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Tous ceux qui font de l’alpinisme savent combien il est difficile d’apprécier la distance qui nous sépare du sommet. On se croit déjà arrivé et voila des hauteurs nouvelles qui apparaissent. Mais parfois au débouché d’une paroi on est presque surpris d’accéder directement à la crête sommitale.
Il en est de même sur les marchés et le sort des analystes tout comme des traders est d’être collé à leur paroi sans grandes perspectives sur les sommets mais avec une vision claire des abîmes environnants.
Ajoutons-y un peu de mauvais temps et même quelque orage et on peut comprendre la panique qui peut affecter les cordées les plus solides.
Analysons ainsi l’orage qui a affecté les marchés mondiaux de matières premières au début de Mai 2011 : en une séance à Londres ou à New York, le pétrole a perdu plus de dix dollars le baril et à New York le brut américain (le WTI) est symboliquement repassé au dessous de la barre des cent dollars. A Londres tous les métaux non ferreux ont perdu quelques centaines, voire quelques milliers de dollars la tonne. L’argent qui avait été la grande vedette des semaines précédentes à près de $ 50 l’once n’en valait plus que $ 34. Le repli de produits comme le coton ou le caoutchouc qui avaient fait les beaux jours des premiers mois de 2011 s’accélérait. Le sucre dont le réveil avait été tant salué au-delà de 30 cents la livre n’en valait plus que 20… En une seule journée, le 5 Mai, l’indice de Goldman Sachs, un panier de produits sur lequel sont investis près de $ 150 milliards, reculait de 6.5 %. Alors qu’en Avril, les prix des matières premières avaient dépassé leurs niveaux de Juin / Juillet 2008 avant la crise financière, certains n’hésitaient pas à prophétiser que la bulle avait enfin éclaté, que les marchés avaient atteint leur sommet historique et que le temps du repli, voire de l’abime était venu.
Mais que s’est-il passé en fait ? D’un point de vue factuel il y eut la remontée du dollar (pas de baisse des taux de la BCE) et la mort de Ben Laden. Un dollar plus fort et de moindres tensions géopolitiques suffisent à expliquer l’embryon d’un repli. Mais celui-ci est intervenu à un moment où nombre de marchés étaient à la limite de la « zone rouge », celle au sein de laquelle les esprits les plus raisonnables perdent tout sens commun : les niveaux de prix atteints par nombre de métaux non ferreux et précieux, par des produits agricoles comme le coton ou le caoutchouc même s’ils pouvaient se justifier par le déficit de l’offre devaient aussi avoir des conséquences en termes d’élasticité de la demande. Sur des marchés caractérisés - infine - par la livraison physique des produits et donc par le lien réel entre physique et papier, la logique des fondamentaux prime toujours sur « l’exubérance irrationnelle » des investisseurs.
Alors sommes-nous bien au sommet ? Pour l’instant l’horizon n’est guère dégagé et le plateau que nous avons atteint est bien vallonné. Si on peut penser que la plupart des métaux et des matières premières agricoles devraient connaître des réajustements parfois brutaux, tel n’est le cas ni de l’alimentation, ni de l’énergie. Tornades aux Etats-Unis, sécheresse en Europe, la situation alimentaire mondiale demeure inquiétante en particulier pour le maïs et jamais les stocks de clôture de la campagne 2010 / 11 n’ont été aussi bas.
Quand à l’énergie, les prix du pétrole sont moins sensibles aux aléas de l’offre qu’à la dynamique de la demande en provenance des pays émergents. Et alors que le nucléaire recule, une bonne partie de l’Europe ferme la porte aux gaz de schistes. Le pétrole a de beaux jours devant lui !
La période qui s’ouvre devant nous sera moins propice aux grands mouvements moutonniers qu’apprécient les investisseurs. Il faudra plus d’intelligence pour comprendre et anticiper les fondamentaux. Le « choc de 2011 » n’est pas terminé. : la croissance mondiale, celle de la Chine aussi, sont toujours là et le temps de la production, celui de l’investissement sont toujours aussi longs. Mais les arbres ne montent pas au ciel…