Le chapitre « trader fou » de l’encyclopédie des marchés financiers vient de s’enrichir d’une nouvelle entrée avec Kweku Adoboli qui vient de faire perdre 2.3 milliards de dollars à la banque suisse UBS qui l’employait dans sa salle des marchés de Londres. Il était, semble-t-il, à l’origine de quelques 10 milliards de dollars de transactions non autorisées, c'est-à-dire qui avaient échappé à la « vigilance » de sa hiérarchie. Au panthéon de ces « rogue traders » il rejoint ainsi Jérôme Kerviel (Société Générale), Nick Leeson (Barings), Yoshua Hamanaka (Sumitomo) et quelques autres. Même si les sommes engagées - et perdues – ont de quoi laisser rêveur, ce n’est là en aucune manière un phénomène nouveau. Le syndrome du « trader qui tombe amoureux de sa position », de celui qui pense avoir raison contre tous, est en effet une constante dans l’histoire des marchés en particulier durant les phases de forte volatilité, voire de bulles. Ce fut d’ailleurs longtemps l’apanage des marchés de matières premières et cela a couté leur existence à maintes sociétés de négoce.
Le développement par les banques de leurs opérations sur compte propre et la dépendance qui en a découlé pour leurs structures de résultat n’a fait qu’amplifier le phénomène en mettant en évidence les inévitables lacunes de leurs contrôles internes. Ce n’est pas un hasard si Adoboli tout comme Kerviel était passé par le « back office ».
Ce qui est plus inquiétant cette fois c’est que « l’accident » est intervenu sur un nouveau type de produits qui connait à l’heure actuelle un développement considérable : les ETF (Exchange Traded Fund) ou « Trackers ». Il s’agit d’instruments financiers qui reproduisent le comportement d’actifs sous jacents : actions, indices, matières premières… Ils permettent à un investisseur de jouer sur un marché sans avoir directement à investir que cela soit dans une action ou un produit physique. « Inventés » il y a une vingtaine d’années, les ETF pèseraient aujourd’hui quelques 1 500 milliard de dollars.
Outre leur complexité, illustrée par les mésaventures d’UBS, les ETF posent un problème de fond qui n’a pour l’instant pas été traité tant ils ont pu passer au travers des filets -bien lâches-
des agences de régulation. Il s’agit de la nature du lien entre le produit financier et son sous jacent. Si on prend le cas des ETF sur les matières premières (très populaires chez nombre de petits investisseurs), s’agit-il de positions sur des marchés à terme ou bien de stocks physiques, ou bien encore d’un peu des deux. On sait ainsi que le plus gros ETF sur le marché de l’or détiendrait quelque mille tonnes du métal précieux. Récemment des ETF ont été lancés sur les marchés de métaux non ferreux comme le cuivre avec pour résultats de geler des stocks supplémentaires sur le marché de Londres (LME) dont la transparence n’est pas la qualité principale.
On en a fait avec les ETF l’exemple type d’une innovation financière qui parait anodine dans un premier temps, voire utile puisqu’elle apporte de la liquidité aux marchés. C’est à l’usage que l’on se rend compte des dérives possibles, dans le cas présent de la stérilisation de stocks physique de matières premières. Ce qui n’est pas un problème pour l’or, dont la vocation est justement d’être stockée, le devient pour les autres métaux et le serait encore plus pour les produits agricoles. Sans aller jusqu’à interdire les ETF, il apparait nécessaire de les encadrer et surtout de mettre en place des barrières déontologiques comme par exemple l’interdiction de détenir des stocks physiques de matières premières et le strict contrôle des positions « papier » de chaque ETF. Mais on bute là sur le vide abyssal des régulations européennes et sur la mauvaise volonté des autorités britanniques qui ne veulent en aucune manière casser la poule aux œufs d’or de la City.
Kweku Adoboli est en prison, pauvre petit trader broyé par une machine qui l’a dépassé et dont la responsabilité ultime est celle d’autorités de marché qui, en particulier à Londres, confondent libéralisme et laxisme.