les principaux pays exportateurs et/ou consommateurs pourrait être libérée en situation de crise. L’auteur de ces lignes a longtemps rêvé d’une gestion monopoliste du marché mondial du blé par les Etats-Unis et l’Union Européenne sur la base de la convergence du « loan rate » et du prix d’intervention dans un monde idéal où les devises ne perturberaient pas trop de précaires équilibres. La quasi disparition opérationnelle de l’un et de l’autre nous laisse dans le domaine du rêve. Dans l’état actuel des marchés et des principaux producteurs, on voit mal l’un d’entre eux accepter le fardeau de l’ajustement mondial (comme le fait depuis quelques années l’Arabie Saoudite pour le pétrole). De toute manière il faut aussi rappeler que l’instabilité agricole n’est qu’une petite partie de l’instabilité mondiale qui commence par celle des marchés des changes. Paradoxalement la stabilisation du marché des changes par un « cartel » de banques centrales apparaît plus simple à réaliser que celle des marchés agricoles ! On pourra toujours s’indigner que l’on traite les denrées alimentaires de la même manière que le pétrole, le cuivre ou le dollar. Mais la notion de « biens publics mondiaux » n’est une belle idée que …sur le papier.

 

 

Ce qui est par contre possible au niveau international c’est d’assurer une véritable régulation des marchés au sens de leur transparence. Le développement des marchés dérivés a été considérable ces dernières années mais il reste fort inégal : si le blé fait l’objet de cotations à terme notamment à Chicago et Paris tel n’est pas le cas du riz dont le prix de référence est une cotation physique à Bangkok. Une première étape serait de faire entrer dans le champ de l’observation et du contrôle nombre de marchés de gré à gré (ou OTC) faisant ou non l’objet de systèmes de compensation (c’est entre autres l’enjeu de la future directive européenne sur les marchés d’instruments financiers – MIFID- qui couvre aussi les produits agricoles). Peut-on aller plus loin et mettre un frein à la spéculation financière dans le domaine agricole ? Ceci relève de la responsabilité des régulateurs de marché : aux Etats-Unis les autorités des bourses et le régulateur (la CFTC) peuvent jouer sur les garanties financières (déposit) et limiter la taille des positions. Mais au-delà de la dimension morale, on ne peut affirmer que plus ou moins de spéculation se traduit par un degré correspondant d’instabilité : à la fin du jour les « fondamentaux » ont toujours raison, dit-on sur les marchés.

 

En fait encadrer la spéculation et séparer en quelque sorte la bonne de la mauvaise relève de l’utopie et même de l’inutile. L’important est que les marchés fonctionnent dans la transparence en respectant les règles de la concurrence.

 

 

Ceci nous renvoie aux problématiques nationales. Sur le plan de la régulation et de la transparence, de nombreux progrès peuvent être faits pour des marchés agricoles fonctionnant sur des bases locales ou régionales (viandes, fruits et légumes). La France vient ainsi de se doter d’un observatoire des prix et des marges agricoles et alimentaires. Mais le vrai problème demeure celui des politiques nationales de stabilisation des prix. Ce n’est manifestement plus à l’ordre du jour dans la plupart des pays occidentaux qui préfèrent des politiques de compensation fondées sur des aides directes et qui se trouvent sous la contrainte de leurs engagements à l’OMC. Si cela peut se comprendre pour les produits dotés de véritables marchés mondiaux représentatifs (céréales, oléagineux), tel n’est pas le cas pour les produits animaux et notamment pour les produits laitiers : les cotations du beurre et de la poudre de lait demeurent marginales et en Europe au moins le système des quotas laitiers a fait ses preuves.

 

Mais là n’est pas le vrai problème. Le véritable enjeu de l’instabilité se situe au niveau des pays en développement. C’est là que le besoin de politiques agricoles fondées sur la stabilisation des prix à des niveaux incitatifs pour les producteurs est le plus criant. Mais force est de constater, qu’en l’absence dans ces pays de demande solvable émanant des consommateurs, se pose le problème du financement de telles politiques. Ce devrait être là l’une des priorités des politiques et de l’aide internationale à l’exemple de ce que font déjà de grandes fondations privées (Gates) en Afrique de l’Est.

 

 

L’INSTABILITE : UN FAUX PROBLEME MAIS UN MESSAGE A ENTENDRE

 

 

Le grand public ne s’inquiète de l’instabilité des prix agricoles que lorsque ceux-ci flambent. On a beau jeu alors de fustiger la spéculation, de s’indigner et de se lamenter sur le sort des populations des pays pauvres en oubliant simplement que lorsque les prix sont bas ce sont les populations rurales qui souffrent lorsque leurs gouvernements n’ont pas les moyens de les protéger. En réalité le marché ne fait que constater des déséquilibres. Lorsque les prix flambent, comme ils l’ont fait en 2008 et encore en 2010, c’est un message que les marchés nous envoient celui d’un monde qui est loin d’avoir gagné son défi alimentaire, où un milliard de pauvres se nourrissent peu et mal, celui d’une planète qui peut nourrir dix milliards d’hommes si les moyens suffisants sont consacrés à de véritables politiques agricoles dans les pays en développement.

 

Dans leur apparente incohérence c’est ce message fondamental que les marchés nous font passer. Le reste, la régulation, la transparence et la surveillance, relève de problèmes techniques importants à résoudre mais qui ne doivent pas masquer la réalité des enjeux alimentaires mondiaux

 

     Le monde à faim, ne l’oublions pas !